Mon manifeste d'amour au peuple 2/3
 




Mon manifeste d'amour au peuple 3/3


I-SLAM : ISLAM POSTMODERNE








Accès direct à l'ensemble des articles منفذ مباشر إلى مجموع المقالات
(Voir ci-bas انظر بالأسفل)
Site optimisé pour Chrome

vendredi 1 août 2014

Éternelle Tunisie 5

Éternelle Kerkennah



Sur les 62 îles et îlots de Tunisie, Kerkennah est certainement l'un des écosystèmes les plus riches et les mieux préservés tout en étant fragile et à protéger. En effet, l'écosystème de l'archipel héberge une  riche faune et une flore fabuleuse, dont des espèces rares. Au nord-est du golfe de Gabès qui l'une des trois grandes dépressions du littoral tunisien, considérée quasiment comme la nurserie de la Méditerranée, pépinière d'un système naturel marin encore préservé, les îles Kerkennah sont surtout riches de crustacés, crevettes notamment, mollusques, seiches, poulpes et palourdes surtout, ainsi que de spongiaires, éponges tellement réputées des îles. 
Celui qui se rend une seule fois sur cette terre bénie s'y retrouve pour toujours, physiquement ou par l'esprit. Tout autant que la nature, il y renoue avec le passé à jamais actuel même s'il est lointain. Et le souvenir mâtine les riches heures du présent.

Mythique Kerkennah

L'âme y est souvent de ce bleu d’encre se déversant du ciel en de vastes étendues verdoyantes, l’horizon profilant des lougres et des felouques ; trois mâts, voilure au vent, deux mâts inclinés sur l’avant, un fanal en haut, mât de cocagne. Galbé à l’avant, majestueux à l’arrière et poivré dans les écoutilles, le vaisseau du rêve est aux critères de la féminité symbolisée le Loude de Kerkennah. 
On ne voit pratiquement plus cette traditionnelle silhouette du paysage maritime de Kerkennah d'antan. Voilier long d’une dizaine de mètres, aux formes avant et arrière, si fines de poisson, muni tantôt d’une seule grande voile, tantôt d’une deuxième, petit triangle de toile à l’avant. Il était partout : à la pêche aux poulpes, aux éponges et aux pêcheries ou au transport des feuilles de palmier ; son faible tirant d’eau, sa trinquette et sa grand-voile au tiers lui donnaient une grande vélocité pour naviguer très tard sur les plateaux de peu de mer ou par temps mauvais.

L'été, la chaleur aidant, il arrive à certains vieux des îles de coucher sous les étoiles auprès des pampres ou des rameaux d’olivier, pistant dans leurs rêves ainsi démultipliés la trace des chimères. Ils assurent qu'elles circulent aux pieds des palmiers dattiers avec leurs compagnons au plumage fauve au chant agréable, les fauvettes et les becfigues. Ils savent pourtant qu'entre olivettes et figueries, vignoble et palmeraie, il arrive souvent qu'on tombe sur des scorpions, des plus inoffensifs au plus venimeux. Mais la baraka accompagne les gens de bonne foi, assurent-ils, car la nature respecte la nature; et elle est fabuleuse à Kerkennah, surtout quand l'humanité se révèle imparfaite.
Dans l’eau, on tombe parfois sur d’antiques débris de poteries en terre cuite, poignées d’amphores ou morceaux de céramiques romaines. Les courants portent ainsi jusqu’aux pieds des baigneurs le passé. À kerkennah, on est dans le temps et hors du temps ; les îles regorgent d’histoire qui nous observe.
Au bout d’une piste, pas loin de la zone touristique de Sidi Ferj, s'élève Borj El Hssar : un mur dominant la terre et la mer, vestige isolé d’un fortin espagnol. Les fouilles archéologiques ont mis au jour différentes strates, des vestiges de villes phénicienne et romaine, dont tout un quartier romain datant du VIIe siècle avant J.C. de ce qui aurait été l'ancienne capitale de l'archipel. Le fort dit espagnol, toujours debout, est romain et est assez bien conservé dans un endroit peu fréquenté, idéal pour la méditation sur le cours du temps. 

Romantique Kerkennah

Au rafraîchissant bord de l’eau cristalline, la mer est toujours d’un bleu lumineux aux ses yeux rêveurs de mille éclats ensoleillés. À l’horizon, les petites barques colorées ondulent, armées d’une voile latine, les avirons scintillaient de feux follets. Dans un vaste pré s’étendant derrière, un bocage clôturé d’oponces surmontés de grandes fleurs et de figues de barbarie, quelques moutons s’engraissent d’une herbe encore humide aux perles traçant le matinal passage de la marée.

Si l'on s'arrête au ponceau reliant les parties orientale et occidentale de la grande île, près de la chaussée romaine, on a pratiquement une vision panoramique des îles. Une voix remonte alors du passé, celle d'un souvenir jamais oublié, beau à toujours se remémorer. La beauté de la grande île avec ses deux parties humainement colorée n'a d'égale que celle des îlots déserts où les touristes et de très rares naturistes des îles allaient bronzer nus comme des vers.
De la mer aux moutons se promenant en liberté aux felouques immobilisées au large, le regard de l'amoureux captif de Kerkennah se balade, et il se sent comme le poisson n'ayant nul choix à quitter l’eau que de mourir ou venir décorer un aquarium. Le regard scrute alors les pêcheries fixes s'étendant à perte de vue; quand le temps est au reflux, la marée descendante emprisonne les poissons dans les traquenards d’alfa tressé.

Pittoresque Kerkennah 

Le son du tambour célèbre de temps en temps un mariage dans les villages. Il arrive qu'on voie encore la traditionnelle fête. La bosse hérissée d’une cage haute en couleur, un chameau parade à la cadence des tambourinaires en costume chamarré, et de partout, longuement modulés, des cris aigus fusent en youyous de joie ; de femmes, de filles et d’enfants, les toits débordent. 
Bien que désormais rares, il arrive aussi qu'on assiste aux séances de transes d'antan réunissant femmes jeunes et moins jeunes ! Assises en tailleur en cercle, frappant frénétiquement des mains sur les darboukas, les présentes attisent le feu de petits foyers en terre cuite, embaumant l’atmosphère d’un nard à l’odeur pénétrante, excitant encore plus l’extase communiquante. Le tambourinement forçant, les volutes s’épaississant de l’encens brûlant plus encore, celles dansant au milieu ont bientôt le visage grimaçant, grimé de douleur ; folles et hystériques, elles sont un corps en convulsion, des cheveux défaits, un buste se dénudant de sa blouse et les mains luttant frénétiquement pour rester en liberté, échapper aux vieilles encadrant l’excitation, disciplinant sa rageuse intensité. Tout autour, les visages sont des masques impénétrables, mélange d’inquiétude et de curiosité ; un bal de têtes. 
Une telle fête mystique se termine quand les danseuses épuisées sont étendues par terre, tressautant convulsivement du tronc, les membres spasmodiquement soulevés, la bouche baveuse débitant des vérités ou des insanités. L'aboutissement est dans l'apaisement suivant les transes qui sont, pour les plus connaisseurs des ethnologues, un cortège de vérités où il importe de  débusquer non pas les mensonges, mais les affres de la nature humaine quand elle se révèle à elle même dans son authenticité. 
D'autres traditions sont plus régulièrement et officiellement célébrées avec le festival folklorique de la sirène entre fin juillet et début août et celui du poulpe, ayant une nette prétention socioculturelle où gastronomie écologie et sciences se marient harmonieusement. Le village de Sidi Frej organise aussi sa journée du patrimoine et du tourisme que célèbre dignement, par ailleurs, le musée du patrimoine insulaire d'El Abbassia avec les scènes les plus typiques de la vie quotidienne insulaire. 

Sensuelle Kerkennah

Les belles plages de Kerkennah sont toujours sensuelles. Elles l'étaient encore tellement plus quand, sur le sable ridé de vaguelettes, la jeunesse des îles et d'ailleurs roulait sans timidité, caressant l'amour fait liberté. C'étaient les mêmes endroits d'aujourd'hui, si beaux, si sensuels, juste moins pudibonds, une affectation étrangère à l'âme insulaire, cette terrible violence morale qu'on lui fait en la défigurant. 
Par exemple, ce petit bout de terre au sud de la grande île qu'est l’îlot inhabité de Gremdi était le refuge de nombre d'innocents amours d'adolescence, Adam et Ève y étaient en leur éden. Sous le soleil, les jeunes corps y étaient tout éclat, dépouillés de voile, astres sans nuages, projetant dans l’horizon, loin, très loin, leurs rayons, y semant des trouées, autant de paires de lunes.  
Au bord d’une lagune presque asséchée, au ciel nu, sans voile, se dorant derrière un cordon de dattiers couronné, les cœurs avides, les corps arides, d’amour et de désir venaient se rassasier dans la paix des îles. Au pied des amoureux s'étendait le rivage désert, ourlé d’une écume immaculée, constellé d’un alignement de tiges de palmiers ; en treillage, les unes aux autres reliées, elles enfonçaient leurs plumets dans une eau cristalline et luminescente, courant vers le fond d’eaux parsemées de nasses en sparte tressé. Derrière eux, une piste se perdant dans du sable incandescent, entre figuiers et buissons d’aloès, s’enfonçait dans une palmeraie aux mirages.
Troublante solitude, excitant littoral ; on pouvait parfois voir un éclat de lumière, une ombre vague, une forme humaine. Le silence était rythmé par une sobre rumination ; des chameaux dévorant des touffes de sagine dans les rocailles ; on était un souffle, une ombre, un rien de sensations étranges, excitantes. C'était aussi Kerkennah !

Publié sur le magazine Leaders n° 39 d'août 2014