Avec le vote de confiance au gouvernement Chahed au parlement, c'est la réussite de l'initiative présidentielle qui est consacrée. Mais ce n'est qu'un essai qu'il reste à transformer.
L'esprit de l'initiative présidentielle
On sait qu'au rugby, et notre pays est devenu une sorte de terrain de jeu politique sinon économique, l'essai réussi reste insuffisant s'il n'est pas transformé. Sinon, la victoire n'est jamais assurée, l'avancée obtenue par l'essai demeurant tronquée et bien fragile.
Tout l'esprit de l'initiative de gouvernement d'union nationale est, en effet, dans la sortie de l'inertie dans laquelle le pays s'est trouvé enlisé.
Certes, le principe même de gouvernance choisie, axée sur le consensus à tout prix — y compris en termes de prise en compte des réquisits idéologiques islamistes — ne pouvait permettre d'avoir autre chose que ce dont a été capable le gouvernement Essid.
Cependant, la tendance du chef du gouvernement sortant à procrastiner ainsi que sa nature foncièrement paisible, sinon passéiste avec les diktats des uns et des autres, ne pouvait rien autoriser de bon. Surtout pas une réforme d'envergure, de celles susceptibles de faire bouger les choses dans le pays, le sortir de sa léthargie.
Car l'inertie actuelle arrange bien des intérêts, notamment ceux des plus conservateurs de nos politiciens, qui ne se classent pas tous nécessairement du côté islamiste.
Un tel immobilisme n'était pas moins pain bénit pour le parti islamiste qui a le plus intérêt à la conservation en l'état de la législation de la dictature, malgré son caractère liberticide et honteux dans certains de ses textes obsolètes.
Réforme législative impérative
Aussi, si le gouvernement Chahed, comme il en affiche l'intention, entend donner un coup de jeune au pays, c'est en s'attaquant aux lois cacochymes qu'il doit commencer.
Une réforme d'envergure doit être lancée, en commençant par suspendre les lois les plus controversées en termes de droits et de libertés, celles qui ont l'impact assuré sur le mental aujourd'hui sclérosé et qu'il importe de débloquer pour clarifier la situation en conformant les lois du pays à sa constitution et à sa religion correctement lue.
Cela suppose, en urgence absolue, la mise à niveau démocratique des textes juridiques scélérats brimant le peuple et sa jeunesse et réduisent ses femmes à un statut honteux au nom d'un islam qui en a fait pourtant l'égale de l'homme.
De l'égalité successorale à la libéralisation du commerce et de la vente d'alcool, en passant par la dépénalisation du cannabis, moins nocif que la cigarette, et des rapports sexuels entre adultes consentants, y compris les rapports entre mêmes sexes, voici autant de tares dont doit donc être toiletté le droit positif tunisien afin de faire enfin honneur à la démocratie tunisienne naissante, et aussi à sa religion plus que jamais violentée et violée.
C'est ainsi qu'on rompra véritablement avec le passé et la façon dévergondée de faire la politique, déconnectée des réalités, bafouant les droits et les libertés des citoyens, notamment une jeunesse désormais tellement désespérée qu'elle est devenue cette proie facile aux marchands de la religion et aux terrorismes.
Un imaginaire à ne plus négliger
Malheureusement, on a tendance à négliger de telles initiatives, bien que salutaires, en se focalisant sur la nécessité de réformes économiques, notamment en se limitant à suggérer la relance de l'économie anémiée du pays par une option de solidarité inclusive s'attaquant au chômage, à la précarité, à la contrebande et à la corruption.
C'est certes impératif, ne devant pas être négligé, mais en plus des actions dont les retombées psychologiques sont immédiates; et c'est ce dont on a parlé.
Car aucune politique en matière économique, la plus innovante est-elle, ne sera possible si elle ne se développe pas dans un cadre performant de droits et qui n'a de sens que dans une société de droits.
La confiance est déjà nécessaire pour qu'une économie saine prospère, aussi doit-on la cultiver pour aider à l'avènement d'une telle économie; et cela nécessite des lois justes, qui inspirent confiance.
Qui doute aujourd'hui de l'importance de l'inconscient collectif et de l'imaginaire populaire, surtout en un pays où les masses ont goûté aux délices de l'anarchie au sens noble du terme ?
Seules des lois conformes aux acquis des droits et des libertés constitutionnels, respectant qui plus est l'esprit et les visées d'une foi honorée dans son meilleur, sont de nature à faire bénéficier le gouvernement de ce levier indispensable qu'est le volontarisme populaire. Sinon, rien ne se fera par la force, car la force a bien démontré ses limites et a signé son échec en Tunisie.
Réalité de l'immeuble planétaire
Toutefois, la Tunisie ne peut avoir ni l'Etat ni la société de droit sans être elle-même politiquement articulée à un système de droit ayant fait ses preuves. Car ses problèmes ne sont pas qu'internes, leur source étant même située à l'extérieur du pays.
L'appartenance de la Tunisie à son environnement occidental ne fait d'ailleurs plus doute ; elle est partie d'un système qui est un immeuble planétaire dont la réalité s'est imposée à tous.
Aussi, il importe d'orienter le pays dans le bon sens, en le plaçant officiellement sur l'orbite qui est la sienne actuellement, mais de manière informelle et préjudiciable aux intérêts de son peuple : l'intégration à l'Union européenne.
Que peut-on donc contre la corruption, les puissances d'argent et la contrebande quand on ne peut s'en prendre aux acteurs nationaux ayant des protections aussi suffisantes qu'intouchables de l'extérieur ?
Que peut faire le plan de relance économique le plus ambitieux s'il demeure plombé par le service d'une dette scélérate et en l'absence d'un plan d'aide véritable aussi généreux qu'ambitieux, tel celui ayant permis à l'Europe de se relever après la Seconde Guerre mondiale ?
Implications extérieures de la démocratisation
C'est bien d'un plan Marshall qu'a besoin la Tunisie, car elle est aussi au seuil d'une guerre larvée et si on tient à ce qu'elle en sorte indemne, il faut l'aider sérieusement; sinon, c'est toute la région qui basculera dans l'innommable.
Cela suppose aussi et pour le moins un moratoire de la dette, dont le service, disons-le sans ambages, doit être renvoyé aux calendes grecques.
Par ailleurs, sur le plan éthique, on ne peut appeler à l'intégration de la Tunisie au marché occidental en en excluant ses citoyens ! Il ne peut donc y avoir de libre-échange des marchandises sans qu'il n'y ait, au préalable, le libre mouvement des ressortissants tunisiens. D'autant que l'outil performant et sécurisé existe : le visa biométrique de circulation.
Tout cela participe de l'action judicieuse et à long terme pour la paix et la prospérité en Méditerranée qui commence aujourd'hui en Tunisie.
Pour y mettre davantage l'accent, le conflit palestinien étant le nœud gordien à trancher tôt ou tard, la Tunisie se doit d'envisager renouer avec la politique de Bourguiba en la matière.
Cela pourrait rentrer dans la cadre du package d'ensemble à conclure avec l'Occident pour que les rapports de la Tunisie avec ce partenaire obligé ne se limitent pas à des comptes d'apothicaires juste soucieux des intérêts du néolibéralisme et du capitalisme sauvage que la stratégie des islamistes alliés aux Américains illustre à merveille.
Tout autant que sur le plan des droits et libertés en matière privative de la liberté individuelle, incluant notamment l'égalité successorale, l'islam politique en Tunisie est appelé de la sorte à prouver sa mue sur la question concrète de la reconnaissance d'Israël. Enahdha doit appeler à la normalisation avec ce pays pour mériter le soutien américain !
À tout ce qui précède, on pourra alors à bon droit prédire une réussite totale à l'équipe prometteuse du nouveau jeune chef de gouvernement d'une Tunisie qui aura alors prouvé devoir être l'exception qu'elle est encore en puissance. Publié sur Al Huffington Post