Les amants de Nador ou servons la cause des libertés en nous
embrassant en public !
Le baiser des libertés :
On est en jours de fête; et
la fête en notre culture implique force embrassades. Et l'islam étant
sentiments nobles et liberté; comme l'amour y reste ce dont l'homme est capable
de mieux, embrassons-nous en public ! Dépassons nos blocages psychologiques,
notre timidité mal placée ou notre fausse pudeur, ne serait-ce que pour servir
la cause des libertés et de la démocratie.
Il est certain aujourd'hui
que nombre de nos blocages politiques sont d'essence psychologique, venant de
notre rapport aux sentiments et à la sentimentalité. Sans allers jusqu'à parler
de nos inhibitions quant au sexe qui est pourtant un élément majeur de
stabilité de notre inconscient, notre vision des rapports sentimentaux est
viciée en notre fondement même, viciant tous nos rapports à notre prochain.
En effet, bien que notre
culture soit marquée par une sensualité certaine, que la sentimentalité soit un
trait majeur de notre caractère, on tient leur manifestation concrète pour
relever, non seulement du grotesque, mais aussi du comportement répréhensible.
Aussi, dans le sillage de la révolution en cours en Tunisie, qui doit
maintenant s'attaquer à tout ce qui est sclérosé en notre mentalité, il est
temps que nos rues soient synonymes de sensualité et d'amour et non de violence
et de haine. Or, quelle meilleure occasion que de le faire en ce temps de fête,
telle celle que nous vivons. Jeunes et moins jeunes de Tunisie, embrassons-nous
en public ! Que les bancs publics au moins retrouvent aussi en notre pays, aux
senteurs du jasmin, leur vocation chantée naguère par Brassens !
Hier, déjà, la jeunesse
tunisienne dansait dans la rue pour ses libertés; aujourd'hui, qu'elle
s'embrasse donc pour ces mêmes libertés, de plus en plus menacées par les
zélotes d'un ordre moral n'ayant rien à voir avec l'islam authentique, notre
sublime religion d'amour et de paix..
Il y a quelques jours, le 12
octobre, la jeunesse marocaine faisait de même, organisant à Rabat, devant le
siège du Parlement, un kiss-in(g) géant pour défendre l’amour, la liberté
d’aimer et de s’embrasser librement en public. Il s'agissait de leur part d'un
baiser symbolique pour défendre la liberté de trois adolescents marocains
accusés d’atteinte à la pudeur. Ce sont les amants de Nador, localité dans le
nord-est du Maroc, dont le procès est renvoyé au 22 novembre
après la levée de boucliers que les poursuites judiciaires ont provoquée.
Nous sommes tous des amants de Nador !
Il s'agissait de trois
jeunes adolescents ayant publié sur une page Facebook la photo de deux d'entre
eux en train de s'échanger ce qui magnifie les plus nobles sentiments humains :
un bisou !
Ainsi, si l'Occident a son baiser
de Doisneau, mondialement célébré, nous avons désormais notre baiser de Nador
qui ne fera que jeter encore plus la honte sur nous avec la caricature
monstrueuse que nous donnons de notre religion, bien innocente de pareils
travers !
Voilà donc les juges
respectables des mineurs du Maroc frère qui n'ont rien d'autre à faire que de
poursuivre deux jeunes de quinze ans ou à peine pour avoir été pris en photo
par un ami et mis en ligne cette tendre image d'eux en train de s'embrasser !
Pour pareil geste innocent, ils ont été arrêtés, sont poursuivis comme des
criminels; et ils risquent deux ans de prison. On croit rêver. Et le comble du
cauchemar est que cela se fait au nom d'une religion qui est la plus explicite
sexuellement, la plus libérale en termes de mœurs !
Tarak Ibn Ziyed — dont le lycée
auquel appartiennent les adolescent porte le nom — doit se retourner dans sa
tombe. Aurait-il jamais imaginé que la belle religion de libertés et de
tolérance qu'il a embrassée et s'est chargé au péril de sa vie d'amener sur les
rives de l'Europe pudibonde, descende aussi bas dans l'innommable au nom
justement d'une vertu que ses adeptes d'aujourd'hui foulent allègrement aux
pieds ?
Comment se peut-il qu'au
moment même où les bisous sont désormais préconisés même pour les maladies
inguérissables tel l'Alzheimer on en fasse une cause de délinquance et on
emprisonne ceux qui ont le mérite de s'y adonner ? Ne doit-on pas plutôt
encourager les jeunes à s'aimer et à s'embrasser plutôt qu'à se haïr et à se
faire la guerre ? N'a-t-on pas dit déjà qu'il nous était temps de faire l'amour
plutôt que la guerre ? Alors embrassons-nous au moins sur les bancs et dans les
espaces publics; on ne fera qu'adoucir les mœurs actuelles de sauvages que
certains cultivent comme des plantes vénéneuses !
Amnesty International a
raison de parler de comportement absurde et ridicule; mais l'indignation doit
venir aussi de nos rangs et être à la mesure de la gravité de l'affront fait à
notre identité même par les poursuites judiciaires des autorités marocaines. Il
nie en nous tout simplement l'humain élevé au plus haut degré par notre
religion justement, qui est d'abord et avant tout une religion d'amour et de
tolérance.
Aussi, nous devons tous déclarer
être les amants de Nador; et nous devons tous nous embrasser publiquement. Ce
faisant, nous ne leur apporterons pas seulement notre soutien, mais nous ferons
œuvre de salubrité publique au nom de notre morale et notre religion
aujourd'hui violentées par un excès coupable de caricatures intégristes.
L'islam est liberté :
Mais il ne suffit plus que
la justice marocaine — pour être juste et honorer l'islam dont elle se réclame
— retire immédiatement et de manière inconditionnelle les charges retenues
injustement contre les élèves de Tarak Ibn Ziyed. Il est nécessaire aussi que
le Roi du Maroc saisisse cette occasion pour ordonner le gel de toutes les lois
liberticides en matière de mœurs qui, non seulement sont d'un autre âge, mais
sont aussi incompatibles avec une saine lecture de l'islam qui est d'abord un
humanisme.
On se permet de s'adresser ainsi
au roi marocain et ce en sa qualité de Prince des croyants et du fait de
l'unité et de la solidarité faisant commuer tous les pays musulmans dans les
mêmes valeurs en communauté. Or, celle-ci est tolérante et ouverte à l'altérité
ou elle n'est pas. Foncièrement, il est prouvé qu'elle a été historiquement, d'abord
et avant tout, ce que j'ai qualifié de communautarité, ne versant que tardivement
dans l'exclusion de l'altérité à laquelle elle a toujours été ouverte par
principe.
Il nous est impératif aussi en
Tunisie, berceau du Coup du peuple — la révolution postmoderne pour les
libertés —, de rejeter toutes formes de contrôle de la vie privée et de censure
des libertés individuelles des personnes. C'est que, d'une part, la cause des
libertés est indivisible et, d'autre part, si l'islam condamne quelque chose en
ce domaine, c'est bien la moindre atteinte à la liberté personnelle et privative
dont la protection y est sacrée et consacrée.
Et qu'on arrête de
culpabiliser les jeunes et de juger les gens au moindre doute ! Car on oublie
alors que notre religion condamne le soupçon injustifié et refuse la moindre
restriction de la liberté du croyant sur simple doute ou par prévention.
Pourtant, comble d'absurde, on a vu les intégristes s'opposant aux manifestants
pacifiques en soutien aux amants du Nador justifier leur colère par le fait qu'un
simple bisou peut mener à autre chose. Ce faisant, ils ne réalisaient pas qu'ils
violaient eux-mêmes la religion qu'ils prétendaient défendre tout en illustrant
à quel point leur inconscient était dominé par le péché et la tentation d'y
céder. Ce qui n'est nécessairement ni nullement le cas des jeunes adolescents,
bien mieux dans leur peau, et donc dans leur tête.
Il est temps de tordre le
cou à ce mythe qui veut qu'il soit interdit de s'embrasser en public dans un
pays islamique et que ne s'embrassent que des athées ! Il est temps d'en finir
avec pareilles affirmations n'ayant rien d'islamiques, car elles ont été
fomentées de toutes pièces en violation de l'éthique musulmane authentique soit
par des ignorants soit par des ennemis de l'islam ou leurs complices objectifs.
Qu'on se le dise : l'islam
véritable, tel que déjà vécu par les soufis d'origine, est d'abord amour,
tolérance, humilité et spiritualité. L'autre, le différent surtout, y est
célébré et aimé, jamais haï; car la première des injustices et la haine de son
prochain, cet autre soi-même.
Alors, soyons tous des amants de Nador et
n'hésitant pas, au moins lors de nos fêtes, de nous embrasser en public. Ainsi
vivrons-nous mieux le meilleur de nos sentiments tout en défendant les libertés
et l'islam révolutionnaire en notre contrée où il fait partie intégrante de
notre identité marquée d'abord et avant tout par la tolérance et l'amour du
prochain, quitte à être libertaire.
Publié sur Nawaat