Admonestation aux élites d'un pays zawali : Patriotes, vous
dites-vous ?
Quel patriotisme en Tunisie ?
Tout le monde se réfère de nos jours à l'intérêt du pays, fait
état de son patriotisme. Et sur le plan des principes, tout le monde est
patriote.
Toutefois, si l'on vient au niveau du concret, délaissant la
langue de bois, ce sport national par excellence en Tunisie, la réalité est
bien tout autre. Ainsi, à la seule question qui vaille d'être posée en la
matière, à savoir qui serait prêt à servir ce pays pauvre en soldat, sans
rétribution sinon l'honneur de le servir, combien parmi les élites actuelles
répondrait par l'affirmative ?
Il n'est pas besoin d'être grand clerc pour deviner que les rangs
des prétendus patriotes, prétendants aux responsabilités éminentes, seront assurément
clairsemés dès que l'on exige une réponse positive à une telle question.
Pourtant, il est bien évident qu'en Tunisie, aujourd'hui, on ne
peut plus continuer à faire la politique pour s'engraisser, se servir et non
servir un peuple dans la majorité souffre de misère.
Ce peuple a justement perdu la foi en ses élites du fait de leur
déconnexion de ses réalités, leur attachement à une pratique politicienne
surannée qui consiste bien plus à faire carrière qu'à être au service des
masses miséreuses, s'appauvrissant de plus en plus dans notre pays.
Or, que font nos dirigeants ? Ils ne se soucient que de leur
maintien au pouvoir plus soucieux en cela à satisfaire le capital et les
financiers dominant l'économie mondiale que les plus pauvres de leurs
compatriotes. Il suffit pour cela de regarder de près le projet de budget pour
l'année prochaine pour y lire à quel degré de déconnexion des réalités de leur
peuple ont atteint nos responsables, prévoyant des augmentations multiples
devant grever encore plus le budget des ménages les plus modestes, déjà en
piteux état.
Haro sur les privilèges et indemnités !
Aujourd'hui, il ne suffit plus d'exiger que les compétences
appelées à servir le pays soient indépendantes ou s'engagent à ne pas se
présenter à des élections futures; il faut plutôt exiger qu'elles soient prêtes
à servir le pays sans solliciter ni accepter une rétribution particulière ni
surtout les indemnités habituelles qui appâtent tant de monde.
Il est temps de comprendre qu'on est dans une situation
exceptionnelle qui commande de donner du sens à ce que l'on dit et ce que l'on
fait. Il est bien révolu l'âge de la politique synonyme de cet art antique où
il faut exceller à simuler et à dissimuler, à faire étalage de force et de ruse
!
Pareil art a marqué la Modernité occidentale avec les figures
emblématiques du lion et du renard; symboles du politique virtuose et qui seul
réussit, et brillamment. En Postmodernité, qui est notre époque, actuelle, un
tel art est passé de mode; il ne fait même plus recette malgré des essais pour
revenir en mode rétro.
Nous sommes à l'ère des foules en communions émotionnelles, l'âge
des sens exacerbés où les sentiments les plus porteurs sont les plus sincères.
Aujourd'hui, dire son patriotisme, c'est le prouver; et pour un politicien,
c'est se sacrifier véritablement pour son peuple, le servir sans se servir.
C'est aussi le prouver en donnant l'exemple du seul service politique digne d'être
qualifié de patriotique dans ce pays : un service non vénal, un service de
soldat, se passant de rétribution.
Le sûr, aujourd'hui est qu'il y a trop de profiteurs en politique,
ce qui l'a déconsidéré. Et cela n'est pas propre à notre pays. Il est impératif
donc de veiller à faire œuvre de salubrité publique en la matière en inversant
la règle actuelle consistant à gagner plus et même à s'enrichir en investissant
le domaine politique. Il faut donc que celui qui se propose de servir le peuple
accepte de ne rien gagner de plus que ce qu'il gagnait, et même de gagner moins
désormais.
Ainsi revalorisera-t-on le métier politique en étant en phase avec
les exigences du moment dans le pays et dans le monde : la transfiguration
nécessaire du métier politique pour une solidarité humaine inévitable.
De plus, ce serait une manifestation spectaculaire de ce que
pourrait être l'islam politique en notre pays grâce à la mise en œuvre de sa
spiritualité aux principes si souvent ignorés par ses adeptes qui s'adonnent à
la politique en oubliant la nécessaire austérité que recommande leur religion, outre
l'obligation faite au serviteur de partager la condition de ceux qu'il sert.
Or, leur condition en Tunisie est au dénuement.
Le vrai patriote dans un pays zawali
On sait que notre pays est dans sa majorité de modeste condition;
et les pauvres en dessous du seuil de la dignité y sont bien nombreux; ce sont
les zawalis du sens populaire. Et l'on sait aussi que le patriotisme est
l'amour du pays, ce qui suppose un dévouement à toute épreuve pour servir la
patrie. Or, celle-ci est la communauté à laquelle on a un sentiment fort
d'appartenance. C'est le groupe social et la société dont les membres, non
seulement vivent ensemble, mais partagent des caractères, des intérêts communs
et surtout des conditions d'existence similaires. C'est qu'ils sont unis par
des liens économiques ou politiques qui se caractérisent par la ressemblance,
ou même l'identité, de leurs caractéristiques majeures.
Alors, face à la situation dramatique du pays, tant sur le plan
social qu'économique et politique — un pays zawali pour l'essentiel —, y a-t-il
véritablement des patriotes en Tunisie ? Qui l'est vraiment ou qui l'est assez
pour servir le peuple en partageant sa condition, et ce en le faisant sans
rétribution nécessaire ni indemnités, particulièrement en cette phase délicate
de sa destinée ?
Le peuple, même s'il ne le dit pas encore haut et fort, ne le
pense pas moins, tout en n'osant plus en rêver tellement ses élites l'ont déçu.
Il demande que ne le servent désormais que des compétences désintéressées,
n'ayant en vue que son intérêt et celui du pays. Le peuple exige que tous les
privilèges et les indemnités soient supprimés; que l'on fasse l'économie des
ors ostentatoires et les lambris dorés du pouvoir et toutes ses manifestations
honteuses de richesse dans un pays aussi pauvre que le sien.
Il exige de l'austérité dans tout le train de vie de l'État et de
ses commis, ce train de vie supposé faire le prestige de l'État et qui ne le fait
que faussement, le vrai prestige de l'État n'étant que dans celui du peuple,
dans son attachement et sa confiance dans ses dirigeants et ses autorités.
Qui donc de nos responsables, au pouvoir — s'y accrochant becs et
ongles — comme dans l'opposition — faisant tout pour y arriver — est prêt pour
renoncer spontanément à ses privilèges, avantages et indemnités, des honneurs qui
restent indus tant qu'ils ne sont que l'apanage d'une minorité privilégiée ?
Qui est patriote véritablement en ce pays acceptant de le servir en partageant
la condition modeste de sa majorité ? Et parmi ces privilégiés, qui est disposé
à reverser dans les caisses de l'État à l'intention des plus pauvres tout ce
qu'il aura ainsi perçu en indemnités et salaires exorbitants, bien au-delà de
sa condition avant l'accès à ses occupations politiques actuelle au lendemain
de la Révolution ?
C'est ainsi et ainsi seulement que l'on assainira notre classe
politique et que l'on pourra espérer faire renaître la confiance entre les
masses et leurs représentants en cette époque où la démocratie n'est plus
simplement représentative, étant désormais bel et bien participative.
Le peuple entend, en effet, prendre part à la gestion de ses
propres affaires; et qui pourrait mieux le représenter que des gens, non
seulement issus de ses rangs, mais partageant effectivement sa condition et son
sort ?
Avis donc à nos élites pour changer et leurs mœurs et leurs
pratiques tant qu'il est encore temps. Car l'on voit déjà dans la Tunisie
profonde les signes annonciateurs d'une réplique du Coup du peuple qui les a
amenés au pouvoir et l'on entend dans les cœurs le grondement de la colère qui
les en éloignera pour de véritables serviteurs zawalis d'un peuple zawali.