Daech : ce qu'on ne dit ni ne fait
On n'a pas besoin de rappeler que tout discours porte la trace, consciente ou inconsciente, de son auteur; que, pour le comprendre, l'inconscient et l'imaginaire y sont aussi importants que la formulation et la syntaxe.
Que ne dit-on donc pas sur Daech d'un côté comme de l'autre d'un monde éclaté encore plus divisé faute de volonté sérieuse se substituant enfin à l'oeuvre de morcellement et de réduction à une unité fallacieuse autour d'une idéologie, une vision manichéenne?
Daech est un iceberg idéologique
D'abord que Daech n'est qu'une face apparente; il est comme l'iceberg qu'on ne voit pas, mais bien présent nos seulement au niveau des réalités concrètes, mais aussi de ce réel invisible que forme l'imaginaire.
Daech n'est pas que l'État fantoche érigé sur des parties pour la plupart désertiques de deux États en perdition; il est d'abord une pièce majeure sur l'échiquier mondial que nombre de mains font bouger.
Il est sûr que Daech ne serait pas apparu sans le soutien, direct ou indirect, évident ou occulte, de puissances régionales et mondiales. Sans les rentrées du pétrole, par exemple, Daech ne pourrait point durer et sans les armes qu'on lui fournit sans compter, il ne se serait jamais imposé.
Dans les calculs politiques et idéologiques des uns et des autres, il est une constante : celle d'une vision caricaturale de l'islam. Pour les uns, il importe de continuer une guerre de religion qui n'a jamais cessé, entre tradition judéo-chrétienne et tradition musulmane. Pour les autres, il s'agit d'alimenter cette même guerre en orientant ses visées au nom d'une négation d'autant plus supposée de la tradition judéo-chrétienne qu'on la reprend à son compte aux couleurs faussement de l'islam.
Et il y a, bien sûr, l'hégémonie mondiale à affirmer ou à contester sur des terrains, des États et des richesses où comptent moins les humains qui y vivent et leur sort que celui des intérêts du grand capital international et de ses incarnations idéologiques.
Daech est une mentalité d'exclusion
Aussi, Daech est-il d'abord et avant tout une mentalité : celle d'exclure l'autre, le différent. Cela se fait en évidence au nom d'une certaine vision de l'islam sunnite, mais en catimini au nom de toute sorte d'exclusion d'autrui : le musulman non intégriste, le juif et le chrétien en premier, mais aussi l'Arabe, l'Occidental, le démocrate... bref, le différent
.
Cette mentalité n'est pas si isolée qu'elle ne paraît; si elle est en évidence à Daech, c'est juste qu'on tire de l'affichage un argument publicitaire, une arme tournée contre l'ennemi qu'on prétend combattre et qui n'est que l'ennemi intime dont on a besoin pour prospérer.
Une telle mentalité est nourrie de tous les types d'exclusion dans toutes les cultures et les régimes, y compris démocratiques. Elles prennent la forme de la loi, comme c'est le cas dans les pays musulmans avec les législations en matière de moeurs, attentatoires aux libertés fondamentales et aux droits de l'Homme. Elles le sont aussi dans les attitudes, propos et pratiques politiques de plus en plus xénophobes de l'Occident démocratique ou supposé tel.
Cette psychologie est surtout alimentée par la perpétuation de l'injustice qui a accompagné la naissance de l'ordre mondial actuel et qui a été aggravée par la fermeture des frontières au lendemain de la crise économique, fermeture qui était censée parer à cette crise et qui n'a fait que l'aggraver.
Comment couper les racines de l'hydre Daech ?
Il est clair que Daech n'est que la manifestation de tant de turpitudes humaines partagée; en tant que telle elle est comme l'Hydre de Lerne, possédant plusieurs têtes dont une immortelle, celle des mentalités ci-dessus évoquées. Aussi, comme avec le deuxième des douze travaux d'Hercule, il ne nous suffit pas de trancher ses têtes à l'hydre Daech, car elles repoussent aussitôt.
Aussi nous faut-il agir comme le héros de la mythologie grecque qui a réussi à venir à bout de l'Hydre en trempant ses flèches dans le venin de la bête, rendant leurs traits mortels.
Cela suppose que l'on combatte Daech avec ses propres armes en agissant sur ses motivations, déclarées ou supposées, réclamées ou tues. Parmi ces motivations, on peut distinguer trois qui en résument d'autres : le conflit de Palestine, la circulation des humains et les législations nationales musulmanes d'exclusion.
C'est sur chacune de ces causes, sachant que c'est le conflit palestinien qui constitue la tête immortelle, qu'il importe d'agir. Il est impératif si on veut en finir avec Daech avec qu'ul ne se propage dans le monde entier :
— de mettre fin au conflit de Palestine par une reconnaissance mutuelle immédiate de l'État d'Israël et de Palestine dans le cadre du partage de 1947; c'est la seule légalité internationale à laquelle ne saurait se substituer que la naissance d'un seul État multiconfessionnel que la sagesse de l'appartenance à une même tradition abrahamique commanderait.
— de revenir à la règle de la liberté de mouvement des humains encadrée par la protection suffisante en matière sécuritaire du visa biométrique de circulation. Cela s'imposera d'autant plus en Méditerranée qu'elle pourrait relever d'un nouveau deal impliquant la reconnaissance d'Israël et sa légitimité en tant qu'État par les États arabes méditerranéens.
— d'abolir toutes les lois nationales dans les pays arabes musulmans contraires aux droits de l'homme en arrêtant d'user du cache-sexe illusoire de la souveraineté étatique qui n'a plus de valeur quand il a été prouvé que de telles lois alimentent l'exclusion qui est à la source du terrorisme qui n'a pas de frontières. Ce sont à n'en pas douter les lois d'exclusion en matière de moeurs qui sont ici visées en premier eu égard à leur caractère néfaste, injuste et inhumain.
Publié sur Al Huffington Post
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