Contrer la dérive des jeunes vers le terrorisme (1/2) : Comprendre leur imaginaire
Qu'est-ce qui fait glisser notre jeunesse d'une vie supposée normale à l'anomalie du terrorisme ? On a vu nombre de nos jeunes qui avaient en apparence une vie rangée basculer dans la violence. Quelle en serait la raison occulte dont on ne parle pas et qui plombe pourtant l’avenir de la jeune génération tunisienne ?
Synthétisant une question aussi complexe, n’ayant en vue que ce qui compte : l’imaginaire, cette structure anthropologique éminente si souvent négligée, on dira que si la bascule se fait vers une anomalie, c'est qu'elle est justement le prolongement logique d'une anomalie occulte ou occultée qu'on officialise ainsi en la revendiquant.
La loi du caché, voilé, affiché (CVA)
C'est un phénomène sociologique bien connu qui veut que toute réalité soit ternaire, se déclinant en trois dimensions, caché puis voilé ensuite dévoilé et affiché.
La situation d'extrême désespérance de nos jeunes, à l'exclusion de la jeunesse dorée, n'échappe à personne, avec sa misère sociale, politique et psychologique. Aucun de nos jeunes ne mène une vie normale lui permettant de s'épanouir, vivre sa vie.
Outre leurs droits politiques et sociaux spoliés, ils manquent même du droit au rêve, étant empêchés de circuler librement, en plus de cette nécessité refusée d'assumer leur être même en vivant spontanément leurs émotions, aimant, s'adonnant librement au sexe.
Le milieu de contrainte légale avec sa batterie de lois illégitimes, car liberticides, fait que notre peuple, et à sa tête la jeunesse, vit moins qu'il ne survit ; et on le fait en s'adonnant à ce que Duvignaud, plus tunisien que nombre de Tunisiens, appelait « jeu du je » : on joue à être autre chose que l'on est publiquement pour pouvoir l'être clandestinement en toute liberté mais en sûreté.
Un tel état reste un temps caché, mais ne peut l’être à demeure, car vient forcément le moment où l'on commence à ne plus le supporter et agir pour le contester. C'est le temps du dévoilement par des actions spontanées, romantiques le plus souvent, n'exprimant pas moins une détermination à assouvir une faim irrépressible d'être ce que l'on est vraiment, ce qu’on veut être et non plus ce que l'on doit être aux canons truqués de la société, imposés par ses lois scélérates.
Un tel passage du « devoir-être » — aussi bien politique qu'économique et moral — au « vouloir-être » ontologique finit par déboucher sur une période où la contestation est enfin affichée et revendiquée. On bascule alors allègrement dans les extrêmes puisqu'on n'a plus rien à perdre et que le refoulé, quand il effectue son fatal retour, est toujours terrible.
D'où le terrorisme, le rigorisme et les excès, ceux de Daech par exemple, puisque l'être déséquilibré psychologiquement le devient volontiers mentalement dans sa quête de sens qu'il ne voit plus que dans le non-sens.
La loi du milieu de contraintes (MC)
Aussi étonnant que cela peut le paraître, le terroriste n'est pas forcément un nihiliste, il le devient; au départ, il n'est pas un adepte du rigorisme, il s'y applique à force de n'avoir pu assouvir librement ses pulsions et vivre selon sa nature et ses passions.
Combien de nous jeunes n'ont-ils pas abandonné le rap ou le foot pour rallier Deach ? Peut-on croire un seul instant que s'ils avaient pu vivre normalement leur vie, aimer librement, voyager sans entraves pour voir du pays et exprimer spontanément leurs rêves et leurs envies, ils auraient répondu de la sorte à l'appel des sirènes intégristes ?
Les appels à la guerre et à la haine n'ont de chance d’avoir écho que lorsque le terrain est propice, préparé par une guerre larvée, une haine diffuse et un environnement de contraintes avec des lois qui briment le moindre élan de liberté, le plus légitime soit-il. Alors, la loi de l’imitation, paroxystique en milieu de contrainte, joue à plein
Notre arsenal juridique regorge de lois scélérates, celles qui servaient la dictature pour bien contrôler la société, émasculer sa jeunesse; et aussi surprenant que cela puisse le paraître, elles sont encore en vigueur, aucun gouvernement depuis le Coup du peuple n’ayant osé les abolir malgré les appels réitérés en ce sens.
Or, lutter contre le terrorisme commence par l'abolition de telles lois. Il ne suffit plus de réformer la loi 52 sur le cannabis, il faut carrément dépénaliser la consommation, toute consommation ! Il ne suffit plus de parler de protection de la vie privée, il faut abolir les lois maffieuses qui espionnent les gens dans leurs libertés personnelles et privatives en abolissant tous les textes illégitimes criminalisant les rapports homosexuels, les rapports hors mariages et la prostitution, par exemple.
De plus, il ne suffit pas de se réclamer du libéralisme en en faisant une lecture sauvage tout en étant restrictive pour de supposées raisons morales qui ne sont qu’immorales, car contraires à l’esprit d’une telle éthique affichée avec ostentation.
Ainsi, au nom du droit au libre commerce garanti par notre religion, il nous faut être réellement éthiques enfin en abrogeant toutes les restrictions au libre commerce et à la consommation des boissons alcoolisées, y compris le vendredi et durant le mois de ramadan. Il est à nos portes ; osera-t-on le geste moral qui en fera un mois de piété véritable, étant sans contraintes ?
Publié sur Al Huffington Post
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http://www.huffpostmaghreb.com/farhat-othman/contrer-la-derive-des-jeu_b_7246902.html
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