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I-SLAM : ISLAM POSTMODERNE








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dimanche 1 mai 2022

Roman-feuilleton du Ramadan :
PARTIE IV et dernière

 

PARTIE IV - Chapitre 5
La fin d’un monde 1/2


 Aux origines de l'islam

Succession du prophète, ombres et lumières

 

Fresque historique de Farhat OTHMAN

ayant inspiré la inspiré la « supercherie » Ouardi

 

Partie IV

 

Les vices et les vertus

ou

Les infortunes du pouvoir

 

Chapitre 5

 

La fin d’un monde

1/2

 

 

On appela Califes Majeurs ou Orthodoxes (Rachidouns) les quatre premiers vicaires du prophète. Le dernier d’entre eux, Ali, accéda au pouvoir au moment où l’État musulman avait fini sa mue. D’une théocratie centrée sur une religion encore confinée dans un sanctuaire au milieu d’un océan d’adversité, il était devenu un gouvernement de Dieu qui se donnait le pouvoir pour centre, en déployant tous les attributs, mettant à son service tous les moyens, religion comprise, sur un territoire devenu étendu à l’infini ou presque.

Avant l’extension des frontières de son État, l’islam usa du pouvoir à ses propres fins religieuses ; après sa formidable et si rapide extension, petit à petit, il devint lui-même un ustensile aux fins d’un pouvoir désormais omniscient et omniprésent.

Dans cet environnement tout nouveau, Ali était comme un anachronisme, dernier représentant d’une race désormais rare de musulmans ayant une juste conception de leur religion. Il ne sut ni ne put amener les hommes à l’aider à dompter l’autorité publique pour l’asservir à la religion, succombant à la volonté des hommes de s’émanciper de la rigueur de la morale religieuse même au prix d’une soumission à celle d’un pouvoir immoral. Car le ver séculier était déjà dans le fruit religieux. Et ce fut le terreau sur lequel prospérèrent ces autres musulmans ayant de leur religion une vision faussée et étriquée que furent les Kharijites.

Aussi fut close avec Ali l’ère des Califes Majeurs, cette période où le pouvoir n’était pas encore la propriété d’une dynastie, même s’il restait encore exclusivement celui d’une tribu.

Symbolisant ainsi la fin d’un monde, Ali allait être érigé en une icône des valeurs de cette ère à jamais perdues, dans le même temps. Kouthayyar Azza, un des poètes chiites passionnés, déclama sa ferveur envers la famille d’Ali, héritière de la mission prophétique, garante de sa continuité :

 

                        Voyons ! de Qoraïch, les guides sont,

                        Amis de la vérité, quatre équivalents

                        Ali et le trio de ses fils ;

                        Du prophète, sans conteste, les petits-fils.

 

Et les Sectateurs se plurent à rapporter que le prophète soutenait : « Ali est l’allié de celui duquel je suis l’allié. Dieu ! alliez-vous à son allié et soyez l’ennemi de son ennemi ». Il aurait aussi affirmé à Ali : « Ne veux-tu pas, par rapport à moi, être pareil à Aaron par rapport à Moïse, sauf qu’il n’y a plus de prophètes après moi ? »

Des propos de ce genre attribués au prophète ne manquèrent pas, les clans rivaux n’hésitant pas d’en inventer de toutes pièces, car les dires prophétiques constituent une source secondaire non négligeable du droit musulman. Une science du Hadith (dires du prophète) s’appliqua au demeurant à établir les règles strictes de nature à distinguer le bon grain de l’ivraie.

Sur la base de pareils propos, ainsi que sur une interprétation de versets du Coran parfois singulière sinon saugrenue chez certaines sectes, les Chiites fondèrent leur croyance dans la mission d’Ali en sa qualité de régent du prophète. Ils en tirèrent la conséquence que Mohamed en avait fait son successeur, lui donnant le rang d’Aaron, remplaçant de Moïse en son absence.

Cette adhésion des Sectateurs à la personne d’Ali fut telle que d’aucuns y trouvèrent une ressemblance avec le sort du Christ chez les israélites : il a été aimé à la folie par certains, l’adorant au point de blasphémer, mais détesté par d’autres jusqu’à l’impiété et le meurtre.

Ayant renforcé son emprise sur la Syrie en plus de l’Égypte et voyant son adversaire empêtré dans les divisions de ses armées gagnées par le démon du dogme, Mouawiya lança des troupes sur Médine, La Mecque et jusqu’au Yémen.

Leur arrivée fit fuir les hommes d’Ali et, brûlant, détruisant, tuant, y compris les enfants, elles firent tout pour obtenir l’allégeance au maître de Damas. Son nom fut claironné sur la chaire de la mosquée de Médine où l’on passa en revue tous les habitants mâles majeurs ; tous ceux qui étaient soupçonnés de participer de près ou de loin à la tragique fin d’Othmane furent mis à mort.

Au Yémen, le chef de l’expédition se permit même d’égorger les deux enfants du gouverneur de ses propres mains, le tollé des femmes hystériques tout autour ne l’en empêchant pas. Il ne répondit même pas à l’une d’elles, hurlant en pleurs :

— Tu as tué les hommes, pourquoi tuer aussi ces deux-là ? Par Dieu, cela ne se faisait même pas du temps préislamique.

Bientôt, à la rencontre des voyageurs allant ou venant d’AlKoufa, dont certains rapportaient une nouvelle endeuillant cette fois-ci la famille même du cousin du prophète, on verra une femme, rendue folle par le cruel supplice de ses enfants, épancher son propre deuil, livrant sa plainte et son désespoir en rimes :

 

                        Sur la veine jugulaire de mes enfants il a dirigé une lame affilée

                        Et tranchante ; ainsi se commet le péché.

 

Aux incursions militaires de son rival au Hijaz et au Yémen, théoriquement sous sa coupe, Ali n’arrivait à répliquer que péniblement. Quand il y parvenait, ses troupes ne pouvaient s’empêcher de brûler et de tuer comme leurs ennemis, ce qui faisait davantage de tort à Ali censé être le protecteur de ces contrées, y voulant incarner la justice et la morale.

Mouawiya ne pouvait encore s’attribuer pleinement la qualité si convoitée de calife, cependant. Si Ali était invariablement appelé par ses fidèles Prince des croyants, il était toujours pour les siens le Prince tout court, ceux qui osaient l’appeler calife étant peu nombreux. Il savait pourtant que le jour où il allait devenir le prince de tous les croyants n’était plus très loin.

Pratiquant avec dextérité l’art de la guerre, Mouawiya tirait profit de toutes les circonstances, qu’elles fussent inopinées ou créées par ses propres soins. En ce début de l’année 40 de l’hégire, il prit l’initiative de proposer la trêve à son rival. En cessant la guerre, en s’abstenant de tout acte de belligérance, on se satisfaisait du statu quo, chacun gardant ce qu’il détenait déjà : pour Ali, l’Irak ainsi que le Hijaz, même si les lieux saints étaient revendiqués par l’un et l’autre et, pour Mouawiya, la Syrie et l’Égypte.

Cette offre n’était qu’un cadeau empoisonné pour le Prince des croyants. Certes, elle lui offrait un moment de répit dans une guerre de plus en plus lourde à gérer ; mais, dans le même temps, elle écornait son pouvoir et officialisait la dissidence de deux de ses plus importantes provinces. Il n’avait pas d’autre choix que d’accepter l’offre, néanmoins. Et il le fit après de longues tractations écrites. Ses erreurs stratégiques et la réussite des manœuvres de désinformation de l’émir rival avaient réussi à semer le doute et la zizanie dans ses rangs et à le priver de certains de ses lieutenants les plus proches, dont le meilleur : AlAchtar.

L’Égypte, province de toutes les convoitises à cause de sa richesse et de l’importance de ses rentrées fiscales, atout non négligeable dans la guerre, fut le terrain d’une rude empoigne entre les deux hommes ; Mouawiya y tenait aussi à cause de sa proximité du centre de son pouvoir. Alternant ruse de guerre et coups de force, il finit par la mettre sous sa coupe.

Il réussit, en effet, à semer le doute dans la tête d’Ali sur la politique suivie par son gouverneur ; homme à poigne, fin diplomate, celui-ci arrivait pourtant à tenir en main sa province ; mais il le remplaça par un autre. Dans le même temps, Mouawiya y dépêcha d’importantes troupes sous le commandement d’Amr Ibn Al’Ass.

Bien moins à la hauteur que son prédécesseur de la situation compliquée prévalant dans la région, le nouveau gouverneur, Mohamed, le fils d’Abou Bakr, ne fit qu’y conforter les visées de l’émir de Syrie avec une politique de pure répression. Il finit par être pris et mis à mort malgré l’intercession de son frère Abderrahamane auprès d’Amr Ibn Al’Ass dont il était l’un des hommes.

Manquant de troupes, Ali n’ayant pu le secourir, abandonné par certains de ses hommes, Mohamed se réfugia dans une vieille bicoque en ruine où il fut capturé mort de soif. Le général qui mit la main sur lui, l’un des futurs conquérants du Maghreb, lui refusa l’eau, le tua et, plaçant son cadavre dans la carcasse d’un âne, y mit le feu.

Ainsi, spectaculairement, vengeait-on celui que l’on comptait parmi les tueurs du calife Othmane. La nouvelle de cette mort fut saluée par des cris de joie à Damas ; à Médine, l’acte émut à peine les habitants ; seule Aïcha pleura son demi-frère à chaudes larmes, maudissant Mouawiya et Amr. Elle recueillit ses enfants et s’interdit de manger de la grillade jusqu’à sa mort.

Après Mohamed, vint le tour d’AlAchtar, envoyé en remplacement et considéré comme le seul apte à reprendre les choses en main dans cette Égypte qui était alors sur le point de passer entièrement sous la férule de Mouawiya.

Mais l’homme fort des armées irakiennes commit l’imprudence de boire un gobelet de miel offert par des gens du cru ; ils étaient à la solde de l’émir de Syrie et leur boisson était empoisonnée. En débarrassant Mouawiya du plus vaillant et téméraire des hommes d’Ali, ils obtenaient de lui la dispense du paiement de tout impôt durant toute leur vie.

La mort d’AlAchtar eut autant de retentissement auprès des vengeurs d’Othmane que celle du fils d’Abou Bakr, AlAchtar étant considéré comme l’un des meneurs des assaillants de la journée du logis.

Aux mauvaises nouvelles d’Égypte s’ajoutaient pour Ali ses difficultés à gérer les provinces sous son autorité. Outre son échec à motiver ses hommes pour la reprise du combat contre les Syriens, il avait à poursuivre les Sortants pour les empêcher de s’adonner impunément à leurs méfaits. Il devait aussi arrêter de nouvelles vagues d’apostasies de populations dans les anciennes provinces perses qui continuaient à profiter de l’état de désordre dans lequel était plongé l’État musulman pour quitter une religion qui les avait séduits par ses valeurs de paix et de tolérance.

Les Kharijites se répandaient dans ces provinces ; leurs rangs y grossissaient vite de bandits et de voleurs et de toutes sortes d’aventuriers ; s’y ralliaient aussi de simples habitants réfractaires au paiement de l’impôt et des gens sensibles à leurs thèses liant l’accession au pouvoir à la nécessaire consultation du bas peuple.

Ils réussissaient même à attirer à eux d’anciennes populations chrétiennes converties à l’islam avant d’apostasier en leur expliquant que leur sort était lié aux leurs en tant qu’apostats, car ils seraient forcément mis à mort par les hommes du calife qui n’accepteraient d’eux ni repentir ni pénitence.

Dans nombre de contrées de ces provinces, les troupes fidèles à Ali étaient déjà à la chasse des apostats ; certes, elles tuaient ceux qui la combattaient, mais elles laissaient la vie sauve à tous ceux qui faisaient amende honorable et acceptaient de revenir au bercail de l’Islam.

L’une de ces troupes rentrait à AlKoufa avec un cortège de chrétiens faits prisonniers, composé essentiellement de femmes et d’enfants dont les pleurs et les lamentations fendaient les coeurs. Un grand chef de tribu parmi ceux restés fidèles à Ali, attendri par ce butin humain en appelant à sa générosité et ses valeurs, les acheta tous et leur redonna leur liberté.

Sommé de verser au Trésor le prix des prisonniers, il ne put cependant en avancer qu’une partie ; s’attendant à ce qu’Ali ne lui réclamât pas le reste, il fut déçu et résolut de rallier Mouawiya qui savait bien mieux récompenser les nobles actes des hommes valeureux et rétribuer ses serviteurs. Ali ne comprit ni les agissements ni le mode de pensée de l’homme ; ordonnant la destruction de sa maison, mais confirmant l’affranchissement des prisonniers, il commenta :

— Il a agi en seigneur, a fui tel un esclave et a trahi en scélérat. S’il était resté, on ne serait pas allé au-delà de sa mise en prison afin de vérifier s’il avait quelque chose à remettre au Trésor, sinon on l’aurait élargi.

De l’inextricable situation dans laquelle se trouvait Ali, Mouawiya ne manqua pas de profiter en multipliant les incursions dans le territoire censé relever de la souveraineté d’AlKoufa. Il alla jusqu’à envoyer un détachement à Basra pour retourner l’opinion contre lui. Cette escouade arriva à un moment où le gouverneur était absent à AlKoufa, laissant la ville entre les mains de Ziyad Ibn Abih, le frère illégitime de Mouawiya.

Pendant quelque temps, en mettant à profit les divisions tribales dans la ville et profitant de l’inclinaison pour Othmane de certaines tribus d’origine yéménite, le chef de la petite troupe réussit à mettre en difficulté le gouverneur intérimaire qu’il obligea à se placer sous la protection du ponte de l’une des tribus favorables à Ali dans l’attente de renforts. Mais il finit par se retrouver encerclé avec ses hommes dans le palais du gouvernement.

Malgré la menace des assaillants d’y mettre le feu, il refusa d’en sortir. Pourtant, il venait d’être abandonné par l’un de ses plus proches lieutenants ; une petite vieille noiraude, sa mère d’origine abyssine, s’était avancée vers la porte et l’a sommé de sortir, le menaçant de se mettre nue devant tout le monde. Et il finit avec les soixante-dix hommes qui l’accompagnaient par périr au milieu du feu.

Régnant sur la moitié du territoire de l’État musulman, Ali essayait d’y faire prévaloir la pratique du pouvoir d’Omar. Chaque vendredi, il distribuait sur tous les habitants ce qu’il avait dans le Trésor et, une fois le local vidé, il y faisait la sieste. En ce jour de ramadhane de l’an 40 (661), attendant l’heure de la rupture du jeûne, il était étendu sur le sol du local vide de tout bien. Il aimait bien se coucher par terre. Cela lui a valu, d’ailleurs, le surnom que lui attribua le prophète un jour où il vint le réveiller en lui enlevant de la poussière recouvrant ses habits : « Abou Tourab (Père la Terre), lui dit-il, lève-toi ! »

La proximité du tombeau du prophète lui manquait. Avait-il bien fait de quitter le Hijaz pour l’Irak et Médine pour AlKoufa ? Son parcours ne fut-il pas jalonné d’erreurs avec cet excès de ménagement pour les plus exaltés de ses hommes, ce qui les autorisa à pratiquer la fuite en avant dans l’erreur et l’amena finalement à les combattre ?

Observant l’organisation et la rigueur des mœurs de ces Sortants, il ne doutait pas qu’ils fussent susceptibles de constituer un mouvement politique appelé à s’inscrire dans la durée. Leur credo basé sur l’éligibilité au poste de calife de tout musulman nonobstant son statut ou son rang social à la condition de posséder les qualités nécessaires et morales requises par la religion ne pouvait qu’avoir un écho favorable en une terre d’islam désormais large ne devant se satisfaire indéfiniment des critères classiques pour l’accès au pouvoir.

Certes, il ne partageait pas cette vision, mais il trouvait de forts atouts de séduction dans cette assise démocratique à destination des futurs convertis à l’islam, surtout des musulmans non arabes comme les Berbères de cette Afrique du Nord en cours de conquête.

De même, il ne renierait pas leur rigorisme religieux et leur puritanisme moral s’ils n’étaient pas excessifs, n’excluant pas le fanatisme imputable à une interprétation souvent littérale et erronée du Coran. Si ce n’étaient les travers et les crimes dont ils s’étaient rendus coupables, ils ne seraient finalement pas si différents de lui. Il se demandait même s’il ne les préférait pas à ces supposés alliés et fidèles attirés par la vanité de la vie.

Parmi eux, il rangeait désormais AbdAllah, fils d’AlAbbas ; il eut un comportement qui le fit tellement souffrir. Ainsi, ce qu’il dénonçait comme honteux chez ses adversaires n’épargnait ni ses agents ni sa propre famille ! Gouvernant pour lui Basra, il n’eut pas dans la gestion du Trésor public sa rigueur ; quand il le lui reprocha, demandant des comptes, son cousin s’en offusqua et emportant la trésorerie, alla se réfugier à La Mecque. Toutes ses démarches auprès de lui et ses lettres lui rappelant ses devoirs envers les musulmans et envers Dieu ne réussirent pas à l’amener à résipiscence.

Quand on lui rapporta qu’il menait la grande vie à La Mecque et qu’il s’offrit avec l’argent public trois jeunes esclaves, il lui écrivit de nouveau, reprenant ses mêmes arguments de vertu, d’impartialité et de justice, lui rappelant ses devoirs familiaux et religieux. Or, parlant du Trésor réclamé, ce cousin osa lui répondre :

— Par Dieu, si tu n’arrêtes pas avec tes mythes, je le porterai à Mouawiya pour qu’il te combatte avec.

Et, lors d’un précédent échange de lettres, il n’hésita pas à le dénigrer sans vergogne :

— Je jure par le Tout-Puissant que retrouver Dieu après m’être approprié tous les trésors de la terre m’est bien préférable à le rencontrer après avoir fait saigner cette nation en vue d’avoir le pouvoir et le commandement !

Ali pensa alors à Omar et à sa perspicacité. Le second calife, qui appréciait beaucoup AbdAllah Ibn AlAbbas et ne le lui cachait pas, ne voulut néanmoins jamais lui confier un poste de gouverneur. Il justifiait cette attitude par sa peur de le voir abuser de l’argent public par une interprétation extensive des versets du Coran relatifs à la part de tout butin gagné revenant à la famille du prophète.

Dans son local désert, Ali songeait encore aux gens de Nahrawane, au 9 safar an 38 (17 juillet 658) date de son amère victoire sur eux et au 8 safar de l’année précédente (26 juillet 657) qui a vu le déroulement de la bataille de Siffine et leur défection, lui volant un triomphe assuré et lui imposant un arbitrage aussitôt renié pour verser dans la plus odieuse félonie.

Il se savait menacé par ceux qui ont survécu au massacre et qui lui vouaient la plus implacable haine ; mais il refusait toute protection rapprochée. Quand on essaya de le faire à son insu ; il s’en rendit compte et s’adressa aux deux hommes qui devaient lui faire escorte :

— Est-ce que vous voulez me protéger des gens du ciel ou de ceux de la terre ?

— De ceux de la terre, répondirent-ils.

— Alors, sachez que rien ne se détermine sur la terre sans qu’il n’ait été décidé au ciel, trancha-t-il, les laissant cois.

À cette même soirée de ramadhane, un peu plus tard dans la nuit, non loin d’AlKoufa, trois hommes veillaient après la prière et la rupture du jeûne. En ce mois saint, ils maudissaient le siècle vouant aux gémonies les gouvernants et pleuraient leurs frères tués au bord du fleuve. Bons Kharijites, ils se demandaient ce que pouvait valoir la vie après un pareil martyre. Ils avaient hâte de vendre leur vie à Dieu en s’en prenant aux princes du mensonge, les supprimant et débarrassant la terre de leurs méfaits tout en vengeant leurs martyrs.

Originaire d’Égypte, dénommé Ibn Mouljim, l’un d’eux, grand gaillard de taille élancée, aux traits sombres, à la peau brun foncé, se proposa de se charger d’Ali. Les deux autres se désignèrent, l’un pour Mouawiya et l’autre pour Amr Ibn AlAss.

Ce soir-là, ils ne se séparèrent qu’après avoir prêté serment sur leurs épées dégainées, jurant de ne point faillir dans l’accomplissement de leur mission quitte à y laisser la vie. Ils se donnèrent une date en ce mois sacré pour agir de concert à l’aube d’un jour convenu.

Sur son chemin vers AlKoufa, Ibn Mouljim s’arrêta chez un clan allié dont une dizaine au moins de ses membres furent tués à Nahrawane. Il y rencontra une jeune femme ; sa beauté lui fit aussitôt tourner la tête. Tellement épris d’elle, il en oubliait sa mission. Qatam était son nom. Il se pressa de la demander en mariage. Elle ne refusa pas, mais posa ses conditions ; il était prêt à satisfaire toutes ses exigences. Elle était disposée à l’épouser contre trois mille dinars, un esclave mâle, une esclave femelle et la mort du chauve, désignant Ali Ibn Abi Taleb responsable de la perte de son frère et de son père.

Il la retrouva dans la mosquée en train de prier quand il se présenta à elle pour lui faire ses adieux. Il devait partir ; c’était la nuit convenue avec les comploteurs de Syrie et d’Égypte. Elle prit un morceau d’étoffe en soie qu’elle avait sur elle, y appliqua un baiser et lui banda la tête. Elle lui présenta aussi quelqu’un de sa tribu pour le soutenir dans son entreprise. Il y adjoindra lui-même un troisième homme choisi parmi ses connaissances, communiant dans le malheur fait aux gens du fleuve.

Très froide était l’aube de ce vendredi du ramadhane de l’an 40 (janvier 661) veillé comme célébrant la révélation du Coran. Ibn Mouljim fut parmi les premiers à entrer dans la mosquée accompagné de ses deux acolytes. Prenant place dans les premiers rangs faisant face à la porte par laquelle Ali entre habituellement, ils prièrent puis s’assirent côte à côte et Ibn Mouljim se mit à répéter sans cesse la moitié d’un verset : « Il en est aussi parmi les gens qui se vendent soi-même par souci de plaire à Dieu…»

Ali n’allait pas tarder à apparaître ; il venait de quitter sa maison. Un troupeau d’oies et d’oisons, gris et blancs, vint à sa rencontre, criaillant et jargonnant. Ses accompagnateurs voulurent chasser les volatiles, mais il les arrêta d’un geste sec de sa main gauche qui tirait nerveusement sur sa très longue barbe et dit d’une voix à peine audible, les traits de sa face si brune encore plus noirs et étrangement tirés :

— Laissez-les ; ce sont des pleureuses.

Cette matinée-là, Ali n’accéda pas à la mosquée comme d’habitude par le seuil près de la chaire. Il passa à travers les rangées, un nerf de bœuf à la main, réveillant ceux qui s’étaient assoupis en répétant :

— Ô gens ! À la prière ! À la prière !

Il passa à côté du Kharijite qui, inlassablement, répétait la première moitié de son verset ; alors, il le compléta : «... Et Dieu est clément envers les hommes ».

Il a dû penser que l’homme souffrait d’un trou de mémoire ; il ne fit pas attention à ce 207ème verset de la sourate « La Vache » où les Kharijites puisèrent une appellation différente de celle par laquelle on avait pris l’habitude de les désigner. Ils tenaient à se faire appeler Chourat ou Vendeurs plutôt que Kharijites ou Sortants.

Mais cela pouvait-il échapper à sa perspicacité, lui qui n’en était point dépourvu ? N’avait-il pas sciemment ignoré le danger, comme pour en snober sa vilenie, se soumettant volontiers au dessein divin ? La veille, à son fils et héritier présomptif, AlHassan, en cette même mosquée, il avait dit :

— Mon fils, après avoir prié hier, je me suis assoupi un peu et j’ai vu le prophète de Dieu, que Dieu le bénisse et le salue. Je me suis plaint auprès de lui de mes hommes et de ce que j’endurais de leur indiscipline et leur manque d’empressement pour le combat. Il me dit alors : Invoque Dieu pour t’en débarrasser. Et j’ai imploré Dieu !

À peine Ali s’était-il éloigné d’Ibn Mouljim qu’il sentit le feu d’une lame qui passait tout près de lui et allait s’enficher dans le poteau de la porte. Il se retourna et eut le temps de voir une épée briller à la faible lueur des torches ; un cri à la bouche, dominant le brouhaha, Ibn Mouljim se jetait sur lui, son arme en avant, visant la tête. Elle vint frapper le front avant d’aller heurter le bas d’un mur dont elle fit tomber un pavé.

— Le jugement est à Dieu, Ali ; il n’est pas à toi ! criait l’agresseur avant d’être saisi. N’opposant plus de résistance, il se paya le luxe de faire des recommandations à l’assistance :

— Faites attention à l’épée ; la lame est empoisonnée !

Dans la bousculade, ses deux compagnons réussirent à s’enfuir ; l’un d’eux s’était empressé d’attaquer Ali mais le rata, l’autre fut paralysé par la peur. Arrêté un moment par son poursuivant, l’auteur du coup manqué finit par réussir à lui échapper dans l’obscurité de cette fin de nuit ; l’autre, réfugié chez lui, y fut tué par un parent auquel il ne put se retenir de faire état de la cause de son émoi.

À suivre...

 

Publication sur ma page Facebook et désormais ici, sur ce blog, après la renonciation de Kapitalis à publier la fin du roman. Cf. à ce sujet, ici sur ce blog: Mythe d’indépendance et crédibilité perdue de Kapitais.

 

COPYRIGHT :

Aux origines de lislam

Succession du prophète,

Ombres et lumières

 

 © Afrique Orient  2015

Auteur : Farhat OTHMAN

Titre du Livre : Aux origines de l’islam

Succession du prophète, Ombres et lumières

Dépôt Légal : 2014 MO 2542

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