La Tunisie est en danger; les périls la menacent de partout. Pourtant, elle a des atouts pour réussir sa transition démocratique, notamment un peuple mûr, une société civile active. C'est suffisant pour réinventer la politique, faire de son expérience en démocratie ce modèle que ses élites prétendent honorer tout en agissant à le faire échouer.
Alzheimer politique et singerie
En ce temps d'Alzheimer politique, il est utile de rappeler les vérités pour qu'elles ne soient pas voilées, violées. Si nos politiques sont fiers de notre constitution, ils ne présentaient pas moins le projet initial, ce gribouillis informe, comme un texte exemplaire, citant des avis d'étrangers toisant la capacité d'innover des peuples du Sud. Il aura fallu que la société civile tunisienne s'investisse à fond pour que l'on arrive à obtenir au forceps les acquis qui sont les nôtres.
Il en ira de même pour le futur de notre démocratie. Les grands partis s'affairent actuellement à leur petite cuisine, quêtant le pouvoir selon une conception politicienne classique. Or, le peuple entend écrire une nouvelle page politique, réinventer la démocratie en y insufflant des valeurs qui n'ont plus cours en Occident se satisfaisant d'un cadre minimaliste, réduit à des mécanismes formels.
En une Tunisie en effervescence, le citoyen redécouvre sa place centrale dans l'édifice institutionnel et tient à l'assumer. Il ne veut plus que sa souveraineté soit théorique, étant souverain en tout temps, non seulement lors d'échéances entre lesquelles son sort dépendra de caprices politiciens, de calculs partisans. Conscient de sa puissance, il exige de l'exercer en toute plénitude; cela ne peut se faire qu'au travers d'instances élues localement et régionalement.
Aujourd'hui, la démocratie est participative, directe et inclusive. Elle n'implique plus de singer le système obsolète de partis s'adonnant à un jeu pernicieux, mais de confier le rôle de représentation des intérêts populaires aux organisations de la société civile qui ont assez prouvé leur sens de l'intérêt général, de la solidarité réelle, leur responsabilité et sincérité à servir le peuple. Surtout, elles ne se livrent à nulle singerie, innovant, relevant organiquement des réalités populaires.
Le pouvoir au peuple
La société civile est désormais qualifiée pour incarner le peuple mieux que les partis obnubilés par le pouvoir. Aussi, le dialogue national est-il appelé à tenir compte de cette réalité pour être en harmonie avec le peuple. Il a intérêt à initier d'urgence un rapport dialogique avec la Tunisie profonde ignorée, reflétant ses exigences et non les diktats partisans.
J'avais déjà appelé à des assises de la société civile à organiser par le pouvoir au nouveau local afin de rendre le pouvoir à ses légitimes titulaires. Cela reste d'actualité, n'étant que la logique extrême du principe de décentralisation consacré par la constitution. Or, au lieu de s'appliquer à concrétiser les acquis constitutionnels, on continue de se vautrer dans les délices du pouvoir et leur partage. Aussi le peuple dit-il à ses élites : il suffit !
Il suffit de se presser à organiser des élections législatives et présidentielle qui n'intéressent que les grands partis pressés d'avoir les coudées franches pour s'imposer au peuple, lui imposer les caprices de leurs seigneurs pour être ses saigneurs.
Élections municipales et compétences techniques
Ce sont des élections municipales — avec ou suivies d'élections régionales — qu'il faut au peuple d'ici la fin de l'année; elles sont les seules en mesure de l'intéresser et de sauver le pays. Ainsi choisira-t-il ses élus à partir de ses réalités quotidiennes; ainsi élira-t-il des autorités qui seront appelées à constituer le vivier dans lequel sera élue l'Assemblée nationale.
Ces élections doivent être organisées selon un mode adapté à la psychosociologie du pays, soit un scrutin uninominal rationalisé imposant à l'élu des engagements à honorer selon un contrôle rigoureux. Ainsi aura-t-on une chance d'en finir avec l'instabilité et l'incertitude que vit le pays, faisant de tous les Tunisiens un rempart contre quiconque voudra attenter à l'ordre, celui d'un peuple réconcilié avec la politique, assumant sa propre souveraineté.
S'il y a dérives aujourd'hui, abus et désintérêt pour le travail, c'est que le peuple n'est pas au pouvoir et désespère de l'exercer. On voit ses jeunes se suicider, les uns sur les champs de bataille, d'autres s'offrant à l'holocauste méditerranéen, les autres s'incendiant ou se pendent. Tous cherchent un sens à leur vie; et tous le retrouveront avec la possibilité d'exercer le pouvoir qui est le leur. Seules donc, dans l'immédiat, des élections municipales et régionales élisant des autorités ayant des compétences réelles sont de nature à redonner vie à ce pays, remettre au travail le peuple.
Et cela réussira d'autant mieux qu'il s'accompagnera de mesures touchant ce qui reste de la troïka responsable de la banqueroute du pays. Il est nécessaire d'étendre la logique retenue pour le gouvernement aux deux têtes restantes de l'État, y plaçant des compétences neutres. Pourquoi pas M. Ahmed Mestiri et M. Mustapha Filali à la présidence la République et de l'Assemblée, libérant leurs occupants à leurs ambitions politiques ?
Seules des compétences partout dans les rouages de l'État sont en mesure, avec la confiance retrouvée du peuple, de réussir à sauver notre pays. Elles doivent disposer de temps pour agir, non de quelques mois déjà insuffisants pour le constat de la faillite tant économique que politique, surtout morale, du pays.
Que le dialogue national assume ses responsabilités en stoppant la mascarade d'un scrutin taillé sur mesure pour les appétits des grands partis et d'élections législatives et présidentielle ne servant que l'ego surdimensionné de leurs chefs ! Qu'il renoue avec le peuple, l'amenant à retrouver confiance en la politique avec les élections qui l'intéressent !
C'est du salut du pays qu'il s'agit. Tout le reste risque de ne relever que de la trahison, non seulement des valeurs de la révolution, mais aussi de la patrie, la première ayant revitalisé les valeurs patriotiques bannies sous un régime honni avec l'esprit duquel d'aucuns voudraient renouer au prétexte du prestige de l'État. Or, il n'est de prestige qui compte que celui du peuple.
Publié sur Al Huffington Post
Le site a fermé, le lien fonctionnel était :
http://www.huffpostmaghreb.com/farhat-othman/ce-sont-des-elections-mun_b_4932974.html
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