Mon
manifeste d'amour au peuple
(2/3)
Une
invitation au voyage au coeur de la Tunisianité :
J'ai
expliqué, dans la première partie de ce manifeste, les raisons de
mon choix d'engagement politique et les réserves à ce choix.
C'était à la fois une ambition et un défi. D'un côté, l'ambition
d'une politique où le religieux et le politique sont intimement
liés, comme c'est l'essence même de notre religion. De l'autre, le
défi d'incarner une pareille ambition au sein d'un parti qui,
combien même il a été fondé sur pareille ambition à l'origine,
s'est laissé engluer dans les méandres de la politique politicienne
tout en se faisant noyauter par le parti islamiste qui a bien su
préparer son arrivée au pouvoir.
Les
faits sont venus me donner raison; mais je garde intacte mon ambition
sur laquelle je m'étendrai plus en détail dans le troisième opus
de ce manifeste. Pareillement, je ne renie rien de mon défi initial,
le confirmant ici avec ma vision du fait politique dont sont bien
loin, hélas, ceux qui en ont la charge actuellement. Mais, n'est-ce
pas le propre du défi de viser une possibilité patente au-delà de
l'utopie, bien réelle outre ce qui nous semble la réalité ?
Je
vois le politique authentique doté d'une véritable empathie,
presque télépathique, étant donné qu'avec une pareille empathie,
un être collectif est en mesure de naître, cristallisant en ce
politique l'essence psychique du peuple, son génie propre, ainsi que
l'atteste sa geste remontant à la nuit des temps.
L'histoire
immémoriale de la Tunisie est celle d'un peuple paisible et
tolérant, dilettante même, et surtout jouissif et hédoniste dans
l'âme. Dans le même temps, poussé dans ses derniers ressorts,
privé de son espace vital qu'est un minimum vital de liberté, il
sait céder à ses démons, transformant sa capacité inouïe
d'adaptation à toute situation, en une identification parfaite au
mal pour finir par être colère, belliqueux et même vindicatif.
C'est cela le côté obscur du génie en lui qui s'exprime, ce double
démon aux racines arabes et berbères.
La
première face de ce démon est une force spirituelle qui rêve
d'espaces libres et d'une autonomie débridée du geste et de la
parole dans une originalité ontologique; y sacrifiant tout, y
compris jusqu'à se soumettre à qui sait vivre ce rêve pour lui,
incarnant en sa personne, et par substitution, le rêve
communautaire. C'est ce qui a donné la figure charismatique du chef
arabe.
La
seconde facette de cet être mythique est qu'il est réfractaire à
la moindre soumission, toujours en révolte, y compris contre
lui-même et contre les autres, en une sorte de Samson capable de
détruire et périr dans le même temps si ses valeurs sont bafouées,
et qui sont une vision sans limite aucune à sa liberté. Celle-ci
inclut ainsi l'anarchie si elle pouvait signifier l'absence
d'autorité, quitte à finir sans foi ni loi; la seule foi qui compte
en Tunisie étant la liberté. Le Berbère n'est-il pas par
définition, l'Amazigh, l'homme libre? Et l'Arabe, qu'est-ce qui le
définit sinon sa liberté en son désert aux étendues infinies?
Un
politique, un vrai, au Maghreb doit savoir tenir compte de ces
spécificités, en faire la synthèse dans sa propre personne, en y
épiphanisant la dimension en pointillé en son peuple, qui est la
parousie d'une sagesse qui serait cet équilibre psychologique
instable, car en déséquilibre, et ce en permanence. Mais il s'agit
de ce déséquilibre fait d'équilibres multiples, arrivant à force
de sérénité à faire du désordre apparent des ordres multiples,
et de l'anarchie ambiante, notamment dans les coeurs et les esprits,
un ordre protéiforme où tout n'est qu'ordre et beauté, luxe, calme
et volupté.
C'est
bien sûr une invitation au rêve, une Invitation au voyage à la
Baudelaire, que le politique doit savoir proposer continûment à son
peuple, vers cet endroit auquel il rêve secrètement et dont les
yeux de ses enfants brillent continûment sans pouvoir en parler,
mais tout en le faisant sentir à tous les instants de leur vie.
Écoutons
Baudelaire, il ne fait que parler à la Tunisenne et au Tunisien en
vrai politique maghrébin, ce politique postmoderne qu'attend
aujourd'hui la Tunisie pour fonder un nouveau pays, une Nouvelle
République :
«
Mon enfant, ma soeur,
Songe
à la douceur
D'aller
là-bas vivre ensemble !
Aimer
à loisir,
Aimer
et mourir
Au
pays qui te ressemble !
Les
soleils mouillés
De
ces ciels brouillés
Pour
mon esprit ont les charmes
Si
mystérieux
De
tes traîtres yeux,
Brillant
à travers leurs larmes.
Là,
tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe,
calme et volupté.
Des
meubles luisants,
Polis
par les ans,
Décoreraient
notre chambre ;
Les
plus rares fleurs
Mêlant
leurs odeurs
Aux
vagues senteurs de l'ambre,
Les
riches plafonds,
Les
miroirs profonds,
La
splendeur orientale,
Tout
y parlerait
À
l'âme en secret
Sa
douce langue natale.
Là,
tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe,
calme et volupté.
Vois
sur ces canaux
Dormir
ces vaisseaux
Dont
l'humeur est vagabonde ;
C'est
pour assouvir
Ton
moindre désir
Qu'ils
viennent du bout du monde.
-
Les soleils couchants
Revêtent
les champs,
Les
canaux, la ville entière,
D'hyacinthe
et d'or ;
Le
monde s'endort
Dans
une chaude lumière.
Là,
tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe,
calme et volupté. »
Après
avoir rappelé que ce poème que nous prenons à dessein pour
illustrer notre propos est inséré dans le recueil du poète
intitulé Les Fleurs du mal qui a été condamné par la justice de
l'époque pour immoralité,1
nous tenons à noter que sa force symbolique qui nous intéresse
particulièrement ici est qu'il fait vibrer toutes les harmonies
internes humaines.2
Il
nous servira donc à tracer, à grands traits, notre vision du
politique tel que nous en rêvons pour notre Tunisie Nouvelle
République, ce que je qualifie de politique postmoderne ou
i-slamique.
Il
s'agit d'un apôtre de la politique compréhensive ou encore
magnétique dont nous nous parlerons plus longuement dans la
troisième partie de ce laïus. Disons de suite qu'il est bien loin
de cet esprit de la Modernité défunte au cours de laquelle le
rationalisme le plus rigide servit de clef d'interprétation
universelle aux maux de la terre. Il est, en quelque sorte, adepte de
la psychologie des profondeurs de l'âme, ayant retenu de Jung cette
nécessaire attention que l'on doit porter à l'importance du mystère
et au sacré qui sont au cœur même de tout vivre-ensemble.
Le
politique, tel que je le vois, fait de sa vie une pure pensée
incarnée, en congruence avec l'époque postmoderne que nous vivons,
faite de cette alchimie entre la technologie et l'archaïsme, une
synergie des meilleures valeurs humaines quand on a pour priorité la
culture des sentiments. Il est, à la fois, défricheur et éclaireur,
son action se donnant pour ambition d'illuminer sous un jour nouveau
nombre de phénomènes contemporains traversés par les mythes,
enracinés dans des antiquités persistantes et redonnant force et
vigueur à ce qu'il faut bien nommer le réenchantement du monde.
Celui-ci
passe inévitablement par la reconnaissance du droit au sacré, la
réhabilitation des valeurs des Sud, sans rien renier de celles du
Nord les plus universalistes.
En
voici donc une somme mythodologique comme dirait Gilbert Durand,3 maître
incontesté de l'imaginaire, ayant reconnu en l'homo orientalis
l'excellence de l'homo religiosis, la renaissance de cet Orient des
Lumières que je résume en islam spirituel ou postmoderne, l'i-slam4
qui sera l'oeuvre de l'homo politicus tunisien tel que j'en parle
ici.
Rappelons
que par mythodologie, on entend la méthode et la fonction de nos
mythes, dimension essentielle et constitutive de l'humanité, car
toute raison, quelle qu'elle soit, ne s'élabore jamais qu'à partir
du mythe et de son terreau fertile.
Si
le voyage auquel le poète invite sa bien-aimée n’est qu’une
promesse de voyage s’épanouissant dans le rêve, l'invitation du
politique au voyage de son bien-aimé, le peuple de Tunisie, est une
obligation de voyage s'épiphanisant en réalité dans sa
manifestation d'utopie. Dans les deux cas, l'amour dont il s'agit est
intense et est fusionnel, plus mystique que sensuel.
Il
s'agit d'une invitation à l'obligation de se rendre dans un lieu
privilégié, un lieu idéal qui soit l'antidote efficace contre le
spleen du quotidien du peuple. Si Baudelaire a pour vision un pays
précis,5
notre politique à nous est bercé par les paroles de l'artiste
arabe, d'origine druze, Farid Latrach, et son tapis magique, et par
les mythes des Mille et une Nuits. Mais, son tapis ne survole pas que
des pays arabes, il va partout, car il milite pour une liberté de
circulation pour son peuple comme acquis majeur de sa Révolution
dont la senteur a acquis le droit de se diffuser partout dans le
monde sans la moindre entrave.
Pour
Badelaire, le pays de ses rêves est en quelque sorte l'Orient de
l'Occident; pour notre politique i-slamqiue, il s'agit d'ouvrir cet
Occident de l'Orient qu'est la Tunisie à l'Occident tout court en
réconciliant l'Occident avec ses origines orientales. Dans les deux
cas, on a affaire à un nouvel « embarquement pour Cythère »,
contrant de front la sacro-sainte règle politique actuelle
consistant à emparquer les humains tout en agissant pour libérer la
circulation des marchandises.
Il
s'agit donc d'un embarquement pour l'île-monde, où l'on peut
circuler librement avec qui l'on aime — quel qu'il soit, homme ou
femme, semblable ou dissemblable — en toute liberté, non pas pour
fuir les dures réalités ordinaires, mais pour les gérer au mieux,
en adoucir les contraintes, éviter qu'elles ne dévient vers
l'irréparable fait de haine et de cruel rejet de l'autre, ce
prochain qui n'est qu'une autre facette de soi-même.
Comme
le beau poème de Baudelaire, notre politique sait être lyrique et
séduisant, ne trompant nullement, toutefois, par la douceur
mélodieuse de son propos qui est tout sincérité de par l’intensité
de ses émotions et la richesse des images et résonances symboliques
de sa déclaration amoureuse, un amour infini, un amour de tout
instant où ne compte que le peuple. Dans sa bouche, on a alors
l'écho intemporel de Farhat Hached : Ô peuple, que je t'aime !
C'est
que notre politique postmoderne pratique une langue déboisée,
invitant à passer de cette fin de l'ordre ancien à une faim d'un
ordre nouveau, moins matériel et plus spirituel, où l'on est plus
gourmet que gourmand des valeurs que l'on sert et où l'on communie
non pas dans une fausse croyance musulmane, mais dans la foi
islamique véritable. C'est que la première relève facilement de la
mystification alors que la seconde ne peut que se révéler
scientifique.
Tout
cela vient du fait qu'il est un homme libre et libéré, non
seulement des phantasmes et névroses qui causent la perte de l'âme
orientale actuellement, mais aussi et surtout du poids des interdits
institutionnels et des impératifs d'une carrière, qui ruinent la
destinée du vrai politique, le faisant se servir du peuple au lieu
de le servir.
Le
mot d'ordre du politique que nous appelons de nos voeux est donc de
déboiser notre langue pour être un juste, juste de voix et de voie,
et de purifier notre pratique politique, au sens de ligne de conduite
et de pensée en notre cité.
Ce
politique, dont c'est l'ère en cet âge postmoderne des foules, dit
à la classe politique tunisienne : Arrêtons de voir la religion
comme la Modernité défunte l'a fait, contribuant à désenchanter
le monde ! Réenchantons-le en revenant à une religion apaisée qui
est, dans le même temps, une foi spirituelle et un code de vie
civile, respectueuse de tous, car ramenée à son esprit sublime,
éternel, et non à sa lettre, par définition évolutive, soumise à
la condition humaine, par essence imparfaite.
Il
invitera, qu'on le veuille ou non — car c'est la seule voie
praticable en notre pays, la Tunisie éternelle — à une approche
renouvelée de l'islam, cette révolution permanente et qui est bien
moins cultuelle, sinon dans la pratique personnelle, et plutôt
culturelle, incarnant sa vraie nature rationaliste et universaliste
de sceau spirituel des croyances, l'i-slam postmoderne.
Une
invitation amoureuse, esthétique et poétique :
Grâce
à la magie enchanteresse des vers, le poème de Baudelaire est à la
fois une invitation amoureuse, une contemplation esthétique et une
méditation poétique et qui unifie les tentatives de recherche du
bonheur. Dans la « sorcellerie évocatoire » des vers, on en arrive
même à vivre la promesse future au présent.
Baudelaire
le spécifie d'ailleurs clairement dans Curiosités esthétiques,
l’Art romantique : « Manier savamment une langue, c’est
pratiquer une espèce de sorcellerie évocatoire. C’est alors que
la couleur parle, comme une voix profonde et vibrante, que les
monuments se dressent et font saillie sur l’espace profond ; que
les animaux et les plantes, représentants du laid et du mal,
articulent leur grimace non équivoque, que le parfum provoque la
pensée et le souvenir correspondants ; que la passion murmure ou
rugit son langage éternellement semblable. »
Pareillement,
l'invitation du politique à son peuple est une invitation amoureuse,
pour cet amour dont les masses de ce peuple débordent mais qu'elles
ne savent plus ni vivre ni faire, car ne l'attendant plus, risquant
le pire à s'y adonner. C'est de l'amour comme thérapie qu'il s'agit
et que je qualifie de bécothérapie dans mon essai sur l'Alzheimer,6
le proposant même pour seul remède magique afin de gérer le
vieillissement cérébral problématique auquel se réduit
l'Alzheimer. Or, notre pays, comme nombre d'autres, souffre d'un
Alzheimer politique, et il a donc besoin plus que jamais d'amour, de
tendresse et de bécothérapie tout bonnement !7
Mais
l'amour de notre politicien est aussi une invocation, car il se
ressource dans l'amour divin; c'est donc une prière permanente qui
ne manifeste que de l'adoration vraie, une tendresse infinie pour
l'être aimé. Et cet amour, qu'il soit divin ou humain, est mêlé
de respect, de douceur et de complicité dans une égalité (y
compris avec l'Unique, et c'est l'amour soufi) et qui n'est que la
véritable adoration.
C'est
bien d'amour mystique donc que palpite le coeur du politique pour son
peuple; il a une coloration aux inspirations du meilleur des
sentiments humains, cette science du coeur, une connotation d'amour
spirituel. En un mot, il est magnétique.8
Comme
Baudelaire invitant son aimée au songe à la magie onirique, le
politique nouveau en Tunisie, s'il doit user d'impératif pour
s'adresser au peuple, il le fait à la manière de Racine pour une
réminiscence a la magie incantatoire comme celle d'Andromaque
invoquant la force de ses sentiments par l'anaphore « songe » dans
la scène 8, acte 3 de la pièce éponyme de Racine :
«
Songe, songe, Céphise, à cette nuit cruelle
Qui
fut pour tout un peuple une nuit éternelle. »
C'est
que tout événement grandiose est épique, modifiant et façonnant
l’histoire d’une nation, comme le fut le Coup du peuple qui est,
chez Racine, la prise de Troie par les Grecs; et son rappel, par le
procédé de l’hypotypose est fort utile. En l'occurrence, le
politique y aura recours, autant en rappel à des valeurs, que par
mise ne garde de leur oubli; c'est moins une plainte assourdie qu'une
incantation mélodieuse, les substantifs abstraits élargissant le
spectacle : nuit cruelle, rime avec nuit éternelle, qui réveille le
souvenir dans la mémoire, la chute de Troie, dans un cas, la chute
d'une dictature dans l'autre. Mais cette nuit si elle est cruelle et
éternelle, c'est de cette cruauté qui se résout en une souffrance
morale, la souffrance de l'attente que les acquis de la Révolution
soient enfin réalisés concrètement, ne relevant plus de
l'incantation.
Cet
appel au songe est un antidote à l'insomnie dont souffre le peuple
pour l'empêcher de rêver.9
Or, le politique vrai doit pouvoir lui permettre de le faire en
l'encourageant à rêver; mais de ce rêve qui est à la base de
toutes les créations grandioses. Aussi, si la destination du songe
chez le poète est du domaine du songe, ce « là-bas » tranchant
avec un ici aux durs contours, la contrée que le politique destine à
son peuple, ce pays qui lui ressemble, est aux dimensions du monde,
car la Tunisie, ouverte sur l'univers, doit pouvoir y faire circuler
librement ses ressortissants comme elle reçoit librement le monde
sur sa terre si accueillante.
L'invitation
au voyage concerne moins un lieu qu'un état, cet état de complicité
magnétique et d'amour fusionnel. La Tunisie doit être le lieu qui
fait lien (et je rappelle que c'est une des étymologies du terme
religion);10
sa socialité postmoderne doit être celle d'un « vivre ensemble »
paisible où s'épanouissent l'amitié et l'amour, l'amour entre tous
les sexes, y compris entre les mêmes sexes, et pouvant bien alors
n'être que chaste, tel l'amour fameux entre Montaigne et La Boétie.
C'est
donc d'un là-bas qui peut être à l'image de l'au-delà musulman,
fait de sentiments sans limitations, y compris de la part de pieux
musulmans pour de jeunes éphèbes,11
cet amour homosensuel tant décrié par erreur par nos religieux,
défendant une pure vue judéo-chrétienne étrangère à l'islam qui
n'interdit pas, dans ses textes de base, l'homosensualité selon le
terme que je propose en lieu et place pour celui dépassé
d'homosexualité.12
Il
s'agit donc d'une sorte d'in-delà, un au-delà vécu au jour le jour
et qui n'est que l'islam vrai, mon i-slam dont la caractéristique
majeure est d'être une spiritualité de grand format, un courant
cosmique immanent.
C'est
d'ailleurs ce que le peuple dans sa sagesse éternelle a compris,
faisant de la morale une éthique, et de celle-ci une esthétique.13
On le voit d'ailleurs à tous les coins de nos villes arabes, il est
un idéal de vie urbaine qui court les rues, un mode de vie citadin
ou villageois qui est à la fois sensuel et raffiné.
C'est
de la sorte que le peuple s'élève au-dessus de sa condition humble,
lévitant grâce aux valeurs ancrées en lui, cette lumière qui luit
au fin fond de sa personne,14 lui permettant de se maintenir en apesanteur dans un monde qu'il
transfigure à sa manière, grâce au fond mystique si vivace en
lui. C'est donc le rôle du politique de prolonger cette oeuvre en
aidant à la transfiguration, à son tour, du fait politique.
Malgré
cette capacité à léviter, une extase quasi soufie, le peuple
tunisien donne l'impression (mais ce n'est qu'une impression) d'être
parfois en léthargie, sa vie se réduisant à de la torpeur, tout y
paraissant être fait de lenteur, recouvert d'un voile, dans un
silence que les plus perspicaces devinent assourdissant.
Effectivement, il n'en est rien, juste une sorte de retraite
religieuse, cette aura spirituelle déconnectée d'un monde qu'on
rêve pacifié, paisible et surtout ouvert et amène.
Le
Tunisien, rêvant d'un lieu idéal faisant lien, ne pouvant compter
sur ses représentants politiques pour le lui offrir, crée de toutes
pièces le sien propre, un lieu idéal, même s'il n'est pas réel.
La réalité chez lui est donc réformée (quitte à être déformée)
par le rêve, embellie et refondue dans l'attente que pareille
préfiguration soit rendue tangible par le politique qui, s'inspirant
de cette réalité en pointillé, la réalise et la recompose au
concret selon le désir de son peuple esthète.
On
a bien affaire à un politique qui sait être philosophe, agissant en
vue d'offrir à son peuple la cité idéale tant quêtée, un lieu de
perfection néoplatonicien, sublimant le monde sensible, lui donnant
tout son sens esthétique. Le peuple, par la magie de l'amour que lui
porte son serviteur, le politique, devient alors une sorte de lieu
d’élection, un état de bien-être psychologique dans un monde de
la politique devenu enchanteur et qui comble l’âme encore plus que
cette sensualité qui traverse le peuple de bout en bout. Pareille
expérience spiritualiste ne peut que transcender le sentiment
amoureux dans sa simple déclinaison charnelle, le sublimant en Idéal
vécu.
Il
s'agit en quelque sorte d'une recherche ésotérique de l'autre,
notre miroir, cette quête soufie que le peuple connaît parfaitement
bien, même s'il ne la pratique plus qu'instinctivement, à la
dérobée, presque quasi instinctivement. En cela, comme le demandait
Baudelaire, le peuple ne cesse de mander en silence à l'entité qui
est censée le représenter : « Ne serais-tu pas encadrée dans ton
analogie, et ne pourrais-tu pas te mirer, pour parler comme les
mystiques, dans ta propre correspondance ? ».15
C'est
qu'il y a, de sa part, une recherche de transsubstantiation, le
politique devenant une image de l’âme du peuple qu’il faut
protéger contre les grossièretés de la réalité, les avanies des
menées de politicaillerie. Il s'agit de ce processus de
correspondances où joue à plein une expérience de synesthésies :
vue, toucher et olfaction se combinant pour aller au-delà des
apparences, pénétrer dans « Les miroirs profonds », l'élan du
coeur étant le plus de subtilité possible pour se mouvoir dans un
monde des sensations, aussi sensuel et magique que l'univers des
Mille et une Nuits, débordant de murmures poétiques, de voix
intérieures de la vie antérieure rappelant un âge d'or ressuscité.
Lorsque
l’âme du politique poète et du poète politique se confond avec
son amour qu'est le peuple, il lui arrive de le détacher de sa
condition humble, sa réalité mesquine et décevante, pour le
propulser dans une sorte d’apesanteur qui le conduit à planer sans
effort au-dessus du monde, comme un peuple modèle traçant sa voie à
un monde en pleine perdition de ses valeurs. Dans la version en prose
du poème, Baudelaire écrit : «Des rêves ! toujours des rêves !
et plus l’âme est ambitieuse et délicate, plus les rêves
l’éloignent du possible. Chaque homme porte en lui sa dose d’opium
naturel, incessamment sécrétée et renouvelée ».16
Mais si le poète est arrivé à cet état en usant et abusant de
pavot somnifère, notamment pour soulager les douleurs causées par
sa syphilis, le politique postmoderne n'usera lui d'aucune drogue,
sinon de la culture des sentiments comme antidote à la salaphylis
intégriste et la syphiliscientiste, toutes deux aux effets pervers
certains et ravageurs en Tunisie.
La
lévitation obtenue sera en mesure d'entraîner le peuple dans des
périples qui l’affranchissent du temps et de l’espace,
satisfaisant souverainement son humeur vagabonde, ce vagabondage
initiatique, à l'image du nomadisme, marque majeure de la
postmodernité. Pareil vagabondage est plus qu’une promesse de
bonheur, une invitation à rêver, un embarquement pour une
imaginaire Cythère; c'est surtout et avant tout l'assomption d'une
identité faite d'une humeur buissonnière, cultivant le commerce en
ses multiples sens, notamment de cicumnavigation.
Pareil
vagabondage est essentiellement initiatique, un nomadisme renouant
avec les origines tout autant qu'une circulation reliant le virtuel
au réel, aboutissant à dilater l’espace et le temps, finissant
par affranchir l’être de sa finitude. Le peuple aimé, incarné
par son politique servant, finit alors par se muer en une contrée
qui a la prétention d'être l’âme d'un monde en crise, celle qui
le rappelle à ses valeurs et les lui rend. Les lieux clos s’ouvrent
ainsi sur l’infini comme les coeurs aux sentiments. L’œil du
peuple aimé, couvé par le regard du politique, son serviteur, prend
ainsi la profondeur du ciel et son pays s’élargit muant, par la
magie de la vraie politique, de la réserve qu'il est en centre du
monde où l'Occident, le Maghreb oriental, devient incontestablement
l’Orient et l'Orient Occident dans la féerie du temps spiralesque
et de l'espace boustrophédon.
Dans
son art politique dont il veille particulièrement à ce qu'il ait
aussi l'empreinte de l'art poétique, le politique compréhensif,
tout comme dans la supplique poétique, doit savoir fasciner pour
inviter le peuple à le suivre. En cela, il agira comme l’artiste
Baudelaire recourant à une musicalité envoûtante fondée sur des
vers impairs, mettant à exécution le conseil de Verlaine
conseillant dans « Art poétique » :
«
De la musique avant toute chose,
Et
pour cela préfère l’Impair,
Plus
vague et plus soluble dans l’air,
Sans
rien en lui qui pèse ou qui pose. »
Le
politique dont rêve la Tunisie n'usera nullement, comme de bien
entendu, de langue de bois, sa seule langue étant poétique, celle
de la poésie du coeur; ainsi, si elle doit parfois verser dans
l'erreur, commettre l'impair — n'échappant pas au sort des oeuvres
humaines, jamais parfaites —, cela ne serait jamais de sa part
qu'une errance initiatique, l'impair étant davantage poétique,
mettant ainsi en pratique le conseil ci-dessus de Verlaine en étant,
en pleine politique, vers l'impair poétique orienté. Quelle
musicalité pourrait-on alors entendre dans sa bouche avec en choeur
les rêves les plus vrais du peuple donnant au quotidien une
insoupçonnable réalité !
Si
Baudelaire poursuit, dans son art, la quête de l’unité obtenue
notamment par l’alliance des contraires, atteindre à l’Idéal
pur, notre politique courageux ne fera pas que tenir compte d'un réel
figé, momifié, mais agira surtout pour en épiphaniser la
substantifique moelle en réussissant la réconciliation du corps et
de l’esprit, de la sensualité et de l’adoration, du désir et de
la contemplation. C’est pourquoi sa démarche prendra forcément un
accent religieux, mais moins en termes de culte que de culture. C'est
que, tel que l’amour poétique, l'amour du peuple ne peut être que
mystique !
Voilà
ce que pourrait être le politique de demain dont la figure rôde
aujourd'hui en Tunisie, encore invisible certes, mais bien évidente
aux yeux des Tunisiens, jeunes et vieux, et dans leurs rêves les
plus fous. Un roi clandestin ou secret à la manière de nos contes
ancestraux ou de cette figure rendue célèbre par le sociologie
Georg Simmel.17
Le
Coup du peuple a réussi une bascule d'un temps de folie (au sens
vieux de riche réserve de plaisance aux plus nantis) à un temps de
folies, celui qui fait les légendes. Certes, il est encore au
dérèglement et aux troubles du comportement faute de parousie du
messie politique annoncé par la Révolution. Mais pareil figement du
temps n'est pas durable; il est une entrée dans l’éternité, il
ouvre grandes ouvertes les portes au-delà de l'utopie là où
l'invisible est visible, l'irréel est bien réel, car l'imaginaire
populaire a une structure anthropologique bien évidente et dont la
matérialisation est en cours sous les traits d'un islam réenchanté,
un i-slam.
Tel
ce poème de Baudelaire destiné à enchanter les angoisses du
spleen, le poète reprenant la magie des berceuses de son enfance
conjurant les frayeurs nocturnes, le politique que tout un peuple
attend sera cet amant qui sait materner. D'un œil plein d'amour
maternel, grâce à un grand cœur où ne pousse jamais qu'amour et
compréhension, il saura couver le peuple qui grandira alors, libéré
par son Coup d'une minorité infantilisante.
Son
serviteur veillera à garantir la dignité populaire retrouvée et à
consolider sa majorité encore fragile tout en protégeant son
attachement aux trésors de son enfance naguère chantés par son
poète préféré, réalisant l’unité primordiale
néoplatonicienne, le paradis perdu de l'âge d'or islamique et le «
vert paradis des amours enfantines » réunis en une seule quête
dans ce monde postmoderne enfin réenchanté.
Les
fleurs du mal seront alors ces fleurs de l'immense bien, et le peuple
rechantera son enfance retrouvée, une enfance nouvelle de la
politique et de l'âme retrouvée de sa religion, un nouvel âge,
sinon pour l'humanité entière, du moins pour la Tunisie dont on
célébrera alors indéfiniment l'hymne au temps de l'amour :
عذبة
أنت كالطفولة، كالأحلام....
كاللحن،
كالصباح الجديد
كالسماء
الضحوك، كالليلة القمراء...
كالورد،
كابتسام الوليد
Et
si, ressemblant à une véritable berceuse, le poème de Baudelaire
s'achève par le sommeil, le poème d'amour du politique i-slamique
s'achèvera lui sur l'éveil de tous les sens à un véritable rêve
éveillé, ce miracle de l'utopie réalisée. Car il n'aura été
qu'un parcours initiatique dans l’univers poétique quintessencié
de l’Idéal, un prolongement serein de réel, un instant de grâce,
un instant éternel, seule durée qui compte où le spleen quotidien
est sublimé en béatitude.
Pour
Baudelaire, comme pour le politique qu'attend la Tunisie, les plus
beaux voyages sont ceux que l’on imagine idéalement loin des
contingences et des lourdeurs du réel. Il permet la recherche d’un
art de vivre raffiné qui doit nourrir la satisfaction des sens et la
contemplation esthétique. La rêverie éveillée rejoint donc le
rêve par le biais de la plénitude affective dans l’amour
fusionnel et la contemplation partagée du beau s'offrant à tous.
Faut-il,
pour que tout cela relève enfin du possible, qu'on arrête avec
l'opéra-bouffe du politique actuellement à l'honneur pour commencer
à distinguer la possibilité qui est, selon Heidegger, au-dessus de
la réalité; et j'ajouterais même qu'elle est en dessous de cette
réalité, en une centralité souterraine affleurant enfin à la
surface ! Faut-il s'atteler sérieusement à la rénovation de notre
mentalité, notre révolution sur soi !
Une
mentalité rénovée, une raison sensible et un imaginaire réhabilité
:
À
paradigme nouveau, concepts renouvelés. L'ère postmoderne dont nous
relevons impose une transfiguration de nos catégories de pensée.
Car nous continuons de relever d'un monde révolu, celui de la
Modernité occidentale, pour les uns, et de la gloire passée de
l'islam, pour les autres.
Or,
au-delà de l'anachronisme évident, les deux tendances qui
s'affrontent en notre pays ont raison dans les prémisses de leur
raisonnement, mais elles ont absolument tort dans leur conclusion.
Pour
les modernistes, nous disons que s'il n'est nullement question de
rejeter les acquis de la Modernité, il faut reconnaître qu'elle
n'est plus. Pour les traditionalistes, nous soutenons que si l'islam
fut incontestablement une modernité par anticipation (que je
qualifie de rétromodernité), il ne l'est plus.
Comment
être désormais d'aujourd'hui, ce qui est le sens du fait d'être
moderne en notre vie profane et religieuse? En étant tout simplement
postmoderne !
Il
nous faut donc des politiciens qui aient le courage de se déclarer
être des rêveurs en politique, et comme le nerf de la politique en
terre arabe musulmane est la religion, qui osent donc rêver d'un
islam renouvelé, un islam postmoderne, un i-slam.
Le
politique de nouvelle génération osera dire à tous ceux qui se
réclament d'un retour à la tradition, slogan qui est dans l'air du
temps, y compris sous les oripeaux d'une pensée se voulant
irréprochable en termes de pluralisme politique : Vous voulez bien
d'un islam de progrès : mais un progrès indéfini, mais le progrès
circonscris, mais le progrès émasculé, voilà le mensonge, voilà
l'illusion : In causa venenum! Comme le disaient les Latins, le venin
du scorpion est dans sa queue, le poison de pareille politique est
dans ses conséquences divisant la société au lieu de la réunifier
autour d'un i-slam des Lumières.
Et,
pour les rêveurs d'un retour au passé que nous retrouvons même
dans les rangs des partis se déclarant attachés aux valeurs de
l'Homme qu'ils caricaturent singulièrement dans un moderne lit de
Procuste idéologique, il rappellera l'adage ancien : « Fugit
irreparable tempus »
Le temps s'enfuit, perdu pour toujours.18
Une
autre différence entre la classe politique ayant exercé le pouvoir
et celle qui l'exerce depuis peu réside dans le fait que la
première, ayant l'expérience, croit avoir quelque raison de le
revendiquer. Or, si elle a psychologiquement raison, elle a
politiquement tort puisqu'elle doit laisser la place aux autres.
Ceux-ci ont bien besoin d'expérience politique pour s'aguerrir. Et
s'ils ont psychologiquement raison de s'accrocher à ce qui peut
maximiser leurs chances de maîtrise des arcanes du pouvoir, ils ont
aussi le tort de ne pas savoir utiliser les bons moyens pour
neutraliser les critiques pointant leur amateurisme. C'est qu'ils
pratiquent aussi une politique procustéenne, ayant une idéologie
préconçue qu'ils cherchent à imposer au peuple devant être réduit
de force au gabarit de leur pensée figée, ce lit politique précité
de Procuste.
Une
politique efficace aujourd'hui en Tunisie ne peut qu'être axée sur
une pensée utile au pays, sachant se faire rebelle après la
nécessaire descente au charbon. Car le politicien utile à son
peuple ne doit jamais dédaigner fréquenter charbonnier et bougnat,
car c'est de leur compagnie, au fait de leur misère, qu'il pourra
revenir avec une vision de la vie concrète, en faire un savoir.
C'est ce savoir certain, même s'il peut être minime en apparence,
qui lui permettra, en fréquentant les parfumeurs des hautes sphères
publiques, la fragrance unique que leur nez ne saura jamais trouver.
La
fréquentation de la supposée lie de la terre doit même lui être
préférable à celle des dits seigneurs de la jet-set, et qui ne
sont souvent que des saigneurs, assoiffés de pouvoir pour se servir
au nom d'une lutte ancienne avérée, mais qui devient une fin en
soi, et donc une faim aussi ignoble que celles des maffias toujours à
la recherche d'un intérêt propre, jamais celui du plus grand
nombre, celui du peuple dont on n'hésitera pas à entretenir la
misère s'il le fallait.
C'est
par ce contact qu'il pourra vérifier sa fibre magnétique et la
nécessaire empathie avec les plus humbles qu'il doit veiller à
entretenir et à améliorer; car son rôle n'est que de servir ces
masses, se sacrifier pour leur bonheur.
Il
est une grande loi qui gouverne le monde mental qu'on appelle
télépathie et qui est au psychisme ce que la gravitation est aux
corps matériels. Notre politique véritablement en congruence avec
les masses ne saurait que l'avoir, assurant ainsi la connexion
virtuelle des consciences, pour peu que cette connexion est voulue et
donc pensée. C'est ce qui définit désormais une politique
populaire qui réussit, cette pensée orientée exclusivement vers le
peuple, scrutant intensivement sa conscience profonde, lisant en son
imaginaire.
Pour
cela, il suffit de veiller à être la parfaite émanation du peuple.
Ainsi, le caractère essentiel de la politique devient-il
l'accroissement de l'action du politicien sur la psychologie même de
la société dont la volonté se trouvera alors augmentée en même
temps qu'élevé son niveau moral. De la sorte, le politicien
arrivera bien à ouvrir les portes de cet au-delà qui se trouve en
chaque être humain, une lumière qui est en nous.19
Pour
utiliser un raccourci, il ne s'agit de rien de moins que d'une sorte
de chiasme, cette figure de rhétorique où des termes s'opposant
forment les deux segments inverses d'une phrase : le politique
postmoderne est l'émanation de son peuple, de ce qu'il a de plus
authentique; dans le même temps, et de la classe politique, il est
le déni, de ce qu'elle a de plus faux.
Politique
magnétique, il est doté d'une raison sensible20
qui ne vise pas à trouver des explications causales aux choses de la
politique, mais s'attache plutôt à saisir le sens de l'activité
politique et du phénomène social. Pour cela, il a recours à une
communication subliminale cultivant le sentiment vrai dans une
science du coeur, n'ayant rien à voir avec la langue de bois tant
prisée par les politiques antiques; ainsi finit-il par produire des
correspondances croisées dans les différentes strates de pensée du
peuple. Accédant à son âme profonde, il arrive alors à une sorte
de pouvoir alchimique de métaphorisation et de cristallisation de ce
qu'il y a d'essentiel dans le peuple. Or, cela ne s'accomplit qu'en
synergie entre le conscient et l'inconscient de la société,
l'apport magnétique du politicien postmoderne étant de réussir à
formater la pensée préverbale, finir par livrer le message public
articulé.
Autrement
dit, on finit par avoir affaire à un type de médiumnité politique
où la conscience n'abdique ni ne s'altère, mais fonctionne à un
niveau insoupçonné; en somme, une unité dans la multiplicité, une
forme nouvelle de pratique empathique étrangère aux catégories
habituelles du langage et de la pensée occidentale et qui est
pourtant habituelle en notre langue arabe dans sa richesse
insoupçonnable et insoupçonnée.
En
cette matière de somnambulisme politique, étant donné la subtilité
du rapport magnétique, la règle d'or doit alors être le célèbre
axiome de Bacon appliqué au peuple : Natura
nisi parendo Vincitur qui
donne en remplaçant « nature » par « peuple » : On ne s'impose
au peuple qu'en lui obéissant.
C'est
en écoutant donc avec humilité le peuple, comme on doit écouter
la nature, que l'on découvre ses motivations les plus secrètes, les
moins connues, s'agissant du peuple, et les secrets les plus
merveilleux, s'agissant de la nature. En cela, le politique peut
volontiers citer Leibniz reprenant à une vieille tradition
allemande, contre Descartes, l'idée d'une harmonie universelle,
achevée, non mécanique, la formulant ainsi : « La nature est faite
pour nous et nous sommes faits pour la nature... La nature, c'est
encore nous » . Il pourra dire la même chose, substituant le peuple
à la nature, à la condition de faire du nous un serviteur de ce
même peuple, jamais un motif de majesté, l'identification étant
celle de la symbiose, de l'homéostasie.
Ainsi,
il est bien question d'une révolution mentale à laquelle le
politique doit s'atteler. Et dans son travail continu sur lui-même,
il se doit toujours penser à ce que dit Jung : « On ne possède
rien tant qu'on n'en a pas fait l'expérience».21
Cela signifie que tout est dans cette qualité affective sur laquelle
on n'a pas cessé d'insister, cette tonalité des sentiments. Jung,
d'ailleurs, ajoute que c'est par l'« affect » que l'on se trouve
impliqué et que l'on parvient à ressentir tout le poids de la
réalité.
Le
processus d'intellection de la nature politique, de même que le
bonheur que l'homme éprouve à comprendre, c'est-à-dire à prendre
conscience d'une nouvelle connaissance, repose donc sur une
correspondance, une coïncidence entre les images intérieures qui
préexistent dans la psyché humaine avec des objets extérieurs et
leur comportement tel que le peuple peut en donner l'exemple.
Nous
avons ici une conception de la connaissance de la nature politique
qui en fait une empathie avec l'assise populaire, celle-là même qui
stipule l'existence d'idées préexistant dans l'esprit de Dieu et
qui furent créés dans l'âme, image de Dieu, en même temps
qu'elle. Il s'agit d'images archétypales, primordiales que l'âme du
politique en harmonie avec son peuple perçoit grâce à son instinct
inné qui n'est qu'une identification avec l'âme propre de ce
peuple, son inconscient collectif tel que le rend son imaginaire.
Car
ces images ne sont rien d'autre que les « idées originelles ou
archétypes fonctionnant comme des instincts de représentation »
dont C.G. Jung a fait un concept incontournable de la psychologie
moderne. Et nous retrouvons ainsi la pensée de Jung22
qui a développé une thématique de l'inconscient que l'on doit
connaître ou redécouvrir, où les mythes et la spiritualité
tiennent une place de choix.
De
fait, c'est avec le recours aux gnostiques, alchimistes et à la
philosophie orientale, à l'origine de sa rupture avec Freud, que
Jung a fait de la crise issue de cela le tremplin pour le succès de
la riche pensée que l'on sait.
Partant
de ces prémisses, j'ai proposé, à la manière de la sociologie
moderne, de faire de l'action politicienne actuelle une politique
compréhensive. Et j'ajouterai aujourd'hui que, tout comme avec la
connaissance de la psyché on a eu Freud avant de passer à la
psychologie analytique, cette politique compréhensive sera une
action politique analytique comme en psychologie. Une telle pratique
se construit en travaillant d'abord sur soi-même pour ensuite
organiser sa méthode politique pareillement à la méthode
thérapeutique, en fonction de ses besoins propres et qui ne seront
alors que l'interprétation de ceux des plus larges couches de la
société à laquelle on appartient et la prise en compte de ses
exigences grâce à une totale empathie loin des considérations
classiques de la politique telle qu'on la pratique.
Celle-ci
est ainsi ce qu'est le théâtre de rue au théâtre de la Comédie
Française. mais comme on fait oeuvre scientifique, il est nécessaire
de rechercher systématiquement les fondements historiques qui
préfigurent ses expériences intérieures et les incarnent. Ainsi
peut-on tenir le fil d'Ariane de cette histoire muette de notre
culture qui borde de son ombre la civilisation humaine, ayant été
le sous-sol de l'architecture de la Modernité. C'est une absence
très présente, un mutisme ô combien parlant, une présence de tout
instant.
L'explorateur
de notre propre imaginaire fait le lien avec l'expression culturelle
se donnant à voir sous forme de mythes, images et symboles communs,
religieux et profanes. Le politique analytique aujourd'hui est celui
qui, par la médiation de la sagesse populaire ouverte aux pratiques
diverses, y compris celles jugées irrationnelles, devient
compréhensif et peut atteindre à cet arrière-plan de la politique
véritablement représentative, car en prise directe avec le fonds
symbolique ayant valeur d'inconscient collectif de tout individu dans
la communauté nationale.
Il
s'agit d'un inconscient originaire qui est la face cachée de la
conscience, et l'acte politique éminent vraiment utile est de
dissocier la conscience de cet inconscient pour lui donner toute son
autonomie dans un processus que Jung qualifie d'individuation. Il
s'agit d'un parcours au long duquel l'on entre en dialogue avec ses
images intérieures pour finir par les intégrer en réconciliant les
forces antagonistes qui en sont la base. C'est une expérience intime
nécessaire; car pour paraphraser Jung, je dirais que le passé d'un
peuple eût-il été d'un seul coup effacé par une génération, son
fond structurel de mythologie et de religion ressurgit tout entier à
la génération suivante, car c'est dans l'âme populaire, son
imaginaire, cet invisible présent en permanence, que résident
l'histoire de la pensée humaine et la vérité de toute société.
Il
nous faut donc urgemment procéder, pour réussir, à un véritable
processus d'individuation qui nécessite une synthèse inévitable du
conscient et de l'inconscient. Il s'agit de repérer les thèmes
récurrents à forte intensité énergétique dans le comportement
quotidien et l'imaginaire populaire, ce qu'on appelle images
primordiales ou archétypales. Chez Jung, l'archétype est une «force
instinctive de représentation mentale » présente en chaque homme
et ce qu'il appartient au politique, agissant comme en psychologie
analytique, de saisir dans le comportement de son peuple et la sienne
propre qu'elles conditionnent en formant l'expérience compréhensive.
Celle-ci aura pour but d'aider à ce que la synthèse se fasse entre
ces formes typiques de l'inconscient collectif dans lequel s'insère
l'inconscient personnel de tout un chacun avec son passé, ses
complexes et ses pulsions. Or, c'est de la confrontation entre les
deux à laquelle doit prendre part le politique compréhensif dans
son ministère d'analyste pour réussir son intermédiation politique
comme on mène une analyse thérapeutique. « Les rapports du moi à
l'égard de l'inconscient et de ses contenus déclenchent une
évolution de la psyché » assure Jung. Et c'est le propre de
l'action du politique d'aider à ce que cette métamorphose se fasse
dans le bon sens et pour le meilleur, c'est-à-dire de faire en sorte
que le moi cesse d'être fasciné par ses images archétypales et en
les reliant à ses complexes les reconnaître dans leur fonction
d'organisation et de transformation de sa personnalité.
De
l'intellectuel organique au politique organique :
Il
est chez Antonio Gramsci une notion éminemment importante qu'il
applique à l'intellectuel et que nous pensons pouvoir étendre
également au politique. Gramsci parle de l'« intellectuel organique
» qu'il oppose à l'« intellectuel traditionnel », tels les
ecclésiastiques, les administrateurs y compris les scientifiques,
les philosophes et les théoriciens, soit ce qu'en français on
appelle tout simplement les « clercs ».
Contrairement
donc à notre conception classique de l'intelligentsia,
l'intellectuel organique a une fonction à la fois technique et
politique. Et le théoricien italien donne comme exemple
d'intellectuel, l'« entrepreneur capitaliste » qui engendre « en
même temps que lui-même le technicien d'industrie, le savant en
économie politique, l'organisateur d'une culture nouvelle, d'un
droit nouveau, etc. [...]. L'entrepreneur lui-même représente une
élaboration sociale supérieure, déjà caractérisée par une
certaine capacité dirigeante et technique (c'est-à-dire
intellectuelle)».23
Au
coeur de la pensée de Gramsci, il y a l'idée que l'organisation de
la culture est « organiquement » liée au pouvoir dominant.
L'intellectuel n'est donc pas défini par le travail qu'il fait, mais
par le rôle qu'il joue au sein de la société, y ayant toujours une
fonction de « direction » technique et politique qu'il exerce plus
ou moins consciemment sur le groupe dominant ou celui tendant à le
devenir. Il écrit également : « Tout groupe social, qui naît sur
le terrain originaire d'une fonction essentielle dans le monde de la
production économique, se crée, en même temps, de façon
organique, une ou plusieurs couches d'intellectuels qui lui apportent
homogénéité et conscience de sa propre fonction, non seulement
dans le domaine économique, mais également dans le domaine social
et politique».24
Cela
a amené Gramsci à faire la critique de la distinction
traditionnelle entre « travail manuel » et « travail intellectuel
» développant une nouvelle théorie de l'éducation. Selon Gramsci,
cette distinction est idéologique dans la mesure où elle détourne
l'attention des fonctions réelles présentes dans la vie sociale et
le monde du travail pour l'orienter vers ce qui n'est que « détail
technique ». Il dit ainsi que « dans n'importe quel travail
physique, même le plus mécanique et le plus dégradé, il existe un
minimum d'activité intellectuelle [...]. C'est pourquoi, pourrait-on
dire, tous les hommes sont des intellectuels, mais tous les hommes ne
remplissent pas dans la société la fonction d'intellectuel. [...].
Il n'existe pas d'activité humaine dont on puisse exclure tout à
fait l'intervention intellectuelle, il n'est pas possible de séparer
l'homo faber de l'homo sapiens».25
Comme
il n'est plus possible, non plus en postmodernité, de distinguer
l'homo sapiens de l'homo religiosis, je reprends donc volontiers le
concept de Gramsci pour caractériser le politique qui doit ainsi
être organique. Et comme l'a fait le fondateur du parti communiste
italien pour le concept de travail, renouvelant la notion
d'éducation, il nous faut alors revoir nos concepts les plus
fondamentaux, aussi bien en usage chez les fondamentalistes que chez
les séculiers.
Nos
sécularistes reproduisent le défaut rédhibitoire propre à
beaucoup de travaux académiques en la matière : ils ne tiennent pas
compte de la masse des faits contredisant leurs vues. De plus, ils ne
se rendent pas compte que leur phénoménologie islamique s'arrête
là où l'autorise le zeitgeist, ne se rendant pas compte de ce que
permet ou pas le vécu de ceux qu'ils observent en répercutant les
interdits institutionnels et les constructions théoriques
académiques. Il leur faut donc se libérer de l'interprétation
rétrospective qu'ils font de l'islam, oser le relire selon son
essence même, à la fois authentique et encore plus révolutionnaire
qu'ils ne pensent. Il leur faut quitter leur moule rigide propre au
scientisme fin de siècle.
En
fait, nous avons affaire avec notre élite supposée éclairée à un
religionisme comparable au scientisme de la Modernité alors que
l'islam dans sa gestion des questions humaines est protéiforme,
météorologique en quelque sorte; et c'est le propre du phénomène
magnétique. Aussi, notre élite, politique surtout, doit-elle
développer en elle les qualités innées en tout humain du
magnétisme. La politique en postmodernité nécessite qu'une sorte
d'homéostasie s'établisse entre l'élite politique et le peuple. Et
le politique doit apprendre à évacuer en lui toute réserve
tactique, toute restriction mentale dans son rapport avec son peuple,
et surtout réussir à faire en sorte que le zeitgeist soit
mithridatisé.
Notre
poète et écrivain national Abdelwahab Meddeb a parlé à tort de
défaite de la raison, évoquant notre islam dans un récent article26
dans la lignée des rationalistes arabes contemporains. Non, cher M.
Meddeb, si défaite il y a, c'est bien celle de nos penseurs
rationalistes qui n'ont pas su relever le défi de la postmodernité
et rénover leur rationalisme, restant alignés et aliénés sur une
conception cartésienne qui a rendu l'âme depuis longtemps.
Bien
sûr, quand on voit les turpitudes actuelles de nos islamistes et des
dits salafistes, on peut se croire fondé à se réclamer d'une
raison, même morte, mais qui a été respectueuse des valeurs
universelles. Or, un pareil salafisme ne représente en rien l'esprit
authentique de l'islam; car, comme je l'ai déjà soutenu, le vrai
représentant de la tradition salafie aujourd'hui reste le soufisme.
D'ailleurs,
notre illustre penseur, positiviste dans l'âme, même s'il reconnaît
son importance à la fibre soufie en islam, revient à la charge en
s'attaquant à l'islamisme, appelant à sortir l'islam de cette
abomination.27
Or, s'il a raison de décrier la dérive islamiste, portant le bon
diagnostic, il se trompe sur le remède, aggravant le mal. Il ne nous
faut pas sortir de l'islam ce qui en fait partie, il nous faut plutôt
ramener l'islamisme dans l'islam authentique. Comme une partie du
corps est malade, on ne la coupe pas forcément du moment qu'on peut
la guérir; faut-il trouver le remède adéquat.
Plutôt
que de défaite de la raison, plutôt que de procéder comme font
ceux qu'on condamne, en les anathémisant, nous pensons qu'il est
plus juste de parler de triomphe de la raison sensible et en son nom,
d'agir pour ramener au bercail ses brebis perdues au lieu de les
décréter galeuses et de les sacrifier. Et il est plus facile de la
faire si l'on avait une élite organique, intellectuellement comme
politiquement.
Rappelons,
à ce propos, ce que disait Bacon : La magie est le pouvoir de
l'imagination d'un homme porté sur le corps d'un autre homme. Aussi
nous faut-il des magiciens de la pensée sachant user à bon escient
de leur pouvoir pour faire le bien et non pas aggraver le mal.
Le
penseur en postmodernité doit être en mesure de réactiver les
thèmes de l'imagination créatrice de la Renaissance. On a encore
tendance à dévaloriser l'imaginaire réduit à une imagination
folle du logis, source d'illusion, privée de toute efficace, une
faculté humaine de rang bien mineur. Or, même dans l'Occident de
nos jours, après des siècles d'un rationalisme à outrance, on en
revient à réhabiliter l'imaginaire. Et je profite ici de l'occasion
pour saluer l'âme de Gilbert Durand qui vient de nous quitter et qui
en a été le pape.
L'erreur
de nos élites est gravissime, car ils singent un Occident qui
n'existe plus, se référant à une momie, celle d'une époque où
les cadres historico-factuels manquaient. Ce n'est plus le cas
aujourd'hui, l'Occident ayant changé pour redécouvrir la richesse
de la philosophie orientale; et forcément, ce n'est pas le cas en
terre arabe islamique, partie intégrante de cet Orient.
Il
est une magie naturelle bien prégnante chez nous dans la geste
populaire, soufie entre autres, qui rappelle celle de la Renaissance
et les traditions et pratiques extatiques de l'Antiquité. Ce qui
nous éloigne de l'idéologie réductionniste des Lumières sans nous
couper du champ de la science.
Voici
ce qu'il est attendu de l'homme politique nouveau, aussi bien en
Tunisie qu'ailleurs, pour se mettre au niveau des défis de notre
époque postmoderne et se situer enfin dans le sens de l'histoire.
Il
lui faut passer de la croyance musulmane, cette résilience d'un
corpus qui fut riche, grandiose et révolutionnaire un long moment,
avant de subir les avanies inévitables du fait de l'usure du temps,
à une foi islamique. Cela est possible par une approche renouvelée
de ce corpus, en faisant l'inventaire, passant d'une simple
conception morale de notre religion à une conception éthique.
Si
notre politique doit cesser d'être orienté vers l'Orient mythique
sans en abandonner l'esprit, il ne doit pas non plus verser dans un
occidentalocentrisme qui n'est que du cathocentrisme ou du
protestocentrisme. Il lui faut être digne de l'islam
révolutionnaire, choisir une voie originale en ayant la voix de la
conscience et la politique des sentiments vrais. Être, par exemple,
le politique organique à la Gramsci que nous évoquions ci-dessus.
Or,
la mesure de l'amour du politique pour son peuple, et à travers lui
de l'humanité — car un peuple, quel qu'il soit, n'est qu'une
tranche de l'humanité entière —, c'est d'aimer sans mesure; et la
preuve de l'amitié qui est pur amour, c'est l'amitié sans preuves.
C'est
pourquoi, et j'y reviens volontiers, la première des actions d'un
politique sincère est d'oeuvrer pour rétablir la liberté de
circulation pour les humains comme on s'applique à le faire pour les
marchandises. C'est une question éminemment morale tout en étant
historiquement inéluctable. Agissant pour la liberté de mouvement
de son peuple, ce politique vrai aura aussi à coeur à le traiter
déjà en personne libre et ce en évitant de paraître son chef, en
veillant à n'être que son serviteur; ce qu'il est avant tout.
En
effet, tout comme on n'est pas libre tant qu'on a besoin d'une
autorisation de circuler, tant que l'homme a besoin d'un chef, il
n'est pas assez homme ! Là où l'on a besoin de chef pour
progresser, c'est progresser à reculons, avancer vers l'arrière
sans le savoir et non point vers l'avant.
En
osant agir et finir par éliminer le visa, on verra la jeunesse ôter
ses guides, car retrouvant la liberté de circuler, les jeunes
deviendront des hommes libres n'ayant nul besoin de chef pour leur
laver les cerveaux, se découvrant leurs propres guides.
Mon
métier, c'est l'engagement, disait le chrétien Jean Guitton. Or, la
question aujourd'hui est l'urgente priorité de l'engagement qui soit
l'accord avec soi-même et l'accord avec Dieu, conciliant la lucidité
avec la foi sincère, accorder sa conduite avec ce que l'on croit
être la vérité, une vérité qui ne se vit pas contre autrui, mais
en pleine harmonie avec lui, car cela revient à vivre en accord avec
soi-même.
Il
s'agit donc d'un même impératif que l'on soit chrétien, juif ou
musulman; il nous faut éviter le fanatisme de l'engagement, tout
fanatisme, religieux ou laïc pour réussir à être heureux avec
soi-même, sans oublier ni les autres ni Dieu. Ainsi sera-t-on
vraiment un politique vrai, un politique organique !
Pour
terminer, rappelons ce que disait Machiavel : « Lorsque se produit
une erreur dans laquelle tombent tous les hommes, ou la plupart
d'entre eux, je ne crois pas qu'il soit mauvais d'y revenir plusieurs
fois pour la condamner » .
Or,
l'erreur mortelle chez nous, aujourd'hui, est l'interprétation
fausse qu'on fait de l'islam. C'est pourquoi il nous faut, quitte à
nous répéter, rappeler la vérité à ce sujet afin d'amener à
refonder les bases du parti islamiste majoritaire aujourd'hui et qui
n'est plus le monolithe qu'il prétend être. Continuer à parler du
vrai islam, c'est aider les minoritaires d'EnNahdha à gagner leur
combat à l'intérieur même de leur parti ou les encourager d'oser
en sortir pour honorer véritablement l'islam pour lequel ils se
dévouent.
Voilà
une des raisons d'être de mon engagement, ce qui fera l'objet du
troisième opus de cette série qui se veut au service unique du
peuple de Tunisie, ce peuple aimé par Farhat Hached et qui mérite
le meilleur dont ne veut pourtant pas pour lui sa classe politique
actuelle trop centrée soit sur une conception dépassée de la
politique et ne se souciant que de ses intérêts propres.
Pour
finir, et à l'intention de ceux risquant de me taxer de rêver, je
rappellerais ce que disait Walter Benjamin, et qui s'applique
parfaitement à notre pays : « Chaque époque ne rêve pas seulement
la prochaine, mais en la rêvant elle s'efforce de s'éveiller » .
C'est à pareil éveil que peut servir aujourd'hui ce qu'on pourrait
ne prendre que pour du rêve !
Notes
:
1
« L’invitation au voyage » que nous reprenons ici est un poème
versifié extrait de la première (et majeure) partie du recueil
intitulée « Spleen et Idéal ». Publié en 1857, reprenant toutes
les créations de Baudelaire depuis 1840, retouché en 1861 après
sa condamnation en justice, et enfin complété, à titre posthume,
en 1868 pour sa dernière édition, Les Fleurs du mal sont le
prétexte pour Baudelaire d'évoquer ses tourments internes, la
fêlure qui meurtrit son âme, la lutte sans fin entre le Spleen et
l’Idéal qui le consume inexorablement.
2
Nous referons à l'excellente étude du poème de Jean-Luc, que nous
suivons ici volontiers, consultable sur Internet.
3
G. Durand, Introduction à la mythodologie. Mythes et sociétés,
Biblio, essais, Le livre de poche, 2000.
4
Cf. mon article Dites bonjour à l'i-slam en Tunisie
5
Il s'agit probablement de la Hollande, évoquée notamment à
travers des tableaux de Vermeer et de Ruysdael.
6
Cf. Farhat OTHMAN, Guérir l'Alzheimer. Manifeste hors poncifs,
L'Harmattan, 2012. J'y consacre un blog : Aloïs, mon amour
9
Cf. mon article Rêve et insomnie en Tunisie
10
Étymologiquement, on fait dériver le terme religion de relegere
(relire) et religare (relier).
11
C'est la thèse correspondant à une saine lecture du texte sacré
que défend d'ailleurs un cheikh respectable الشيخ
محمد جلال كشك
dans
un livre qui a fait polémique : خواطر
مسلم في المسألة
الجنسية,
مكتبة
التراث
الإسلامي، القاهرة، الطبعة الثالثة
1992،.
J'y fais référence dans l'article cité ci-après dans la note n°
12. Ce livre, téléchargeable sur internet, a été interdit à la
vente en 1964 avant qu'il ne finisse par obtenir toutes les
autorisations nécessaires en 1985 après qu'une commission
islamique ad hoc constituée en Égypte ait jugé son caractère
parfaitement licite, ne contredisant en rien la religion islamique.
13
Au sens étymologique d'esthétique qui signifie, en grec,
sensation. L'aesthetica donc est étymologiquement la science du
sensible, de la sensibilité ou des sens; comme c'est le cas chez
Kant et la Critique de la Raison pure.
14
Cf. mon article Cette lumière qui est en nous.
15
C'est ce qu'écrit Baudelaire dans ses Peits poèmes en prose au
chapitre XVIII sous l'Invitation au voyage, édition de 1869.
16
Ibid.
17
Simmel parle du « roi clandestin » et Hanna Arendt de « roi
secret » au sens de courant qui conduit une époque et en
cristallise comme la pensée radicale. Pour Michel Maffesoli, par
exemple, le roi secret ou clandestin de notre époque postmoderne
est le réenchantement du monde.
18
Virgile, Géorgiques, liv. III, v. 284.
19
Cf. Cette lumière qui est en nous, art. préc.
20
Cf. à ce sujet l'ouvrage de Michel Maffesoli, Éloge de la raison
sensible, 1996, la Table Ronde, Paris, 2005. Notons qu'il vient de
paraître au Maroc, traduit en arabe grâce à l'abnégation de
notre ami et fidèle adepte de la pensée maffesolienne Abdallah
Zarou, dont le talent n'a d'équivalent que la volonté de relever
le défi de mettre à la disposition du public arabophone l'ensemble
de la pensée jubilatoire de Michel Maffesoli : مزايا
العقل الحساس.
دفاعا عن
سوسيولوجية تفاعلية، ترجمة عبد
الله
زارو، إفريقا
الشرق،
المغرب،
2013
À cette occasion, un salut s'impose ici aussi au sympathique
responsable de la maison d'édition Afrique Orient, Camil Hoballah,
qui permet à cette utopie de se matérialiser.
21
Dans Aïon, études sur la phénoménologie du Soi, Albin Michel,
1983, 322 p. Jung y décrit le processus d'individuation qui est
l'axe de la psychologie des profondeurs, aboutissant à la
réalisation d'une totalité psychique transcendant le moi, dénommée
Soi.
22
Et ce n'est pas pour étonner, la pensée de Jung constituant, selon
Michel Maffesoli, la «grille
de lecture la plus éclairante sur la postmodernité ».
Cf. entretien au numéro Hors série Le Point, les Maîtres Penseurs
: Le mystère Car Jung, n° 13, décembre 2012, p. 96.
23
A. Gramsci, Quaderni del carcere, édition établie par Valentino
Gerratana, Turin, Einaudi, 1975, p. 1513. Les extraits sont tirés
du tome 3 p. 309. Notons que quatre tomes des cahiers de prison ont
paru en français, à Paris, chez Gallimard, avec avant-propos,
notices et notes de Robert Paris: 2. Cahiers n° 6 à 9, 1983, 770
p.
24
Ibid, p. 309.
25
Ibid. p. 312.
26
Cf. Leaders : La défaite de la raison.