Pourquoi on a tort d'interdire Exodus
En Égypte et au Maroc, pour le moins, on interdit le film Exodus. Un article publié ici justifie cette interdiction en qualifiant le film de confus. De fait, c'est une épithète qui s'applique bien à l'article qui mélange les genres.
Des reproches adressés à tort au film
L'auteur commence par rappeler l'activisme d'associations américaines oeuvrant, dit-il, au « révisionnisme de l'histoire égyptienne », défendant l'idée d'une origine africaine des Égyptiens de l'Antiquité. Ainsi fait-il peu de cas des exigences de la liberté d'opinion autorisant l’opinion et son contraire, la vérité n'étant jamais une et définitive, ne valant que par la démonstration et le fait polémique
De telles cogitations, fondées ou non, et relevant de l'activité intellectuelle normale dans un monde libre font donc du film, selon l'auteur, une oeuvre de révisionnisme historique négationniste. Exodus aurait juste pour visée de nier l'héritage historique des Égyptiens au profit des Hébreux auxquels il attribue la construction des pyramides.
Il ne serait que l'oeuvre manichéenne destinée à priver les Arabes de leurs références historiques antérieures à l'islam dans un travail de sape ayant pour finalité de tuer le fait national arabe. Ainsi est-il érigé en une arme de destruction massive pour un épisode d'une guerre idéologique des États-Unis contre le nationalisme arabe. N'est-ce pas trop prêter à un film ?
Ce qui rend plus insupportable cette oeuvre pour notre auteur, ce sont les « approximations historiques et religieuses » jugées comme « autant de provocations » dont il estime le paroxysme atteint par « cette scène où Dieu est représenté sous les traits d'un enfant », y voyant un emprunt à la Bible, rappelant le fameux buisson ardent.
À partir de là, il suppute une référence à l'incarnation divine en Jésus, concluant à « un acte gratuit, dénué de signification artistique », renforçant ce qu'il perçoit en pure provocation.
Notons, à ce propos, que c'est cet aspect de représentation humaine de Dieu qui aurait motivé les Marocains pour interdire le film chez eux, faisant notamment référence aux mésaventures en Tunisie, pourtant bien plus libérale en la matière, relativement au film Persépolis pour cause de scène similaire, Dieu y étant représenté en vieillard.
Une prétention de parler au nom du peuple
Or, justement, l'exemple du film d’animation est l'argument par excellence militant pour la diffusion de ce genre de films, car la contestation a été le fait d'une minorité d'intégristes, entretenue et même encouragée par des personnalités officielles.
Car, s'agissant de la majorité du peuple tunisien, elle n'y a rien vu d'offensant à l'islam ni à Dieu. Aussi, il aurait suffi dès le départ au parti islamiste, alors au pouvoir, de réagir raisonnablement pour que rien ne se soit passé au lieu de s’appliquer à jeter de l'huile sur le feu. Il aurait dû faire aussitôt, à l'intention de ses troupes extrémistes, le distinguo qui s'imposait entre une oeuvre de fiction encouragée par l'islam, y compris dans ses excès, et le blasphème qui doit répondre à des conditions strictes en notre foi.
Pareillement, pour Exodus, la majorité des citoyens dans les pays arabes et musulmans est loin d'avoir le comportement très minoritaire des zélotes, n'y voyant que le film de grand spectacle qu'il est. Cela, bien évidemment, est peu visible au côté de l’agitation mise en évidence d’excités minoritaires, et qui font impression de par leurs violences. D’autant plus que leurs turpitudes trouvent appui dans certaines instances religieuses officielles, y compris par l'opinion publiée et diffusée, celle de la doxa d'un islam institué absolument coupé de l'islam populaire.
En effet, de l’opinion réellement publique, on ne parle point, et elle ne se voit pas auprès d’une opinion publiée, orientée par des intérêts idéologiques et politiques. On le voit bien en Égypte où les autorités militaires font tout pour se faire accepter par les franges les plus rétrogrades de la société, les caressant dans le sens du poil pour des raisons politiques et non religieuses. Leur interdiction du film Exodus n'est qu'un énième stratagème pour calmer l'ire des religieux en allant dans le sens des aberrations des plus extrémistes d'entre eux.
À la vérité, les peuples arabes et musulmans sont loin d'épouser les vues de leurs dirigeants instrumentalisant ainsi pour leur maintien exclusif au pouvoir un mythique conservatisme social. Contrairement à l'idée que colportent d'eux ceux qui prétendent parler en leur nom, ils sont tolérants et même libertaires dans leur mentalité, bien loin de reproduire l'islam officiel, intolérant et intégriste, utilisé pour dominer les esprits ou pour gouverner. Le populo musulman ne se reconnaît nullement en ses élites coupées de son quotidien ni dans l'islam qu'ils caricaturent et qui n'a qu’une prise limitée ou biaisée sur le réel.
L'avis de l'auteur de l'article aurait pu se justifier comme une lecture parmi d'autres du film s'il ne s'était pas érigé en une vérité qu'on impose à tout le monde, au nom de laquelle on s’autorise à empêcher les gens d'avoir leur propre jugement avec la possibilité de voir le film ; ce qui est leur droit absolu.
Or, on est à l'âge des foules, et elles ont désormais le droit de se faire aussi leur propre idée, personne ne pouvant plus le leur refuser au nom de leur intérêt, surtout pas pour s'improviser de défenseur de leur histoire. Celle-ci appartient aux masses qui la font ; et le peuple en ce temps de l'information n'a plus besoin de quiconque pour parler en son nom ; il en est bien capable tout seul.
Le peuple est majeur à l'ère des foules
Estimant que les « détournements historiques et religieux du film (sont susceptibles) d'influencer la perception de l'histoire de beaucoup de personnes, et notamment du jeune public européen », l'auteur en conclut que son peuple est mineur et ne doit pas voir le film.
Or, à maintes occasions, ce peuple a toujours montré être plus adulte et plus mûr que ses supposées élites; on le mesure en l'observant réussir à survivre dans les pires conditions que lui imposent ses dirigeants si peu soucieux de ses intérêts.
Au vrai, si l'auteur était sincère dans ses affirmations et que les justifications données par les censeurs étaient fondées, on n'aurait nullement interdit le film, veillant à le diffuser librement tout en multipliant les manifestations culturelles pour discuter ses thèses et les réfuter éventuellement.
C'est ce que commande la raison; mais comme on choisit la solution de facilité de l'interdiction, agissant d'une manière déraisonnable, c’est qu’on n'a en vue que l'intérêt immédiat, qui est en l'occurrence de ne pas mécontenter les activistes musulmans, les plus véhéments contestataires du pouvoir en place.
Que le film soit une fresque véridique des faits ou non, il est d'abord une oeuvre de l'esprit humain dont l'objectif est d'abord de divertir; et c'est ce que cherchent les masses. Qu'une telle œuvre suscite la contestation des historiens ou des religieux pour le sujet traité, cela doit faire l'objet de discussions et d'échanges publics, preuves à l'appui, et non d'un diktat venant de haut, dictant avec superbe aux gens ce qu'ils doivent penser et faire. Surtout qu’il existe au sein des masses un vif désir de polémique et un réel penchant à la contradiction, comme on le voit bien en Tunisie à la faveur de la liberté retrouvée par le peuple.
Est-ce bien raisonnable donc d'aller ainsi contre les intérêts du peuple et de contrarier ses aspirations ? Cela ne pourra que creuser encore plus le fossé séparant les élites de ses réalités. Par ailleurs, on ne le sait que trop bien, la meilleure façon de faire de la publicité pour une oeuvre, la valoriser, c'est de l'interdire, l'interdit attirant toujours. Aussi, c'est en interdisant Exodus qu'on rend crédibles ses assertions auprès du grand public ! Or, n’est-ce pas leur crédibilité qui fait problème pour les censeurs ?
Publié sur Al Huffington Post
Le site a fermé, le lien fonctionnel était :
http://www.huffpostmaghreb.com/farhat-othman/pourquoi-on-a-tort-dinter_b_6415686.html
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