Excellente excellence kerkenienne, Père André Louis
On ne peut pas, parlant de Kerkennah, ne peut rendre hommage à l’oeuvre pionnière du Père André Louis, qui a été le premier a en parler de la façon la plus exhaustive et la plus rigoureuse.
Cela n’est pour étonner de la part d'un Père blanc dont l’ouvre fut immense au service de la Tunisie, ne serait-ce que dans le cadre de l’Institut des Belles Lettres Arabes (IBLA), pour ne citer que cet exemple, quel la Tunisie authentique doit beaucoup.
En 1963, André Loui a consacré à nos îles sa thèse de doctorat ès lettres, soutenue à Paris sous le titre « Les îles Kerkena (Tunisie) : étude d’ethnographie tunisienne et de géographie humaine ». Elle a été publiée la même année à Tunis par l’imprimerie Bascone et Muscat.
Se voulant une monographie ethnographique et dialectologique, ce travail monumental se décline en trois volumes qui ont fait le miel de tous ceux qui ont écrit par la suite sur les îles et ce, entre autres, du fait de la richesse incomparable d’une bibliographie toujours incontournable et un index fort utile. Et tout le travail est à l'avenant.
Intitulé « Les travaux », le premier volume est consacré à l’activité économique de l’archipel et les diverses occupations des insulaires ainsi qu'à leur caractéristique première qu’est l’émigration (ce qui fonde l'altérité kerkenienne).
Après une brève introduction physique et historique, André Louis passe en revue avec minutie et exhaustivité toutes les activités des kerkeniens, étudiant la pêche (il recense un millier de pêcheries), la navigation (il constate que les kerkeniens sillonnent de leurs barques le golfe de Gabès et les eaux de la Tunisie orientales), l’agriculture (qu’il qualifie de très limitée) et l’artisanat fort riche en finissant avec l’émigration, rappelant que les kerkenines émigrent en nombre sur le continent.
Titré « Les jours », le second volume est exclusivement ethnographique; il aborde la manière de vivre sur l’archipel. Les chapitres y abondent, très documentés, sur l’habitat et les habitants d’une société musulmane du Maghreb en miniature. Ainsi sont détaillés les habitudes alimentaires, vêtements et habitation, y compris avec le mobilier. La vie familiale et ses différentes étapes (mariage, naissance, éducation) sont de même décrites avec minutie sans manquer les cérémonies qui les accompagnent. La force de l’auteur est ici encore dans les références nombreuses qu’il donne de ce qui se passe dans le reste de la Tunisie et dans toute l'Afrique du Nord, Kerkennah en étant l'illustration condensée.
Ce second volume ne le cède en rien au premier, l'analyse y étant toujours des plus minutieuses, l'information directe et abondante, l'illustration abondante et le ton général précis, objectif et très humain.
Le dernier volume est consacré à la bibliographie et à l’index, faisant de l’ensemble un ouvrage rare en sûreté de l’observation, diversités des faits étudiés et conscience en profondeur des enquêtes, particulièrement sur la vie maritime et la pêche en Méditerranée.
Il est à noter, ainsi que le texte est rehaussé de très nombreuses figures, au nombre de 174 dans le seul premier volume faisant 419 pages.
Notons que la conclusion d'ensemble du Père Louis est plutôt mélancolique, puisqu'il a la conviction d'avoir étudié une société en voie de transformation rapide, cessant d'être ce groupement fermé, cohérent et conservateur qu'il fut pendant des siècles.
Il craint donc une désagrégation de la société kerkenienne en l’imputant à l’école et à l'émigration, toutes deux très prisées aux îles. Toutefois, il concède que la femme a toujours constitué sur l’archipel une force de conservation très vigoureuse, même s’il ne la voit pas contrarier trop longtemps l’accélération de l'évolution des choses.
Or, nous avons démontré, par ailleurs, que Kerkannah garde son âme tout en muant. En effet, il existe une Kerkennah éternelle que le Père Louis n’a d'ailleurs pas manqué de sentir en relevant que les Kerkeniens, même émigrés ou vivant dans des îles modernisées, conservent longtemps encore leur attachante personnalité.
Publié sur le magazine Leaders n° 39 d'août 2014