Commençons par la parabole du pauvre vivant dans une ruine pour illustrer le sévère propos qui va suivre et qui démontrera que ce sont les supposés militants pour l'abolition de l'homophobie qui bloquent, en Tunisie, cette issue fatale.
Parabole du pauvre vivant dans une ruine
C'est l'histoire d'un pauvre hère n'ayant rien pour survivre et subvenir aux besoins de sa famille que la force de son travail qu'il vend au jour le jour et au bonheur la chance, ainsi qu'un gîte, seule richesse, où il se protège et sa famille des agressions du climat et de la rue.
Certes, sa bicoque tombe en ruine et sa vie ainsi que celle des siens est en permanent danger; mais il n'a pas le choix et accepte le risque d'y vivre, n'ayant nulle autre issue que la rue et ses périls.
En effet, on vient régulièrement lui dire que l'on se soucie de son intérêt et de celui de sa famille et qu'on veut bien reconstruire sa maison, lui éviter de mourir un jour sous ses décombres.
Toutefois, on lui demande aussi de quitter sa bicoque sans lui proposer où s'abriter; ainsi il devra attendre avec sa famille dans la rue qu'on veuille bien reconstruire son gîte après sa totale destruction.
Or, le temps dans la contrée du bonhomme est rigoureux et la rue y est de plus en plus mortelle. On comprend donc la motivation de la réponse négative de notre pauvre, pas si bête que cela, choisissant le présent périlleux au futur radieux qu'il risque de ne jamais vivre ni lui ni les siens.
Pourquoi donc les mécènes ne lui proposent-ils pas de s'attaquer aux pans de la maison qui menacent le plus ruine sans qu'il ait à quitter les recoins les plus sûrs de son chez-soi où il pourrait continuer à vivre avec sa famille, où l'on pourrait si nécessaire aménager des abris provisoires?
C'est exactement la situation dans nos contrées relativement aux questions sensibles des droits humains, et particulièrement celle du crime d'homophobie qui nous intéresse ici.
Salafistes religieux et profanes
Nous avons d'un côté des masses qui sont attachées à leurs traditions et à leur religion, plus en tant que culture que culte, et des militants supposés humanistes qui combattent moins pour obtenir l'abolition de la tare homophobe que pour faire prévaloir leurs vues laïcistes.
C'est un combat idéologique en apparence entre des défenseurs des droits de l'Homme et des défenseurs de la religion quand il n'est qu'une foire d'empoigne entre des intégristes religieux et des intégristes laïcistes.
Au vrai, les deux sont des complices objectifs, agissant de telle sorte que les choses restent en l'état. Pour les premiers, car c'est dans leur intérêt, le temps travaillant pour eux. Pour les seconds, dans l'espoir fallacieux d'instaurer un jour la laïcité en terre d'islam.
Pendant ce temps, les victimes du crime homophobe souffrent et ne peuvent même plus vivre comme avant, en toute discrétion, puisqu'on les surveilles désormais, l'excès des militants laïcistes entraînant celui des militants salafistes.
Or, il ne s'agit que d'une minorité, tout autant dogmatique l'une que l'autre alors que la majorité tunisienne est tolérante, nullement homophobe. Il y a juste que le milieu de contraintes légales et morales amène les masses à pratiquer la ruse de vivre ou même de survivre en étant hypocrites, se montrant volontiers homophobes pour se protéger, détourner les regards.
Voilà à quoi amène la situation actuelle où l'on fait exprès de parler d'une cause avec une langue que ne comprend pas le peuple. Car ce dernier ne comprend que ceci : ou l'islam est homophobe et donc pas de légalisation de l'homosensualité; ou il ne l'est pas, et alors l'abolition de l'homophobie s'impose. C'est ce qu'on ne dit pas bien que la preuve ait été amplement apportée que l'islam n'est nullement homophobe.
Si on peut comprendre l'attitude des salafistes religieux qui font une fausse lecture de leur religion, inspirée de la tradition judéo-chrétienne, peut-on accepter celles des salafistes profanes reprenant leur fausse argumentation pour servir non pas la cause, mais leur idéologie laïciste? Jusqu'à quand un tel colonialisme mental ?
Pis ! J'ai fait écho d'une indiscrétion diplomatique américaine attestant que le premier parti dans le pays voterait un texte consensuel abolissant l'homophobie au nom de l'islam et de la Constitution — qui y renvoie, faut-il le noter. Pour cela, il suffit que le texte entre au parlement. Or, on fait semblant d'ignorer cet engagement et de snober une telle arme magique devant amener l'abolition de l'article 230 en Tunisie.
Les laïcistes, complices objectifs des religieux
Bien pis ! Nos laïcistes se font rouler dans la farine par les intégristes qui manipulent à merveille la ruse, s'étant infiltrés partout. Leurs agents font croire aux militants droits-de-l'hommiste que la voie royale pour l'abolition de l'homophobie en Tunisie est la saisine de la Cour constitutionnelle.
Or, celle-ci n'est pas encore opérationnelle, ce qui signifie une perte de temps précieux, alors que chaque instant perdu est gagné par les intégristes. Ensuite, le plus bête des élèves juristes le dira : si la Cour est saisie, elle sera obligée de déclarer constitutionnel l'article 230 en rappelant que la Constitution réfère à l'islam qui prohibe l'homophobie.
Ainsi, on évacuera la question pour longtemps, sinon toujours, en servant les intérêts intégristes sans qu'ils aient eu à se mouiller. N'ai-je pas dit que ce sont nos laïcistes qui bloquent l'abolition en croyant agir pour l'avoir?
Ce n'est plus de la part des militants anti-homophobie de la bêtise, c'est même un crime à l'égard des victimes innocentes de plus en plus stigmatisées et terrorisées alors qu'elles pouvaient vivre avant en toute discrétion, profitant de la tolérance populaire qui se réduit comme peau de chagrin du fait d'un militantisme autiste.
Il est donc temps de rectifier le tir en changeant une stratégie inefficace, usant enfin du levier religieux pour obtenir l'abolition de l'homophobie. C'est une question de vie ou de mort de la cause anti-homophobie en terre d'islam. Qu'on y pense! Qu'on parle de soufisme, si on ne veut pas évoquer plus généralement la religion, car le seul islam authentique est le soufisme!
C'est notamment le cas de Shams dont le nom même réfère au soufi de Tabriz, et qui prétend ne pas mélanger religion et militantisme; or elle sait pertinemment bien qu'il ne s'agit pas de religion, mais de culture. Qu'elle sache encore qu'en Tunisie le peuple est spiritualiste et est prêt à entendre parler de soufisme, qui a toujours été tolérant, mais pas de religiosité qu'elle soit intégriste classique ou profane, car le laïcisme dont font montre les dirigeants actuels de Shams relève de la plus dogmatique religion civile. Qu'on y réfléchisse aussi!
Aujourd'hui, je le dis et je le répète : l'abolition est à portée de main si on ose user de l'arme adéquate, une arme fatale pour l'homophobie. Si on ne le fait pas, c'est que les militants supposés agir pour cela ne le veulent pas. C'est dit en toute amitié et parfaite sincérité pour le bien de la cause. Car l'homophobie est un crime et ses victimes nous interpellent. Peut-on continuer à se rendre ainsi coupables de non-assistance à personnes en péril ?
Publié sur Al Huffington Post