Déconstruction du
complexe Proche-Orient
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La déconstruction pour la reconstruction n'est pas étrangère à la pratique politique, y compris celle du chaos créateur 1; elle se doit toutefois servir la paix et la démocratie dans le monde. En Orient bien complexe, cela impose le dépassement de ses artefacts actuels pour des retrouvailles avec le bon sens saisi par un droit international, voulu obsolète, qui stipule une égale souveraineté démocratique sur un territoire disputé. Et la solution proposée des deux États ayant été rejetée, oser l'argument paroxystique de la démocratie binationale en radicale garantie de paix durable.
Réalité et réel
La manifestation du principe de réalité est d'autant plus néfaste actuellement qu'elle autorise le déni du droit outre la morale et, en Palestine, empêche le moindre effort de justice et d'éthique. Or, elle ne se justifie même pas par l'impératif de la logique étant faussée de soucis sans rapport avec le réel, tant juridique qu’éthique.
Il importe donc de revenir de la réalité altérée érigée en principe2 au réel tangible, y repérer l'artefact et les stéréotypes faussant les archétypes encore évidents dans les rapports historiques judéo-arabes. Or, continuer à taire les vérités du conflit de Palestine et des réalités historiques antérieures à la haine réciproque, c’est alimenter les drames actuels.
Or, bientôt 85 ans, un peuple est dépossédé de sa terre au profit d'un État créé sur prétention religieuse et qui, nominalement démocratie exemplaire, n'en respecte pas les normes basiques. Nulle citoyenneté égale pour tous n'y est respectée, outre l'injustice initiale du peuple de sa terre dépossédé, dont on fait même, chez d’aucuns, victime expiatoire de la Shoah quitte à commettre un autre génocide.
Vérités tues sur le conflit, silence sur la dérive du monde3 et sur le martyre du peuple palestinien, la responsabilité n’incombe pas qu’aux protagonistes. Les juifs en général, les pays arabes de la région et éloignés, tel le Maroc, sont concernés ; mais aussi les puissances du moment y ayant leur mot décisif au nom de leur idéologie, géostratégie ou intérêts propres4. Tel l’Occident qui ne se soucie pas de l'aberration démocratique israélienne violant ses propres fondements au prétexte qu’elle est de règle du côté arabe. Assimilant à tort la Palestine aux dictatures arabes, il perd ainsi l'occasion de promouvoir une démocratie palestinienne venant contraster avec les dictatures arabes n'en voulant pas.
Archétype, stéréotype et artefact
La mémoire collective sémite emporte une composante généalogique de loyauté axiologique, schémas tribaux générationnels transmis en archétypes ; c'est un invariant de l’âme sémite arabo-juive. Sujette à mue, l’attention est requise à son évolution, l'archétype dégénérant en stéréotype, tout blocage mental et physique, dans l’inconscient collectif et l’imaginaire populaire de la tribu devenue État nation. En prendre conscience est la condition pour s’en libérer ; ce qui commence par une pensée adogmatique. D’où l’importance de l’intellect et de l'élite intellectuelle organique guère déconnectée du réel.
La complexité de l'Orient n'est qu'artefact arabe musulman et juif à un degré moindre, modification artificielle des structures mentales des sociétés et des cultures5. Ainsi est fausseté la haine ancestrale réciproque, valorisant du coup une supposée tradition judéo-chrétienne ; car, historiquement, elle était plutôt judéo-musulmane. Sauf de rares exceptions confirmant la règle, cela a été vérifié, notamment lors des persécutions chrétiennes des juifs bien heureux de l'apparition de l'islam6.
Il y a donc urgence à revoir les fondations de l'équilibre bancal du monde aux conséquences cruelles. Issu du passé de la Seconde Guerre mondiale, il est dépassé par les réalités internationales où prédomine l’impératif catégorique d’une solidarité humaine devenue mythique face aux nationalismes exacerbés et idéologies dogmatiques renaissantes7. Stopper sa dérive suppose la revitalisation du droit international réduit aux règles des intérêts des puissances du jour. La Palestine est un cas d’école pour une telle gageure, livrée à l’arrogance des États développant ou supportant dans l’impunité une meurtrière politique de colonisation violant des droits légitimes, une légalité internationale régulièrement rappelée.
Démocratie binationale Israël-Palestine
En finir avec les jeux criminogènes impose la radicalité de la légalité et de l'éthique pour une paix au nom d'un humanisme intégral. D'abord, en reniant l'aberration de traiter d'antisémites les Arabes sémites, surtout au moment où les Palestiniens subissent un antisémitisme basique de la part du gouvernement israélien suprémaciste. Ensuite, en cessant l'instrumentalisation de la cause de Palestine à des fins politiciennes internes8.
Cela suppose de mettre fin à l'hypocrisie entretenue à l'égard d'une foi d'islam rejetée d'office sans distinguer sa caricature officielle de sa nature première occultée ou niée. Or, elle n'est pas sa déclinaison officielle chez ses adeptes, opium au service des dictatures, foi altérée par les avanies du temps et les vicissitudes de l'histoire9. Or énorme est la responsabilité de l'Occident agissant à préserver cette situation dans ses anciennes colonies10.
Enfin, la justice et l'éthique commandent de revenir au droit tel que défini en 1948 par l'ONU, dépasser même la lubie d'État pour les juifs violant l'esprit démocratique en optant pour l’État binational. Nombre de justes de part et d'autre y avaient appelé, dont d'éminentes voix juives11. À défaut, on le voit, le génocide des juifs finit par muer en génocide juif des Palestiniens alors que nombre d'entre eux sont d'anciens juifs à l'islam convertis. D’où le courage d'oser la réconciliation que la déconstruction actuelle pourrait favoriser avec en seule solution juste, pour les parties et la paix dans le monde : une démocratie binationale Palesraël ou Isralestine.
NOTES
1 La formule du chaos créateur renvoie à la théorie scientifique du chaos, à la base de ce qui caractérise la géopolitique mondiale avec ce que les États-Unis et l'Occident ont appelé « guerre au terrorisme». Ce qui signifie que son but est moins de la gagner que de punir, humilier et déstabiliser en propageant le chaos à même d'être créateur d'un mode de gouvernance plus adapté aux réquisits de la mondialisation techno-financière. Au-delà de classique domination impérialiste de territoires, c'est une expansion financière qui est recherchée que favorise le désordre extrême, et donc le chaos. Cette géopolitique du chaos a été théorisée par Samuel Huntington sous le nom de « choc des civilisations ». Aussi, ce qui importe est la souveraineté du capital financier avec le néoféodalisme des transnationales quitte à ce que cela entraîne le démantèlement des institutions, la destruction du pouvoir de l’État, et même le désordre dans les sociétés divisées et démembrées. Car rien ne doit résister au règne du capital, ce Mammon moderne, avec ses nouveaux seigneurs, même s'ils doivent devenir pour cela des saigneurs. cf. l'analyse sociologique de Jacques-Alexandre Mascotto, Le chaos créateur, Relations, numéro de novembre-décembre 2015, en ligne : https://cjf.qc.ca/revue-relations/publication/article/le-chaos-createur/?srsltid=AfmBOorh91HBsb0PcecPRHBCpWxw2DTh2eZG6c0VbYxfzvrkhnUMHcVO
2 Ainsi la fameuse realpolitik n'est qu'un principe de réalité trompeur qui se suffit de l'écume des événements, leurs effets, pour ne pas se soucier de leurs causes celées au creux des apparences.
3 Un exemple récent est éloquent à résumer ce propos. Ainsi, si la Cour pénale internationale - par sa décision de poursuivre le Premier ministre d’Israël Benyamin Netanyahu et son ancien ministre de la défense Yoav Gallant pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité - n’a fait que remplir sa fonction d’organe de justice, la réaction virulente qu’elle a suscitée de la part des dirigeants politiques du pays intéressé et de son principal soutien américain, et d'autres États supposés démocratiques, confirme l’état grave de crise où se trouve le droit international. Ce qu’illustre l’historique du conflit à l’origine des mandats d’arrêt, la Palestine n'étant que la manifestation d'un flagrant déni continu du droit international.
4 C'est ainsi que l'on adoube volontiers les prétentions sionistes à éradiquer tout un peuple de sa terre pour y installer un autre, étranger à cette terre, fermant les yeux sur les crimes de guerre qu'il commet, impliquant même génocide ou risque de génocide, au lieu de l'obliger à respecter la légalité internationale qu'il bafoue sans vergogne. Tout en tolérant un travestissement du régime démocratique en acceptant que l'État soit exclusivement hébreu, faisant fi du b-a.ba dudit régime.
5 Accidentelles au départ, issue de l'histoire, survenue lors d'épisodes noirs de leur vécu et d'expériences traumatisantes, cet artefact est cultivé par les injustes des deux côtés qui en profitent pour maintenir l'état actuel des relations des deux communautés dans le monde.
6 Ainsi a-t-on tendance à oublier qui était du côté juif lors des terribles avanies de la Shoah et de qui elles provenaient. Ce qu'on fait mine d'oublier en limitant aujourd'hui l'antisémitisme aux Arabes et musulmans qui sont déjà sémites, ne pouvant être anti-soi, et ne l'ayant pas été étant étrangers à sa cause historiquement non-arabe et non-musulmane. On réalise bien à quel point l'on manipule consciemment et inconsciemment l'histoire dans une stratégie de Procuste au service d'une visée de haine et de rejet de l'autre, ce qui entretient un terreau fertile de stéréotypes venant chahuter les archétypes tangibles, voulant même les anéantir.
7 Et elles le sont bien à la faveur de la postmodernité, ère des foules et du zéroïsme de sens.
8 Cela se traduit, pour nombre d’États arabes, par le refus de la reconnaissance d'Israël ou en l’osant, par certains, sans rien faire de concret pour imposer le respect du droit international à Israël. Pour les démocraties d'Occident, cela implique de cesser d'accepter le mythe d'une démocratie d'Israël alors que la citoyenneté pleine et entière y est réservée aux juifs, même pas aux Arabes juifs. Si les Arabes l'acceptent puisqu'ils imposent des dictatures dans leurs pays, comment tolérer une telle aberration de la part de démocraties avérées d'Occident sinon que cela signe la crise du régime démocratique chez eux, outre une déchéance morale.
9 Une telle caricature a été pourtant contestée et l'est de plus en plus par les voix de justes arabes et musulmans qui restent inaudibles, non pas du fait qu'elles seraient minoritaires, plutôt pour cause du climat guère favorable aux libertés chez eux et surtout le manque d'intérêt médiatique en Occident à leurs thèses.
10 Et ce d'autant mieux que viennent à leur secours des voix autochtones incapables d'enracinement dans leur culture pour cause de tropisme religieux assimilant l'islam à la caricature officielle qui en est donnée par les régimes de dictature en place, partenaires privilégiés de l'Occident.
11 Parmi ceux dont la voix fait autorité, citons notamment Hannah Arendt et Jacques Derrida qui, depuis longtemps, ont appelé à la solution équitable et logique de l'État binational.
* Proposée au site libéral Contrepoints où j'avais l'habitude de publier des textes similaires dans le ton et le courage de vérité, cette trinune a été réfusée comme le furent celles précédentes sur les réalités tues de la guerre de Palestine (voir ma trilogie: Palestine : Par delà bien et mal 1/3 - 2/3 - 3/3). Ce qui illustre, s'il en était besoin, au delà de la crise de crédibilité des médias aoccidentaux, que le libéralisme n'est plus ce qu'il était - et devrait le rester au risque de se discréditer - un humanosme inétgral !