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lundi 20 février 2017

Radicalité anthroposoufique 6

Cannabis : Abolir la loi et aussi dédommager les victimes !



L'intervention télévisée du président de la République a été décevante pour les jeunes qui attendaient une réponse claire à leurs attentes : la dépénalisation. Or, ni cette fatalité ni encore plus le dédommagement des victimes, qui doit aussi s'imposer, n'ont été évoqués par BCE. 
Certes, le président a annoncé la convocation d'une réunion du Conseil national de la sécurité qu'il préside. En cela, il n'a fait que le minimum, se conformant à une stratégie où la lenteur l'emporte sur l'éthique et l'inertie sur la justice.
Contrer l'immobilisme juridique et politique
Si le président a estimé nécessaire de réunir ce Conseil, composé de hautes autorités du pays, tels le Président de l'assemblée des représentants du peuple, du Chef du gouvernement et des ministres de la Justice, de l'Intérieur et de la Défense, outre la hiérarchie militaire et sécuritaire, c'est qu'il a forcément mesuré la difficulté de tenir son engagement de campagne électorale de réforme de la loi 52.
Pourtant, il s'agit d'une des survivances les plus hideuses de la dictature que le pouvoir issu de la révolution aurait dû commencer par abolir étant donné qu'elle cible la jeunesse qui a été l'âme de cette révolution.
Il est vrai, les oppositions sont immenses, et elles sont à dénoncer, car venant de pans minoritaires de la société et surtout d'élites au pouvoir, déconnectées des réalités du pays. Les uns et les autres prétendent s'opposer à la dépénalisation du cannabis, qui est bel et bien une revendication majoritaire de la société, au nom d'un mythique conservatisme social.
Au vrai, il s'agit essentiellement du désir de contrôler les jeunes au travers de cette loi et continuer à les brimer. Il s'agit aussi d'une mauvaise lecture de la religion qui est bien loin d'interdire la consommation de cette drogue douce, populairement très répandue en islam de tout temps. Ce fut le cas en Tunisie, surtout durant ramadan, où l'on délaissait l'alcool, supposé interdit, pour l'herbe.
Le président aurait bien pu réunir ce Conseil plus tôt, avant même la proposition de la réformette de la loi 52 ou concomitamment pour le moins. Bien mieux, le ministre de l'Intérieur aurait pu déjà donner instruction aux forces de l'ordre, depuis la formalisation de cette loi, de ne plus harceler les jeunes pour la consommation, et surtout de les relâcher aussitôt avéré le fait qu'ils ne sont pas des trafiquants.
Enfin, le ministre de la Justice, en tant que membre éminent du pouvoir exécutif et donc du fait de ses prérogatives quant à la détermination et la mise en ouvre de la politique pénale de l'État, aurait pu et dû aussi donner des instructions au Parquet, qu'il préside, de ne pas engager les poursuites pour consommation du cannabis et suspendre celles déjà engagées.
Car il est absolument faux de prétendre qu'une loi doit continuer d'avoir des effets tant qu'elle n'a pas été abrogée par une autre loi. Tout texte juridque, surtout scélérat, peut et doit avoir ses effets gelés et son application suspendue par l'autorité habilitée à veiller à la bonne gouvernance de la justice dans le pays devant se soucier de la légitimité de la législation.
Pour une justice humaine
Aujourd’hui, dans le monde, on assiste au glissement d’une justice juridique formaliste à une justice humaine, le juge étant voulu plus proche des citoyens (c’est la justice de proximité), plus à l’écoute de ses exigences qu’une simple machine qui lit et respecte le texte des lois.
C’est vers le rôle d’amiable conciliateur que le juge évolue, rôle déjà bien connu dans la tradition de la Common Law. Qu’est-ce à dire sinon que ce ne sont plus les critères juridiques seuls qui doivent dicter les décisions du juge, mais aussi des principes d’opportunité économique et sociale, humains surtout ? D’où une plus grande liberté par rapport à la loi classique.
L’évolution mondiale du statut du juge va dans le sens du renforcement de son rôle, au-delà de l’interprétation de la loi, vers la liberté de son application. Le juge ne dit plus le droit comme de tradition, mais il est aussi appelé à rétablir l’équilibre lorsqu’il manque entre les exigences opposées en tenant compte et en appréciant surtout les situations.
Cela se vérifie, par exemple, lorsqu’il juge en faveur d’un salarié lésé par un contrat, quitte à être partial dans sa défense contre son employeur abusant de sa situation sociale ou économique. On peut dire la même chose dans le domaine des baux d’habitation, ou surtout pour les juges des enfants, ou ceux d’application des peines ainsi que de la consommation. Dans pareils domaines, le rôle d’appréciation du juge des clauses contractuelles illicites ou abusives est quasiment sans limites.
Aussi, si le juge dans une situation déjà normale n’est plus celui qui doit se limiter à dire le droit en appliquant des règles précises édictées par le législateur, voyant sa mission ainsi s’élargir pour devenir à la fois protectrice et gestionnaire, que dire du juge d’une Révolution ? Il ne peut avoir une simple mission technique régie par des lois obsolètes, qui plus est, heurtant l’esprit de la Révolution. Encore plus que le juge ordinaire, notre juge doit assumer un rôle de contrôle, non seulement des rapports entre les individus, leur respect de leurs devoirs et droits, mais aussi de celui des institutions, tant économiques que surtout politiques
L’évolution juridique universelle est dans l’affaiblissement du principe de légalité en faveur de celui de l’équité ou de transaction, un signe évident du renforcement de la personnalisation des décisions de justice. De plus, l’inflation juridique et les lois, parfois contradictoires générant fatalement de l’incertitude, amènent les magistrats à se retrouver dans l'obligation de l’interprétation, et ce jusqu’à la réécriture du texte de loi, certaines de leurs décisions prenant même la forme de ces arrêts de règlement connus en France d’avant la Révolution. D’où le rôle normatif de la jurisprudence qui fait craindre à certains politiques un “gouvernement des juges”.
En une Tunisie se disant et se voulant révolutionnaire, cela suppose que si les politiques ne respectent pas la volonté populaire pour plus de libertés et de droits, le juge — dont c'est le droit et même le devoir, s’il est vraiment révolutionnaire — doit s’octroyer un tel rôle de gouvernement au nom de l’esprit de la Révolution. Ce ne serait qu’à son honneur étant donné que la justice, la vraie, celle qui est conforme aux exigences populaires — telles qu’exprimées par une révolution, notamment — fait partie intégrante de la vie de la société et doit évoluer au diapason de cette société. D'autant plus qu'on juge au nom du peuple !
Or, si notre peuple est désormais en avance par rapport à ses politiques, ses juges restent quelque peu à la traîne, continuant à s'attacher à l'arsenal juridique de la dictature que l'on croyait avoir abolie. Aussi, le juge de la Tunisie postrévolutionnaire est-il particulièrement tenu de rester au-dessus de ces milieux politiques qui cherchent ostensiblement à préserver le cadre juridique de l'ancienne dictature pour ne pas perdre leur pouvoir.

En matière de cannabis, si les politiques ne le font pas, il est ainsi tenu, non seulement de ne plus appliquer la loi de la dictature, mais aussi de décider le dédommagement de ses victimes. Après tout, on a bien dédommagé des victimes de la dictature pour des faits plus graves  que la consommation du cannabis, ayant attenté à l'ordre public ! 
C'est un droit et la justice se couvrirait de honte si elle n'en tenait pas compte. Avis à nos juges et à nos politiques.  

Publié sur Al Huffington Post