Faire une cause nationale de l’abolition de l’homophobie
Une proposition de loi abolissant l’article 230 du Code pénal* a été adressée récemment aux députés ainsi qu’aux hauts responsables du pays. Bien que communiquée aux médias, on n’en parle pas, taisant ce qui relève d’une démarche salutaire pour assainir la situation en une Tunisie en pleine confusion des valeurs.
En effet, l’article 230 est une manifestation éloquente de la législation scélérate de la dictature qu’on ne devait pas tarder à abolir et qu’on tergiverse encore à faire. Nos autorités les plus patriotes devraient donc accorder à cette proposition le plus grand intérêt.
Elles seraient même bien inspirées de déclarer cause nationale l’abolition de cet article qui est une survivance de la morale du protectorat tout autant que de la tradition judéo-chrétienne violant la lettre et l’esprit de l’islam ainsi défiguré.
Contrer l’homophobie, une cause nationale
Cause nationale, l'abolition de l'homophobie en Tunisie protégera sa religion contre les intégristes qui souhaitent en faire une ignominie à l'image de cet anté-islam daéchien. Elle permettra de distinguer le vrai musulman de ceux qui en usent pour préparer le terrain à l'entrée en Tunisie de Daech.
Contrer les sentiments homophobes doit être une priorité nationale, meilleur antidote contre l’exclusion et le refus d’autrui. Ce serait même la plus efficace des actions pour le vivre-ensemble démocratique.
C’est qu’on ne peut construire une démocratie si on continue à cultiver le rejet de l’autre différent dans ce qu’il a de plus imprescriptible des droits, celui d’une vie privée libre et libérée.
L’article 230 est un attentat légal contre les libertés. Il est la traduction du refus de la liberté d’être de son prochain, d’autant plus que l’homosensualité relève de la nature mise par Dieu dans certaines personnes. Respecter cette nature minoritaire ne changera rien à la nature majoritaire, puisqu’on ne propage pas une nature ; on la respecte ou on la renie.
Abolir l’homophobie aujourd’hui, c’est reconnaître ses droits à une catégorie de citoyens minoritaires qui n’ont pas moins le droit d’être traités égalitairement avec leurs concitoyens. C’est leur droit absolu, reconnu d’ailleurs par l’islam ; le leur refuser, c’est violer éhontément la religion.
L’article 230, reliquat du protectorat
Une telle cause doit être nationale, car on voit bien à quel point atteint l’irresponsabilité chez certains des leaders d’opinion, usant de faux et de désinformation pour manipuler les esprits, empêcher ce qui est inéluctable : la démocratisation de la Tunisie.
Et elle passe par le vivre-ensemble qui est l’acceptation du différent absolu qu’est l’homosensuel. C’est d’autant plus urgent que les démocrates se montrent timorés, n’osant même pas parler, s’alignant de fait sur les attitudes les plus rétrogrades.
L’article 230 est une manifestation flagrante de législation honnie, ne datant pas seulement du temps de la dictature, mais aussi du protectorat, le colonisateur ayant eu un article similaire hérité du temps de Vichy. Ainsi, la France n’a aboli qu’en 1982 l’homophobie que nous continuons à honorer bien qu’étrangère à nos moeurs et contraire à l’éthique islamique.
L’homophobie est de tradition judéo-chrétienne
La légitimité de l’homosensualité en islam a déjà été démontrée,** l’islam ne prohibant en rien cette pratique minoritaire des rapports entre gens de même sexe.***
Que ceux qui croient au mythe de l’homophobie de l’islam nous apportent donc une seule prescription du Coran ou un seul hadith de la Sunna authentique et authentifiée, celle de Boukhari ou de Mouselm interdisant l’homosensualité !
Il n’y a dans le Coran qu’un rappel en forme de récit de ce qui existait dans la Bible où l’interdit est explicite, que le Coran n’a pas repris. Ce sont les jurisconsultes influencés par leur imaginaire judéo-chrétien, étant non arabes — comme rappelé par Ibn Khaldoun — qui ont interprété ces récits dans le sens de l’interdiction.
Cette herméneutique a été valide pour un temps où l’homosensualité était unanimement réprouvée, la science n’ayant cessé de la considérer une maladie qu’en 1990. Elle ne l’est plus, sauf à se mettre au ban de la civilisation, versant dans la barbarie, puisqu’il est prouvé qu’elle relève de la nature.
Or, l’islam se voulant rationaliste et universaliste ne peut que tenir compte de ce qui est une vérité attestée dans les civilisations les plus avancées ne criminalisant plus l’homosensualité. En cela, l’islam des origines a été en avance sur son temps, une modernité avant la modernité, une rétromodernité.
Ceci n’est d’ailleurs pas nouveau puisque les soufis l’avaient bien dit depuis les débuts de l’islam qui, contrairement à ce qu’on colporte de fausseté, n’ont pas enregistré de répression avérée du sexe particulier. On ne commença d’en parler qu’au temps du calife Omar qui a juste ses manifestations malgré ce qu’on sait de sa sévérité.
Aujourd'hui, la réponse rationnelle et honnête à la question de savoir si l'islam interdit l'homosensualité est de procéder, si elle est positive, comme le font les pays se prétendant islamiques, en mettant à mort les intéressés. Si l'islam ne prohibe pas ce phénomène absolument naturel, alors il est une injustice flagrante d'emprisonner des innocents. Il nous faut donc être logiques et arrêter de défigurer notre belle religion, humaniste et oecuménique !
L’injustice faite aux homosensuels est même une forfaiture, se faisant au nom d’une foi tolérante. Abolir l’homophobie contribuera à démasquer les faux musulmans, ces daéchiens agissant à l’extinction des lumières de notre belle religion, en faisant une abomination !
Réformer le pays en agissant sur sa législation
L’abolition d’une homophobie symbolisant un arsenal juridique inique et un blocage des mentalités est la meilleure façon de faire bouger les choses. L’action sur la législation est plus efficace que sur des réalités ; elle est plus aisée et rapide que la modification des conditions socio-économiques échappant à la seule volonté nationale.
Cela autorisera le saut qualitatif répondant à l’aspiration populaire à plus de dignité, se traduisant par plus de droits et de libertés immédiats, ce que ne peut satisfaire une réalité économique et politique où l’argent demeure roi et les privilèges facteur de distinction.
Cause nationale, l’abolition de l’article 230 satisfera le droit légitime de citoyens injustement persécutés et facilitera, en agissant sur l’inconscient, le train de mesures salutaires devant suivre comme la décriminalisation de la consommation des drogues douces, la parfaite égalité successorale entre les sexes et la normalisation des relations avec Israël.
Il s’agit bien de quelques-unes parmi les plus évidentes inéluctabilités dans une Tunisie non seulement démocratique, mais aussi postmoderne.
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Publié sur Al Huffington Post