Migrations : L'Europe, un nouveau Ponce Pilate
« Ouvrir les frontières, solution radicale face aux drames de l'immigration », c'est le récent titre d’un article choc de la radio télévision belge sur la nécessité de rompre avec l'autisme criminel des autorités officielles en Europe comme ailleurs.
L'article cite François Gemenne, professeur universitaire, spécialiste des flux migratoires, qui rappelle « qu'aujourd'hui la politique européenne en matière d'asile et d'immigration est exclusivement une politique de surveillance, de contrôle des frontières et de lutte contre les passeurs ».
Examinant les différentes hypothèses pour ce qu'il appelle « un véritable projet pour la politique migratoire », il affirme que « la solution la plus radicale qui résoudrait le problème d'un coup : c'est évidemment celle de l'ouverture des frontières. Si les frontières sont ouvertes, le problème ne se pose plus et les passeurs n'ont plus aucun business à exploiter. »
Sur cette politique de gribouille, François Gemenne ne mâche pas ses mots : « c'est davantage que de l'égoïsme, c'est du cynisme, c'est simplement le souhait de se laver les mains du problème et l'Europe est très heureuse de laisser les autres gouvernements (la Turquie, la Jordanie, le Liban) accueillir ces réfugiés. »
Et il enfonce le clou : « même aujourd'hui, quand on voit les cargos qui arrivent en Europe, il n'y a aucune solidarité de la part des autres pays européens : tous les autres États sont très heureux de laisser l'Italie se dépatouiller toute seule face à ce problème. »
La vérité à dire
Un tel discours de bon sens est paradoxalement bien plus audible en Europe qu'au Maghreb. De l'autre côté de la Méditerranée, on estime irrecevable l’argument de se taire du fait que les esprits ne sont pas encore prêts à entendre le discours de bon sens. Chez nous, on n'ose pas tenir une vérité qui risque de froisser de prime abord, surtout les amis d'Europe. Or, toute nouveauté commence par surprendre et froisser les habitudes.
Pourtant, il est beaucoup de mensonges et de fantasmes à combattre dans le discours dogmatique actuel, comme celui de refuser la levée inévitable du visa pour un mythique appel d'air. À ce propos, M. Gemenne est catégorique : « Ce n'est pas l'ouverture ou la fermeture des frontières qui crée les flux migratoires. C'est au départ la motivation de vouloir migrer, et, si des gens sont prêts à payer des sommes comme 5000 ou 6000 dollars et à risquer leur vie en Méditerranée, vous imaginez bien que ce n'est pas une frontière fermée qui va les arrêter. S'ils doivent tenter de franchir la frontière cinq fois, dix fois ou vingt fois, ils le feront. Ce n'est pas du tout la fermeture des frontières qui réduit les flux migratoires, elle les rend simplement plus dangereux. »
L'Europe empêtrée dans ses problèmes internes, aggravés par une crise autant économique que morale, se désintéresse donc de ce grave problème, essayant même d’en refiler la gestion à autrui, comme on le voit avec les accords de réadmission. Peu lui importe que les conséquences de son incurie dans ce dossier soient mondiales, alimentant les réseaux des passeurs dont le business est fort lucratif ainsi que les réseaux de recrutement de terroristes parmi les jeunes désespérés non seulement de vivre, mais de survivre.
Aussi, elle s'applique à conclure des accords de réadmission quitte à mentir pour les imposer, prétendant que cela est une étape vers la suppression du visa, qui sera renvoyée évidemment aux calendes grecques. Or, en bonne logique, un accord de réadmission ne peut se concevoir que si l'admission est préalablement garantie libre ; sinon, l'accord est léonin. Et il l'est !
De fait l'Europe joue à Ponce Pilate. Comme l'affirme notre spécialiste des flux migratoires, sa politique reflète bien plus que de l'égoïsme : du cynisme, « se laver les mains du problème. Aujourd'hui, quand on voit les cargos qui arrivent en Europe, il n'y a aucune solidarité de la part des autres pays européens : tous les autres États sont très heureux de laisser l'Italie se dépatouiller toute seule face à ce problème. »
Toutefois, et il nous le faut dire, ne pas l'oublier : un tel égoïsme de la part de l'Europe ne peut ni exister ni durer sans la complicité des dirigeants des pays du Sud. Il suffit, en effet, que ces élites osent désavouer une telle politique suicidaire pour que la question soit enfin posée et débattue sereinement.
Et il est certain qu'une fois la politique migratoire actuelle de l'Europe contestée sérieusement, elle ne saurait qu'être remaniée et finir par être abandonnée. C'est inéluctable.
Une responsabilité à assumer
Contrairement à ce qu’on soutient bien à tort, et malgré les convulsions actuelles, le monde est loin de faire face à un choc des civilisations. Celles en cours dans les sociétés arabes musulmanes sont surtout dues a des interprétations biaisées et tronquées de l'islam, agressives même, et qui ne sont que le fait de minorités plus visibles que la majorité silencieuse croyant plutôt en un islam paisible, plus culturel que cultuel, plutôt spiritualiste.
Cela ne correspond nullement à la caricature de l'islam des prédicateurs intégristes manipulés et des activistes de terrain instrumentalisés par des intérêts antagonistes de puissances régionales, comme l'Iran chiite, la Turquie sunnite, l'Arabie Saoudite et le Qatar wahhabites, mais aussi et surtout par Israël et les néoconservateurs américains.
Aussi, le monde est loin d’être sérieux en s'attaquant uniquement à l'aspect superficiel du mal. Pour l'éradication de la gangrène terroriste dont Daech est une illustration et démontrer être crédible, il suffit pourtant de commencer par dénoncer les vrais commanditaires financiers des turpitudes agissantes sur le terrain, munitions humaines conscientes ou inconscientes de manipulateurs machiavéliques. Le fait-on ? Que nenni !
Que la Tunisie, se voulant un modèle dans le cadre de son modèle politique, montre donc le chemin en osant militer pour le parler vrai et la poléthique, une politique compréhensive des valeurs. Et pour commencer, qu'elle rejette l'accord de réadmission tel que proposé par l'UE tout en appelant à un espace de démocratie méditerranéenne impliquant une liberté de mouvement sous visa biométrique de circulation !
Le nombre limité de sa communauté expatriée, son haut degré de maturité politique et les problèmes relativement mineurs qu'elle pose militent pour que l’Europe tente l'expérience de l'ouverture de ses frontières avec la Tunisie. Ainsi notre pays aidera-t-il, sur le plan international cette fois-ci, à la transfiguration de la pratique politique, préalable à une paix durable dans la région.
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http://www.huffpostmaghreb.com/farhat-othman/migrations-leurope-un-nou_b_6585580.html
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