Quelle triste fête de la femme !
Que saisissant de mélancolie fut le spectacle donné par la fête de la femme en ce 13 août ! Symptomatique des maux de la Tunisie, il est bien meilleur que tous les mots, ô combien nécessaires pourtant pour identifier les vrais maux du pays. On s'en moque cependant, continuant à se gargariser de langue de bois !
Les mots sur les maux de la Tunisie
Il est temps de mettre de vrais mots sur les maux de notre patrie. Et cela commande de s'attaquer aux vrais problèmes.
On sait, depuis Foucault, qui a tant aimé la jeunesse de notre pays, l'importance de mettre les justes mots pour qualifier les choses, ce qui en reconnaît ou nie même l'existence.
Nommer, c'est identifier, dénommer et débaptiser, c'est nier, annihiler ce qui fait existence. C'est ce qui a cours chez les humains depuis la nuit des temps; les pharaons, par exemple, n'agissaient pas autrement quand ils voulaient faire disparaître la trace d'un prédécesseur tombé en disgrâce : on martèle son nom sur les parois des pyramides. Ainsi fit-on de la pharaonne Hatchepsout, par exemple. Et c'est ce dont rend compte le Coran quand Dieu, à la création d'Adam, lui enseignant le nom des créatures en les créant du coup.
Si les maux de la Tunisie sont si graves aujourd'hui — et ainsi sont les choses dans le monde arabe musulman —, c'est que nos mots pour les désigner n'y correspondent en rien. En effet, on ne sait ni ne veut en parler. Au vrai, c'est un trait de caractère arabe que j'ai qualifié par la parabole du moucharabieh. On simule et on dissimule, jouant pour les plus perspicaces à feindre instiguer ce qui les dépasse. Et ce par incapacité à trouver le mot juste pour qualifier de tels maux ou, comme ce 13 août, la volonté de tromper.
C'est que la crise en Tunisie et dans le monde est d'abord dans les têtes; elle est mentale avant d'être économique, politique ou financière. Elle est même axiologique au sens où l'esthétique manque à l'éthique, et ce au sens étymologique du mot. On sait, en effet, que l'esthétique dérive du grec ancien aisthêtikos voulant dire "relatif à la perception" et aussi du mot aisthêtis qui est la "sensation". Or, plus que jamais, on a besoin d'une éthique musulmane qui colle à ce qu'éprouve un peuple intelligent et hédoniste, libertaire même
Une somptueuse fête de la vanité
À l'occasion du 13 août, on a eu droit à une classe politique toute joyeuse, mais célébrant quoi ? un texte qui fut révolutionnaire, certes, mais qui a soixante ans déjà et qui a mal vieilli !
Pourquoi donc revenir au passé, même s'il fut glorieux, et fermer les yeux sur le présent bien plus que triste, et même gros de périls ?
On vieillit en soixante ans, bien ou mal; or, le Code du Statut personnel a très mal vieilli et il doit être rajeuni afin de demeurer révolutionnaire.
Certes, on ne fait rien, car les obscurantistes n'ayant jamais accepté ce Code sont toujours là et, bien que minoritaires dans le peuple, ils gardent une grande capacité de nuisance auprès des masses qu'on manipule à tout va.
Mais pourquoi est-on dans une telle situation? Parce qu'on ne fait rien, alors qu'il est du devoir du partenaire islamiste au pouvoir, qui se prétend converti au vivre-ensemble démocratique, de tout faire pour prouver ses bonnes intentions. Or, il ne le fera jamais si on ne le presse pas, lui enjoignant même de conforter ses paroles par des actes concrets sur des sujets dits sensibles.
Et cela doit se manifester par des projets de loi touchant les questions taboues, et qui ne le sont que pour ceux qui ne veulent pas en parler, car cela entraînera l'érosion de leur pouvoir sur la société, une mainmise sur les mentalités qui n'a d'effet que parce qu'elle use de tromperie et de violence. On l'a ainsi vu lors des récents troubles tolérés sinon suscités par des sympathisants du parti islamistes sur la liberté du commerce d'alcool.
Il est temps qu'une telle hypocrisie cesse ! il est bien temps que la femme soit l'égale de l'homme en matière successorale, qu'on arrête avec les tests de virginité, qu'on reconnaisse le droit au sexe entre majeurs consentant même en dehors des liens du mariage.
C'est la Constitution qui l'impose et c'est le devoir des dirigeants du pays qui ont intérêt à cesser d'user de langue de bois et de tenir compte de l'évolution mentale de la société. En effet, elle n'a jamais été conservatrice au-delà d'une minorité de dogmatiques manipulés par des activistes salafistes, tout aussi religieux que profanes.
Il faut arrêter de biaiser et de servir des brioches à un peuple qui a faim. Ce n'est pas un énième projet de loi sur les violences faites aux femmes qui va changer son sort triste ! C'est l'égalité successorale qui réalisera le saut qualitatif nécessaire, car elle est la principale violence et elle se niche dans les têtes, y compris celles supposées bien faites !
Alors, à quand le vote du projet de loi qui a été soumis à l'assemblée en ce sens et qu'on cherche à enterrer avec la ridicule et honteuse réformette sur les violences faites aux femmes, une brioche qui ne satisfait nullement la faim devenue vorace des droits et libertés en Tunisie ?