La libre circulation humaine est un préalable à l'accord ALECA de libre-échange
Des négociations ont commencé le 13 courant entre la Tunisie et l'Union européenne pour la conclusion de ce qu'on appelle avec cette terminologie européenne pompeuse qui ne trompe plus personne : Accord de libre-échange complet et approfondi (ALECA).
En effet, on omet à dessein de dire qu'il ne s'agit que d'un accord de libre-échange économique et financier, donc nullement complet ni approfondi puisque l'humain n'est pas concerné par la liberté ainsi glorifiée.
Ce qui frappe déjà un tel projet d'indignité éthique, l'humain étant plus noble que les marchandises et les effets de commerce. Car un libre-échange ne peut être complet et approfondi qu'en commençant par la libre circulation des hommes, seuls véritables créateurs des richesses.
La libre circulation, préalable impératif au libre-échange
C'est en effet la libre circulation humaine qui est seule de nature à compenser les énormes concessions demandées à la Tunisie dans le cadre de cet accord qui risque de fragiliser encore plus une économie déjà fort mal au point.
Or, prétendre comme le fait Bruxelles vouloir soutenir la démocratie naissante en Tunisie ne pourrait se faire sérieusement, si l'on ne pratique pas le mensonge, qu'en reconnaissant la maturité de son peuple, lui octroyant la possibilité d'intégrer Schengen.
On l'a démontré, cela est parfaitement possible en parfait respect des réquisits sécuritaires avec l'outil que nous proposons de visa biométrique de circulation. Ce type de visa donne le droit au Tunisien de circuler avec le visa actuel, mais délivré gratuitement pour une période minimale d'un an avec entrée et sorties multiples, et ce en attendant la levée définitive de l'instrument obsolète du visa.
La Tunisie qui prétend, par la bouche du ministre du Commerce, Ridha Lahouel que "tout ce qui ne va pas dans l'intérêt du pays nous allons le repousser" a bien intérêt à n'engager aucune négociation sans la satisfaction de ce préalable de nature tout aussi éthique que juridique, la pratique actuelle du visa, se faisant avec relevé des empreintes digitales des Tunisiens, étant une illégalité absolue. En effet, en l'absence de compensation sérieuse, elle contrevient au droit international tout en violant la souveraineté nationale.
Contre un libre-échange léonin, une adhésion à l'Europe !
L'accord ALECA, si on commence à le négocier en l'état, est uniquement au service des intérêts européens en Tunisie. Certes, officiellement, il entend permettre une intégration plus poussée de l'économie tunisienne dans celle de l'Europe. Or, cela revient avec le texte léonin actuel à pratiquer un nivellement par le bas, imposant à la Tunisie de se plier aux exigences européennes au détriment de ses propres spécificités et faiblesses avérées, notamment dans les domaines les plus sensibles.
En bonne logique, si nivellement il doit y avoir, il devrait l'être par le haut, en invitant la Tunisie, par exemple, à intégrer l'Union européenne. Voilà une intégration honnête et équilibrée; pourquoi ne pas l'évoquer ? Pourquoi l'Union ne la propose-t-elle pas? Pourquoi la Tunisie ne l'exige-t-elle pas ?
N'est-ce pas bien mieux que de faire miroiter l'entrée des produits tunisiens dans le grand marché européen sans parler du revers de la médaille qui sera l'étouffement inéluctable du petit marché artisanal tunisien sous la déferlante commerciale et technologique venant d'un tel marché qui se relèvera trop vorace pour la Tunisie, vampirisant totalement le pays ?
Une telle offre d'adhésion qui tombe pourtant sous le sens est ignorée par l'Union du fait de son double langage aggravé par son refus de faire le seul geste de nature à aider la Tunisie aujourd'hui, consistant à annuler la dette scélérate sous laquelle ploie l'économie du pays. Et on prétend vouloir aider la Tunisie !
L'impératif catégorique de l'éthique contre le mercantilisme
Les plus sérieux des observateurs, sans parler des vrais spécialistes de la question, sont unanimes : l'accord proposé à la Tunisie n'aura qu'une seule conséquence, celle de ferrer la Tunisie à un marché contrôlé par les mastodontes d'un capitalisme sauvage qui n'est intéressé que par les affaires juteuses qu'il fait et maximisera en une Tunisie réduite à un marché où tout est permis au nom des affaires.
Or, la Tunisie souffre déjà assez de l'affairisme de ses petites maffias qui ne pèsent pourtant pas lourd dans l'économie mondiale ; que deviendrait-elle si elle est ainsi livrée aux gros bonnets de la finance mondiale d'un libéralisme ensauvagé ?
Un minimum d'éthique s'impose ! Et l'exigence ci-dessus de la libre circulation humaine, à défaut d'adhésion tunisienne à l'UE, permettrait de mettre le doigt sur la plaie : celle de ce capitalisme sauvage qui entend bafouer les valeurs spirituelles ancestrales de la Tunisie, sans parler de l'intérêt national, sa souveraineté et la dignité de son peuple.
Aussi, faire de la libre circulation un impératif catégorique sans lequel aucune discussion n'est à envisager, c'est agir crédiblement pour amener un minimum d'éthique en un domaine par trop vicié par les purs intérêts mercantiles.
Certes, la Tunisie doit honorer son ouverture légendaire au dialogue ; mais cela ne peut se faire à n'importe quelles conditions ! Aujourd'hui, plus que jamais, c'est du donnant-donnant, seule façon pour un rapport d'être gagnant-gagnant dans les relations de la Tunisie avec une Europe à laquelle elle est liée structurellement.
C'est le moins de ce que commandent des liens autant géographiques et géostratégiques qu'économiques, culturels, humains et même psychologiques. D'autant plus qu'aujourd'hui, aider la Tunisie sincèrement et sans petits calculs de boutiquier pour l'Europe — ainsi que le fait l'Union — c'est s'aider elle-même, ayant tout à gagner à ce que la Tunisie réussisse l'exception qu'elle est en puissance.
Publié sur Al Huffington Post