An 3 de la Constitution : comment ressusciter un texte mort-né ?
Le 27 janvier 2016 n'était pas un jour comme un autre, pourtant on en a peu parlé comme si l'on cherchait à l'occulter pour une raison ou une autre. En effet, c'était le second anniversaire de l'adoption de la Constitution tunisienne fondant la Tunisie Nouvelle République.
Rappelons-le : ce fut à une majorité confortable, y compris celle des plus zélés des voix des opposants du parti islamiste; or, certains parmi eux avaient pronostiqué, avant le vote, que ce texte restera lettre morte, annonçant péremptoirement que la constitution était mort-née.
Il suffit de voir que ces voix sont toujours éminentes en un parti qui est la composante essentielle de l'alliance au pouvoir pour réaliser à quel point est sombre l'avenir de la Constitution tunisienne supposée être un modèle d'État de droit.
Les droits et libertés gagnés de haute lutte par la société civile sont en grave danger de remise en question si cette même société civile qui a imposé au forceps le texte actuel ne se réveille de sa léthargie et, dépassant son propre dogmatisme laïciste, ose agir pour la mise en application de la Constitution dont d'aucuns, qui ne sont pas forcément des religieux, appellent même à s'en défaire.
L'inertie coupable des démocrates
Dans une chronique intitulée "À quoi bon continuer avec une Constitution qui ne sert à rien," (1) on lit ceci qui a l'avantage de résumer assez la situation : "Deux ans après, l’impression générale prévalant dans le pays est comme si ce jour là de 2014 et cette nouvelle constitution n’avaient jamais existé. Et cela n’étonne guère, car cette nouvelle constitution ne plait à personne. Les uns la trouvent trop impie, les autres la trouvent trop théocratique."
Et l'auteur d'ajouter ce constat qu'on a si souvent dénoncé ici avec des propositions concrètes aux acteurs politiques et de la société civile : "deux ans après sa promulgation, la nouvelle constitution ne s’impose pas du tout, ni dans nos lois ni dans nos mœurs."
Ce qui est à regretter, c'est que l'article, s'il a le mérite de pointer cette déplorable situation, ne propose rien de concret, semblant même s'en satisfaire, en ajoutant cette fausseté qui expliquerait l'inertie du "législateur qui n'a pas le courage d'aller de l'avant parce que certaines lois, aussi anticonstitutionnelles soient-elles (notamment celles qui piétinent les libertés individuelles), rassurent la population. Un pan de la société tient mordicus à criminaliser l'homosexualité, l'adultère, le concubinage, la consommation du cannabis, le prosélytisme."
En effet, c'est une pure imposture que de croire la société conservatrice quand ce sont ses élites qui le sont. C'est sociologiquement prouvé, la société tunisienne est, dans sa majorité, tout simplement réaliste et légaliste même, et dans une minorité infime trompée sur sa religion par une poignée d'activistes dogmatiques, religieux surtout, mais aussi laïcistes.
Aussi, quand l'auteur de l'article conclut péremptoirement que "tout le monde est d’accord sur une chose, c’est bel et bien le fait que cette nouvelle constitution ne répond pas aux besoins actuels de la société tunisienne", il ne fait qu'avancer une fausse vérité, de celles qui ne servent que la volonté consistant à maintenir mes choses en l'état.
Ce qui arrange par défaut tous les intégristes, qu'ils soient religieux ou profanes. Or, cela ne fait que brimer le peuple qui continuera ainsi à souffrir de l'arsenal des lois scélérates de la dictature que la Constitution est censée avoir aboli.
Dire donc que "nous avons des dizaines de lois liberticides qui sont vraiment insupportables, mais la société ne serait pas encore prête pour les changer" est la fausseté qu'il ne faut surtout pas répéter par toute voix se voulant juste et crédible.
Car, il ne suffit pas de mettre à la charge de politiques récalcitrants la responsabilité de changer la chose dans le pays puisqu'elle appartient davantage, de nos jours, à la société civile et aux médias ainsi qu'à tous les démocrates.
Qu'en serait-il de ces textes scélérats si les associations et la presse proposaient des projets de lois concrets et les défendent pour amener le gouvernement ou l'Assemblée à les reprendre et les examiner? N'est-ce pas en suscitant le débat en société qu'on l'amène à l'Assemblée ?
Des projets urgents à faire voter
Aussi, quand l'auteur de l'article en arrive à cette conclusion sensée que "nous avons tous une extraordinaire volonté d’évoluer positivement, mais rares sont ceux qui évoluent réellement dans leur quotidien en concrétisant leurs propos avec des actes", on a envie de lui dire : commençons donc par donner l'exemple, proposons et défendons des projets et imposons-les à dix députés (le minimum pour l'initiative législative) pour les proposer à l'ARP; est-ce bien difficile?
Il y a déjà une réforme en cours de discussion de la loi abominable sur les stupéfiants, qu'on ose donc lors des délibérations imposer un amendement dépénalisant la consommation du cannabis, guère plus néfaste que la cigarette ainsi que le prouvent et l'exigent les plus sérieuses instances internationales, dont l'organisme habilité en la matière de l'ONU ! Un projet correctif de la loi existe, au reste. (2)
Afin de joindre justement l'acte à la parole, je propose ici et de nouveau le texte (3) que, sans tarder, peuvent reprendre les députés de gauche supposés défendre l'entrée en vigueur des acquis de la Constitution.
Que dix parmi eux - dix seulement ! - aient le courage de le reprendre ! Ce serait la meilleure voie pour, sinon réformer immédiatement, du moins lancer le débat sur les nombreuses obsolescences législatives (4) qui empêchent le pays de faire le saut qualitatif en démocratie !
Et que les médias le défendent bec et ongles, à commencer par l'auteur de l'article précité, ainsi que tous les journalistes et les militants de la société civile qui se lamentent, jouant aux pleureurs sans oser faire autre chose que de l'incantation stérile. Qu'ils sachent qu'on est en postmodernité, l'âge des foules par excellence, et que c'est à eux d'amener les politiciens à agir. Les associations doivent donc militer autrement ! (5)
Outre le texte proposé ici, les militants démocrates et humanistes pourraient reprendre d'autres déjà soumis, mais en vain à leur attention, comme le projet d'abolition de l'article 230 du Code pénal (6) cette homophobie violant l'islam comme la constitution, et le projet d'instauration immédiate de l'égalité successorale (7) au nom également d'une juste interprétation de l'islam. (8)
Et qu'on ne dise surtout pas que de tels textes n'ont pas de chances d'être votés, le plus grand parti à l'ARP, un parti discipliné et qui dit avoir changé, devant être justement le premier à les voter. Sauf à continuer à menti; or, ce serait une occasion en or de le mettre à l'épreuve pour le salut de la démocratie en Tunisie?
Qu'on soit donc bien convaincu aujourd'hui que s'il y a inertie coupable, elle est aussi le fait de démocrates timorés, se trompant au mieux sur la réalité sociologique d'un peuple en avance sur ses élites. Qu'ils osent proposer ces textes et les défendre, et on verra s'il les acceptera et s'ils seront votés, permettant à la Tunisie d'assurer son avenir !
Car, contrairement à ce qu'on croit, c'est l'absence de démocratie qui menace la Tunisie bien plus que le terrorisme, et c'est elle qui sauvera le pays, non pas le dogmatisme religieux ou profane. Et la démocratie est aujourd'hui dans les droits et libertés reconnus au peuple, une démoarchie, puissance des masses.
Comment
Projet de loi
Moratoire des lois d'ancien régime
Le peuple tunisien souverain, représenté par son Assemblée,
Dans l'attente de la réforme juridique d'ensemble,
Invite les juges de la République rendant la justice en son nom de se conformer strictement aux acquis de la Constitution en termes de droits et de libertés.
Si le juge estime en son âme et conscience que l'application des lois en vigueur emporte violation ou contradiction des valeurs et principes constitutionnels, il est tenu de ne pas les appliquer.
Pour se décider dans le cas de l'espèce, en attendant l'adoption de lois en l'objet en conformité avec la Constitution, il se référera au droit comparé selon l'interprétation consacrée par la Constitution tunisienne.
Le présent moratoire demeure effectif pour chaque texte de loi concerné jusqu'à sa réforme par l'Assemblée des Représentants du Peuple souverain de Tunisie.
Notes :
(1)
(2)
(3)
(4)
(5)
(6)
(7)
(8)
Publié sur Al Huffington Post