Terrorisme, terrorismes *
Le terrorisme frappe encore en Tunisie et cette fois-ci en plein cœur de la capitale et du régime, visant l'élite de ses forces de sécurité.
Que notre hommage aux innocentes victimes tombées sur le champ de l'honneur soit une parole de vérité qui change du discours de circonstance trop souvent entendu en ces terribles dramatiques circonstances.
On le sait, le terrorisme est une nébuleuse ; il n'y a pas qu'un seul terrorisme. Comme des poupées russes, il est pluriel, sa face apparente est grosse de ce qui est inapparent, mais non pas négligeable, le plus important dans une telle nébuleuse.
Le terrorisme est ambiance et mentalité à la fois. Agir efficacement sur ces terrorismes suppose de modifier l'ambiance mentale et la mentalité ambiante qui se nourrissent mutuellement.
Une ambiance mentale
Toute époque a son ambiance mentale, ces traits caractéristiques qui font qu'elle diffère d'une autre ; elles sont multiples. Ce qui fait ambiance, ce sont les éléments plus agissants que d'autres, les plus communs quitte à être les moins visibles, les plus diffractés dans l'imaginaire populaire se faisant et se défaisant dans l'inconscient collectif, déterminant le conscient actif.
Le trait caractéristique de notre époque est la foi, qu'elle soit spiritualité ou religiosité. Comme ne l'a pas dit Malraux, notre siècle est religieux. Mais qu'on ne s'y trompe pas ! Il ne s'agit pas de la métaphysique classique transcendante ; la religion dont il s'agit est profane, immanente.
C'est ce qu'on appelle religion civile, substituant par exemple la nation à la communauté religieuse et le drapeau à la foi. Le Seigneur du monde est aujourd'hui Mamon, négation absolue du Dieu de cette foi se voulant lien, celle qui devait enchanter le monde et qui aboutit à sa dévastation.
Pouvant prendre l'aspect des égoïstes intérêts supérieurs d'un État, d'une communauté, d'un groupe prétendument élu quel qu'en soit le prétexte affiché, le matérialisme est un des moteurs de la machinerie terroriste, l'huile indispensable sans laquelle la mécanique ne roulerait pas ou pas longtemps.
On doit bien se rendre à l'évidence que les accointances entre le capital devenu sauvage et la foi dévoyée font l'ambiance terroriste. On le voit avec les associations de malfaiteurs où les contrebandiers des nourritures terrestres sont les meilleurs serviteurs des trafiquants des nourritures célestes, la manne des uns et l'ambroisie des autres ne faisant que cette prise d'armes terroriste marquant la fin du paradigme saturé d'une modernité en déclin.
Une mentalité ambiante
Un tel trait caractéristique de la postmodernité naissante n'est immarcescible que du fait qu'il est bien incrusté dans les têtes, d'une manière latente ou patente, y alimentant rejet d'autrui ou prééminence de soi. Ce qui revient au même, n'étant qu'un complexe de supériorité ou d'infériorité, produit des caractéristiques secondaires de l'ambiance mentale que sont la déification des apparences, la dictature de la forme et le zéroïsme du sens.
Le terrorisme est ambiant, se manifestant partout, car il est d'abord dans les têtes, pouvant surgir derrière un geste anodin, une parole en apparence innocente, ne manifestant pas moins un rejet de l'altérité.
Comment y parer quand tout encourage à la distinction et la séparation au lieu d'aider à la conjonction et à l'union : distinction sociale, politique et idéologique par les moyens de toutes sortes. Quand il y a conjonction, elle n'est que celle des intérêts — non point des valeurs et principes — des nantis contre les miséreux, du fort contre le faible, du pouvoir contre l'impuissance.
Tout indique que la modernité, malgré les acquis humanistes engrangés, a toléré de vices rédhibitoires qui, avec la saturation de son paradigme, l'emportent désormais largement comme les ombres venant se substituer aux lumières éteintes. On se suffira ici de deux exemples emblématiques touchant les deux polarités d'un monde unique, son Nord arrogant et son Sud où l'insoumission gronde.
Le premier est celui des frontières dressées en face des humains, alpha et oméga de la politique internationale de nos jours bien qu'on les efface pour les marchandises ou lorsque les intérêts stratégiques l'exigent, y compris contre le droit international. Elles sont à la racine de nombre des malheurs du monde, puisqu'elle reviennent à faire ériger dans l'immeuble planétaire qu'est devenu l'univers d'absurdes séparations entre les étages, fortifiant des appartements réservés, ouvrant d'autres à tout venant, condamnant des espaces communs, saccageant des aires privatives.
Le second exemple est celui des législations scélérates liberticides dans les pays musulmans, se prétendant inspirées de l'islam quand elles ne sont que des survivances de la morale de l'impérialisme, caricatures de cette foi à la base tolérante et altruiste selon une correcte interprétation de ses préceptes ainsi que lus par le soufisme.
Ces États se démènent aujourd'hui pour se distinguer de l'hallali général contre les menées de certains de leurs ressortissants ou anciens nationaux élevés, du fait de telles lois toujours maintenues et protégées, dans un esprit de haine et d'exclusion à l'égard d'autrui, le différent.
Comment peut-on faire que des jeunes, conditionnés dès l'enfance par des lois scélérates, élevés dans le terrorisme mental, ne soient pas ainsi préparés à l'acte terroriste ? Par exemple, que certains citoyens ne sont pas égaux à d'autres en droits, comme la femme en termes de succession ou l'homosexuel, le juif ou l'athée dans les moeurs et la vie priée ? Comment ne pas préparer un terreau à de futurs terroristes quand on débat encore de la criminalisation de toute normalisation des rapports avec Israël au lieu d'en envisager le rétablissement ?
Le noeud gordien de Palestine
Peu avant sa mort, Heidegger disait avec raison que seul Dieu nous sauverait. C'est bien évidemment le Dieu clément et miséricordieux de la Bible christique ou de l'islam soufi, seul islam authentique.
Pour cela, le combat ne doit pas viser la foi des spiritualistes, mais celle dévergondée des adeptes de Mamon. C'est le matérialisme sans foi ni loi, le capitalisme sauvage, qui doivent être la première cible de la lutte antiterroriste des incorruptibles postmodernes.
Ce n'est pas que Daech et l'islam défiguré qui sont seuls responsables du terrorisme qui endeuille le monde au-delà de toutes les frontières. Celles-ci ne sont qu'un prétexte sécuritaire et agent éminent de tromperie pour détourner l'attention de ce qui compte vraiment : une solidarité totale, un humanisme intégral.
Car Daech est une création du capitalisme sauvage allié à l'impérialisme d'un temps fini qui veut durer ; et l'islam radical ne tient que grâce à ses soutiens occidentaux. Au-delà des slogans creux des uns et des autres, des effets de manche et des instrumentalisations diverses, il nous faut de grands politiques, un nouvel Alexandre, afin de trancher le noeud gordien attachant le joug terroriste au timon du monde en Palestine, car c'est ce complexe problème qui est à la source de toutes les difficultés inextricables que vit le monde.
Au lieu de gesticuler inutilement, il importe à l'Occident ainsi qu'à ses soutiens et protégés arabes et musulmans, mais aussi israélien, d'appeler à un retour à la légalité internationale et de l'accepter. Cela pourrait prendre la forme d'une réunion au plus haut niveau de tous les pays de la Méditerranée pour une paix immédiate en Palestine dans le cadre de ce qui pourrait être un espace de démocratie méditerranéenne.
Cet espace, première pierre d'une future aire de civilisation entre l'Orient et l'Occident, suppose la reconnaissance d'Israël par les Arabes avec un retour à la seule légalité internationale valide, celle du partage de 1947. Ce qui se ferait moyennant une libre circulation humaine à instaurer en Méditerranée pour tout État démocratique ou en passe de l'être et qui le manifeste par la réforme juridique interne abrogeant de son droit toutes les graines de la haine nationale et internationale alimentant le terrorisme national et international.
La Tunisie, de nouveau endeuillée et qui n'est que pièce d'un puzzle, doit relever le défi que lui adressent les terroristes. Elle pourrait le faire sur le plan international en osant reconnaître l'État d'Israël dans le cadre d'un retour à la légalité internationale et d'une Méditerranée lac de paix où les humains circuleront librement. Elle le ferait sur le plan national en décidant sans plus tarder une réforme juridique d'envergure de ce qui est contraire dans ses lois aux libertés et droits, y éliminant toute interprétation intégriste de l'islam au nom de l'État civil consacré par la Constitution.
* Article rédigé au lendemain des attaques de Paris et Saint-Denis, actualisé à la suite de l'acte terroriste ayant visé Tunis.