Quand le gouvernement encourage la toxicomanie (2/2)
La réformette proposée par le gouvernement est néfaste, car elle ne traite pas la cause réelle du fléau qu’est la toxicomanie, ne s’attaquant pas uniquement à ses acteurs que sont les trafiquants, continuant à réprimer les victimes que sont les consommateurs.
Ceux-ci, surtout quand ils sont tombés dans le piège des réseaux de la drogue doivent être aidés et non harcelés et punis, livrés à cette fabrique de la délinquance que sont devenues nos prisons, alimentées de plus par des législations ineptes.
Prisons surpeuplées du fait d’une législation inepte
Dans un rapport exhaustif sur les prisons en Tunisie, présenté il y a un an par le bureau de Tunis de son Haut Commissariat aux Droits de l’Homme, L’ONU a fait le terrible constat que nos prisons étaient surpeuplées avec des conditions de vie pénibles pour cause d’une législation répressive inadaptée sur les stupéfiants.
Outre un surpeuplement intolérable, le délabrement des infrastructures et leur mauvais état mettent en danger la santé des détenus déjà pénalisés par une hygiène insuffisante et brimés par des pratiques abusives.
En matière de sociologie carcérale, le rapport signale que l’âge moyen des détenus varie entre 18 et 49 ans avec 60 % de récidivistes avec une cohabitation systématique, du fait du surpeuplement, des auteurs de délits mineurs et des meurtriers.
Le rapport pointe du doigt le fait alarmant que les auteurs de délits mineurs sont surtout d’innocents étudiants et des jeunes dont le seul tort est d’avoir consommé du cannabis, une pratique courante chez la jeunesse partout dans le monde.
Le constat est accablant : 53% des jugements d’emprisonnement sont rendus pour infraction à la législation sur les stupéfiants, particulièrement pour la consommation du cannabis. À la afin de septembre 2013, sur 25 000 détenus, 8 000 de la population carcérale l’étaient pour la plupart pour consommation de cannabis.
Aussi, le rapport réclame la dépénalisation absolue de la consommation et l’option exclusive pour les peines alternatives à la prison, comme des condamnations aux travaux d’intérêt général.
Avec raison, il juge la loi n° 92-52 du 18 mai 1992 réprimant la consommation de cannabis, objet de la soi-disant réforme annoncée par le ministre de la Justice, comme étant l'une des plus répressives dans le monde, la déclarant trop injuste, ne supposant pas de réforme, mais une abolition pure et simple.
L’ONU recommande la totale dépénalisation
Un autre rapport de l’ONU, celui de la Commission globale sur la politique des drogues, publié il y a peu, dénonce à son tour sévèrement les mesures jugées cruelles en vigueur de par le monde en matière de pénalisation de la consommation de la drogue.
Intitulé « Prendre le contrôle : Sur la voie de politiques efficaces en matière de drogues », il juge qu’il est temps de rompre avec une législation devenue criminelle en se focalisant sur les consommateurs qui ne sont que des victimes, et ne faisant rien de sérieux contre les trafiquants.
La force du rapport est de comporter de sérieuses recommandations efficaces pour remplacer les mesures ciblant juste les innocents consommateurs que la répression transforme en délinquants.
Rappelant la loi sociologique classique qui veut que la répression aveugle, la plus sévère soit-elle — telle la nôtre et qui sera maintenue malgré la réformette —, ne saurait éradiquer un phénomène social si elle en néglige les vrais ressorts, le rapport soutient qu’en matière de drogue, le ressort principal reste la filière des revendeurs, jamais les consommateurs.
Relevant l'augmentation continue du chiffre des consommateurs dans le monde, passant à 243 millions en 2012 alors qu'il n'était que de 203 millions en 2008, l’ONU insiste sur la nécessité de distinguer entre l'usage et la vente de la drogue, le premier ne devant pas être criminalisé contrairement à la seconde, notamment celle des filières des bandes organisées.
Cet énième rapport vient ainsi interpeller nos dirigeants autistes, appelants à humaniser l'idéologie dominante en matière de lutte contre la drogue, « seule manière de réduire à la fois la mortalité, la morbidité et les souffrances liées à la drogue et la violence, ainsi que la criminalité, la corruption et les profits illicites favorisés par les politiques prohibitionnistes inopérantes ».
C'est le marché qui doit être surveillé et réglementé et non les jeunes et les consommateurs, l'État devant veiller surtout à « ôter du pouvoir au crime organisé » tout en s'employant avec les associations concernées à « atténuer les dommages sociaux et sanitaires » causés par ce fléau.
Nécessaire dépénalisation totale de la consommation
En Tunisie, plus que jamais, la dépénalisation totale de la consommation doit être consacrée. Outre les raisons ci-dessus rappelées, elle s’impose du fait des acquis de la Constitution.
Il faut rappeler, à ce propos, aux islamistes qui freinent toute réforme sérieuse en l’objet qu’ils font du tort à notre religion en bloquant une réforme qui soit juste. Car il faut rappeler qu'en islam, quand le ratio intérêt/inconvénient de toute loi penche en faveur des inconvénients, l’urgence absolue est de ne pas l’appliquer, la législation devant être sinon tout bénéfice, du moins majoritairement bénéfique au croyant.
Or, il n'est plus besoin de démontrer que la loi sur le cannabis, ainsi que sa réformette telle que présentée, est majoritairement néfaste puisqu'elles créent la délinquance au lieu de la réduire.
Nos prisons sont aujourd'hui surpeuplées avec une forte présence de simples consommateurs — occasionnels qui plus est — n'ayant eu que le tort de griller un joint. Au nom supposé de leur intérêt, on brise leur vie en les enfermant pour un temps suffisamment long au milieu de vrais délinquants, augmentant leur rejet d'une société injuste, en faisant des apprentis dociles pour les vrais délinquants.
Aujourd'hui, y compris du point de vue religieux, toute véritable volonté sincère en matière de réforme de la législation sur les stupéfiants ne peut qu'agir en vue de la totale dépénalisation de la consommation de cannabis, la loi ne devant réprimer que le trafic et les organisations criminelles, sinon elle sera illégitime et éthiquement injuste.
Il faut d'urgence vider nos prisons des victimes innocentes de la loi scélérate de l'ancien régime. On ne fera alors que suivre le mouvement général dans le monde vers une dépénalisation du cannabis.
http://www.huffpostmaghreb.com/farhat-othman/quand-le-gouvernement-enc_b_7107290.html