Il vous suffit de deux projets de lois, M. Ghannouchi, pour prouver être sincère!
La lettre mi-figue mi-raisin qui suit au gourou national Rached Ghannouchi est une ultime missive amicale du fait qu'il semble continuer à se payer la tête des Tunisiens qui sont pourtant bien plus sensés qu'il ne veut l'admettre.
Ne voulant pas désespérer d'une sincérité qui serait contrariée par les faucons parmi les siens, je m'adresse à lui une dernière fois, l'exhortant à agir enfin et arrêter de paraître jouer avec les mots, sans réalisations concrètes, car cela le ferait passer pour un menteur. Sinon, l'épithète de menteur lui collerait à jamais, ce qui serait dommage pour son talent et son intelligence bien mal exploités dans l'intérêt de la patrie !
Pour y échapper, démontrant in extremis son véritable sens patriotique, juste deux initiatives suffisent, celles évoquées en fin de cette lettre, dont le symbolisme emporte les plus gros bénéfices pour le pays, notamment en toilettant l'imaginaire et l'inconscient populaires du terrorisme mental qui s'y niche.
Lettre mi-figue mi-raisin
Cher Si Rached,
Vous le notez, je ne vous donne pas du cheikh, puisque vous savez mieux que quiconque qu'on usurpe tant ce qualificatif qui, à l'origine, est juste synonyme de distinction pour un savoir reconnu et ainsi salué.
Or, aujourd'hui, en une époque de zéroïsme de sens et de fake à tout va, où l'on usurpe jusqu'au titre réservé aux médecins pour se donner de l'importance, je préfère ce "Si" bien authentiquement de notre chère Tunisie.
Si j'use de cette pure forme tunisienne de respect, c'est que c'est un éminent condensé du génie de cette tunisianité qui semble vous échapper malgré vos efforts pour en percer le mystère, y adapter votre discours, vos sorties publiques.
On vous dit renard et vous êtes lion aussi, aujourd'hui que le vieux lion que vous avez aidé à faire son entrée à Carthage est fatigué, usé moins par l'âge que par les vicissitudes de son ancien parti fourre-tout.
Vous êtes donc machiavélique, au sens noble du terme, mais comme tout dans la nature humaine, cela ne vous préserve pas de la tentation d'être turpide s'il le fallait; sauf à vous retenir, or vous ne le faites pas.
Il est vrai, l'éthique est généralement antinomique avec la politique, surtout quand elle se fait esthétique, au sens étymologique de capacité à fusionner avec les sentiments de notre prochain, cette image de soi.
C'est de cette éthique-là que relève ma pensée, au point que j'appelle inlassablement à une nouvelle conscience en politique, en faisant une poléthique.
Pour cela, je soutiens que votre présence au gouvernement et dans la vie publique est nécessaire, comme cette part d'ombre sans laquelle il n'est nulle lumière éclatante, ou encore la part du diable inhérente à la nature humaine.
D'autant mieux que vous êtes loin d'être dans une telle situation, ne faisant que refléter des moeurs généralisées, non seulement dans notre pays, mais également dans le monde où même la démocratie, ce régime meilleur que tout autre, n'est que l'affaire des démons de la politique, n'étant qu'une daimoncratie, affaire d'une minorité démoniaque, soit de ces démons anges qui ne sont que des anges déchus.
Cher Si Rached,
Ce n'est pas la première lettre que je vous envoie depuis votre entrée fracassante sur la scène politique que j'ai saluée à ma manière, allant jusqu'à vous adresser des lettres d'amour, ici* ou ici,** de cet amour vrai, exigeant, qui se permet de conseiller et d'admonester le cas échéant.***
Car, comme vous le prétendez, je n'ai pareillement que l'amour de notre patrie en vue; mais si vous la mâtinez de considérations politiciennes que vous impose votre statut de politique classique, je demeure libre et donc ma passion est une adoration vraie, celle d'une libertaire pensée passionnée.
L'amour de la Tunisie commande aujourd'hui, comme vous l'avez bien dit lors de votre allocution à l’ouverture du congrès régional d’Ennahdha dans le gouvernorat de Tunis, que votre parti devienne un parti moderne spécialisé dans la gestion des affaires de l’Etat pour y apporter les réformes adéquates en application des acquis de la Révolution.
Or, de tels acquis demeurent lettre morte, ainsi que l'ont souhaité certains membres influents de votre parti. Est-ce ainsi que vous pensez aussi ? Sinon, qu'attendez-vous pour demander à vos députés de proposer des projets de lois afin de mettre en application certains des droits et des libertés consacrés par cette loi suprême ?
Deux projets de lois tests
Récemment, votre groupe parlementaire a annoncé la création d'une structure chargée de l'initiative parlementaire, et je lui ai adressé aussitôt deux projets de lois prêts à l'emploi, dont l'un reprend une promesse ferme de votre part sur l'abolition de la tare de l'homophobie en Tunisie et l'autre y réalise la parfaite égalité entre les sexes en Tunisie.
Votre foi est assurément sincère ; alors, demandez à votre groupe parlementaire de proposer ces textes au plus vite au bureau de l'Assemblée au nom de votre parti ! Ce serait la meilleure manière de confirmer vos propos pour ne pas demeurer des paroles en l'air, de purs mensonges auxquels nombre de politiciens nous ont habitués si souvent, pour ne pas dire toujours. Je reproduis à votre intention ces deux projets de loi déjà soumis à votre groupe parlementaire.****
Tous les démocrates patriotes attendent votre réaction qu'ils souhaitent honnête et véridique, invitant votre groupe à inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée ces deux projets pour amener la Tunisie à faire le saut qualitatif qu'elle se doit impérativement de réaliser. Et qu'on ne dise pas que ce n'est pas le moment en ce temps de guerre contre le terrorisme, car cela combat aussi le terrorisme le plus grave, celui qui niche dans les têtes.
Oserez-vous réussir ce test, confirmant du coup avoir vraiment changé ? Car sinon, vous démontrerez à n'en plus douter n'avoir pas la foi démocratique que vous invoquez !
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Publié sur Al Huffington Post