Le 6 février 2014, une fondation particulière est née en Belgique avec pour nom Ihsane Jarfi, un jeune retrouvé mort le 1er mai 2011 après avoir été séquestré et martyrisé le 22 avril par quatre autres jeunes animés d'une pulsion homophobe.
La particularité de cette fondation est bien plus que d'avoir pour objet l’assistance aux victimes d’agressions discriminatoires et homophobes et le soutien à des campagnes de sensibilisation visant le grand public.
Ce qui fait sa spécificité est qu'elle est l'initiative d'un père éploré, s'identifiant à son fils homosexuel, honorant sa mémoire et défendant son choix de vie, son droit d’être gay.
Un père exemplaire
Ce père, Hassan Jarfi, est d'autant plus exemplaire que lui comme son fils sont de confession musulmane et croient que l'islam est loin d'être homophobe ainsi que le laissent croire les lois ignominieuses et criminelles dont des régimes dictatoriaux, se prétendant musulmans, usent et abusent dans le seul but de dominer leur société, castrer ses élans vers la liberté.
Ce papa exemplaire doit donc inspirer tous les parents musulmans qui sont appelés à soutenir la cause juste de leurs enfants, garçons et filles, contre l'impérialisme de leurs gouvernants violant non seulement leur religion, mais martyrisant en sus leurs enfants.
Outre cette fondation, Hassan jarfi, qui avoue avoir eu sa vie totalement transformée par ce terrible drame, a écrit un livre en mémoire de son fils, intitulé « Le couloir du deuil », édité en 2013 chez Luc Pire, en Belgique.
Ce témoignage si digne pour Ihsan relève de ce qu'on appelle en littérature un tombeau, un poème en hommage à un défunt.
Comme le dit si joliment son préfacier, le professeur de philosophie politique de l'université de Liège, Édouard Delruelle, c'est un livre de douleur et de douceur, de colère et de dialogue, une méditation sur ce qui nous échappe.
Comme il est dit dans cette préface, Ihsane a été l’origine et l’horizon des douleurs son papa, originaire de Casablanca : celles du déracinement et de l’intolérance, mais aussi de l'exil et de la pauvreté de l’enfance.
Il a été aussi cette douceur qui caractérise le livre de bout en bout et qui était la nature même du disparu, marquant la vie de ses parents, son papa surtout baignant dans l'amour infini d'humanité des soufis, seuls musulmans capables de Dieu, de cette sérénité faisant cruellement défaut en ce monde.
Mais Le couloir du deuil est également un livre de colère d'un père, une colère qui est toutefois, ainsi que le précise le préfacier « sans haine, mais brûlante ».
Jarfi père écrit en effet : « Ma tolérance, ma religion, le fait que je sois papa d’un garçon gay me poussent à agir. Je suis en colère. Ihsane ne me sera pas rendu. Alors je dois maîtriser cette colère et l’orienter positivement ».
Voilà en quoi l'action exemplaire de M. Jarfi est à suivre, méritant que tous les parents musulmans mettent leurs pas dans les siens en prenant le parti de leurs enfants persécutés pour leur mode de vie, et ce qu’ils soient ou non gays.
Car être gay — M. Jarfi en est désormais convaincu, son enfant perdu le lui ayant démontré amplement lors de sa trop brève vie —, c'est être doté d'une sensibilité extrême si rare de nos jours, avoir une humanité, une grâce quasiment divine. Elle est pareille au charisme des bienheureux venus sur terre racheter les turpitudes humaines au point de s'offrir en sacrifice, leur martyre en étant la rédemption nécessaire.
Le livre de M. jarfi est donc à lire d'urgence et à méditer par tous les papas et mamans du monde, pas seulement musulman, l’ouvrage étant surtout une invitation au dialogue.
On y comprend notamment à quel point le partage du meilleur dans chaque culture est possible, que l'islam peut être respectueux de tous, y compris des homosexuels si l’Europe elle-même ne sombre pas dans l’islamophobie.
« Il est urgent d’y travailler tous ensemble : qui entendra ce message ? » dit avec raison M. Delruelle qui valorise le caractère de méditation de ce témoignage poignant sur ce échappe aux humains réduits à leurs petitesses.
En avouant ne pas comprendre la motivation des assassins d'Ihsane, une « violence gratuite, sans "raison" ni "passion". Une violence sans adresse », le philosophe préfacier s'étonne comment on peut arriver « à un tel point de désocialisation et de déshumanisation ? »
Ihsane Jarfi, paraclet des turpitudes humaines
C'est assurément le Mal produit par la confusion des valeurs qui marque ce monde, confusion surtout prégnante dans les États arabes islamiques prétendant respecter les droits de l'Homme tout en gardant en vigueur des lois scélérates, bien moins pour leur prétendu caractère moral que pour dominer leur société, réduire ses élans pour la liberté et la dignité.
Le martyre d’Ihsane met tout le monde face à cette question abyssale, une énigme dont la solution existe pourtant ; elle est dans le coeur de tout un chacun s'il sait l’écouter et aimer autrui comme on aime être aimé, l'autre n'étant que soi-même !
C'est ce qui est en mesure de donner une infinité à notre humaine finitude. Or, cela nécessite des paraclets qui, par leur sacrifice, sanctifient l'amour sous toutes ses formes, Dieu n’étant qu’amour. Ihsane fut ainsi l’un des paraclets dont la venue est établie par le soufisme quand l'espoir disparaît et que la haine, la cruauté, comme c’est le cas aujourd’hui, gagnent les cœurs.
Si Le couloir du deuil d’Hassan Jarfi est un triple couloir tel que le relève le professeur Delruelle : de rêve, de peine et de tortures, il est certainement de même la scala-santa des âmes qui rachètent notre monde enlaidi par l’abjection humaine. L’esprit d'Ihsane Jarfi en a été, et il est heureux que sa mission sur terre soit prolongée par ceux qui le chérissent, ainsi que le fait à merveille son papa chéri avec sa fondation. Un humain meilleur s’édifie de la sorte, moins réduit à son humus que sublimé par ce qu’il a de spirituel.
Publié sur Contrepoints