La femme aux poissons ou quelle morale bafoue-t-on vraiment ?
On a crié à l'exploitation de la femme et à un dérapage honteux de l'esprit du lucre. Certains milieux féministes, alliés à d'autres carrément pudibonds, ont même envisagé une action en justice.
Cette affaire est une bonne illustration de la confusion des valeurs qui règne dans le pays et qui y restera la règle tant qu'on n'aura pas décidé et fait ce qu'impose l'évolution du pays en termes de mœurs : l'abolition des lois attentatoires aux libertés privées.
Saisissons-la donc pour examiner, en raccourci, ce qu'elle pose comme problèmes en termes moraux.
L'argent peut-il tout se permettre ?
C'est la toute première question basique en la matière. La réponse est bien entendu : non ! Toutefois, si l'interrogation est basique, la réponse ne doit pas l'être.
En effet, l'argent ne peut être roi que du fait de l'existence d'une acceptation de sa loi. A-t-on donc demandé son avis à la femme aux poissons dont on a crié à l'honneur bafoué ?
Lui a-t-on seulement demandé si elle a été obligée à faire ce qu'elle a fait ? Si elle a été bien payée ou mal payée pour le faire ?
En effet, c'est uniquement s'il y a violation de tels principes logiques que la morale aurait été vraiment bafouée !
La liberté privée est-elle à restreindre ?
Si le femme concernée a été bien payée et était parfaitement consentante sans la moindre violence morale, doit-on et peut-on lui interdire ce qu'elle a osé faire ? Cette question est essentiellement éthique car elle pose le principe de la liberté privée dans un milieu de contraintes légales supposées légitimes et morales alors qu'elles sont immorales et illégitimes.
En effet, si notre constitution consacre les libertés privées, celles-ci restent lettre morte du fait des lois liberticides de la dictature toujours en vigueur. Il en va ainsi de la consommation du cannabis qui devait être une liberté équivalente à celle de fumer une cigarette bien plus nocive.
Ainsi en va-t-il aussi de la vente d'alcool, la loi devant protéger le libre commerce, tout commerce, comme le fait d'ailleurs la religion qui n'interdit que l'ivresse, nullement de boire l'alcool, une liberté privée du fidèle devant être raisonnée.
Il en va pareillement des rapports entre gens de mêmes sexes que ne prohibe pas non plus notre religion, mais que nos juges continuent à réprimer en usant d'une loi honteuse et de pratiques encore plus honteuses que l'acte réprimé qui relève de la nature et pour lequel le Coran n'a pas édicté d'interdiction ni la Tradition prophétique authentique dans les deux principaux corpus majeurs de la Sunna.
C'est quoi donc l'éthique ?
Cette affaire de femme aux poissons pose ainsi des interrogations essentielles auxquelles nous ajoutons celle-ci, capitale entre toutes : c’est quoi la vraie éthique ?
Le concert de protestations aurait mieux fait de saluer l'initiative de l'enseigne qui a osé recourir à une manière somme toute originale de vendre ses produits, dans la mesure bien évidemment où elle a rétribué correctement la femme concernée.
Cela démontre bien la fausse éthique des moralisateurs en cette affaire qui cherchent moins à protéger la moralité dans le pays qu'une conception intégriste de la morale populaire.
Or, toutes les analyses sociologiques sérieuses de notre société démontrent que la vision éthique du Tunisien est libérale. Cela ne veut pas dire qu'elle est aussi élastique que celle qu'on retrouve chez les politiciens et qui relève de l'immoralité.
Non, elle est morale véritablement selon la conception soufie de l'islam, libertaire et hédoniste. Or, on sait à quel point l'interprétation soufique des interdits religieux est large, puisant dans une vraie morale conforme à son sens étymologique .
La morale est en effet ce qui est relatif aux mœurs et ce qui relève de la coutume selon sa racine latine. C'est également le sens de l'éthique qui, de par sa racine grecque, renvoie à l'éthos, soit le caractère anthropologique commun à un groupe d’individus appartenant à une même société.
Or, un tel caractère en Tunisie est différent de celui qu'on retrouve en Orient et dont nos religieux s'inspirent à tort. Il est, en effet, libertaire et hédoniste, exploitant aussi bien la fibre apportée par l'islam qui magnifie la liberté du fidèle ne devant se soumettre qu'à son créateur dans un rapport direct et exclusif que celle dérivant de la mentalité berbère, soit celle des Hommes libres, sens du terme amazigh.
Être éthique en Tunisie, c'est relever de la coutume libertaire et hédoniste du peuple et non d'une fausse morale importée d'Orient où elle est devenue une violation caractérisée de la religion dans sa déclinaison wahhabite qui a produit l'horreur absolue qu'est Daech, cet Antéislam postmoderne.
Publié sur Al Huffington Post