L'islam étant pour la promotion de la femme, que le gouvernement propose l'égalité successorale !
Dans le débat actuel sur la question de l'égalité successorale entre les sexes, le mufti de la République, Ohtmane Battikh, a pris une position surprenante, pour ne pas dire, ahurissante.*
Il ne se rend pas compte que sa position fait du tort à l'islam en ruinant tout ce qu'il a fait pour la femme. En effet, il est bien établi pour tous les musulmans que l'islam a promu le statut de la femme. Et personne ne le contestera.
Aussi, comment oser aujourd'hui croire en une telle promotion en niant à la femme un droit constitutionnel qui est sa parfaite égalité avec l'homme, y compris en matière successorale ?
Pour rejeter la fausse argumentation du mufti, une question suffit donc : l'islam est-il ou non pour la promotion de la femme?
Le faux dogme du texte intouchable
Dans sa déclaration, le mufti affirme que la clarté du texte coranique interdit toute interprétation. On aimerait alors lui signaler que nombre de versets sont catégoriques en d'autres domaines, comme pour l'ablation de la main du voleur ou l'esclavage; ne les a-t-on pas interprétés ? Faut-il revenir au texte ?
De fait, le mufti développe une thèse intégriste de l'intouchabilité du texte qui n'est pas islamique. Nombre d'exemples dans l'histoire de l'islam, de son droit et de sa jurisprudence, démontrent sans conteste que le principe reste l'interprétation par l'effort qu'est l'ijtihad, et qui ne doit jamais cesser. Il doit même se renouveler à chaque début de siècle. Ce qui est notre cas !
De plus, depuis Chatibi, on ne peut plus se passer d'avoir à l'esprit les visées de la Loi religieuse pour son application. Le fiqh en tient désormais compte depuis cet éminent imam, l'application littérale du texte coranique étant prohibée, car donnant fatalement Daech.
Or, quelle a été la visée du Coran sinon la promotion de la femme dans sa technique graduelle. Au vrai, il n'a fait que commencer à donner une orientation aux fidèles, et il est de leur devoir de continuer dans le sens de cette orientation. Ce qui veut dire qu'ils doivent instaurer obligatoirement l'égalité successorale pour aller dans le sens de la volonté divine.
Exciper de l'intouchabilité du texte coranique, comme le fait le mufti, n'est valable en islam que pour les questions du dogme, nullement pour ce qui relève de la vie de tous les jours, cet aspect des choses étant laissé à la bonne gouvernance islamique.
Par conséquent, si le Coran est clair sur un principe, c'est bien sur celui d'user de raison dans l'intérêt bien compris des humains tant qu'il s'agit de leur vie sur terre. Un tel intérêt consiste à la gérer selon, non pas le texte littéral du Coran, toujours contingent, étant en congruence avec son temps, mais selon l'esprit du texte et ses visées. Voilà le vrai islam et la volonté de Dieu qui ne peut être changée !
Le faux dogme du moment non propice
Ce qui est regrettable, ce que le mufti use aussi d'un argument trivial que nous relevons dans la langue de bois des politiciens de bas de gamme : le moment ne serait pas propice !
Quand donc le serait-il ? Le mufti ne sait-il pas qu'en islam rien ne change si l'on ne commence pas par changer ce qui est mauvais en nous ? Or, qu'est-ce qui est plus mauvais en l'homme que d'accepter cette flagrante injustice faite aux femmes au nom de l'islam qui est d'abord justice ?
Oui, comme le répète Monsieur Battikh après tant d'irresponsables, "nous avons d'autres problèmes : des problèmes économiques, des problèmes sociaux, de pauvreté, de chômage" ! Ce qu'il doit savoir, c'est que ces problèmes sont aggravés dans l'inconscient par les freins qui viennent du rejet de l'autre et de l'acceptation de la grave injustice faite aux femmes.
Car cela vicie l'imaginaire populaire et l'inconscient collectif, créant des citoyens déséquilibrés, car écartelés entre une pratique honteuse d'inégalité et non seulement ce qu'ils ont acquis en droits sur le plan constitutionnel, mais aussi ce qu'il savent de leur religion qui ne peut tolérer n'importe quelle injustice. Or, l'inégalité successorale en est une faite aux femmes !
C'est en agissant sur un tel blocage de nos mentalités qu'on pourra rendre service aux efforts soutenus du gouvernement pour résoudre nos autres problèmes nationaux. En effet, cela permettra d'avoir des citoyens équilibrés, étant libérés de leurs blocages psychologiques, aptes enfin de faire des merveilles dans tous les domaines posant problème pour vivre sans complexes.
Le faux dogme du conservatisme social
Un autre argument est aussi souvent cité portant sur le prétendu conservatisme de la société. Il ne s'agit ici que d'un pur mythe; et il suffit de parler à la société le langage qu'elle comprend pour voir si elle l'accepte sans problèmes.
De fait, s'il y a conservatisme, il est plutôt chez les élites qui en tirent tout leur pouvoir sur une société qu'elles veulent contrôler. On l'a vu d'ailleurs avec Bourguiba libérant la femme en un temps où ce supposé conservatisme devait être encore plus grand.
Aujourd'hui, il suffit de proposer à la société un projet de loi qui traduise une correcte interprétation de la religion selon son propre esprit de progressivité tombant sous le sens pour que la société l'accepte et l'appuie.
C'est le sens du projet de loi que je propose de nouveau au gouvernement et que j'exhorte à proposer à l'Assemblée, car le projet d'égalité successorale ne doit pas faire l'objet d'une initiative politicienne, comme c'est le cas aujourd'hui, dont le but est de diviser et non de faire évoluer le pays vers l'État de droit.
Le gouvernement doit saisir cette occasion pour rappeler à tout le monde qu'aussi bien d'un point de vue juridique que religieux et éthique, la règle de l'héritage doit être changée en Tunisie. Ce sera ainsi et ainsi seulement qu'on sera en conformité avec notre religion et aussi avec la constitution.
Aussi, je l'invite à proposer le projet de loi ci-après aux députés, un texte qui est consensuel honorant l'islam correctement interprété.
Projet de loi
pour
l'égalité successorale
Eu égard à la consécration constitutionnelle de la parfaite égalité des citoyens,
Tenant compte du rôle éminent de la femme dans la société tunisienne et son droit d'égale de l'homme,
Et par référence aux visées de l'islam qui a honoré la femme et élevé son statut dans une démarche progressive et progressiste en conformité avec le sens de l'histoire et les valeurs humanistes universelles,
L'Assemblée des Représentants du peuple décide :
Pendant une durée de dix ans à partir de l'entrée en vigueur de la présente loi est suspendue dans le livre neuf du Code du Statut personnel intitulé "De la succession" la règle de l'attribution à l'héritier masculin d'une part double de celle revenant aux femmes.
Durant cette période et sauf refus avéré de la femme concernée, il lui sera attribué une part égale à celle revenant à l'héritier de sexe masculin.
Au bout de dix années d'application de la présente loi, elle sera confirmée et rendue définitive ou abrogée selon une évaluation réalisée sur la décennie de son application.
Celle-ci sera examinée par l'Assemblée des Représentants du Peuple avant la fin de la décennie d'application de la présente loi pour sa confirmation définitive ou son abrogation.