Sincère lettre critique, mais amicale et militante, à Moncef Marzouki
Je m'en excuse à l'avance;
mais en politique, il n'est nulle place à l'ego, au sentimentalisme; et comme
c'est au militant avéré et mondialement connu que je m'adresse avant tout,
alors foin de solennités !
De plus, j'ose parler
(peut-être pour la dernière fois) à un homme si respecté, admiré pour son
combat d'antan, sachant se montrer attaché aux nobles valeurs qui nous
réunissent, au-delà de toutes nos différences, et je lui ouvre mon coeur; or,
c'est bien connu, celui-ci a sa propre raison que la raison ne peut avoir.
C'est de choses graves que
je veux parler ici; allons donc à l'essentiel en rappelant (ce qui n'est pas le
cas au CPr actuel où l'on verse allègrement dans le culte de la personnalité)
qu'en politique, la critique est cet art qui ne saurait jamais relever du
blasphème, fondant même la démocratie qui ne se peut exister sans le droit
inaliénable à l'impertinence.
Monsieur Marzouki, on vous dit
accepter l'esprit critique, mais vous administrez assez souvent la preuve du
contraire.
Vous assurez être ouvert à
tous, prêt à recevoir toute demande d'audience émanant du plus humble citoyen;
pourtant, vous n'avez pas répondu à la mienne, bien qu'ancienne et renouvelée.
Vous dites défendre les
valeurs des droits de l'Homme, votre raison de vivre; or, elles sont au plus
mal en Tunisie.
Vous avez créé un parti
censé agir pour une nouvelle République, et il est en train de bétonner une
nouvelle dictature en appuyant aveuglément une pratique du pouvoir aussi
autoritaire que celle de la dictature déchue, s'étant coulée dans le moule de
ses lois liberticides, en usant et en abusant.
Vous avez rêvé réaliser la
nécessaire symbiose intelligente entre un islam tolérant et ouvert sur
l'altérité, une religion révolutionnaire qui soit ainsi démocratique et de son
temps; le constat du respect des réquisits démocratiques et des valeurs
inaliénables des droits de l'Homme est bien sombre sous votre présidence.
Pourtant, vous aviez tout
pour réussir : une intuition politique juste et un passé avéré de militant. Et
c'est pour cette raison qu'après moult hésitations, j'ai osé sauter le pas en
adhérant au CPR au vu de ses valeurs originelles et originales, en cette année 2013.
Que s'est-il passé donc pour
que ce beau rêve soit ainsi terni et que le parti qui était en mesure de fonder
une vraie nouvelle République en Tunisie soit réduit à jouer le supplétif d'un
parti dogmatique appuyant à fond sa stratégie d'abus du pouvoir à ses fins
partisanes alors que même la minorité éclairée de ce même parti se montre
encore plus critique que vous sur les choix erronés et pernicieux de sa
majorité, menaçant même de quitter le parti.
Oui, vous avez fait le pari
d'une alliance à haut risque, caressant l'espoir de faire évoluer le grand
partenaire islamiste à vos vues; mais vous vous êtes trouvé incarnant la
parabole de l'arroseur arrosé.
Oui, vous vous plaignez in
petto — rapporte-t-on — de n'avoir
pas assez de troupes pour incarner vos vues les plus révolutionnaires; mais
c'est faute d'avoir su garder les militants sincères, laissant l'aile la plus
inféodée à Nahdha dominer le parti et le vider de ses valeurs d'origine. Puis,
de nos jours surtout, la qualité ne vaut-elle pas la quantité, et l’unité
n’est-elle pas facilement millier et billion?
Oui, vous n'avez plus l'arme
efficace au diapason de votre ambition, étant réduit à un général sans armée; c'est ce qui m'a
autorisé à vous comparer au quatrième calife bien guidé de l'islam, éminent
personnage de son histoire qui aurait pu lui éviter les errements des Omeyyades
s'il avait su faire prévaloir ses revendications légitimistes, ses vues
salutaires du pouvoir.
Aujourd'hui, vous êtes bien
au palais de Carthage; mais les valeurs qui vous ont inspiré — et j'imagine
vous inspirent encore — n'y ont nulle présence. En Tunisie, c'est le retour en
marche forcée vers une nouvelle dictature; est-ce la République dont vous avez
rêvé? Votre parti n'agit-il pas activement (sans le savoir ou sans le vouloir
peut-être) pour une nouvelle dictature? N'est-il pas devenu à son corps
défendant un CPr, tellement il dévie de son inspiration d'origine, dérivant vers la reconduction de
l'esprit même de l'ancien régime sous des couleurs nahdhaouies? N'est-il pas
temps que le militant que nous avons admiré, dont la réputation est mondiale et
la pensée est saluée partout dans le monde insuffle de nouveau la vie dans son
parti qui semble être sur le point de venir colmater les brèches que créera
l'éclatement inévitable du parti Nahdha actuel?
Au CPR, le parti d'origine,
il est toujours une sorte de canal historique, une base attachée aux valeurs
initiales qui ont été dans l'intuition fondatrice de son créateur, le militant
Marzouki! Ce CPR-là rêve toujours de la refondation de la République en
Tunisie. Il cherche toujours à y instaurer une véritable démocratie
respectueuse de tous et de toutes, dans une célébration sans restrictions des
valeurs de la démocratie et des droits de l'Homme. Et la base est prête à
reprendre le combat pour faire triompher cet esprit de conquête démocratique.
Pour cela, il suffit au
fondateur du CPR de rappeler l'enracinement dynamique du vrai CPR, un Congrès
où c'est le Peuple réel qui est seul détenteur du pouvoir et de la légitimité,
dans une nouvelle République basée sur une démocratie directe, sociale et
solidaire.
Il vous appartient, M. le
militant des droits de l'Homme de faire en sorte que le CPr actuel (ce congrès
taillé pour une république aux normes déchues) redevienne le CPR historique tel
que vous l'avez voulu, un Congrès véritable du Peuple seul souverain pour une
République nouvelle, pluraliste réellement et populaire.
C'est d'un devoir que je
m'acquitte; à la fois de militant politique que d'un citoyen à sa patrie attaché.
C'est aussi d'un devoir
d'amitié et d'admiration envers votre combat passé que le présent confus ne
cesse d'altérer.
Et je le sais parfaitement;
cela ne plaira pas à beaucoup de monde dans votre parti actuel où l'on pratique
volontiers la langue de bois, ayant oublié l'impératif majeur pour tout acteur
honnête en politique consistant à être un juste; de cette justesse — bien plus que
justice — de voix et de voie. Or, je ne fais qu'essayer de l'être.
Avec enfin mes sincères
excuses à Monsieur le Président de
la République si mes paroles militantes ont malgré tout l'heur de lui déplaire,
bien que partant du fond du coeur pour normalement aller droit au coeur. Du
moins, c'est ce qui devrait passer quand les intentions sont sincères. Les
miennes le sont, comme elles l'ont toujours été.
Et que vive notre chère
patrie, en une démocratie directe, une Nouvelle République telle que rêvée
jadis par le Congrès du Peuple pour la République (CPR) !