Parabole de la Tunisie, pays acacia
Il n'est rien de tel qu'une parabole pour expliquer des réalités
complexes, réveiller des consciences endormies. En voici une, empruntée à la
botanique, pour saisir ce qui échappe chez tous ceux qui s'intéressent à notre
chère Tunisie, amis ou ennemis, admirateurs ou contempteurs, nationaux ou
étrangers. Ils sont d'ailleurs de plus en plus nombreux depuis le Coup de son
peuple, cette révolution modèle qui est appelée à transformer les mentalités,
transfigurer la pratique politique à la faveur de l'avènement du paradigme
nouveau remplaçant celui ayant eu cours à ce jour dans le monde.
L'acacia d'Afrique
Il existe en Afrique, notamment en ce beau pays
qui a offert au monde cette conscience juste que fut Mandela, un acacia qui a
la particularité d'avoir un feuillage qui devient amer et toxique à un certain
moment alors qu'il ne l'est pas à l'origine. Il s'agit d'un phénomène naturel
que la science constate, mais ne comprend pas encore.
La plus sérieuse des explications est qu'il s'agirait d'une
réaction chimique de défense de la part de la plante quand on s'attaque à son
intégrité. En effet, on a constaté que ce phénomène étonnant se déclenchait
imparablement après que des animaux venus brouter le feuillage de l'acacia
continuent à le faire au-delà d'un certain temps.
Ce mécanisme est infiniment sophistiqué, en ce sens qu'il ne se
déclenche pas sans raison et toujours en présence d'un herbivore; mais jamais
de suite, plutôt au bout d'une dizaine de minutes. Les scientifiques en
concluent que l'acacia veut bien être brouté, mais pas dévoré.
Concrètement, c'est quand ses feuilles sont mangées au-delà d'un
certain taux, généralement au bout de dix minutes donc, que la plante émet un
courant électrique qui la traverse de bout en bout, produisant un tanin qui commence
par rendre la digestion des feuilles difficile avant de se transformer en
poison mortel. Ensuite, elle se met à diffuser un gaz éthylène qui se propage
dans le vent, touchant les autres acacias.
Les scientifiques considèrent qu'il s'agit d'une réaction «
intelligente » de la part de la plante, des mesures de protection destinées à
se protéger contre les prédateurs et à alerter les plantes voisines de même
espèce contre l'ennemi commun.
Voilà un phénomène scientifiquement prouvé, même s'il reste encore
inexplicable rationnellement, sur la capacité de défense que possèdent les
plantes, que des chercheurs sérieux dotent même de certaines aptitudes
humaines, comme celle de voir et d'entendre.
Sagesse d'un pays
Notre propos n'étant pas de s'interroger sur ces phénomènes
surprenants de la nature, nous en tirons juste l'apologue que la Tunisie est
comparable à cette plante africaine, en ce sens que c'est un pays au peuple bon
enfant, où il fait bon vivre, mais à la condition de ne pas chercher à en
profiter plus que de mesure ou de raison.
La Tunisie est, en effet, à l'exemple de l'acacia d'Afrique; elle
est consciente de la nécessité de dépendre d'autrui, mais dans un rapport qui
soit équilibré, sans excès. C'est un pays dont le peuple est assez mûr pour
évaluer à sa juste valeur son statut en ce monde et le rôle qui lui est dévolu
dans le concert des nations. Ce rôle est certes fonction de sa situation
actuelle, bien modeste, mais il est aussi à la mesure de son passé, grandiose.
La Tunisie est un pays qui vient de se réveiller à son propre être
au bout d'un sommeil qui n'a annihilé aucune de ses aptitudes naturelles,
naguère bien spécifiées par son grand poète, et que sa sagesse populaire ne
cesse quotidiennement de rappeler la justesse et l'acuité.
Aujourd'hui, ce peuple sage est bien conscient de la petitesse de
ses dimensions multiples, mais tient à sa dignité, car éveillé à sa grandeur
d'âme et sa fortitude, issues de valeurs inaltérables vécues au jour le jour.
Une telle dignité commande qu'il soit traité, au pis, en ancien mineur ayant
accédé à la majorité démocratique, et nécessitant un traitement d'égal à égal
en termes de relations internationales sages et équilibrées.
La Tunisie veut bien que les capitalistes nationaux et
internationaux trouvent sur sa terre accueillante un marché pour s'y adonner à
leurs affaires; mais elle exige que son peuple ne soit pas traité moins bien
que les marchandises et demande qu'il circule donc aussi librement et sans la
moindre entrave que ces marchandises.
Elle pense aussi que si l'on veut arrimer solidement le pays au
système occidental cela doit se faire dans le cadre d'un rapport qui soit
« gagnant-gagnant », supposant une intégration totale à ce système, non au
rabais. Car on ne peut lui demander d'être le meilleur élève du système
capitaliste tout en exigeant que cela soit dans un statut second, comme si on
érigeait dans une démocratie un statut de seconde zone pour les citoyens égaux
par définition.
Voici ce que la Tunisie, pays acacia d'Afrique, dit à ces
partenaires et amis d'Occident : broutez des délices de ce pays, mais
n'exagérez pas et pensez à son droit à brouter des vôtres; sinon la nature se
révoltera. En effet, comme elle a horreur du vide, la nature — surtout humaine
— a horreur de l'injustice, particulièrement lorsqu'elle est flagrante et qu'on
cherche éhontément à le nier.