Coup du peuple, an VII : La réforme mentale impérative de l'islam tunisien (Deuxième partie)
L'islam politique en Tunisie a bien sa place sur la scène publique, mais en tant que mode exemplaire de gouvernance, donc éthique. C'est ce que permet une saine lecture de cette foi qui est en Tunisie laïque au sens de chose du plus grand nombre.
Elle l'est aussi au sens de séparation absolue du domaine du culte, qui ne relève que de la vie intime du fidèle dans une relation directe avec Dieu, et du domaine public où la religion n'a nul droit de cité.
C'est ainsi et ainsi seulement que l'islam peut réussir en Tunisie, devenant enfin cette démocratie islamique que mérite son peuple mûr au meilleur et rompu, déjà, dans sa vie de tous les jours, à l'esprit de contradiction.
Comment y arriver ? En osant la réforme mentale impérative dont on n'a pas arrêté de parler depuis la révolution, jusqu'à en conseiller des aspects concrets au chef du parti islamiste Rached Ghannouchi. Or, jusqu'ici, il n'a cesse de les ignorer, continuant à louvoyer dans cette pratique de la politique à l'antique, jouant tantôt au renard, tantôt au lion.
Ce faisant, il se garde de faire quoi que ce soit de concret, sinon de gagner du temps à maintenir en l'état la législation scélérate du pays, à défaut d'en aggraver les mesures liberticides par une dictature morale malvenue en ce temps des foules.
Or, il se trouve qu'avec la nouvelle administration américaine, le lion islamiste se révèle ce qu'il est sans le soutien occidental, tout juste un chat, sinon même un tigre en papier.
Qu'il ose donc la réforme mentale que je lui propose en une sorte de plan de sauvetage, sinon il risque de disparaître de la scène politique de Tunisie, car un autre islam y est parfaitement possible, une foi de paix et du vivre-ensemble, seul islam politique possible, car compatible avec la démocratie : l'islam soufi.
Ce plan de sauvetage puise ses commandements éthiques dans les enseignements de l'école de l'imaginaire et les préceptes incontournables de Jung sur l'inconscient collectif. Les voici !
Plan de sauvetage de l'islam tunisien
1. Les lois liberticides de la dictature tu aboliras, à commencer par celles qui attentent à la liberté de la vie privée des gens : consommation et commerce d'alcool, consommation du cannabis, liberté sexuelle entre adultes consentants, y compris hors mariage et de mêmes sexes...
2. L'égalité successorale entre les sexes tu établiras au nom et de la constitution et de l'islam qui interdit l'inégalité, le texte qu'on cite comme prétexte devant être interprété comme une invitation à finir un processus d'élévation du statut de la femme en islam, car elle y est la parfaite égale de l'homme.
3. Le jihad mineur tu déclareras obsolète, car il n'y a plus de licite en islam depuis la fondation de son État que le jihad akbar, l'effort sur soi. Tout autre jihad n'est que du banditisme ou bien pis du terrorisme, car le fidèle qui veut prendre les armes doit le faire dans le cadre des lois de son État et selon la pratique de la conscription.
4. Israël tu reconnaîtras dans un appel solennel au retour à la légalité internationale de 1947 en vue de l'établissement de la paix en Palestine, la situation actuelle étant la source de tous les maux du monde arabe et de la plupart de ceux du monde. Toute guerre, juste ou injuste, a fatalement une fin, et la paix des braves doit être la quête des plus justes. Or, l'islam est bien justice!
5. La liberté de circulation pour les citoyens tunisiens tu réclameras par la transformation du visa touristique en visa biométrique de circulation plus respectueux du droit international, de la souveraineté nationale et aussi des réquisits sécuritaires.
6. L'adhésion de la Tunisie à l'Union européenne tu demanderas, car seule l'articulation de la Tunisie à un système de droit pourra autoriser la naissance sur sa terre d'un État de droit et transformer sa dépendance actuelle de l'Europe, bien réelle mais informelle, en une dépendance formelle, mais emportant tous les avantages auxquels a droit un État membre de l'UE.
Une recette magique
Il s'agit là d'une recette qui pourrait se révéler magique si l'on s'emploie à en mettre à exécution l'ensemble des termes. Au-delà du discours habituel sur le chômage, le terrorisme, la corruption et tutti quanti aucun plan ne sauvera la Tunisie s'il ne tient compte de sa dépendance inévitable de son environnement et de la sclérose dogmatique, religieuse surtout, des mentalités de ses élites.
C'est donc au niveau mental qu'il importe d'agir en urgence pour espérer débloquer la situation et venir à bout de tels fléaux en agissant sur leurs causes. Sinon, on ne fera que s'agiter au lieu d'agir et cela se résoudra au mieux à appliquer un cautère sur une jambe de bois.
Certes, ce plan de sauvetage n'est pas exclusivement à destination des islamistes, puisque tout gouvernement mû par l'intérêt de la partie est en mesure de le mettre en pratique.
S'il est plus particulièrement préconisé aux islamistes, c'est d'abord au vu de leur poids actuel dans la vie politique tunisienne qui en a fait l'alpha et l'oméga de toute action, si minime fût-elle.
Mais c'est aussi du fait que ce poids est appelé à s'amoindrir nolens volens au vu des récentes péripéties stratégiques qu'a connues le monde où le nouveau contexte est bien moins favorable à l'alliance capitalislamique sauvage qui leur a ouvert un boulevard vers le pouvoir dans notre pays.
Aussi, afin de faire en sorte que leur pouvoir aussi bien politique que religieux ne se réduise, en Tunisie pour le moins, à la peau de chagrin dont il semble déjà épouser la nature du fait de la perpétuation de sa stratégie de gribouille, il a bien intérêt enfin à écouter le propos de sincérité et de vérité qu'on lui tient. Et c'est aujourd'hui qu'il importe de le faire; après, ce sera trop tard.
Nahdha semble d'ailleurs le comprendre de plus en plus puisqu'on le voit multiplier ces derniers temps les signaux d'apaisement et les sorties médiatiques bien calculées, comme cette visite de l'une de ses figures à une brasserie (1) ou ce billet de l'un des plus proches conseillers de son chef prenant à position pour la dépénalisation du cannabis. (2) N'a-t-on d'ailleurs pas vu Rached Ghannouchi lui-même dire ne pas s'opposer à l'abolition de l'homophobie en Tunisie ? (3)
Mais tout cela relève encore de la manoeuvre politicienne, car si le parti islamiste était sincère, il n'avait et n'a qu'à agir sur le plan législatif pour concrétiser ce qui n'est même pas des voeux pieux.
Alors, que Nahdha passe au stade du concret agissant enfin au parlement pour :
1. déposer un amendement dépénalisant totalement la consommation du cannabis dans le cadre de l'actuel projet de loi sur la réforme de la loi 52 sur les stupéfiants;
2. déposer un projet de loi pour l'abolition de l'article 230 du Code pénal; un texte consensuel en ce sens a même été proposé déjà à son groupe parlementaire. (4)
3. déposer le nécessaire projet de loi conformant la loi tunisienne à l'esprit égalitaire de l'islam en matière de droit successoral. Là aussi, un texte a été également proposé au bureau des initiatives parlementaires de son groupe à l'ARP. (5)
4. appeler à la suspension des textes administratifs restreignant les libertés en matière d'alcool et inviter le ministre de l'Intérieur à donner les instructions aux agents de l'ordre pour cesser de harceler les gens à ce sujet. Qu'ils se concentrent donc sur les faits plus graves de trouble à l'ordre public !
NOTES :
(1)
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(3)
(4)
(5)
Publié sur Al Huffington Post