Anniversaire de la révolution avortée d'Égypte : une pensée pour Zeinab Mahdi
La récente implication du régime égyptien dans le lâche assassinat de la militante Shaïma al-Sabbagh dans des conditions effroyables met l’accent sur la profondeur de l’affliction dans laquelle est plongé le pays du Nil depuis sa révolution.
De la fin janvier à la mi-février, l'Égypte célèbre, dans un deuil extrême, le quatrième anniversaire de la révolution avortée du Nil. C'est l'occasion de méditer cet échec en rappelant l'exemple d’une autre des figures emblématiques de la jeunesse égyptienne martyrisée, Zeinab Mahdi, saluant dans le même temps son combat qui, s’il a échoué, reste porteur d’espoir.
Car aucun combat n'est stérile, il n'est que ce grain qui, s'il ne meurt, ne pousse point et ne donne pas sa promesse de fruit !
Si le deuil, dans notre tradition, s'étale sur le temps, allant au moins jusqu'au quarantième jour et bien au-delà, il n’est nullement une célébration d’un quelconque départ. En effet, en notre foi, l'âme survit et peut même rester en contact avec les vivants.
Aussi, chez nous, le deuil est plutôt une célébration de la vie, cette occasion pour rappeler l'exemple que fut la vie du disparu devenu juste invisible, mais dont l'exemple pourrait et devrait être prolongé par les vivants, surtout s'il est grandiose ou insigne.
C'est le cas de la mort de Zeinab Mahdi, une figure de proue de la révolution égyptienne avortée, qui a choisi de quitter notre monde devenu fou un certain 13 novembre de l'an dernier.
Un rêve brisé
Cette jeune d'à peine plus de vingt ans a bel et bien incarné la jeunesse égyptienne dans sa gloire comme dans son malheur actuel. Elle était une icône, parmi d'autres, de la célèbre place Tahrir.
Comme ce qui est arrivé à la révolution en Égypte, la jeune femme s'est suicidée, mettant fin volontairement à un espoir trop ambitieux pour réussir. En cela, elle n'a fait que traduire par le geste la vérité de l'Égypte d'aujourd'hui, un geste que devrait imiter la cacochyme classe politique dans ce grand pays où le Nil donnait pourtant l'exemple du nécessaire renouvellement avec ses crues qui dévastant tout, redonnaient vie au pays et à ses habitants.
Zeinab Mahdi n'a pu supporter que son si cher rêve presque réalisé soit brisé sur l'autel de la vanité du monde pour cause de turpitudes humaines flagrantes. Avant de se donner la mort en se pendant chez elle, au Caire, elle a fermé l'arme de son combat que fut sa page Facebook en y laissant ce message désabusé : « J'en ai assez. Ça n'a aucune utilité… Il n'y a pas de justice. La victoire ne viendra pas. Nous nous mentons à nous-mêmes pour pouvoir vivre. »
Une dépression protéiforme
Si le suicide de cette jeune militante traduit au négatif la dépression dont souffre sa génération, elle apporte aussi des éclairages pour en sortir.
Cette fleur trop tôt fanée de la jeunesse égyptienne l'a été du fait de la signification que l'on se fait habituellement de la dépression qui est, étymologiquement, l'enfoncement, d'où la déprime, nerveuse surtout.
Or, un tel état mental pathologique que caractérisent le profond pessimisme et l'incapacité à contrôler ses sentiments, à fonctionner normalement dans la vie de tous les jours, est bien une arme dont usent les ennemis de cette jeunesse pour la contrôler, l'empêcher de vivre.
Et la jeunesse les y aide en ne réussissant pas à retourner une telle arme contre ceux qui en usent, et ce faisant de la dépression psychologique une dépression anaclitique.
Celle-ci, comme la dépression atmosphérique, est un phénomène inévitable dans la vie et ne pose problème que si l’on croit à tort à sa fatalité. En effet, bien qu'étant ces troubles développementaux survenant chez le nourrisson brusquement séparé de sa mère, la dépression anaclitique ne débouche pas forcément sur la dépression nerveuse.
La nécessaire dépression pour une jeunesse adulte
Pour la jeunesse d'Égypte, c'est en quelque sorte la séparation nécessaire d'avec une matrice religieuse qu'il est temps de réaliser qui a été dure à supporter. Or, aujourd'hui, pour devenir adulte, elle est dans l'obligation de prendre une certaine distance avec le giron maternel que constitue la tradition religieuse.
Toutefois, il ne s'agit nullement de renier sa mère nourricière, notre foi islamique, mais juste de s'émanciper de son giron castrateur sans reniement aucun, car le nouveau statut d'adulte le commande.
C'est ce que la génération de Zeinab Mahdi n'a pas été capable de comprendre ni de faire, à plus forte raison, facilitant la tâche à l'armée qui a joué son rôle, celui d'un père divorcé, obligé de se séparer de la mère de ses enfants, mais tenant à se réserver leur garde.
Un tel comportement, assez fréquent au reste, n'est peut-être pas juste pour des enfants mineurs, mais il peut être tout à fait défendable pour de grands enfants. Or, nos enfants d’Égypte sont loin de n’être pas majeurs malgré leur comportement d'enfant.
En ne tirant pas la leçon qu'il fallait des déceptions et des contrariétés subies depuis la révolution de 2011, la jeunesse égyptienne a couru ainsi au suicide au même titre que la sympathisante des Frères musulmans, diplômée de l'université d'Al-Azhar, que fut Zeinab Mahdi.
Relecture de notre tradition religieuse
Certes, cette dernière a rompu bien avant sa mort avec les islamistes, ayant perdu l'espoir caressé longtemps que la confrérie pouvait incarner les idéaux de la révolution. En cela, elle a réalisé qu'elle ne faisait, comme tous ses amis islamistes, qu'ouvrir au loup la bergerie de la place Tahrir.
Son erreur, à relativiser néanmoins, est qu'elle a cru que le loup pouvait devenir un chien fidèle, estimant à juste titre que le chien n'est qu'un loup apprivoisé, un Canis lupus familiaris.
Et ce fut son erreur fatale; aussi, en se suicidant, elle tirait la conclusion de son erreur fatale. Toutefois, elle le fit négativement, car il aurait fallu continuer de vivre pour enseigner à ses compatriotes comment devenir adultes en acceptant, comme pour tout enfant séparé de sa maman, la nécessité qu'impose le statut d'âge adulte de prendre de la distance avec sa maman chérie sans la renier.
Qu'on ne se méprenne surtout pas sur mon propos ! Je ne veux pas dire ici qu'il faille se séparer de la religion et de ses prescriptions correctement interprétées, mais bien plutôt d'une lecture caricaturale de cette religion en réévaluant la tradition actuelle du Fiqh.
Cela se fait par la réouverture de l'effort d'interprétation que commande d'ailleurs la religion qui en fait une obligation de tout temps. Ainsi, on revitalisera notre lecture de la foi islamique faisant en sorte qu'elle ne se fige pas, au lieu de continuer à desservir notre religion en la caricaturant au grand bonheur des ennemis d’un islam devenu ainsi une religion rétrograde alors qu’il fut et doit rester une foi révolutionnaire.
Publié sur Al Huffington Post
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http://www.huffpostmaghreb.com/farhat-othman/anniversaire-de-la-revolu_b_6625598.html
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