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I-SLAM : ISLAM POSTMODERNE








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lundi 2 mai 2022

Roman-feuilleton du Ramadan :
PARTIE IV et dernière

 PARTIE IV - Chapitre 5 
La fin d’un monde (suite et fin)


Roman-feuilleton du Ramadan

 

Aux origines de l'islam

Succession du prophète, ombres et lumières

 

La fresque historique ayant inspiré la « supercherie » Ouardi

(Texte intégral)

 

Partie IV

 

Les vices et les vertus

ou

Les infortunes du pouvoir

 

Chapitre 5

 

La fin d’un monde

2/2

 

Ali fut transporté à l’intérieur de sa maison attenante à la mosquée. Il avait gardé sa conscience et veilla à ce que la prière fut assurée par quelqu’un de son entourage ; il demanda ensuite qu’on lui amenât son agresseur qu’il ne fit que dévisager sans rien lui demander, comme s’il était résigné à la décision du ciel.

On l’entendit simplement murmurer le vers célèbre d’un vaillant chevalier arabe, Amr Ibn Ma’adiKarib ; ainsi fustigeait-il cet homme de la tribu de Mourad qu’il connaissait bien et auquel, nombre de fois, il fit du bien :

 

                        C’est la vie que je lui veux et, la mort, il me darde ;

                        De ton intime ami de Mourad, prends garde !

 

Il recommanda ensuite à ses gens :

— Vous le garderez en prison et lui donnerez à manger et à boire. Si je m’en sors, je déciderai pour lui ; si je meurs, vous le tuerez en vous gardant de le supplicier.

Ali ne survécut pas à son troisième jour, succombant à sa blessure dans la nuit du samedi à dimanche. On mit aussitôt à mort son assassin ; puis, enroulé dans une natte, on y mit le feu. Le désir de vengeance était trop impétueux.

L’annonce de la mort fut faite sur la chaire de la mosquée par Abou AlAswad Addou’ali, le plus en vue des supporters d’Ali et celui qui ponctua, le premier, la langue arabe en marquant de points diacritiques les lettres du Coran. L’émotion était à son comble et les gens en pleurs s’agglutinaient autour de lui. Son haleine fétide ne les faisait ni fuir ne se pincer le nez comme d’habitude ; ils écoutaient religieusement l’oraison funèbre et l’appel à la désignation de son fils suivis du panégyrique rimé de l’illustre mort :

 

                        En ce mois du jeûne, vous nous avez affligés

                        De la perte du meilleur des hommes sans exception,

                        Celui que savait Qoraïch, où qu’elle se serait tournée,

                        Être le meilleur des siens et de lignée et de religion.

 

Les partisans d’Ali étaient dans la plus noire détresse ; le ciel de la ville, obscurci par la fumée nauséabonde du feu consumant le corps de l’assassin de son maître, était aussi noir que le cœur de ses habitants.

Bientôt, se rebiffant contre le destin contraire, défiant les préceptes même de leur religion, certains allaient prétendre que le martyr sera assurément ressuscité bien avant le jour du Jugement dernier. On rapportera leurs assertions à son fils Al Hassan qui n’hésitera pas à traiter ces gens de menteurs ; sinon on n’aurait pas marié ses femmes et partagé ses biens, ajoutera-t-il.

 

                        Ô ce coup d’un juste ! Il n’en désira tant

                        Que gagner du Seigneur le satisfecit !

                        Autant J’y pense et dois-je le croire autant,

                        Du Dieu de la création avoir eu pleine réussite.

 

— On lui fit trancher les mains et les jambes ; à peine cria-t-il de souffrance. Il ne se départit pas de la farouche dignité des siens, réputés pour leur stoïcisme, raconta Qatam, la fiancée promise, récitant encore et encore Imrane Ibn Hittane, le plus réputé des poètes kharijites. Quand on voulut lui couper la langue, cependant, il paniqua, se mettant à trembler de tout son corps. À sa langue, il tenait pour invoquer Dieu à chaque instant, c’était la raison, c’était son explication ! Après la langue, il eut la tête tranchée et il partit en fumée rejoindre enfin son Dieu après lui avoir tout offert.

 

                        Quel homme rare est ce Mouradite qui versa,

                        De ses mains, le sang du plus malfaisant créé.

                        Au soir de son coup, il se retrouva

                        Mis à nu de tous ses péchés.

 

Au même moment où Ibn Mouljim s’attaquait à Ali, à Fostat et à Damas, les deux autres conspirateurs accomplissaient leur forfait. En Égypte, habitué à taquiner la destinée, Amr en eut un clin d’œil salvateur. Cette nuit-là, il prévint son ordonnance qu’il souffrait du ventre. Il avait excessivement mangé la veille lors d’un dîner bien arrosé ; il avait aussi trop envie de rester au lit. Aussi, délégua-t-il la charge de présider la prière de l’aube ; à sa place, il envoya quelqu’un d’autre à la mort.

Son acte accompli, le meurtrier se laissa appréhender ; il pensait sa mission remplie et attendait sereinement le martyre. Quand il fut emmené auprès du gouverneur et apprit l’identité de sa victime à voir ses obséquieux serviteurs lui donner du prince, il se lamenta et donna à la langue arabe l’une de ses formules populaires en parlant de celui qu’il était venu exécuter et celui qu’il tua par erreur :

— J’ai voulu Amr et Dieu a voulu Kharija !

À Damas, ce fut le gros postérieur de Mouawiya qui prit le coup et dévia l’effet du poison. Il ne lui ôta pas la vie, juste la fertilité, le rendant stérile. Il n’en eut cure ; sa descendance était déjà assurée. Mais depuis, il créa une police pour des rondes de nuit et se fit garder par des agents postés à sa tête au moment de la prosternation. De même, il fit construire derrière la chaire des mosquées une enceinte réservée.

S’ils échouèrent, les deux comploteurs eurent cependant la satisfaction de rejoindre dans la mort leur compagnon de Mourad. À AlKoufa, Al Hassan, fils aîné d’Ali, fit la prière funéraire, y appelant solennellement par sept fois. On enterra son père à la mosquée et l’on surveilla sa tombe par sécurité.

Il avait 63 ans et gouverna quatre ans neuf mois et un jour. Il laissa dix-sept filles et quatorze garçons dont les plus connus étaient les deux enfants de la fille du prophète et son fils noir Mohamed. Ali ne voulut désigner personne pour lui succéder ; il avait dû faire taire son vif désir de voir son fils aîné prendre sa place et continuer le combat qu’il avait commencé pour l’unité de la nation. Se voulant cependant réaliste, conscient de l’indiscipline de ses troupes et connaissant bien AlHassan, il laissa aux vivants la liberté de leur décision.

Dans les mêmes lieux où son père trouva la mort, les fidèles lieutenants d’Ali désignèrent aussitôt AlHassan pour remplacer son père comme calife pour les contrées qui reconnaissaient le pouvoir installé à AlKoufa. Mais AlHassan voulait-il réellement de ce pouvoir ?

Parmi les lettres de félicitations qu’il reçut à cette occasion, celle qui était en provenance d’AbdAllah Ibn AlAbbas le fit rire amèrement. Après avoir trahi la confiance de son père et abandonné sa cause, celui-ci l’assurait de son soutien et lui recommandait de continuer la lutte contre les Syriens et les Égyptiens. À ce moment-là, pensant à la vie somptueuse que menait son cousin, il se surprit à se demander s’il pouvait se retenir de la tentation de croquer aussi à son tour la vie à pleines dents.

AlHassan voulait bien honorer la mémoire de son père en continuant son œuvre, mais il était moins idéaliste que lui, se voulant bien plus pragmatique. De plus, son père était pratiquement un saint ; la vie était pour lui toute vanité et, à la manière d’Omar sinon bien plus, sa vie était un total renoncement au monde.

Il lui revenait à la mémoire sa réaction quand il avisa à sa porte des gens bien soignés ; demandant qui ils étaient à son esclave à la houppe de cheveux Qonbor et s’entendant répondre que c’étaient ses partisans et disciples, il les rabroua :

— Pourquoi je ne leur vois pas la physionomie de mes partisans : le ventre plat de faim, les lèvres sèches de soif, la vue faible à force de pleurs ?

Pour continuer le combat de Mouawiya, il fallait au fils d’Ali des troupes prêtes à le faire ; or, déjà, du vivant de son père, les hommes ne voulaient plus risquer leur vie au combat. Certes, au moment de son assassinat, son père avait fini par réussir à mobiliser une armée pour la reconduire contre les Syriens. Quarante milles vaillants combattants jurèrent même de mourir pour lui. Et ces hommes allaient suivre AlHassan pour se porter à la rencontre de Mouawiya quand ils apprirent que ce dernier marchait vers eux à la tête de ses troupes.

À l’instar de son père, AlHassan arrivait difficilement à tenir son armée. L’indiscipline de ses troupes au moindre prétexte, le dernier ayant été un retard de solde, et l’évaluation des forces en présence l’amenant même à penser de plus en plus à conclure la paix avec son adversaire.

Il avait remplacé son père depuis près de six mois et était à Mada’in (Ctésiphon), se préparant théoriquement à combattre Mouawiya campant tout près. À peine les troupes arrivées au camp, la fausse nouvelle de la mort de son général circula avec un mot d’ordre de dispersion. AlHassan était sous sa tente. Il y repensait à la gloire des Sassanides, à l’éclat de leur capitale et au lustre de l’arc de Chosroès le Grand, désormais piteux décombres depuis que Khalid Ibn AlWalid ruina la ville en 637.

— Vanité des vanités, et tout n’est que vanité ! se dit-il en ayant en tête une lecture récente de la Bible.

Soudain, un quarteron de braillards de ses hommes osa violer son intimité ; sans vergogne, ils pillèrent la tente de leur chef qu’ils bousculèrent même au point de le blesser pour s’emparer d’un tapis qui était sous ses pieds. Cette terrible mésaventure l’indigna et le conforta dans ses appréhensions.

On lui avait même rapporté que certains dans l’armée même complotaient contre lui. L’un d’eux, le jeune neveu du gouverneur de Mada’in, un certain Mokhtar Ibn Abi Obeïd - qui se fera, plus tard, un nom dans des conditions bien particulières - osa proposer à son oncle un moyen rapide d’enrichissement et de notoriété : livrer AlHassan à Mouawiya.

Tout cela renforça AlHassan dans son désir de faire la paix et d’abandonner le pouvoir. Déjà, discrètement, un échange de missives et de messagers avait eu lieu entre les deux hommes ; après tout, ils étaient de la même famille !

Mouawiya savait qu’AlHassan différait de son défunt père en matière de volonté guerrière, d’ambition dans les idéaux et de morale intransigeante. Aussi prit-il l’initiative de lui écrire et de lui faire parvenir un papier signé à blanc sur lequel il l’invitait à mettre toutes les conditions, financières et autres, dont il voulait pour l’abandon du pouvoir à AlKoufa.

Avant la réception de ce courrier, AlHassan écrivit de son côté à Mouawiya ses conditions pour s’effacer devant lui et renoncer à toute prétention au pouvoir. Leurs écrits se croisèrent, formalisant leurs désirs parallèles. AlHoussayn essaya en vain de dissuader son frère d’abandonner l’héritage de leur père, insistant pour qu’il ne lui donnât pas tort en reconnaissant l’autorité de son ennemi ; mais son aîné le fit taire.

Des Sectateurs crièrent au déshonneur, dénonçant un réalisme par trop cynique à leur goût ; ils le conspuèrent, prétendant qu’il aurait répondu à leur réprobation par une affirmation contraire aux valeurs arabes :

— La honte c’est bien mieux que la mort !

Aux gens d’Irak, ses hommes, AlHassan ne manqua pas de faire des récriminations. Il leur vida son coeur en avouant les avoir abandonnés pour trois raisons : le meurtre de son père, l’agression perpétrée sur sa personne et la déprédation de ses biens. Il les savait, du reste, prêts à accepter de faire la paix avec les Syriens ; ce que la suite des événements confirma.

Ainsi, quand il écrivit au général de l’avant-garde de son armée, après la conclusion de la paix, lui ordonnant de se mettre aux ordres de Mouawiya, celui-ci laissa le choix à ses hommes d’obéir à un chef de file de la perdition ou de combattre sans guide. Ils choisirent alors l’imam de la perdition, le délaissant avec la poignée d’intransigeants qui refusaient, comme lui, d’enterrer la hache de guerre.

Ceux-ci ne tardèrent pas à être approchés par le nouveau calife de tous les musulmans ; pour obtenir leur rentrée dans les rangs, il envoya à leur chef un registre blanc dûment signé et cacheté, lui proposant d’y consigner toutes ses exigences. Ne demandant point d’argent, il exigea une amnistie totale, incluant le sang versé et le butin glané, pour lui et pour les partisans d’Ali qui lui étaient restés fidèles.

Sept mois et quelques jours après la mort d’Ali, dans une maison du côté d’AlAnbar, en Irak, à Maskin, AlHassan se retrouva avec Mouawiya pour la conclusion du traité de paix. Ne retenant que les conditions de la lettre d’AlHassan et rejetant les nouvelles, bien plus exorbitantes, qui étaient venues s’ajouter sur le blanc-seing, Mouawiya ne fut pas moins reconnu comme le seul prince de tous les croyants.

En véritable animal politique, il réussit à transformer son incroyable rêve en réalité concrète, cédant si peu, et pour ainsi dire rien, ayant été intransigeant quant à l’essentiel. S’il agréa les exigences financières du fils aîné d’Ali, il opposa une fin de non-recevoir à sa demande que son père ne fût plus maudit sur les chaires des mosquées. C’est à peine s’il consentit à ce que cela ne se fît pas en sa présence, sachant d’avance qu’en politique, la promesse n’engage que celui à qui elle est faite, nullement celui qui la fait.

On était au mois de Joumada I de l’année 41 (29 juillet 661). Elle sera appelée Année de la Collectivité, marquant le début du règne de premier calife officiel de tous les musulmans après les quatre Califes Majeurs.

Et Mouawiya, fils d’Abou Soufiane Ibn Harb Ibn Abd Chams, descendant d’Omayya tout comme Othmane, fit une entrée triomphale à AlKoufa alors qu’AlHassan, aussi chargé qu’un guerrier au retour d’une razzia victorieuse, se retira à Médine salué par des multitudes en pleurs.

Lors de la cérémonie d’officialisation publique de l’avènement de Mouawiya à la tête de tous les musulmans et après le discours de celui-ci, le fils aîné d’Ali s’était adressé à eux pour la dernière fois. Il ne le voulait pas, mais c’était sur l’invitation du héros du jour qui, sur instigation d’Amr Ibn AlAss, voulut le ridiculiser devant son propre public. Mais, il fut tellement éloquent que Mouawiya ne tarda pas à lui demander de s’asseoir, regrettant de l’avoir invité à parler et d’écouter Ibn AlAss toujours à la recherche des défauts d’armure des gens.

— ô gens, Dieu vous a bien guidé avec le premier d’entre nous et préservé votre sang avec le dernier, dit-il notamment. Le pouvoir a une durée que n’épargnent pas les vicissitudes du sort.

En route vers Médine, AlHassan vit venir vers lui un messager de Mouawiya resté à AlKoufa. Il l’informait de l’attaque de la ville par les Kharijites et lui demandait de revenir pour les combattre avec lui. Sa réponse était nette et sèche : s’il avait eu l’envie de combattre quelqu’un, c’aurait été lui qu’il aurait combattu en premier ; mais il le laissait pour le bien de la communauté, pour épargner les vies. Et il poursuivit son chemin vers la cité du prophète.

À la conclusion de la paix entre les chefs des deux clans rivaux des AbdManaf, certains Kharijites qui se tenaient à l’écart dans les provinces perses s’étaient décidés à reprendre le combat contre l’ennemi désormais unique. Ils n’étaient pas plus de cinq cents cavaliers, mais combattaient comme des milliers avec leur foi chevillée au corps, leur rejet de la vie et leur passion pour le martyre.

Ne voulant pas engager ses troupes à cause d’une poignée d’excités aux fronts noirs (ainsi d’aucuns appelaient-ils les Kharijites à cause de la trace laissée par trop de prosternation aux prières), Mouawiya envoya au-devant d’eux quelques troupes de son armée qui se firent battre à plate couture. Il décida alors que ce serait aux gens de la ville de combattre les leurs, la plupart de ces Kharijites étant de la région. Ce qu’ils durent faire à contrecœur, combattant leurs anciens amis pour le compte de leurs anciens ennemis.

Mouawiya avait à s’occuper d’assainir la situation à l’intérieur même des villes irakiennes et il devait prêter attention à l’autre ville principale de cette province irakienne turbulente : Basra qui composait avec AlKoufa ce qu’on appelait les deux Irak.

Il y envoya comme gouverneur l’homme à la triste réputation d’égorgeur d’enfants, celui-là même qui en tua déjà deux de sa propre main au Yémen. Il avait pour mission de récupérer notamment ce que Ziyad, l’agent d’Ali dans les provinces perses, tenait en main comme rentrées fiscales. Pour faire pression sur lui, il était autorisé à prendre en otages les enfants de ce frère illégitime et, au besoin, menacer de les mettre à mort.

Ziyad refusa de se laisser intimider ; il l’ignora, l’appelant de tous les noms : fils de la mangeuse des foies, puits d’hypocrisie et chef des factieux. Déjà, à la mort d’Ali, Mouawiya lui avait écrit des lettres de menaces qui le laissèrent de marbre.

Le gouverneur allait mettre à exécution sa menace si ce n’était l’intervention de personnalités de la ville, parentes des enfants. Elles excipèrent de la paix conclue qui garantit la vie sauve à tous les partisans d’Ali, surtout à leurs enfants, et réussirent à obtenir un délai de trois jours pour avoir de Mouawiya, séjournant encore à AlKoufa, une lettre en ce sens.

Au lever du troisième jour, le gouverneur sortit les enfants destinés au martyre ; il avait hâte de rééditer son acte du Yémen ; déjà, la toile de la folie qui finira de se saisir de lui à la fin de sa vie commençait à se déployer dans sa tête.

À l’approche du crépuscule, la place centrale de la ville était noire de monde ; autour du gouverneur, il y avait une foule houleuse vigoureusement maintenue à l’écart par des hommes armés jusqu’aux dents. Les regards anxieux scrutaient les dunes à la recherche de l’espoir de vie quand soudain, à l’horizon lumineux, apparut un cheval racé au galop. Tout empoussiéré, s’agitant, agitant ses vêtements, l’homme apportait la missive du calife ; et, dans un tonnerre subit d’appel à la prière sortant de toutes les bouches nouées par l’émotion, les enfants échappèrent au sort de leurs semblables du Yémen.

Le nouveau Prince des croyants était pressé de regagner sa belle ville de Damas, la nouvelle capitale de l’État enfin réunifié. Plus urgent encore était pour lui, toutefois, son désir de se rendre à Médine comme on allait en pèlerinage. Il voulait rendre hommage à Othmane et se recueillir sur le lieu qui fut le point de départ de son long chemin vers le pouvoir. Une des filles d’Othmane l’y accueillit en pleurs, lui reprochant de ne pas avoir tenu parole et vengé son père. Il lui dit :

— Ma nièce, les gens nous ont donné leur obéissance contre un pacte de sécurité auquel nous nous engageons. Nous leur montrons du sang-froid sous-tendu de colère et ils nous montrent une soumission sous-tendue de haine. Et chacun de nous garde près de la main son épée en surveillant l’autre. Si on les trahit, ils nous trahiront et l’on ne saurait dire à qui serait la victoire. N’est-ce pas mieux que tu sois la cousine du Prince des croyants plutôt qu’une femme de la masse du peuple !

Se rendant ensuite à la mosquée, il fit une adresse aux Médinois qui s’y étaient réunis. Il leur parla en se tenant assis sur la chaire, ce qui ne s’était jamais fait avant lui, tous ses prédécesseurs sur cette chaire se tenant debout. Il leur dit :

— Abou Bakr – que Dieu soit satisfait de lui – n’a pas voulu de la vie d’ici-bas et elle n’a pas voulu de lui. Quant à Omar, elle voulut de lui, mais il ne la voulut point. Othmane, quant à lui, alla vers elle et elle l’atteignit. Et, quant à moi, elle m’a entraîné et je l’ai attirée à moi. Avec elle, je suis tendre, car elle est ma mère et j’en suis le fils. Si vous ne me trouvez pas le meilleur d’entre vous, je suis bien le meilleur pour vous.

Descendant la chaire, il eut une pensée pour son acolyte Ibn AlAss à qui il abandonna comme promis le gouvernement de la province d’Égypte et ses rentrées fiscales.

Dans Fostat, la ville que ce dernier fit construire comme chef-lieu pour l’Égypte, il était une sorte de vice-émir ; il se comportait comme s’il n’était pas un simple gouverneur. Il venait de s’assurer la reconquête des terres berbères au-delà de l’Égypte, dans cette Ifriqiya rebelle, en envoyant son cousin, fils de sa tante, Okba Ibn Nafa’a.

Tuant, pillant et asservissant les anciens hommes libres de ces terres, ce dernier étendit bien loin le pouvoir de l’Islam. L’Ifriqiya relevant de l’Égypte, ces succès faisaient d’abord la gloire de son gouverneur ; il tardait à Mouawiya de récupérer cette riche province. Et il se surprit à souhaiter la disparition rapide de cet allié devenu encombrant.

Le destin l’écoutera ; deux ans plus tard, en sa capitale, mourra Amr Ibn AlAss, le puissant gouverneur d’Égypte, le jour même célébrant la fin du mois de jeûne. Il aura gouverné cette province presque six ans en tout, quatre pour Omar, quatre moins deux mois pour Othmane et onze mois pour Mouawiya. Son fils le plus réputé pour sa piété lui succédera à peine un peu moins de deux ans.

Lors de son passage à Médine, Mouawiya reçut la visite de Saad Ibn Abi Wakkas, l’un des derniers hommes en vie du cénacle d’Omar, venu lui rendre hommage. Et il le fit en lui donnant du roi. Riant, Mouawiya dit préférer être appelé prince des croyants et le petit général en retraite lui répondit :

— Par la foi de Dieu, je n’aurais jamais accepté ce pouvoir de la manière avec laquelle tu l’as eu !

En cette même Médine, retiré de la politique, AlHassan mena une vie somptueuse, où la richesse était au service de la tradition familiale de piété et de dévotion. Mais, subitement, en l’an 50 (670), il décéda sans avoir atteint l’âge de la cinquantaine. On chuchota que sa femme l’avait empoisonné et d’aucuns virent derrière sa main une énième œuvre diabolique de l’homme en charge de la destinée de l’Islam.

La dernière volonté du petit-fils du prophète fut d’être enterré, dans la mesure du possible, avec son grand-père. Réaliste, il savait que cela pouvait susciter des oppositions mesquines ; dans ce cas, pour éviter la discorde, il acceptait d’être enterré dans le cimetière commun de la ville.

Le nouveau gouverneur de Médine ne vit pas d’objection, il venait d’être nommé à la place du secrétaire d’Othmane, Marouane Ibn AlHakam, avec lequel il alternait la charge régulièrement. Ce dernier, par contre, refusa que fût exaucé le voeu du mort en ameutant ses hommes ; et Al Hassan ne retrouva pas dans la tombe la compagnie de son grand-père.

Cette mort fit la joie de Mouawiya et il ne la cacha pas, même s’il veilla, en chef attentionné, à respecter le rituel de condoléances à l’intention de la famille. En décidant d’autorité de l’emplacement de la tombe du petit-fils du prophète, il avait déjà assouvi une partie de sa vengeance ; il lui restait à la parachever.

Au lendemain du décès du fils d’Ali, il reprit une ancienne résolution en annonçant, lors d’un pèlerinage de La Mecque, son intention de faire maudire enfin le nom du quatrième calife Majeur sur toutes les chaires des pays d’islam en même temps que de prier pour le calife assassiné et implorer pour lui la miséricorde de Dieu. Certes, il ne s’était pas privé déjà de proférer cette malédiction, mais la pratique erratique allait devenir régulière et systématisée en principe de gouvernement.

Lors de son passage à Médine, sur le chemin du retour, son proche entourage lui conseilla de prendre l’avis à ce sujet de l’une des dernières grandes figures de l’islam. Le vainqueur d’Al Qadissiya Saad Ibn Abi Wakkas, dernier survivant des conseillers d’Omar, risquait de perturber sérieusement ses plans en s’opposant fermement à la malédiction programmée et en chahutant son déroulement.

C’est en le consultant que Mouawiya jugea sage de différer le plein emploi de sa vengeance, l’homme qui a été aux côtés du prophète à toutes ses expéditions militaires l’ayant menacé de boycotter la mosquée si jamais on devait y maudire le cousin de Mohamed. Il attendra sa mort qui interviendra en l’an 55, pour se sentir enfin libre de maudire Ali.

Cette fois, rien ne l’y ferait renoncer, même pas l’opposition de l’une des épouses du prophète, Oum Salma, qui lui écrivit :

— Vous maudissez Dieu et son prophète sur les chaires en maudissant Ali Ibn Abi Taleb et ceux qui l’ont aimé. Je témoigne, en effet, que Dieu et son prophète l’ont bel et bien aimé !

Ce genre d’arguments ne pouvait plus avoir d’effet sur Mouawiya. Il était certes le Prince des croyants, cinquième calife du prophète ; il était surtout le premier gouvernant d’une lignée nouvelle qui ne se contentait plus de tirer son autorité de la foi, mais trouvait dans le pouvoir sa véritable religion.

C’est d’ailleurs du nom du pouvoir des Arabes que l’on qualifiera plus tard le temps omeyyade, l’empire arabe musulman y étant encore dominé par les Arabes avant de passer entre les mains de musulmans issus d’autres ethnies.

Cela est une autre histoire, certainement aussi palpitante à raconter que l’actuelle fresque ! Avec celle-ci, elle constitue l’ossature de la mentalité sociopolitique des pays arabes, donnant même quelques clefs utiles pour l’interprétation de leur actualité.

 

FIN

 

Publication sur ma page Facebook et désormais ici, sur ce blog, après la renonciation de Kapitalis à publier la fin du roman. Cf. à ce sujet, ici sur ce blog: Mythe d’indépendance et crédibilité perdue de Kapitais.

 

COPYRIGHT :

 

Aux origines de lislam

Succession du prophète,

Ombres et lumières

 

 © Afrique Orient  2015

Auteur : Farhat OTHMAN

Titre du Livre : Aux origines de l’islam

Succession du prophète, Ombres et lumières

Dépôt Légal : 2014 MO 2542

ISBN : 978 - 9954 - 630 - 32 - 7

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