La diplomatie tunisienne a soixante ans : une excellente excellence
Depuis le 3 mai, la Tunisie célèbre le soixantième anniversaire de la création du ministère des Affaires étrangères. Lancées au siège du ministère à la date anniversaire par une manifestation tout en éloquence dans sa simplicité et sa dignité, celles-là mêmes qui semblent redevenir la marque de ce ministère de souveraineté, les festivités ont connu leur point d'orgue à Carthage, comme il se doit, par une grandiose cérémonie à l'honneur de l'âge d'or du ministère, donnant ainsi officiellement le départ à la commémoration.
Éternelle jeunesse de la diplomatie tunisienne
Il faut rappeler que le président de la République a bien connu cette époque épique que l'actuel ministre, en bon disciple, s'emploie à refaire vivre; car le lustre d'antan n'a jamais été perdu malgré une éclipse forcée ces derniers temps. En effet, M. Caïd Essebsi fut un diplomate chevronné, dirigeant le département avec maestria au début des années quatre-vingt.
Ce passé grandiose, l'orateur de la soirée, M. Ahmed Ounaies, qui a eu aussi l'honneur de diriger le ministère, le rappela amplement dans sa conférence magistrale sur le génie de la diplomatie tunisienne et ses hauts faits d'armes.
Or, en de telles occasions, ce qui compte est moins de chanter les louanges avérées mais passées, que d'en tresser de nouvelles pour une plus grande et incessante gloire. C'est que la nature humaine est ainsi faite qu'elle est condamnée à toujours tendre vers l'excellence si elle ne veut pas risquer de tomber dans la mièvrerie.
Ce qui faillit, au demeurant, arriver à notre diplomatie lors de ces dernières années troubles et troublées. Toutefois, ne triomphe-t-on pas avec gloire quand la victoire fait suite aux plus graves périls ? C'est bien ce qu'illustre la diplomatie de l'exception Tunisie renaissant de ses cendres pour faire revivre son lustre de toujours.
Car les diplomates patriotes se rappelleront toujours de ce temps où ils se virent obligés, pendant un laps de temps plus ou moins long, au ministère comme en dehors de son enceinte, de s'évertuer à sauvegarder l'essentiel, entretenir la flamme sacrée, la protégeant des assauts de la médiocrité, la gardant comme un Graal, quitte à tout risquer, tout perdre.
C'est cela qui a permis au ministère des Affaires étrangères de préserver une jeunesse éclatante à l'orée de ses soixante ans. Et c'est à l'honneur de ce pays jeune méritant le meilleur.
Une Diplomatie au diapason du génie populaire
Il y a donc des défis à relever et à remporter; le plus éminent est assurément celui du libéralisme qui a marqué et marque la diplomatie tunisienne ainsi que l'a si pertinemment noté le ministre Ounaies.
C'est même un défi titanesque; car si le libéralisme est essentiel pour le salut de la Tunisie, il ne doit pas se transformer en étouffoir pour les élans libertaires de sa jeunesse et de son peuple. Le libéralisme ne doit pas être sauvage, en se limitant à n'être que juste économique, mercantiliste donc !
Ainsi, déjà, si les marchandises doivent circuler librement, le commerce devant être celui du libre-échange, elles ne doivent pas être mieux traitées que les humains, car la Tunisie ne sait que pratiquer le commerce des hommes. Aussi, le libre-échange qui est bien nécessaire doit-il être précédé par la libre circulation humaine!
Pareillement, ce libéralisme incontournable ne doit pas se limiter à une démocratie formelle, se suffisant du mécanisme électoral; il doit aussi toucher la société, érigée en État civil par la constitution, en libéralisant les moeurs par l'abolition des lois liberticides héritées de la dictature et même de la colonisation.
Certes, cela dépasse le strict cadre diplomatique, mais la plus fine diplomatie n'est-elle pas l'incarnation de l'âme du peuple ? Or, l'âme tunisienne est libertaire, et elle est spirituelle, non de pure et simple religiosité; et l'islam tunisien est soufi. Aussi, tout comme la politique devant être inspirée de cette éthique islamique, la diplomatie tunisienne ne saurait qu'être éthique aussi.
Une diplomatie dont la proue est éthique
La Tunisie a un principe diplomatique qui l'honore, celui de ne pas interférer dans les affaires intérieures des États. Ce qui ne manque pas de poser aux politiciens dans le monde un sérieux cas de conscience quand les valeurs se heurtent aux intérêts du pays. Comment naviguer entre les écueils ? Or, la Tunisie a su et sait le faire.
Assurément, c'est en naviguant à vue, lentement et sûrement; mais c'est aussi en pratiquant une politique éthique, ce que je qualifie du néologisme de poléthique. Ainsi nos diplomates ont-ils eu et auront la possibilité d'agir en parfaite congruence avec ce que recommande l'islam, religion du pays, en ce qu'il impose comme piété et éthique authentiques.
C'est cela le vrai islam politique tel qu'incarné déjà par la Tunisie de Bourguiba, véritable premier et suprême jihadiste, au sens de jihad sur soi, le plus dur qui soit, le moins mineur.
C'est ainsi que la diplomatie, aux heures les plus sombres, a su honorer l’ouverture tunisienne, de tradition et fatale, à son environnement international. Une telle ouverture a toujours été de mise malgré ses contradictions et ses avatars. Aussi a-t-elle été souvent célébrée — et doit-elle le rester, plus que jamais — en véritable ouverture d’esprit incarnant la raison en politique après la déraison héritée d'une catastrophique gestion politique en prolongement d'un passé récent.
Exit donc les rapports conflictuels avec les pays frères et amis, voisins ou lointains ; la diplomatie tunisienne renoue enfin — et c'est heureux — avec sa traditionnelle politique d’équilibre, même s’il peut paraître instable ; c’est sa finesse qui l’exige et son génie propre.
N'est-ce pas cela, au vrai, le talent tunisien, cette touche de tunisianité qui n'est plus à démontrer ? Il suffit juste de le vérifier à ce qu'apporte la nouvelle donne politique comme impératif moral.
Et c'est ce qui a permis à la diplomatie tunisienne, cette éternelle jeunesse, de conserver son empreinte de toujours, celle de tendre vers l'idéal en tenant compte du réel. Or, ce n'est plus seulement du courage, mais c'est aussi et surtout ce qui fait et confirme être une excellente excellence.
Qui douterait donc encore que la plus belle jeunesse commence parfois à soixante ans, alliant la sagesse et l'expérience à l'allant et à l'enthousiasme à servir un peuple alerte et mûr, ayant soif du meilleur ?
Publié sur Al Huffington Post