Encore cent jours pour des réformes qui n'attendent plus?
N'est-il pas surprenant de voir les membres du gouvernement à la fin de ses cent premiers jours nous livrer les priorités de leur ministère pour cette même période à venir au lieu de nous détailler ce qu'ils ont fait durant une telle étape de parcours? Ils agissent ainsi comme s'il s'agissait d'un simple exercice de style où il importe plus de parler et de promettre sans se soucier de contenu et de réalisation.
Ainsi, cette étape symbolique à haute valeur ajoutée sur la véracité de la volonté et des engagements semble ne relever que d'une pâle imitation de ce qui se fait en Occident. Pendant ce temps, que fait-on concrètement? Rien ou si peu!
Mesures urgentes et promesses non réalisées
Pourtant, il y a bien du pain sur la planche ne manquant que de bonne volonté politique pour se transformer en réalisations concrètes dont la portée sera assurément surprenante en termes de transformation des mentalités et levée de freins bloquant les imaginaires.
Pour cela, il aurait suffi d'un acte solennel, même pas un lourd corpus textuel, pour démontrer la réalité d'une volonté manquante ou réticente, ainsi qu'on l'a vérifié avec la réforme de la législation sur les stupéfiants.
On s'est ainsi limité à une réformette sans intérêt, ne devant être qu'un cautère sur jambe de bois en plus d'être le reniement d'une promesse présidentielle portant sur la dépénalisation de la consommation.
En plus, la législation liberticide de l'ancien régime demeure en place au lieu d'être rapidement abrogée, au moins pour les lois les plus scélérates. Il est vrai, on se focalise sur le terrorisme, et encore de la plus mauvaise façon, puisque la vraie lutte contre ce cancer consiste à renforcer l'État de droit et non les mesures répressives, car c'est l'État de non-droit qui favorise le terrorisme.
Des textes dans le sens de l’État de droit sont les plus urgents, conditionnant tout le reste ; et ils ne nécessitent pas de temps pour être engagés et donner fruit. Il est inadmissible, par exemple, de tarder à mettre en oeuvre les droits prévus par la constitution relatifs à l'abrogation de toutes les lois d'exclusion et de restriction des libertés privatives.
Afin de démontrer une volonté sincère de réforme, que ne commence-t-on par décider un moratoire à l'application des lois liberticides et prévoir législativement une libre appréciation du juge ?
Celui-ci, dans les imites de la Constitution et de ses travaux préparatoires, serait invité à se baser sur le droit comparé pour statuer dans l'attente de la nouvelle législation qu'on sera alors forcément amené à adopter au plus vite. Une telle latitude donnée à l'appréciation judiciaire ne saurait qu'enrichir la préparation législative sans nécessairement rompre le principe de l'unité du droit.
Outre la loi sur le cannabis à abroger, il importe de suspendre par moratoire aussi les lois criminalisant les pratiques tenant aux moeurs et à la vie privée devant être libérée et protégée. Cela concerne notamment les rapports homosexuels qui ne sont nullement contraires à l'islam, tout comme la prostitution, un droit privatif essentiel reconnu dans le Coran.
Il y a également les arrêtés et circulaires, encore plus faciles à abroger que sont ces textes hypocrites, reliquat de la morale du colonisateur bien plus que de l'éthique islamique. J'en citerais ceux ayant trait à la libre vente d'alcool soumis actuellement à des contraintes illégitimes, violant le libre commerce que l'islam bien compris protège contre toute restriction, y compris le vendredi et durant le ramadan. Car la foi, libre en islam, n'est ni ostentatoire ni contrainte ni pudibonde.
Voilà autant d'engagements concrets et pour tout de suite dont la concrétisation tient juste à une volonté politique. Existe-t-elle vraiment ?
Engagements pour les cent jours passés et à venir
Quid maintenant des engagements pris pour l'échéance des cent jours ? Lors de son investiture, le chef de gouvernement a bien dit que la page de la tyrannie et de l'injustice était tournée. Or, on vient de le rappeler, la législation tyrannicide de la dictature est toujours en place, à peine touchée !
Un autre des engagements de M. Essid était la baisse des prix, la propreté de nos villes et la lutte contre la pollution. On ne peut pas dire qu'on ait fait grand-chose à ce niveau non plus.
On se rappelle de même ses engagements à réformer la fiscalité pour lutter contre le cancer de l'évasion fiscale et la réforme de la justice; on en est encore, cent jours plus tard, au niveau des voeux pieux.
Il est vrai qu'il y a bien un domaine sur lequel le chef du gouvernement semble avoir tenu parole, celui sinon d'éliminer du moins de limiter drastiquement les organes parallèles à l'État qui ont proliféré du temps de la troïka.
Il faut croire qu'une telle lutte a pris tout son temps au gouvernement. Ce qui n'est pas négligeable, malgré tout, au vu de l'état de déliquescence de l'État malgré le nombre appréciable de compétences désintéressées toujours sur la touche.
S'agissant des cent jours à venir, le ministre de l'Intérieur dit que sa priorité est la protection des forces armées selon des normes internationales. Oublie-t-il que ces normes n'ont de sens que dans le cadre de protection préalable des droits des citoyens qui sont loin de l'être avec le maintien de la législation de la dictature? Un tel rapport déséquilibré fait courir le plus grand risque de voir renforcer l'autoritarisme de l'État. Aussi, avant de protéger les forces armées, il faut protéger les citoyens, car les forces armées sont d'abord des citoyens.
Le ministre de l'Intérieur dit d'ailleurs entendre agir à la concrétisation du processus de décentralisation énoncé par la constitution. Si en effet l'élaboration d'une loi électorale municipale et la mise en place d'une « Haute Assemblée des collectivités locales » sont nécessaires, cela prendra du temps et il n'est pas sain de ne rien faire dans l'attente.
Or, il n'y a aucune raison de ne pas engager déjà la décentralisation par la décision politique dans les faits avec la multiplication des initiatives relevant de la démocratie locale, comme le budget participatif, et en impliquant la société civile dans la gestion des villes, y étendant la formule des délégations spéciales.
La question de ces délégations est d'ailleurs posée et il ne s'agit pas de reconduire la fâcheuse expérience en cours. La société civile et les compétences indépendantes doivent être sollicitées. C'est ainsi que les initiatives prévues portant sur la réhabilitation de quartiers et la création de municipalités pourraient réussir.
C'est donc d'action et en urgence qu'a besoin le pays et non de parlerie et de parlote; c'est à quoi doit s'astreindre le gouvernement.
Rappelons pour terminer que l'une des priorités du gouvernement pour les cent jours passés était de dévoiler toute la vérité sur les deux assassinats de Chokri Belaid et de Mohamed Brahmi. On n'est pas seulement au point mort, mais on a une nouvelle affaire de banditisme à éclaircir, celle du rapt et de l'assassinat de deux journalistes tunisiens en Libye !
Publié sur Al Huffington Post
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http://www.huffpostmaghreb.com/farhat-othman/encore-cent-jours-pour-de_b_7236044.html
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