Parler du réel tunisien sans se limiter au principe réducteur du réducteur principe de réalité, c'est aller au creux des apparences, scruter l'invisible souvent assimilé à de l'irréel quand il fait l'essence de l'être.
Depuis Jung, sa psychologie des profondeurs, et Durand, son école de l'imaginaire, on ne peut plus saisir le réel social dans son entièreté en se imitant à son apparence. En effet, l'impasse faite sur son inapparence au nom d'une scientificité versant dans le scientisme en donne une vision incomplète, sinon déformée.
Aller au creux des apparences
Le principe de réalité auquel nombre d'observateurs se soumettent par esprit cartésien se résout ainsi en une sorte de lit de Procuste dans lequel l'on couche le réel observé, et la méthode cartésienne est alors du cartésisme.
Aujourd'hui, le réel en Tunisie est souvent jugé au prisme d'une conception dont l'extranéité est une terrible négation de son essence même, ce qui fait justement son originalité. C'est, d'un côté, cette conception relevant de cet occidentalocentrisme passé de mode qu'on retrouve toujours chez nos élites se disant modernes ou modernistes. De l'autre, c'est sa rivale orientalocentrée se voulant la négation de la première et qui, bien que se revendiquant enracinée et organique n'a rien de l'authenticité tunisienne.
Ni l'une ni l'autre ne rend compte au vrai de l'essence de la réalité d'une Tunisie aux traits particuliers, spécifiques à cette terre qui a toujours été un carrefour d'influences, un creuset de cultures bigarrées, ayant donné à ce petit pays une particularité qui ne réduit le Tunisien nullement à ce qu'on trouve chez l'Arabe d'Orient ni chez l'Amazigh du Maghreb tel qu'on le rencontre dans les voisins pays d'Algérie et du Maroc.
La Tunisie a certes gardé certaines caractéristiques de l'un et de l'autre, l'essentiel de ce qui est ontologique en eux : l'esprit de contradiction et la propension écervelée à la liberté. Mais cela s'est ajouté à une dimension essentielle en lui, remontant à la nuit des temps, ce côté hédoniste attesté toujours.
D'où un Tunisien qui est, au fond, cet Homme Libre qu'est le Berbère ou l'Arabe en son désert, toujours attiré par les grands espaces de liberté, quitte à être porté par l'anarchie; car il a aussi et surtout ce désir, plus fort que tout qui le fait aimer à vivre, croquer la vie à pleines dents.
Être attentif à la socialité populaire
C'est un tel trait caractéristique qu'il ne faut jamais négliger, d'autant que le coup du peuple tunisien, mon expression pour ce qu'on a qualifié de révolution, a libéré en Tunisie ce qui se cachait sous les habitudes, flirtant avec les contraintes légales et sociales.
Car l'environnement autoritaire a donné leu à une socialité particulière, où j'ai repéré ce que j'ai appelé un jeu du je, une sorte de dialectique du moi, bien moins de l'hypocrisie que de la labilité sociale qui, essentielle pour survivre et se ménager des espaces de libertés interstitielles, ne donne pas moins une fausse apparence au Tunisien qui jamais ne se découvre tel qu'il est sauf en intimité et après que la confiance se soit installée.
C'est qu'il y a cette autre caractéristique arabe que je résume par la parabole du moucharabieh et qui amène à se cacher non pour tromper, mais pour mieux observer autrui et s'y présenter à son avantage. D'où la nécessité de réinventer nos études sociologiques, nous adonner à ce que j'appelle socialogie, plus à même d'étudier non plus la société, plutôt sa socialité.
C'est à cela que les autorités doivent être attentives si elles souhaitent réussir une bonne gouvernance en ce temps qui est l'âge des foules par excellence. Si l'on avait d'un mot à résumer ce que cela supposerait, on dirait que c'est de tenir compte de la libido du Tunisien en son sens jungien d'élan vital.
Et elle se manifeste en premier dans la libération de l'instinct sexuel renié par nos lois liberticides qui ne castrent pas nos jeunes que sexuellement, mais aussi et surtout psychosociologiquement. Car c'est le sexe épanoui qui fait une personnalité assumée
C'est de ce genre de thématiques que je me propose de parler dans ces chroniques sous le signe de la socialité postmoderne, la Tunisie en étant une expression basique.