La raison pour ne pas dépénaliser le cannabis ne serait-elle que vénale?
On le sait, le projet de loi réformant le texte scélérat de la dictature, la fameuse loi n° 52, est toujours bloqué au parlement. Il buterait sur de sérieux blocages, notamment quant à la nécessité de dépénaliser le cannabis.
Or, tous les experts, y compris ceux de l’ONU*, sont formels : la seule façon de lutter efficacement contre la toxicomanie est de dépénaliser la consommation, car le cannabis ne fait pas partie, à proprement parler, des stupéfiants. Ce n’est qu’une drogue douce dont les ravages dont bien moindres pour la santé que le tabac pourtant légal.
Un récent rapport présenté à l’INSERM**, en France, par une mission interministérielle précise bien la relativité de la dépendance au cannabis par rapport au tabac, et surtout les effets négligeables d’une consommation épisodique.
Un symbole de la dictature toujours en vigueur
C’est d’une telle consommation épisodique qu’il s’agit en Tunisie. Pourtant, nous avons une loi des plus sévères qui condense les tares de l’ancien régime. Rappelons qu’elle a été conçue par la dictature pour éloigner les soupçons de membres de la présidence qui pratiquaient le trafic de drogue pourtant au vu et au su de tout le monde.
Aussi a-ton conçu cette loi honteuse contre la société,*** qui a brisé nombre de vies de jeunes innocents, des élèves pour la plupart, voyant leur avenir détruit pour un bien inoffensif joint, se retrouvant du jour au lendemain en prison pour un an au moins pour détention, sinon deux pour consommation.
Cette loi est toujours en vigueur, faisant de nos jeunes des délinquants. Comment est-il possible de ne pas l’avoir abolie au lendemain de la révolution, étant ce symbole honteux d’une dictature érigée contre le peuple et sa jeunesse ? Et comment, en plus, ne pas avoir songé à réhabiliter les jeunes dont on a détruit l’avenir en décidant, non seulement d’abolir cette loi, mais de dédommager ses victimes ?****
Ne l’a-t-on pas fait pour ceux qui avaient attenté à l’ordre public, des délinquants donc, et qui se sont retrouvés réhabilités et dédommagés ? On dira qu’il s’agissait de politiques; mais la faute d’un politique qui a eu recours à la violence et au terrorisme n’est-elle pas plus grave que celle d’un innocent dont la seule faute n'aura été que de fumer un joint, et au pire d’attenter à sa seule santé ?
Cette politique de deux poids deux mesures est inadmissible en une Tunisie se voulant un État de droit. D'autant plus que le président de la République s’est engagé durant la campagne électorale à dépénaliser le cannabis; à ce jour, il ne l’a pas fait.
Certes, une récente supposée réforme, à tort saluée par les militants pour la dépénalisation, est venue faire en sorte que le prison n'est plus obligatoirement prononcée, et donc que le jeune arrêté ne fait désormais pas d’office l’objet d’un mandat de dépôt.
Toutefois, il faut savoir que la loi est restée en l’état; ainsi ce honteux symbole de la dictature continue à brimer les innocents. En effet, si la prison n’est pas automatique, elle peut toujours être prononcée par le juge qui a juste la possibilité de ne pas en prononcer la peine, ce qui lui était exclu. De plus, la peine est toujours prononcée avec l’amende prévue et donc le casier judiciaire est fatalement souillé. Où est l’éthique dans cette fausse réforme ?
Retirer le cannabis de la liste des stupéfiants
Y a-t-il vraiment une intention sérieuse chez les plus justes et éthiques en Tunisie de lever une telle indignité faite à nos jeunes qui fument des joints de plus en plus, continuant ainsi à être assimilés à des délinquants ?
Un amendement sérieux à l’actuel projet de loi soumis au parlement conduisant à la dépénalisation existe déjà; pourquoi donc ne pas le retenir?*****
Sinon, et si les procédures parlementaires empêchent la nécessaire et fatale dépénalisation, pourquoi les ministres de l’Intérieur et de la Justice n’interviennent-ils pas, l’un pour interdire d’arrêter du fumeur de joint, s’il s’avère qu’il ne s’agit que de consommation et non de trafic, et l’autre en ordonnant de classer sans suite les affaires pour simple consommation et/ou détention pour un usage privatif?
Il semble que la volonté politique manque et pas pour les prétextes évoqués. D’après quelques confidences de justes parmi les avocats, les juges et les forces de l’ordre, la raison du maintien de la pénalisation du cannabis ne serait pas ou pas uniquement morale; elle serait aussi et surtout vénale !
On sait, en effet, qu’un procès pour cannabis infère des frais, ce qui permet à certains cabinets d’avocats d’en tirer des honoraires variant entre 500 ou 800 et même 1500 dinars; cela pourrait aussi, dans certains cas varier de 100 dinars à 20000 dinars, étant donné que les honoraires du barreau sont libres.
Est-ce qu'une telle cause vénale, qui ajouterait à la honte de la loi, serait derrière le refus de la dépénalisation du cannabis en Tunisie ? On sait, au demeurant, que le conseil de l’ordre des avocats a émis un refus catégorique à une telle issue pourtant de bon sens, et surtout de parfaite justice.
Si jamais nos gouvernants étaient sérieux dans la volonté de justice aux jeunes, et pour contourner les difficultés idéologiques ou mercantiles, pourquoi ne décide-t-ils pas tout simplement de retirer le cannabis de la liste des matières stupéfiantes? N’est-ce pas la façon la plus rapide et la plus sérieuse de manifester une attitude juste et honnête en la matière ?
Car on espère que nos autorités se réveillent enfin au vrai danger des drogues qui n'est représenté que par ce trafic des bandes organisées qui échappe encore à une sérieuse lutte, celle-ci étant concentrée sur les innocents consommateurs.
Or, si le trafic est l’affaire des forces de l’ordre, leur devoir même, la consommation relève de l’exclusif rayon d’action de la société civile et des associations de prévention. C’est ainsi qu’on réussira à prémunir nos jeunes des ravages des drogues.
Alors, que les autorités tunisiennes nous répondent : qu’est-ce qui les empêche vraiment de dépénaliser le cannabis ? La raison n'en serait-elle que vénale, par hasard ? Honte à nous, alors, de tomber si bas dans la matérialité !
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Publié sur Huff Post