Quelques vérités à rappeler, pour une relance révolutionnaire
En cette date de lancement
des festivités du troisième anniversaire de la Révolution tunisienne, un âge de
raison pour les peuples, adonnons-nous à un jeu qui soit celui de la vérité,
loin de tout manichéisme :
1. Pour comprendre la vie
des peuples, il n'est nulle vérité unique, il n'est que des vérités relatives,
organiquement liées. Ainsi, s'il n'y a pas eu de révolution au sens technique
en Tunisie, il y a bien eu un coup du peuple, au sens où la pression populaire
a constitué l'étincelle pour l'aboutissement final. Il est bien connu que
l'entassement des munitions ne fait pas déclencher une guerre; il faut toujours
le plus important, une étincelle pour que ce champ propice s'embrase. Or, la
Tunisie était en révolution silencieuse, conformément à son statut de pays
vivant sans bruit. De fait, il n'est nulle individualité qui soit
révolutionnaire; ce sont les masses qui le sont; les individus ne faisant
qu'incarner les foules seules révolutionnaires, et seules les faisant.
2. Il y a eu manipulation de
la vérité, Bouazizi ne s'appelait pas Mohamed, n'était pas un modèle de vertu
et n'a pas été giflé par l'agent municipale. Mais, il a osé ce que d'autres ont
aussi fait, manifester sa désespérance. Qu'il ait été érigé en icône de la
Révolution ne fait que renvoyer à son statut de fils du peuple, humble et aux
abois. C'est moins la personne de Bouazizi qui compte, moins la manipulation
qui a accompagné son geste, que la symbolique qui l'a accompagné. Il est
honteux de vilipender aujourd'hui ceux qui ont tout fait pour que le vent de la
liberté souffle sur une Tunisie enfin replacée dans le sens de l'histoire. En
notre monde, la manipulation est permanente; ce qui compte c'est à quoi elle
est instrumentalisée; pour quelle cause cela sert : noble, au service du plus
grand nombre ou scélérate, pour des intérêts égoïstes.
3. Au lendemain du dialogue
de sourds que furent les palabres nationales, tout le monde a, dans le même
temps, raison et tort à la fois. Nahdha pour avoir accepté finalement de
quitter formellement le pouvoir; elle n'avait pas le choix et c'était le
moindre mal. Dans le même temps, sa volonté démocratique n'est toujours pas
évidente et elle se doit de donner des gages sérieux. L'opposition, quant à
elle, est fondée à vouloir un changement radical de gouvernance, mais les
solutions qu'elle propose ne vont pas nécessairement au-delà des intérêts de
ses composantes déjà radicalement opposées sur les recettes. Or, seules des
mesures courageuses empêcheront la réplique du coup du peuple qui se prépare.
4. Le peuple est oublié par
son élite qui, même dans la bouche de ceux qui prétendent coller à ses
exigences, n'est qu'un prétexte. C'est qu'on ne prend pas acte de sa réalité
d'extrême dénuement ni de ses revendications majeures à la dignité — qui veut
dire un travail bien rémunéré — et à la liberté — qui veut dire plus de
latitude de vivre, agir et circuler en peuple majeur et véritablement souverain.
5. Aucune démocratie ne peut naître aujourd'hui, et ce ni en
Tunisie ni ailleurs dans le monde pauvre, sans une articulation à un système
démocratique avéré. Il ne faut pas se leurrer : malgré ses valeurs et
principes, l'Occident a plus en vue ses intérêts économiques que la
démocratisation des régimes des pays du Sud, qui restent à ses yeux un pur
marché. C'est son système économique, donc tout son équilibre politique, qui le
commande. Pour cela, il s'accommodait hier des dictatures; aujourd'hui il
s'accommoderait de régimes autoritaires, mais stables bien plus que d'une
démocratie d'un peuple libre, mais menaçant les fondements libéraux et
protectionnistes à la base de son existence. C'est ce qui explique, pour une
grande partie, son soutien à Nahdha dont le libéralisme économique outrancier a
de quoi le séduire.
6. C'est d'une révolution
mentale que la Tunisie a besoin; les élites mondiales aussi. Pour s'en sortir,
la Tunisie a besoin d'une ambition, celle d'une démocratie concrète, où le
pouvoir est décentralisé réellement, où le peuple est libre de circuler hors de
ses frontières. J'ai résumé cela en quelques mesures qui s'imposent et qui
pourraient transformer la donne du tout au tout, comme avec une arme magique
qu'il urge d'employer. Avis au nouveau gouvernement !
7. Voici donc cette sorte de
mixte révolutionnaire empruntant aux uns et aux autres des partis politiques,
mais n'usant pas comme eux de langue de bois, puisant plutôt dans l'imaginaire
populaire, allant à la rencontre de ses attentes, en y apportant une réponse, même indirectement. La part du
symbolique y est éminente; mais on sait l'importance du symbole sur
l'inconscient collectif. C'est l'imaginaire qui commande la volonté, ne l'oublions
pas.
A. Décider immédiatement et
solennellement un moratoire aux lois liberticides de l'ancien régime, toutes
les lois qui ont servi dans les derniers procès d'opinion. Et dans la foulée
libérer les innocentes victimes de ces lois scélérates dont Jabeur Majeri est
un triste symbole.
B. Lever les réserves aux conventions
internationales majeures contre les discriminations et adopter celles qui ne
l'ont pas encore été. La Cedaw en est une illustration.
C. Insérer dans la
constitution les deux marqueurs de la modernité politique que sont l'abolition
de la peine de mort et la criminalisation de tout anathème pour incroyance.
C'est ainsi que la liberté de conscience sera spectaculairement et réellement consacrée
loin de toute dérive comme la prétendue atteinte au sacré.
D. Lancer à l'échelle
régionale et locale des assises de la décentralisation politique et économique avec
les associations et la société civile pour instaurer une gouvernance
véritablement autonome du pouvoir central où le pouvoir réel appartient aux
collectivités locales et régionales. Elles serviront à l'organisation
prioritaire d'élections municipales, bien plus importantes pour la démocratie
que des élections législatives. Car c'est de démocratie participative que la
Tunisie a besoin non pas de démocratie représentative devenue une pure
confiscation du pouvoir par des élites privilégiées.
E. Demander officiellement
l'adhésion de la Tunisie à l'Union européenne; et dans cette attente, agir pour
amener à transformer au plus tôt le visa actuel en visa biométrique de
circulation reconnaissant le droit inaliénable du Tunisien à circuler librement
et comme une valeur éminente des droits de l'Homme. Certes, l'Europe tiquera;
mais si elle veut la réussite en Tunisie de la démocratie comme elle le
prétend, elle est obligée de réviser ses dogmes obsolètes en matière
d'immigration. Sinon, elle confirmera la figure d'intégriste obscurantiste
qu'elle affiche aujourd'hui en la matière. Or, pour une grande part, la preuve
en a été donnée, sa politique migratoire insensée alimente de plus en plus les
rangs des extrémismes religieux.