Une majorité pour les Tunisiens à 15 ans ?
La majorité actuelle de 18 ans ne cadre plus avec la maturité de plus en plus précoce des Tunisiennes et des Tunisiens ; n'est-il pas temps de l'abaisser à 15 ans dans le cadre de la consécration de l'émancipation sociale dans le cadre de la transformation de la Tunisie ?
À l'occasion de la réforme en cours des textes régissant la délivrance de la carte nationale d'identité, on a parlé de la possibilité de la délivrer dès 15 ans dans certains cas. C'est une manière informelle de reconnaître que l'âge légal de majorité en Tunisie ne correspond plus à l'âge psychologique et social dans le pays.
Une société mature et mineure
En effet, nos jeunes sont de plus en plus mûrs précocement et revendiquent bien plus véhémentement qu'avant leurs droits entiers de citoyens. Ils n'attendent même plus d'atteindre la majorité légale pour vivre leur légitime majorité, et ce sur tous les plans faisant leur unité et leur identité, notamment sentimentale et sexuelle.
Alors, pourquoi ne pas profiter de cette occasion afin de décider ce qu'impose la réalité de notre société et sa maturité, à la fois psychologique et politique ? Pourquoi ne pas baisser l'âge de la majorité civile à 15 ou pour le moins à 16 ans ?
On sait, surtout en Occident, que la majorité légale ou civile est généralement de 18 ans, quand elle n'est pas de 21 ou 25 ans. De fait, cette conception fixant en plancher nécessaire cette majorité moyenne de 18 ans est étrangère à notre mentalité orientale.
Elle est, d'ailleurs, contestable scientifiquement et est même juridiquement abaissée pour la majorité pénale ou sexuelle, par exemple. De plus, elle se situe dans le cadre d'une tendance continue à la baisse d'un tel seuil en Occident même.
Au-delà du bon sentiment de protection de l'enfance animant à la base une telle orientation, cela démontre son archaïsme de plus en plus en contradiction avec les réalités sociales puisque, logiquement, c'est la majorité sexuelle qui doit primer toutes les autres majorités.
Au vrai, on y débusque un réflexe inconscient de conservatisme politique qui joue en défaveur des jeunes, assimilés au péril à éviter, la jeunesse étant synonyme de transformation. C'est donc bien une dictature, celle des adultes et des vieux, qui se manifeste ainsi, empêchant ou retardant le nécessaire renouvellement politique.
Aussi, si l'Occident en général, au nom des droits de l'enfant, exige que l'âge de la majorité civile soit élevé, cela ne traduit pas uniquement de sa part la bonne intention de protéger l'enfance.
Car d'abord, une telle intention ne cadre plus avec la réalité et l'intérêt des enfants déjà en Occident ; mais, surtout, hors d'Occident où l'enfance n'a même pas les droits qui lui y sont reconnus.
Or, lui ôter les droits civils s'attachant à la majorité, c'est augmenter de fait l'exploitation dont elle fait l'objet. Aussi, au lieu de demander l'élévation de l'âge de la majorité, l'Unicef serait-elle plutôt bien inspirée d'exiger de ses membres où l'âge est bas la reconnaissance des droits de citoyenneté aux enfants qui, de fait comme de droit, ont les obligations de citoyen, mais pas ses droits, n'étant que des sujets exploités à merci.
Une majorité orientale précoce
Par ailleurs, et on le vérifie dans certains pays musulmans, c'est ce qui correspond à la mentalité et à la sociologie non seulement arabe et islamique, mais plus généralement orientale.
Ainsi, en Arabie Saoudite, au Yémen ou en Iran, la majorité civile est de 15 ans ; et elle est de 16 ans au Turkménistan et de 17 ans au Tadjikistan. De plus, même en Occident, comme en Écosse — où l'esprit celte a des racines puisant dans la spiritualité orientale —, s'impose dans les faits la majorité à 16 ans quand elle est de droit de 18 ans. C'est aussi le cas dans un pays de l'Orient extrême comme la Corée du Nord où la majorité légale est de 17 ans.
L'abaissement de l'âge légal de la majorité est d'autant plus impératif aujourd'hui que la majorité civile ou légale définit l'âge auquel on devient citoyen, c'est-à-dire juridiquement capable et responsable pour prendre part à la vie de la société. C'est qu'avant la majorité et sauf à être émancipé, on est mineur, et donc soumis à autrui, un adulte ou supposé tel du fait de la loi. Est-ce la société telle qu'elle se déploie sous nos yeux ?
Notre société a besoin plus que jamais d'être émancipée, sa jeunesse en premier qui fait souvent état de bien plus de maturité que ses élites. Il nous faut donc oser nous libérer de la dictature de l'esprit occidental où la réalité de l'enfance est bien différente de la nôtre, sa maturité y étant plus lente. Cela tient au cocon dans lequel vit l'enfant occidental, et les lois protectrices et effectivement appliquées qui lui garantissent une minorité heureuse, sans commune mesure avec la minorité malheureuse de nos enfants qui sont doublement exploités : étant socialement traités en majeur sans avoir leurs droits politiquement.
D'ailleurs, on le voit bien : nos mineurs se passent désormais volontiers des adultes pour s'engager dans la vie active, soit volontairement soit par obligation. C'est leur condition qui veut cela.
Aussi, comme on distingue la nubilité (âge de maturité pour se marier) ou la majorité matrimoniale (âge de se passer du consentement parental) ou encore la majorité sexuelle, il n'est que temps d'oser tout simplement aligner l'âge de la majorité civile sur de tels âges.
Rappelons ici que l'âge de la majorité sexuelle en Occident est généralement fixé à 15 ans sinon moins : 14 ans en Autriche, Allemagne, Italie ou Portugal, par exemple.
Et qu'on réfléchisse à ceci : comment être jugé assez adulte pour se marier ou avoir des relations sexuelles sans avoir concomitamment le droit de s'engager politiquement dans la vie de la cité ? N'est-ce pas une pure dictature des plus âgés, ces démons (daimons) de la politique qui entendent en faire une affaire privée, une daimoncratie ?
Publié sur Al Huffington Post