Dessous des cartes politiques et idéologiques en Tunisie
Tout le monde admet aujourd'hui, dans la vision la plus idyllique de la Révolution tunisienne (ce que je qualifie de Coup du peuple) qu'elle a été apolitique, aucun encadrement idéologique, aucun parti politique n'a été dans son déclenchement. Or, depuis la chute de la dictature, on a vu les idéologues et les politiciens s'ériger en dépositaires d'un esprit révolutionnaire auquel ils étaient étrangers ou n'y croyaient pas. Tous avaient moins les intérêts du peuple en vue que les leurs propres. Si le désir du peuple était la liberté et la dignité, la classe politique qui a instrumenté son œuvre n'a que le pouvoir et ses délices en objet du désir.
Dans une vision plus réaliste, on admit que le coup du peuple sans avoir été un coup d'État en avait l'apparence, mais juste l'apparence, les manipulateurs ayant profité du mouvement populaire pour occulter leurs menées. Ce faisant, en n'arrêtant pas de parler de révolution, ils l'ont créée non seulement dans les têtes, mais dans les faits, ainsi qu'un effet placebo peut avoir un résultat effectif, juste grâce à la force de la pensée. Or le coup du peuple fut cela, un effet évident de la pensée sur la réalité, faisant passer une révolution du virtuel au réel.
De fait, ce qui s'est passé en Tunisie, comme je l'ai toujours soutenu, c'est un coup du peuple; or, dans cette expression, le coup d'État est sous-entendu, mais il s'est servi du peuple pour avoir lieu et prendre forme; c'est un coup d'État de la postmodernité. On en a vu la forme paroxystique en Égypte. En Tunisie, les capitalistes du monde libre, mécontents des excès de la maffia au pouvoir qui n'a pas veillé à l'équilibre sacré des avantages/inconvénients, seule garantie du soutien dont elle disposait, l'a obéré.
I. L'autorité, levier idéologique
On a bien évidemment depuis la dernière élection un parti dominant aux références idéologiques bien connues et d'autres dits ou se présentant comme démocratiques, libéraux ou socialistes.
Rappelons d'abord que cette élection qui fut à raison une première dans le pays n'en a pas reflété réellement le tissu sociologique pour différentes raisons évidentes dont une participation par trop faible et un mauvais scrutin. Ensuite, elle a généré une soi-disant alliance qui n'a été qu'un subterfuge pour asseoir la domination du parti majoritaire qui semblait avoir définitivement les faveurs de la fée d'outre-Atlantique s'étant penchée sur le berceau de ladite Révolution.
Il est évident que le parti islamiste s'il est allié avec Takattol et le CPR, c'est d'abord qu'il avait toute latitude pour les mettre au pas, le premier grâce à une commune vision libérale de l'économie; le second du fait qu'il n'était qu'une illusion de parti, une construction artificielle de slogans dominée par des cryptoislamiqtes en faisant de fait un prête-nom du parti Nahdha, sa devanture trompeuse, bien achalandée pour tromper chez les marchands du temple dans leur foire de prétendus droits de l'Homme.
Cet attelage ayant lamentablement échoué, amenant le pays à la banqueroute aussi bien économique que politique et éthique, on a vu le retour sur la scène d'ersatz de l'ancien parti dominant dans l'ancien régime. Et on assiste aujourd'hui à un futur éventuel partage du pouvoir grâce à un scrutin électoral taillé sur mesure sur les ambitions des deux mastodontes politiques actuels.
La clef de cette alliance nouvelle est l'autorité de l'État. Or, si on écarte les subtilités idéologiques et politiques, dont usent ou abusent les dirigeants de ces partis, on remarque qu'ils communient en une même idéologie susceptible de constituer la base d'une politique commune.
C'est d'abord l'autorité de l'État comme déjà évoqué. Celle-ci est nécessaire au parti de M. Caïd Essebsi pour assurer son prestige et celui de ses dirigeants. Elle l'est aussi pour le parti de M. Ghannouchi, pour ne pas perdre le prestige lié à un islam dont il fait une lecture caricaturale justifiant une dictature morale loi de l'esprit premier de notre religion.
II. L'idéologie, arme politique
L'idéologie, qu'elle soit religieuse ou profane, n'est donc qu'un biais pour le pouvoir. Cela est d'autant plus évident que les partis dominants actuellement la scène politique sont libéraux, ne s'embarrassant même pas de l'être sauvagement. D'autant plus que la se limite à la seule dimension économique; car en matière politique, le libéralisme des uns se mue rapidement en dogmatisme profane qui n'a rien à envier au dogmatisme religieux, versant comme lui dans l'intégrisme.
Qu'on en juge ! Au nom d'un prétendu conservatisme de la société, nos démocrates libéraux ont une même vision des mœurs que le parti islamiste. De même, ils n'osent ni ne veulent demander l'abolition des lois de l'ancien régime malgré leur caractère liberticide. Il suffit de rappeler leur silence coupable face à des affaires aussi symboliques que celles de Weld 15, Jabeur Mejri, Femen ou Amina. Leur timidité en matière d'abolition de la peine de mort et le profil bas adopté en matière de dépénalisation du cannabis, le kif populaire, sont aussi éloquents sur leur pusillanimité en matière de doits et de libertés.
S'ils veulent attester de leur réel esprit démocratique, qu'ils osent donc adopter en ces matières une attitude franchement libérale ! Qu'ils osent demander la reconnaissance du droit à l'apostasie et l'abrogation des lois discriminatoires frappant l'homosexualité, deux questions pour lesquelles les preuves ont été apportées que les lois restrictives en la matière sont contraires à l'islam aussi bien dans sa lettre que dans son esprit.
III. Une spiritualité populaire libertaire instrumentalisée
Il est un fait que le peuple de Tunisie est attaché à ses racines identitaires où l'islam occupe une place de choix. Toutefois,, il s'agit d'un islam où le soufisme des maîtres comme Junayd ou Ata Allah est prégnant à côté du rite prédominant du maléksime et de la tendance rationaliste du asharisme.
Cet islam tunisien ternaire est fondamentalement pacifiste, tolérant et ouvert sur une altérité où le Tunisien musulman se considère être d'abord l'autre, le plus différent auquel il est tenu d'apporter l'exemple éminent de la meilleure image non seulement de soi, mais d'abord de sa fois qui est revendiquée être de paix, un i-slam.
Ce n'est que lorsque cette ouverture ontologique vers l'autre est refusée ou rejetée qu'elle se transforme aussitôt en fermeture farouche, comme un dépit amoureux pouvant se transformer en comportement justifiant des représailles. Et on sait à quel point les passions amoureuses ont de cruelles manifestations passionnelles.
Cette spiritualité populaire est donc fondamentalement libertaire, mais pouvant devenir à tout moment liberticide pour peu que la psychologie profonde du Tunisien est froissée. Or, il est un sentimental par excellence.
C'est d'ailleurs cette caractéristique qu'exploitent les corsaires de la politique qui instrumentent la spiritualité populaire libertaire pour en faire une religiosité liberticide.
C'est ce qu'a fait le parti islamiste en cajolant ses extrémistes salafis; mais c'est aussi ce que font les partis dits laïques en n'osant pas aller jusqu'au bout de leurs supposées convictions libérales en matière de mœurs, non pas tant pour une psychologie populaire rétive comme ils le prétendent mensongèrement, mais tout simplement pour cause d'une incapacité propre à accepter de pareilles libertés. Aussi instrumentent-ils un illusoire conformisme social dont on a expliqué comment il se met en place, toujours par défaut.
C'est ainsi que ce qui n'est qu'une apparence trompeuse, une attitude de défense, une réaction devient-elle une attitude de provocation, supposée vérité, un activisme idéologique au nom d'une conception intégriste de la religion qui est pourtant loin des fondamentaux psychologiques du Tunisien.
Billet publié sur Al Huffington Post
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http://www.huffpostmaghreb.com/farhat-othman/dessous-de-cartes-politiq_b_5495198.html?utm_hp_ref=maghreb
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