Nos douze travaux d'Hercule : une réflexion à l'adresse du think tank de M. Mehdi Jomaa
Lors du premier séminaire de la nouvelle association de la société civile (AICD) présidée par l'ancien secrétaire d'État Khemaies Jhinaoui, Ahmed Ounaies, premier ministre des Affaires étrangères de la Révolution, a parlé de la nécessité impérieuse pour l'État tunisien, s'il veut avoir une chance de s'en sortir, de nettoyer les écuries d'Augias, pointant par là ce que l'économiste Ezzeddine Saidane a qualifié pudiquement de secteur de non-droit : commerce informel, corruption généralisée, passe-droits, banditisme, etc. Or, le ver est dans le fruit, car le mauvais exemple, comme le précisa bien M. Ounaies, vient d'en haut, les mœurs maffieuses qui se généralisent en Tunisie ayant été instaurées par l'État lui-même.
C'est ce qui a donné lieu à un appel pathétique lors de ce même séminaire de la part de Rachid Sfar, ancien premier ministre, de se libérer de nos boulets; un appel qui prenait même des aspects apocalyptiques, fondant un pessimisme qui ne serait pas malvenu s'il n'était démobilisateur à un moment où toutes les compétences sont requises pour servir le pays. Le sont-elles? Et celles qui le sont, leur donne-t-on assez la parole, les écoute-t-on suffisamment ou ne pratique-t-on pas à leur égard cette caricature de la démocratie qui consiste à laisser toujours causer, le pendant judicieux du «la ferme!» de la dictature; ce qui n'est guère mieux, juste un peu plus policé.
Monsieur Radhi Meddeb ne manque d'ailleurs pas de noter, parlant de son propre exemple, qu'on considère ses idées et sa voix de justesse comme le sel, un ingrédient certes nécessaire dans ce qu'on mange, mais dont il ne faut point trop. Or, justement, il nous faut justement pas mal d'un tel sel, car c'est le sel de la terre, sans quoi elle n'est plus arable. M. Radhi fait d'ailleurs partie du think tank que M. Mehdi Jomaa a voulu auprès de lui afin de l'éclairer sur ce programme qui s'annonce au pays et qui doit être forcément fait, si l'on veut vraiment s'en sortir, des ingrédients douloureux proposés par Churchill à ses compatriotes lors de la dernière guerre mondiale : du sang, de la peine, des larmes et de la sueur.
Nos travaux d'Hercule
Nettoyer l'État, lui rendre son prestige, rendre à la loi son autorité est certes nécessaire, mais ce sera insuffisant; ce n'est qu'un aspect de la problématique que nous vivons en Tunisie. Le nettoyage des écuries d'Augias évoquées par notre éminent diplomate ne fut qu'un des douze travaux d'Hercule. Il nous en faut onze autres pour nous en sortir.
Rappelons-les dans le désordre (des ordres) tout en les adaptant à notre situation actuelle laquelle, pour être funeste, n'est pas moins annonciatrice d'enchantement pour peu qu'on sache comment faire déchanter les oiseaux de mauvais augure qui nous entourent. On doit commencer par ne plus les écouter, car la richesse de la Tunisie est d'abord celle de la matière grise de ses plus sincères enfants, ce génie populaire si original. C'est en écoutant ceux-ci que la Tunisie réenchantera le monde actuellement désenchanté.
1) Nettoyer donc les écuries d'Augias comme y appelle M. Ounaies. Rappelons que, déjà dans le mythe, ces écuries ne l'avaient jamais été; et c'est le cas de notre pays. M. Sfar a eu beau opposer, lors du séminaire de l'AICD, la politique saine d'antan et la politicaillerie d'aujourd'hui, notre État ne fut jamais démocratique, le ver ayant été dans le fruit du temps même du fondateur de la Tunisie moderne. Un livre fort instructif de M. Lotfi Hajji en rend compte de manière éloquente (Bourguiba et l'islam. Le Leadership et l'imamat, Actes Sud, octobre 2013). Il nous faut donc beaucoup d'humilité pour ne pas mélanger le désordre actuel comportant des espaces réels de libertés à l'ordre d'antan qui n'était que celui des cimetières. J'ai tendance à dire qu'il nous faut renouveler tous nos concepts éculés, dont celui de comprendre le désordre comme une unité alors qu'il est multiple. Personne ne peut raisonnablement douter qu'il y a une infinité de désordres dans notre société, mais il nous faut assez de lucidité pour réaliser qu'il s'agit d'ordres multiples, des ordres. Pareillement, il n'y a pas un déséquilibre, mais des équilibres dans notre système politique, mal agencés, mais n'ayant pas moins le mérite d'exister, permettant à l'État de rester debout. Qu'on y réfléchisse sérieusement; les choses changeront forcément dans nos têtes !
2) Étouffer le lion de Némée : Ce lion avait la peau impénétrable et notre héros devait en rapporter la dépouille. Pour la Tunisie, il s'agit de la dictature dont la dépouille, faite des réflexes d'autoritarisme, est toujours en nous, sans parler des menées occultes des nostalgiques de l'ancien régime. Là aussi, il nous faut beaucoup d'humilité et surtout de force d'âme pour ne pas tomber dans les simplifications et le manichéisme opposant le bien de l'ordre fallacieux, celui des tombes, au désordre (des-ordre) déstabilisant, mais prometteur, de la vie qui grouille; le meilleur signe de vitalité. Car nous nageons en plein délire sans le savoir; nous relevons d'un Alzheimer politique. Je rappelle, tout de suite, pour ne pas être mal compris, que je ne crois pas au mythe de la maladie d'Alzheimer, une soi-disant maladie créée par des intérêts financiers et non pour des raisons et avec des arguments purement scientifiques. Et je conseille pour guérir ce vieillissement précoce et problématique que je nomme Bécothérapie. Outre le fait que j'ai pratiqué avec succès cette méthode, elle rejoint l'approche humaniste et révolutionnaire que conseille la médecine américaine aujourd'hui.
3) Tuer l'hydre de Lerne : on sait que les têtes tranchées de ce monstre repoussaient sans cesse. Or, cette hydre est la maffia; et on le sait, elle a des formules diverses, commençant par le noyau familial pour se transformer en une fraternelle mondiale sans foi ni loi, même si elle use souvent des oripeaux de la morale pour chercher ce qui n'est pas sain de ses activités en adoptant l'allure d'un saint, pour reprendre une belle expression de notre expert Ezzeddine Saidane. Or, l'habit et l'allure font de nos jours le religieux, quelle que soit son obédience; la maffia pouvant être financière et commerciale. Et un pays zawali, dont la majorité est pauvre, comme le nôtre, est un terrain fertile pour toutes sortes de menées maffieuses, des plus anodines aux plus criminelles. De plus, il ne suffit pas de rendre justice à quelqu'un qu'on privait de ses moindres droits pour espérer son adhésion au nouveau système censé être plus juste. Cette adhésion est lente à venir, surtout quand il s'agit de pardon d'avanies. Un pardon doit de mériter en changeant de pratique, faisant pénitence par l'action humble et sincère bien plus que par une parole pouvant toujours tromper. Combien sont nombreux pourtant dans nos actuelles élites ceux qui ne se contentaient pas de subir la chape de plomb de l'omerta de la dictature, la servant frénétiquement, au vu et au su de tout le monde ou subrepticement, et qui veulent passer aujourd'hui pour des révolutionnaires, ne se satisfaisant même plus du peu obtenu à la faveur de la confusion au lendemain de la révolution, voulant encore et toujours plus ! A-t-on au moins rendu leurs droits aux militants de l'ombre, humbles et sincères, dont le seul tort qu'on peut leur reprocher est d'avoir choisi la dignité de demeurer effacés pour plus d'efficacité, agissant dans l'antre même du diable ? Et on se paye le luxe de trouver mille et une excuses pour refuser aux jeunes blessés de la Révolution une réparation méritée ! Elle leur est pourtant due, ne serait-ce que pour leur état de misère, quant les gouvernants, les représentants du peuple y compris, se monnayent grassement le service du peuple qui se passerait volontiers d'eux au vu du minable rendement de nombre d'entre eux.
4) Tuer les oiseaux du lac Stymphale aux plumes d'airain : Ces volatiles sont les sornettes du libéralisme économique qui ne voit de liberté de circulation que pour les marchandises et non pour les hommes, seuls véritables créateurs des richesses. Ces oiseaux sont aussi ses lois plus sophistiquées les unes que les autres auxquelles on se réfère dans un galimatias hermétique fait pour n'être compris que par les initiés, réduits souvent en une docte ignorance. Or, la plupart de ces concepts sont saturés, ayant perdu de leur vérité, étant en déphasage avec la réalité. Que celle-ci ne paraisse pas logique ou rationnelle ne fait pas problème; la question essentielle aujourd'hui est d'être en congruence avec nos réalités et non de les réduire à nos vues. Sinon, on agit comme Procuste; mais son lit ne peut plus servir en cet âge des foules bien plus nombreuses pour tenir dans le lit et être ajustées à la taille du lit. De plus, la prétendue irrationalité de ces foules est en fait une rationalité différente à découvrir ou redécouvrir; c'est ce qu'un observateur attentif avait déjà qualifié de merveilleux scientifique. On vilipende aujourd'hui le ressentiment de la jeunesse à l'égard des riches, y compris ceux qui n'ont rein à se reprocher; or, ces jeunes jugent les nantis coupables de se distinguer du commun du peuple qui est essentiellement pauvre. Et ce n'est pas le modèle libéral qui diminuera les inégalités sociales et les efforts qu'il exigera ne seront acceptés que s'ils se traduisent par des compensations en termes d'articulation réelle à ce système ainsi que je le propose, supposant entre autres la libre circulation humaine
5) Descendre aux Enfers et enchaîner Cerbère, le chien aux trois têtes : Il s'agit ici des terrorismes que je n'écris personnellement qu'au pluriel, car il n'y a pas qu'un seul terrorisme. Celui qu'on connaît n'est que la face apparente d'un iceberg; il y a aussi ceux qu'on ne connaît pas où barbouzes et tontons flingueurs sont légion, avec des barbouzeries défiant l'imagination la plus fertile. Le peu que je voudrais dire ici, c'est que le terrorisme le plus grave est moins le fait de ceux qui s'y adonnent, souvent de pauvres hères manipulés, au cerveau lavé et lessivé, que celui qui se cache derrière. Il est clair que ce sont toujours les donneurs d'ordre qui sont les premiers bénéficiaires de la sale et criminelle œuvre réalisée. Or, notre monde de l'image et du chiqué nous fait nous contenter des apparences pour négliger les plus coupables, bien moins visibles, qui tirent les ficelles. Souvent, semble-t-il, ces forces occultes ont même pignon sur rue, et ils se démasquent à leur discours lorsqu'on est attentif à son manichéisme, qu'il le soit d'une manière directe, haineuse, comme c'est le cas de nombre de nos intégristes religieux, ou d'une façon faussement policée, se voulant civilisée, mais qui ne traduit pas moins un dogmatisme religieux pire que celui de nos faux salafis. En l'occurrence, on a affaire à une religion civile qui n'est profane qu'en apparence, étant aussi intégriste que l'intégrisme vulgarisé.
6) Battre à la course la biche de Cérynie : Créature sacrée d'Artémis, cette biche avait les sabots d'airain et aux bois d'or. Aujourd'hui, elle serait en quelque sorte le modèle occidental de démocratie prétendument basé sur la souveraineté du peuple, alors qu'il la confisque pendant un temps plus ou moins long en faveur d'une caste de politiciens professionnels qui ne sont que l'incarnation moderne du clergé des temps anciens. Ils sont tout aussi imbus de leur personne, avec un ego surdimensionné, n'ayant en vue que leur carrière et non l'intérêt des masses considérées en estrade commode, juste bonne à être montée comme pour les dominer des hauteurs du pouvoir, seul objet de leurs désirs, et profiter de ses délices. Aussi, ils n'ont aucune parole, ne respectant aucun engagement, lesquels ne lient que ceux qui veulent bien y croire, et ce pendant une période plus ou moins longue où le peuple et sa souveraineté relèvent des slogans creux. Est-ce une telle démocratie, une pure tromperie, qu'on veut ériger en Tunisie ? Elle n'aboutirait qu'à une coupure d'avec le peuple, coupure qui devient coupable au moment où la société civile et les associations se substituent aux partis classiques dans la nécessaire entreprise de développement solidaire organique. Il nous faut réinventer la démocratie — qui sera une postdémocratie — par une action humble de terrain auprès des masses, seules souveraines et désormais éveillées à sa puissance sociétale. C'est le peuple qui doit être le pouvoir instituant dans ce pays et qui doit garder la main sur les élites censées le représenter. Celles-ci doivent être issues d'instances véritablement représentatives, avec une relation personnalisée et des engagements dont ils sont comptables selon un mécanisme à prévoir pour éviter tout ce qui empoisonne notre vie politique, notamment l'argent sale. C'est d'un politicien organique que le pays a besoin, au sens que lui donnait Gramsci, parlant d'intellectuel. On doit être du peuple, non pas en termes de slogan ou de vêture folklorique, mais dans les actes et le comportement. Car le peuple tunisien est loin d'être bête et il sait où se trouve son intérêt distinguant de par son sens inné de la sagesse qui dit vrai chez ses politiciens et qui a la langue fourchue. Or, qu'on le veuille ou non, nous sommes véritablement au temps des peuples souverains.
7) Dompter le taureau crétois de Minos : les plus connaisseurs savent que ce taureau était séquestré alors qu'il devait être rendu à Poséidon. C'est ce qui arrive aujourd'hui à l'esprit révolutionnaire de la révolution, mais aussi de l'islam qui fut une révolution mentale avant tout et qu'on galvaude par une interprétation se voulant conforme à la tradition des anciens et qui ne l'est que par rapport à la tradition judéo-chrétienne. L'islam vrai — je le qualifie de postmoderne — est séquestré par un dogmatique étranger à son esprit véritable; ceux des démocrates qui le vilipendent ne font, consciemment ou inconsciemment, que voiler ses lumières qui furent une modernité avant la lettre, une rétromodernité, selon mon néologisme. L'islam en cours aujourd'hui dans nos pays, et pas seulement salafi, est marqué par une forte empreinte de la tradition judéo-chrétienne qui a été répudiée par les seins à la faveur de la démocratie. Or, nos musulmans, surtout intégristes, cultivent cette tradition étrangère à l'esprit de l'islam qui la qualifie d'islam bédouin. C'est ce qu'il nous faut dompter pour ramener l'islam à sa juste interprétation et sa vraie nature : un islam tolérant, humaniste et œcuménique, cet islam dont le soufisme de la vérité nous a donné la meilleure illustration et qui a séduit nombre d'Occidentaux. C'est l'islam spirituel que j'orthographie pour ma part en i-slam.
8) Rapporter les pommes d'or du jardin des Hespérides : De nos jours, ce jardin est l'Europe, seule réalité théoriquement démocratique à nos portes malgré la crise qui la secoue. Et comme Ladon qui gardait les Hespérides était une créature imaginaire, l'Europe est aujourd'hui gardée par un serpent des mers. C'est le système fabuleux de surveillance, dominé par l'agence Frontex, qui produit presque quotidiennement des drames et des malheurs, un «holocauste moderne» osa dire avec justesse une voix européenne, autorisée et juste. Il nous faut impérativement nous désolidariser de cette politique européenne criminogène et qui en plus veut garder notre pays attaché à son marché et à sa culture, mais juste en une réserve, à la manière de celle qu'on a érigée pour les Indiens d'Amérique. Or, l'époque a changé et cela n'est plus possible. Il nous faut renvoyer ce mythe sécuritaire de l'ostracisme et du dogme de fermeture des frontières au ciel des étoiles brillantes, mortes depuis longtemps. Aujourd'hui, l'Europe doit revivre en renouant avec son esprit de conquête d'antan; sa frontière sud doit être celles de la Tunisie. Hegel, déjà, disait que l'Afrique du Nord faisait partie de l'Europe, ce qui a justifié pendant longtemps la colonisation. Ce n'est donc pas parce que l'intérêt de l'Europe ne semble plus dépendre de sa véritable partie sud qu'elle doit se renier. Je dirais même — et je ne suis plus le seul — que le salut de l'Europe dépend désormais de ce qui se passe en Tunisie. Aussi, de part et d'autre de la Méditerranée, il faut oser sauter le pas et déclarer inévitable l'intégration de la Tunisie en transition démocratique au système de démocratie en vigueur en Méditerranée dans le cadre d'un espace de démocratie, qu'il soit européen ou francophone pour le moins. Cela initiera une ère de civilisation conciliant les religions monothéistes, toutes ces fois et croyances se voulant humanistes, autour de valeurs communes. C'est ce qu'imposent les communions émotionnelles qui sont la marque majeure de notre époque postmoderne.
9) Capturer les juments mangeuses d'hommes de Diomède. Ce sont aujourd'hui la misère, l'intégrisme et la haine de l'autre différent, quel qu'il soit. Ces tares que nombreux réservent à notre pays, aux pays du sud, sont ce qui est le mieux partagé comme travers par tous les humains; seule la forme change. La misère est d'abord intellectuelle; et on l'a vu avec l'ineptie du conflit des cultures ou avec celle du rationalisme de la modernité qui n'est qu'un scientisme passé de saison. L'intégrisme n'est pas non plus purement islamique; j'ai déjà dit en quoi le salafisme de nos rues était à base judéo-chrétienne; et il est inutile de rappeler les racines judaïques et messianiques de l'Occident et de la démocratie occidentale. Disons juste ici que l'islam fut démocratique de par son esprit comme le capitalisme eut pour base l'éthique protestante. Quant à l'exclusion, pour ne donner deux exemples paroxystiques, il suffit de se référer à la tragédie palestinienne et l'attitude occidentale ainsi qu'au drame humain de l'holocauste dont fait usage avec manichéisme l'État hébreu. Il faut dire que, de nos jours, le messianisme judéo-chrétien se manifeste dans un dogmatisme partagé par nombre de nos modernistes dans le reniement de l'essence démocratique de l'islam et l'encouragement de la pratique prétendument modérée, qui n'est qu'une variante policée de l'esprit islamique véritable qui ne peut être lui-même que révolutionnaire. Car l'islam est une révolution mentale telle qu'en parlait Spengler, diagnostiquant en son temps le déclin de l'Occident. Il est vrai, on a toujours tort à avoir raison avant tout le monde, ceux qui font du moins l'opinion. Et je ne dirais pas l'opinion publique, mais juste l'opinion publiée, comme le dit avec raison mon maître Michel Maffesoli, la véritable opinion publique, celle dont on se soucie si peu, ne pensant pas différemment de ce que je dis. En effet, en contact permanent avec la Tunisie profonde, m'évertuant à être à l'écoute de l'herbe pousser, je ne fais que traduire ce que je recueille auprès de nos masses humbles, si vite ignorées dans les palais de la République, quand elles ne sont pas méprisées. N'est-ce pas le quotidien, en dehors des périodes électorales, des démocraties qu'on copie dans la rédaction de notre code électoral ?
10) Vaincre le géant aux trois corps et voler son troupeau de bœufs : Le géant Géryon est aujourd'hui le capital et toutes les théories dépassées qu'il a générées. La première d'entre elles est la valeur travail; elle n'est qu'une de celles qui sont saturées dans le paradigme postmoderne, tout comme les valeurs de la république, de la démocratie, de l'égalité ou de la liberté. Il ne s'agit pas ici de céder sur l'essence de la notion, mais à la saisir au concret, en l'articulant aux réalités inévitables, même si elles nous heurtent. La sociologie compréhensive peut nous y être de grand intérêt; c'est pour cela que je dis qu'il nous faut une politique compréhensive. De fait, ce n'est pas l'effort qui a perdu sa valeur, mais sa forme actuelle qui en fait un travail désincarné. Ainsi, l'économie solidaire ne fait rien d'autre que réinventer cette valeur travail saturée en insistant sur l'intéressement qui est à son plus élevé degré dans la solidarité. Elle montre bien que Keynes est dépassé avec son salaire imposant la peine, ne serait-ce que pour la forme, dans l'application qu'on en fait. Je rappellerais juste deux vérités, une théorique et une autre pratique, pour mieux saisir ce phénomène rétif à notre intelligence conditionnée par les concepts de la modernité. La première est celle de la rareté qui fait la valeur. Or, ce qui est gratuit est ce qui est le plus rare aujourd'hui en un monde où tout se paye ou se fait payer, surtout la non-valeur. La seconde est celle du cœur battant de notre monde d'aujourd'hui qui est l'espace virtuel de l'Internet. Celui-ci est fondamentalement basé sur la gratuité; les logiciels open source étant là pour le confirmer. D'ailleurs, ce qui était une hérésie il y a peu a été récemment adopté par le géant Apple connu par l'âpreté au gain outre l'ingéniosité de son système d'exploitation; or, il en a offert gratuitement la dernière mouture. Il nous faut donc sortir des schémas antiques de l'économie et oublier que la gratuité, ce géant mythique, est l'ennemi d'une saine croissance. Il suffit de changer nos postulats et nos axiomes en une époque où ce sont les sens qui dominent et l'émotionnel. Je terminerais juste avec un exemple à méditer se rapportant au secteur de la presse écrite qui vit une terrible crise, où les gratuits se portent bien mieux que les titres payants, y compris les plus prestigieux.
11) Rapporter la ceinture d'Hippolyte, fille d'Arès et reine des Amazones : Le monde ayant donc bien changé, il nous faut impérativement changer nos mentalités. Or, comme la postmodernité suppose le retour de la spiritualité, il nous faut retrouver nos valeurs spirituelles vivantes, bien préservées dans notre culture et notre religion, au-delà de ses rites, car elle est d'abord un trait identitaire, une culture avant d'être un culte. C'est ce que n'a pas su faire Bourguiba qui a été un faux laïc. S'il avait été démocrate, il aurait certainement fait gagner énormément de temps à la Tunisie. Au lieu de heurter gratuitement le sentiment religieux du peuple avec des attitudes de provocation ne servant que son culte de la personnalité, il aurait dû et pu poursuivre la réforme de l'intérieur de l'islam, car il n'a été en quelque sorte qu'un continuateur. Et l'islam s'y serait prêté à merveille avec l'aide des institutions du pays notamment celles informelles qu'il vilipendait, comme le soufisme. C'est d'un espace de démocratie bien réelle qu'il nous faut, où l'avis et l'avis contraire cohabitent vraiment, y compris et surtout en matière religieuse, que ce soit la vision religieuse que nous connaissons ou la religion civile qui est actuellement le dogmatisme laïque empoisonnant nombre d'esprits se croyant au-dessus de tout soupçon. La ceinture représente donc ici les retrouvailles avec l'esprit islamique authentique au-delà des lectures réductrices qui en ont défiguré la beauté et la noblesse dans la tradition musulmane qui nous est restée et qu'il faut renouveler par un nouvel effort d'interprétation. Il s'agit en quelque sorte de reprendre l'œuvre bourguibienne en la remettant sur pied, loin du moindre culte, qu'il soit celui de la personnalité ou d'une institution religieuse officielle déconnectée des réalités populaires qui sont bien moins intégristes qu'on ne le croit. Dans le mythe, la ceinture symbolise l'objet recherché pour sa valeur symbolique. Les cultures traditionnelles en faisaient une pièce vestimentaire essentielle, à haute valeur symbolique; c'est un peu ce que fait le président Marzouki avec son burnous. Cela peut aussi être l'étui phallique dans certaines tribus manifestant leur vision apaisée du sexe; il y avait bien des dieux phalliques dans les sociétés anciennes avant que la conception puritaine judéo-chrétienne ne vienne faire du sexe un péché. Or, chez les Arabes, et même en islam, le sexe n'est pas péché du moment qu'il est pratiqué selon les exigences de la nature, laquelle peut même être originale, notre religion étant conforme à l'instinct humain tel que voulu par Dieu dans sa sagesse impénétrable aux esprits humains limités, y compris les plus clairvoyants. En effet, face à la sagesse divine, le savant est celui qui se reconnaît être un ignorant.
12) Ramener vivant l'énorme sanglier d'Érymanthe : Le sanglier à ramener vivant est cette bête gigantesque qui terrifie les musulmans, et qui est la fausse sacralité érigée en islam faisant des apparences une idole, alors que notre foi a aboli toutes les idoles. En islam où la foi est d'abord dans les cœurs, l'apparence de sainteté compte peu; c'est l'intention qui compte. Or, nous avons importé le culte des icônes par notre attachement au comportement ostentatoire. Pire, notre attachement au texte écrit du Coran, quitte à violer son esprit, est contraire à l'essence de l'islam. En effet, en dehors des questions du dogme, son interprétation relève du droit et de l'obligation de l'effort que commande et recommande fortement la religion elle-même, allant jusqu'à rétribuer l'erreur du moment qu'elle est sincère et qu'elle s'inspire des visées de la Loi divine et de ses intentions. C'est l'esprit dogmatique essentialiste contraire à l'essence de la religion dont il nous faut nous défaire en n'oubliant toujours pas que l'islam est le sceau des révélations et qu'il est la religion universelle par excellence, où le culte purement musulman est bien moins important que la croyance plénière, qui est le monothéisme abrahamique dont l'islam est la manifestation juste et pure. Il nous faut nous libérer les esprits d'un colonialisme mental contrôlant notre imagination, faisant rimer l'islam authentique avec le sous-développement.