Ce qu'est Daech et comment le contrer ?
Daech, c'est l'acronyme arabe qu'on propose pour le soi-disant Etat islamique d'Irak et du Levant (EIIL ou ISIS); et c'est un cauchemar. Or, comme tout cauchemar, il existe d'abord dans les têtes. Il tient donc juste à celui qui vit ce cauchemar de croire à sa réalité ou de ne pas y croire.
Il est ainsi inadmissible que l'on puisse trouver quiconque chez nous au nom de l'islam justifier ses horreurs et encore moins lui apporter son soutien. Or, c'est le cas; nombreux sont ceux qui ne se gênent pas pour le faire, y compris sur la scène politique, franchement ou par circonlocutions.
Aussi, si Daech a le succès qu'on connaît sur le terrain, c'est qu'il contrôle pas mal de cerveaux, nombreux jeunes et moins jeunes étant fascinés, à tort ou à raison, par cette monstruosité.
Comment expliquer ce cauchemar et encore mieux, comment agir pour le faire disparaître ?
Anatomie d'une horreur
D'abord, en quelques points, comprendre Daech, ce mythe dans les têtes, en tant que réalité de terrain. On réalisera alors que Daech peut n'être qu'un mirage grand-guignolesque, sanglant aussi, mais potentiellement éphémère et même irrémédiablement si l'on se fait violence pour agir d'une manière crédible, forcément efficace.
1. Daech utilise les ingrédients des grands spectacles du cinéma et de la fiction, notamment la terreur, pour fasciner les plus influençables et terroriser les plus sensibles. Cet effet de cinéma joue chez les jeunes qui se sentent l'objet d'exclusion aussi bien dans leur pays qu'à l'étranger où ils n'ont guère le droit d'aller faute de visa. Eux, mais aussi ceux qui se solidarisent avec eux en Europe, supportent mal le stigmate dont ils font l'objet et nourrissent un sentiment de revanche que les exactions de Daech entretiennent. En effet, les horreurs de Daech se diluent chez ceux qui les supportent dans les horreurs de ses adversaires, les turpitudes des uns étant jugées comme la réponse à celles des autres. Peu importe pour eux que ni le contexte ni l'échelle et les motivations ne soient pas les mêmes; la nuit tous les chats sont noirs entend-on dire.
2. Daech se prétend un mouvement de libération, usurpant de l'auréole de la cause en guerre contre l'injustice. Et s'il est encore plus injuste dans sa lutte que l'injustice qu'il prétend combattre, il tire malgré tout de la légitimité de l'injustice première, celle-ci ne sachant ou ne voulant se révéler une justice équitable. C'est l'invasion de l'Irak qui a donné naissance à Daech en 2006 et qui nourrit sa légitimité. Cela se fait en parallèle avec les divisions politiques sur fond d'inimitié religieuse entre sunnites, minoritaires en Irak mais majoritaires en Syrie et les chiites, majoritaires en Irak et minoritaires. En Syrie, le gouvernement appartient même à une secte extrémiste, les Noussayri. Or, le radicalisme du régime syrien est particulièrement honni par les sunnites et il draine leurs faveurs pour Daceh tout autant que le rejet du chiisme d'Irak, bien moins intégriste pourtant. Toutefois, Daech ne peut se targuer de constituer une union parfaite entre ses membres ni d'avoir une entente totale avec ses pourvoyeurs financiers. Ainsi, le front Nosra, actif en Syrie, n'est pas totalement en phase avec Daech tout en autant non moins extrémiste, relevant de la mouvance Al Qaïda de laquelle Daech se serait émancipé. Ces divisions sont des lézardes qui peuvent à tout moment en fissurer les fondations. On l'a vu d'ailleurs début 2014 lors d'affrontements sanglants entre eux qui tournèrent à l'avantage de Daech l'amenant à oser proclamer, en juin, la naissance du califat fantoche sur les parties incontrôlées par les gouvernements de la Syrie et de l'Irak.
3. La maîtrise apparente de Daech des territoires qu'il contrôle (on l'estime à 215.000 km2 dont 45.000 en Syrie et 170.000 en Irak) est assurée grâce à des mercenaires qu'il a réussi à enrôler, venant du monde entier et qu'on estime à une trentaine de mille environ (31.000 selon la CIA et 50.00 selon l'OSDH, l'Observatoire syrien des droits de l'Homme). Ils ne sont pas que des jeunes musulmans cherchant l'aventure pour remplir le vide existentiel; ils sont aussi des anciens cadres de l'armée du dictateur irakien, des professionnels de la guerre. En plus des visées politiques poursuivies, nombre de combattants sont plutôt intéressés par les rétributions financières qu'ils trouvent; pour tous, l'islam n'est que la paravent d'une voracité pour le pouvoir ou les choses de la vie.
4. La majorité du territoire que revendique Daech (25% de la Syrie et 40% de l'Irak) fait partie du désert, s'étendant en Syrie d'Alep, au nord vers l'est, incluant la province de Raqqa et une partie de Hassaka et Dei Zor. En Irak, il impose sa loi sur le territoire du nord et de l'ouest, habité par les tribus sunnites, avec notamment la ville de Mossoul. La seule pérennité de Daech qui se prétend un État, se dotant de ses attributs et de ses structures, repose sur l'adhésion qu'il suscite auprès des tribus de la région, outre la sympathie des jeunes du monde musulman qui forment une réserve armée inépuisable. Aussi, c'est sur une telle cinquième colonne qu'il faudra agir pour assécher Daech en munitions humaines. Certes, si Deach n'avait que les exaltés parmi ses combattants, il s'écroulerait rapidement. Outre l'arme de la terreur dont il use à l'excès, il ne tient que grâce aux aides de toutes sortes, matérielles surtout, qu'il reçoit de certains riches du Golfe. D'aucuns minimisent cependant cet apport financier, estimant que l'essentiel des ressources vient des territoires contrôlés. Outre les réserves des banques de la grande ville de Mossoul tombée entre leurs mains en juin (on a estimé la réserve bancaire d'au moins 400 millions de dollars), il y a bien sûr les extorsions des populations, les contrebandes diverses, dont celle du pétrole et les rançons pour certains otages.
5. La prétention de Daech de renouer avec l'islam des origines est une affabulation; mais elle marche auprès des jeunes musulmans naïfs qui aspirent à un plus de spiritualité. Ils voient même en Daech une épopée islamique contre le matérialisme dominant du monde. C'est cette faim de pureté qui justifierait leur acception de la sauvagerie de Daech comme la fin justifierait les moyens, toute épopée supposant un prix à payer. Mais Daech sait aussi user, auprès des populations contrôlées, d'une politique sociale destinée à gagner leur soutien avec quelques services sociaux vitaux pour certains.
Protocole de soins
Ces points de rappel mettent l'accent sur la nécessité de changer de politique, aussi bien à l'intérieur des pays musulmans que chez leurs partenaires occidentaux. En effet, quand le mal est avéré, ses causes diagnostiquées et ses effets indéniables, il importe de dresser le protocole de soins se résolvant en un remède de cheval.
A. D'abord, à l'intérieur des pays musulmans, à l'égard de l'islam qu'il importe de cesser d'interpréter comme on le fait actuellement, en un corps de textes liberticides. Il urge d'abolir toutes les lois supposées inspirées par l'islam et qui limitent les libertés individuelles. Elles le font à tort, l'islam comme je le démontre par ailleurs étant innocent de nombre de lois supposées ne tenir qu'en son nom. Parmi elles, toutes celles tenant aux moeurs, puisqu'on sait à quel point une libido brimée est un terreau fertile pour la plus cruelle monstruosité. Cela est impératif pour agir en profondeur sur la mentalité des gens en pleine confusion de sentiments tout autant que sur la nature véritable de l'islam qui a toujours, à l'origine, la religion la plus libérale en matière de moeurs.
B. Dans ce même cadre, il est impératif de rouvrir d'urgence et officiellement l'effort d'interprétation des préceptes du Coran. Il est inadmissible de continuer de relever d'une exégèse qui n'est plus en symbiose avec les contingences du moment. Et ce ne sera qu'une application stricte du Coran qui commande l'ijtihad, allant jusqu'à rétribuer l'effort sincère même s'il est erroné. Que demander de plus?
C. Ensuite, chez les pays occidentaux, il est nécessaire de répudier enfin leur idéologie arrogante à l'égard du Sud et ses ressortissants. La politique européenne, notamment en Méditerranée, doit devenir plus soucieuse de la nécessaire solidarité internationale, les pays du Sud de devant plus être traités en marchés juste bons pour écouler de la marchandise. Pareillement, les ressortissants de ces pays ne peuvent plus être traités moins bien que les marchandises en et ce en osant assumer pour les humains la même règle du libéralisme revendiquée pour les biens.
D. En prolongement à un tel libéralisme intégral, le libre mouvement est une arme efficace pour désamorcer les bombes à retardement que l'immobilité crée dans les têtes de jeunes privés de tout espoir de mener une vie normale, se laissant ainsi plus facilement manipuler par les sirènes intégristes. Aussi, on ne doit plus contrarier la circulation des jeunes, car il n'y a plus d'immigrés clandestins, il n'y a que des expatriés et une répression clandestine de l'expatriation, constante humaine depuis la nuit des temps.
E. Enfin, comme une seule main n'applaudit pas, une telle liberté de circulation — que je crois tout à fait possible et nullement utopique — doit être revendiquée par les pays du Sud, en faire une condition sine qua non pour coopérer avec les pays du Nord dans leur politique migratoire. J'ai, en la matière, proposé l'outil adéquat sous forme de visa biométrique de circulation, respectueux à la fois du droit à la liberté de circulation tout autant que des inévitables réquisits sécuritaires. Ce type de visa est même désormais incontournable en droit international, l'actuel visa le violant d'une manière caractérisée.
Ainsi agira-t-on sur l'imaginaire des gens, contribuant à changer leur mental pollué aujourd'hui par une arrogance occidentale qui non seulement n'a plus raison d'être, mais doit être incontinent stoppée, car elle est criminogène, menaçant la paix et la sécurité du monde entier.
Publié sur Webdo