Quelle Tunisie demain ? 2/3 Oser le futur défini
Si on ne peut parler du passé sans parler du présent, on ne peut se projeter dans l'avenir sans tenir compte de ce qui l'annonce déjà au présent, des signes avant-coureurs qui en font un futur défini et dont il faut tenir compte pour ne pas aller à l'aveuglette.
Bis pis, si on ne les repère pas, on ne fera que projeter le passé se prolongeant au présent dans un avenir qui ne sera, au final, que la réitération du passé, surtout celui avec lequel il faut avoir le courage de rompre, comme c'est le cas en Tunisie.
Inventer le monde d'après
Aujourd'hui, en Tunisie comme dans le monde, il y a bien urgence d'assainissement essentiel du présent afin de le libérer du passé trouble en vue de s'assurer un futur apaisé et serein. Comment faire donc pour que la Tunisie ne le soit plus alors qu'elle est encore, au présent, prisonnière d'un passé aux chaînes législatives jalousement gardées ? D'autant plus que c'est un passé tellement indéfini qu'il est compliqué, que certains s'évertuent à compliquer davantage par des considérations idéologiques éculées et que d'autres cherchent à simplifier à l'extrême au point de le dénaturer.
Au demeurant, la situation est pareille pour le monde qui nous entoure où ceux qui profitaient de l'ordre ancien périmé tiennent à le faire durer par tous moyens, même s'il n'est plus que désordre et chaos. On en sait la raison : celle qui veut que ce soit dans les moments troublés que se multiplient les affaires et donc les aventuriers et les profiteurs de tout genre.
En Tunisie, de tels démons qui prolifèrent en tout domaine, y compris en politique, cherchent à réduire tout le passé à une dictature honnie afin de détourner l'attention de la nouvelle dictature que d'aucuns veulent instaurer dans le pays en transformant la spiritualité de son pays en religiosité ou sa soif de confort en pure matérialité.
Les uns et les autres sont aidés en cela par des gourous financiers du monde capitaliste, nostalgiques du capitalisme sauvage d'antan et qui le recréent dans nos pays transformés en marché où ils aident leurs affidés à pratiquer un nivellement par et vers le bas, cultivant une totale vacuité des valeurs pour tous. Le problème est qu'on fait cela au nom des valeurs justement ! Celles d'une modernité morte ou d'une religion vidée de son essence tolérante et libertaire.
De tels capitalislamistes n'ont cure du fait que le monde a changé et qu'il impose, pour ne pas voir se multiplier encore les drames humains, d'inventer le monde d'après en tenant compter de ses caractéristiques les plus évidentes et que personne n'ignore désormais. Car si le nivellement est fatal du fait de la mondialisation, autant qu'il soit réalisé par et vers le haut !
La marque indélébile du futur
La marque indélébile du futur, ce qui le définit le plus sûrement, est une faim de libertés et de droits, une soif de dignité et d'éthique. C'est ce qui est bien vérifiable en Tunisie, à l'image du monde où plus que jamais la solidarité entre les pays est de rigueur. C'est même l'impératif catégorique d'aujourd'hui et encore plus de demain.
Car il définit même le futur de l'humanité tout autant que du peuple de Tunisie; aussi nous faut-il en tenir compte et en relever les défis qui s'y attachent. Le premier de ceux-ci est bien évidemment la nécessaire solidarité dans notre monde devenu un immeuble planétaire. On ne peut plus compartimenter les pays en érigeant des frontières devant la circulation humaine, par exemple, tout en imposant le libre mouvement des marchandises.
On ne peut, non plus, continuer à profiter des rentes coloniales et refuser aux pays qui ont été assujettis structurellement, mais informellement, d'un système le droit d'en relever de manière formelle.
S'agissant de la Tunisie, qu'on le veuille ou non, elle dépend de l'Europe et du système occidental; aussi, si elle ne peut y échapper, elle ne peut non plus continuer à en relever comme c'est le cas aujourd'hui. En effet, elle doit exiger le droit de faire partie de ce système en tant que membre à part entière avec tous les avantages de l'État membre.
C'est qu'elle ne peut ériger une démocratie en vase clos ou avec des frontières fermées; son propre système étant nolens volens soumis au capital financier international, il ne peut retrouver la santé s'il ne relève d'un système de droit performant. Car la Tunisie seule ne pourra jamais contrer les profiteurs et les terroristes nationaux qui ont des appuis extérieurs contre lesquels le faible système tunisien, de non-droit qui plus est, ne saurait rien faire.
Assurer le futur de la Tunisie et du monde
Dans l'immédiat, en une Tunisie qui se cherche, il nous faut cesser de parler des avanies des régimes passés du moment que leur législation scélérate est encore en vigueur dans le pays, profitant à ceux qui sont au pouvoir et donc facilitant leurs propres exactions.
On doit se retenir de dénoncer les injustices des dictatures passées tant qu'on n'aura pas éliminé toutes celles qui ont été continuées après la révolution, aggravées même par une seconde dictature morale s'alimentant par du dogmatisme qui est du pur terrorisme mental.
Prenons ici un exemple éloquent qui démontre à quel point on nage dans l'absurde. On n'arrive pas à boucler le budget cet année pour lequel on cherche un financement en se limitant, comme par le passé, à ponctionner dans les poches des plus pauvres, revenant en plus sur une augmentation salariale décidée et confirmée. Comment l'État peut-il avoir la moindre crédibilité quand il renie ses engagements de la sorte ? Le budget alloué à l'IVD ne serait-il pas plus utile pour boucler le budget de l'État quitte à annuler ou suspendre les activités de cette instance qui relèvent aujourd'hui, au mieux, de la pure cosmétique? Est-ce de cela que la Tunisie a le plus besoin au moment où elle traverse une grave crise ?
À propos de cette crise, je l'ai déjà dit et je le répète ici : la Tunisie ne peut s'en sortir seule du fait qu'elle est partie intégrante du système économique occidental. Elle a besoin de ses partenaires d'Occident, qui profitent aujourd'hui d'elle sans réelle contrepartie, pour réussir à lutter contre le terrorisme, la corruption ou réaliser la réforme législative impérative et se débarrasser des lois scélérates de la dictature.
Aussi, la Tunisie doit, à titre d'exemple, claironner haut et fort que sa dette doit être transformée totalement en investissements et, pour le moins, faire l'objet d'un moratoire ! Elle doit bénéficier non seulement d'un plan Marshall de la part de l'Europe, mais d'une offre d'adhésion à l'Union.
C'est ainsi et ainsi seulement, en étant articulée formellement et non seulement informellement à un système démocratique ayant fait ses preuves, que la Tunisie aura une chance réelle de s'en sortir. Et c'est l'intérêt même de l'Europe qui l'impose.
Car si la Tunisie échoue dans sa transition démocratique, c'est l'embrasement assuré de toute la Méditerranée. Par contre, si la Tunisie réussit, cela se capillarisera forcément, tôt ou tard, dans tout le monde arabe et musulman. Le futur commence bien aujourd'hui et en Tunisie. Il est dans l'adhésion de la Tunisie à l'UE pour commencer.
Le 1er décembre se tient à Bruxelles une première : la réunion au sommet entre la Tunisie et l'Union européenne. Sera-t-elle la première page à écrire du nouveau monde en gestation ? Ce sera le cas si la Tunisie ose demander l'adhésion ou si l'Europe oser la lui offrir. C'est l'impératif catégorique du moment ! Que ce soit le droit, la politique, l'économie ou l'éthique, tout le commade.
Publié sur Al Hufington Post