Allocution du Président de la République : comment sauver sûrement la Tunisie ?
Le Président de la République s'adresse ce mercredi à la nation après un silence plus que curieux alors que le pays courait les plus graves dangers.
Il est vrai, ses compétences nominales ont été réduites par la Constitution, mais il n'est pas moins avéré qu'il reste l'axe de la vie politique avec son alter ego, le chef islamiste, constituant tous les deux, pour le meilleur et pour le pire, une sorte de Janus tunisien.
Redonner vie à la Constitution
Au reste, la constitution tunisienne est un texte ressemblant juste à une figure hiératique, dont le rôle n'est que d'impressionner, étant restée lettre morte dans ses principales dispositions.
C'est notamment le cas pour les droits et libertés consacrées par le texte fondamental. Or, le président est garant de son application; qu'il ose donc prendre des initiatives en ce sens ! Pourrait-on l'attendre de lui pour ce mercredi ?
Car le peuple ne veut plus de discours pour ne rien dire; il n'accepte plus la langue de bois, notamment du plus haut personnage de l'État. Ainsi, sa jeunesse qui continue à être brimée dans sa vie privée, ayant bien vu à quel point le président n'a pas tenu parole concernant ce symbole éminent de l'esprit du régime de la dictature, la scélérate loi sur le cannabis.
L'actuel régime se veut-il donc la continuation du régime déchu ? Pourquoi ne pas abolir ses lois, particulièrement cette honteuse loi 52 qu'il s'ingénie, par de fausses réformes, à maintenir en vie? Que ne décide-t-il tout simplement la dépénalisation de la consommation du cannabis en application des recommandations des plus sérieux experts, dont ceux de l'ONU conseillant de se concentrer sur la lutte contre le seul trafic? (1)
Et que dire de l'homophobie ? Une tare moyenâgeuse autorisant l'immoral test anal et qui, loin de servir la moralité du pays, met l'accent sur l'immoralité flagrante de ses responsables dans leur irresponsabilité à tolérer une telle ignominie.
Comment espérer alors le soutien de la communauté internationale, comme l'Europe, avec le parlement de laquelle on a reparlé récemment de l'éventualité d'un plan Marshall en faveur de la Tunisie ? Or, on sait que l'une des conditions du parlement européen pour ce faire est une réforme législative d'envergure visant toutes les obsolescences juridiques, dont l'article 230 du Code pénal, base de l'homophobie, survivance coloniale et violation caractérisée de la religion. (2)
Pourquoi donc ne pas oser, en prévision de la journée mondiale de lutte contre l'homophobie, ce 17 mai, annoncer la suspension de cette scélératesse ? Est-ce trop demander aux autorités ? Même le texte consensuel existe, proposé par la société civile, et qu'il suffirait de reprendre et de valider au niveau de la présidence du gouvernement et/ou de la République en le proposant d'urgence au parlement ! (3)
Bien mieux, pour l'homophobie, comme pour le cannabis et pour toute loi en contradiction avec la constitution, et donc logiquement nulle de nullité absolue, il suffit que les ministres de la Justice et de l'Intérieur décident le gel de l'application des des dispositions légales y relatives en édictant les recommandations en ce sens au parquet dans un cas et aux forces de l'ordre dans l'autre.
Déposer l'adhésion de la Tunisie à l'UE
Il est vrai, l'État est trop faible pour s'autoriser à faire ce qui tombe sous le sens. On l'a vu avec le limogeage du ministre de l'Éducation nationale et on le voit encore plus avec les graves événements mettant en ébullition le sud du pays.
La raison réelle d'une telle faiblesse vient du manque de confiance dans l'autorité publique. Comment peut-on être crédible pour appeler au respect de la loi quand la loi elle-même est injuste ? La contester n'est-il pas salutaire, obligatoire même ? Ne faut-il donc pas commencer par le commencement : réformer les lois les plus injustes, pour espérer recréer la confiance entre le peuple et ses dirigeants ?
C'est de confiance et de la nécessité du patriotisme dont on parle le plus, mais alors on parle pour ne rien dire et surtout ne rien faire. Pourtant, il importe d'agir, et sur le mental en premier, afin d'espérer concrétiser quelque chose dans les faits.
Une telle action mentale suppose des décisions à haute teneur symbolique de nature à autoriser véritablement l'érection de l'État de droit en Tunisie, consolidant du coup sa démocratie naissante.
Or, comme toute naissance nouvelle, la transition tunisienne vers l'État de droit a besoin d'être soutenue par le système démocratique occidental ayant fait ses preuves et dont la Tunisie, qui plus est, fait partie. Cela ne se fait pas encore ni nécessairement selon ses intérêts et ceux de son peuple, mais juste pour ceux de ses partenaires et la minorité de privilégiés profitant du pouvoir en Tunisie. (4)
Qu'on soit bien clair, à ce sujet. La Tunisie dépend de l'Occident et n'a d'avenir qu'en dans sa sphère. Toutefois, cela ne saurait continuer comme aujourd'hui, en simple dépendance, sans droits de partenaire d'égal à égal. La position géostratégique du pays et son imbrication dans la galaxie occidentale, notamment européenne, imposent de faire passer sa dépendance en partenariat réel, et non en pur slogan, une pure esbroufe ne trompant plus.
Il importe que la Tunisie passe de l'état actuel de dépendance réelle, quelle que soit son appellation trompeuse, en un état de membre de l'UE avec tous les droits et devoirs attachés à cette qualité. C'est en rajoutant des droits aux devoirs actuels des rapports de la Tunisie avec l'Occident, européen surtout, que le pays aura une chance de se sortir de son impasse actuelle. Et ce ne sera pas que pour son propre intérêt !
L'État tunisien aura bien alors une autorité qu'il opposera aux maffias qui ont prospéré depuis la révolution empêchant les plus dévoués des patriotes compétents d'agir. Car il relèvera d'un système de droit qui imposera sa juste loi. C'est, qu'on le veuille ou non, l'unique voie de salut pour la Tunisie; seule alternative pour ses dirigeants s'ils sont sincères dans leur volonté de servir leur pays.
Par conséquent, il faut impérativement oser demander l'adhésion à l'Europe qui ne la proposera pas, étant encore engoncée dans sa vision dépassée des relations internationales servant trop ses intérêts pour y toucher. En ma qualité d'ancien diplomate, j'ai osé le faire pour notre partie en lieu et place de ses responsables. (5) M. le Président officialisera-t-il cette demande populaire ? Donnera-t-il les instructions à son ministre des Affaires étrangères pour déposer la candidature officielle de la Tunisie à l'Union européenne ?
NOTES
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Publié sur Huff Post