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samedi 30 avril 2022

Roman-feuilleton du Ramadan :
PARTIE IV et dernière

 
PARTIE IV - Chapitre 4/2
L’arbitrage de tous les dangers (suite et fin)

Roman-feuilleton du Ramadan

 

Aux origines de l'islam

Succession du prophète, ombres et lumières

 

Fresque historique de Farhat OTHMAN

(Texte intégral)

 

Partie IV

 

Les vices et les vertus

ou

Les infortunes du pouvoir

 

Chapitre 4

 

L’arbitrage de tous les dangers

2/2

 

La discussion continuait ; tissant sa toile, prenant la précaution d’habituer son convive à toujours parler en premier en affectant la déférence, Amr lui demanda ce qu’il proposait. Il le savait pencher pour le fils d’Omar – ne serait-ce que pour honorer le souvenir de son père – et il avait préparé une parade ; AbdAllah Ibn Omar était connu pour être dissipé, or le pouvoir nécessite un homme à poigne. Il proposa l’un de ses deux fils connu aussi pour son savoir et sa piété, mais Abou Moussa le récusa, rétorquant qu’il avait été plongé par son père dans la discorde.

La conversation allait bon train sur les candidats dignes du pouvoir et les neurones d’Amr cogitaient à vitesse infernale. Cet échange et les propos à peine couverts de son interlocuteur concernant sa défiance à l’égard de son mandataire confortaient Amr dans une évidence. Abou Moussa cherchait moins à avoir le pouvoir pour Ali qu’à le restituer à l’ensemble de la communauté. Ne lui avait-il pas parlé de l’exemple d’Omar et de la nécessité d’honorer sa mémoire. Il a même, peut-être, évoqué l’hypothèse de démettre leurs deux mandataires de leurs prétentions au moment où son cerveau fourmillait par trop fort pour qu’il l’ait entendu. Au moment du dessert, doucereusement, se penchant sur son convive, Amr lui susurra :

— Tu es le doyen des Compagnons de Mohamed – que Dieu le bénisse et le salue – et l’un des plus méritants, qui a la plus grande antériorité dans l’islam. Or, tu vois jusqu’où la communauté est allée dans cette noire discorde qui emporte tout sur son chemin. Voudrais-tu être le bienheureux de cette nation avec lequel Dieu préservera ses vies ? être cette âme unique dont Dieu dit : « Et celui qui aura sauvé une vie aura agi comme s’il sauvait tout le genre humain ».

— Comment vois-tu les choses ? demanda Abou Moussa, sensible à la citation de cet extrait du verset 32 de la sourate « La Table ».

— Tu renies Ali Ibn Abi Taleb et je renie Mouawiya Ibn Abi Soufiane, commença Amr, parlant lentement, tout en surveillant la moindre réaction de son interlocuteur. Puis, la communauté se choisit librement un homme qui n’a été pour rien dans cette discorde, n’y ayant pas trempé.

Il se tut, se raclant intentionnellement la gorge pour observer la réaction de son hôte resté impassible avant d’ajouter, se réfugiant derrière l’estime qu’avait Abou Moussa pour le fils d’Omar, malgré ce qu’il en disait juste auparavant :

— Et cet homme pourrait être AbdAllah Ibn Omar, l’homme de vertu, consacrant sa vie à la religion.

— Il est heureux que tu en conviennes enfin, acquiesça Abou Moussa. Mais comment m’assurer de ta sincérité, demanda-t-il suspicieux ?

— N’est-ce pas « au souvenir de Dieu que s’apaisent les cœurs » ? répondit Amr, citant de nouveau le Coran, un extrait du verset 28 de la sourate « Le Tonnerre ». Prends tous les engagements et tous les pactes susceptibles de te rassurer, ajouta-t-il, assuré de toucher au but.

N’ayant en vue que la réussite de son plan et acceptant sciemment de commettre un parjure, Amr n’hésita pas à donner à son interlocuteur toutes les assurances voulues, prêtant tous les serments certifiés qui lui furent demandés. Stupéfait par tant d’engagement pour l’intérêt général qui semblait, sauf à renier sa propre religion, ne point laisser douter de la sincérité de l’homme, Abou Moussa finit par lâcher :

— J’acquiesce !

Le jour du verdict était enfin venu, on appela les gens à se réunir dans la mosquée. À côté de la chaire étaient assis les deux arbitres. Ils furent assez vite entourés de tous les présents impatients d’entendre le prononcé du jugement. Amr se pencha sur son compagnon et, d’un ton patelin, lui dit :

— Vas-y, harangue les gens, Abou Moussa ! Dis-leur qu’on s’était mis d’accord.

— Vas-y toi, répondit par modestie celui-ci.

— Dieu m’en garde ! Moi, te précéder, alors que tu es le doyen des Compagnons du prophète ! fit Amr, timbre mielleux, plus obséquieux que jamais. Il était tout proche du but et il ne fallait pas lâcher la pression sur sa proie. Par Dieu ! il n’en sera jamais ainsi.

— Ne manigances-tu pas quelque chose par hasard ? interrogea Abou Moussa avec une mine soudainement dubitative. Il s’était déjà levé et Amr se mit aussitôt à lui jurer sa sincérité et sa parfaite honnêteté. Il l’aida à monter la chaire, l’y poussant presque, tout en ne tarissant point de nouveaux serments sur sa loyauté et de nouvelles assurances sur sa franchise. Il n’abandonna le vieil homme qu’une fois qu’il se fut assis en haut de la chaire. Regagnant sa place, il se surprit en train de prier sincèrement pour la toute première fois ; son stratagème se devait d’aller jusqu’au bout coûte que coûte. Au pied de la chaire, Ibn AlAbbas s’agitait et houspillait Abou Moussa :

— Malheur à toi ! Je jure par Dieu qu’il t’a trompé. Si vous vous êtes mis d’accord sur quelque chose, laisse-le parler avant toi et tu confirmeras après lui, car c’est un homme traître et je ne me fie pas à lui. Il t’a donné son accord en tête à tête et en public il le reniera.

Mais Abou Moussa ne l’entendait pas et commençait déjà par le rituel de louanges à Dieu ; et Amr ne s’empêcha d’avoir déjà le premier rictus de la satisfaction ; la mécanique était lancée ; plus rien désormais ne saurait l’arrêter ; son démon interne le lui assurait ; celui qu’il venait de prier, probablement.

— Nous nous sommes mis d’accord sur quelque chose qui, nous le souhaitons, permettra – grâce à Dieu – de faire revenir la paix en cette communauté. Je me suis accordé avec mon compagnon sur la meilleure issue qui soit pour cette communauté afin de retrouver son unité. Mon avis et celui d’Amr…, dit Abou Moussa en marquant un arrêt à observer l’assistance avant la vive réaction redoutée, puis reprit d’un trait : … est de révoquer Ali Ibn Abi Taleb de mon côté et Mouawiya Ibn Abi Soufiane de son côté afin de remettre le pouvoir à la communauté des musulmans pour désigner qui elle voudra. Donc, je révoque Ali Ibn Abi Taleb comme je dégaine cette épée de son fourreau.

Spectaculairement, accompagnant la parole du geste, il illustra son propos avec l’arme qu’il portait à son épaule. Dans un étrange silence mâtiné d’un murmure d’étonnement dans l’assemblée et quelques cris de stupeur par-ci par-là, il descendit les quelques marches de la chaire. Invitant de sa main Ibn Al’Ass à prendre sa place, il ne vit pas l’éclair d’intense malice qui brûlait les yeux de renard de cet homme dont la main tripotait voluptueusement le pommeau de l’épée accrochée à sa ceinture.

Savourant d’avance son triomphe, Amr monta solennellement la chaire ; il était loin, très loin, s’imaginant, d’ores et déjà, pharaon d’Égypte. Discrètement, les gestes lents et précis, tandis qu’il avait encore le dos tourné à l’assemblée, il enleva de sa ceinture l’épée en la dégainant et s’assit, la plaçant avec son fourreau sur ses genoux. C’est à peine s’il débita la formule de louanges classique pour enchaîner, pressé de tourner la page :

— Vous avez entendu mon compagnon vous faisant témoins de la révocation d’Ali Ibn Abi Taleb comme il dégainait son épée. Quant à moi, à témoin je vous prends en confirmant Mouawiya Ibn Abi Soufiane comme je rengaine cette épée en son fourreau. Mouawiya est, en effet, le défenseur d’Othmane et son vengeur !

Et, ostensiblement, alors qu’Abou Moussa était déjà debout à l’insulter et que l’assemblée versait dans le plus grand brouhaha, Amr remit son épée en son fourreau.

— Que Dieu te maudisse ! criait Abou Moussa AlAch’ari. Tu es « tel un chien, qu’on le traque ou qu’on le laisse, toujours à haleter ».

Descendant les marches comme il les avait montées, il lui rétorqua hautainement sans daigner le regarder, répondant à son extrait du verset 176 de la sourate n°7 « ElA’raf » par un extrait du verset 5 de la sourate n°62 « Vendredi » avant que les coups de fouet ne se missent à pleuvoir. De partout venant, certains l’atteignirent, mais ses assaillants n’y échappèrent pas, trouvant les familiers d’Amr sur leur chemin :

— Que Dieu te maudisse toi ! Tu es « tel l’âne pliant sous des livres ».

Honteux, Abou Moussa se retirera à La Mecque ; en vain, il sera approché par Mouawiya, cherchant à conforter encore plus sa position.

L’épisode de l’arbitrage, s’il fût considéré comme légalement nul et non avenu, n’affaiblit pas moins Ali en permettant à Mouawiya de le concurrencer enfin dans la direction même de la communauté, se faisant dès lors proclamer calife pour la première fois ; c’était en l’an 37 de l’hégire. En effet, Mouawiya était parti pour Siffine sans avoir été déclaré calife par les Syriens qui lui avaient seulement donné leur adhésion à venger Othmane. Après l’épisode de l’arbitrage, il osa revendiquer cette qualité et l’on commença à la lui reconnaître.

Dans le camp d’Ali, l’issue de l’arbitrage fit de graves remous. Il en refusa certes le résultat, rappelant qu’il avait pris la précaution d’adresser aux arbitres, lors de leur nomination, une exhortation confirmée par la suivante :

« On vous a désignés pour juger selon le livre de Dieu afin d’autoriser ce qu’autorise le Coran et interdire ce qu’il interdit. Or, assurait-il, les arbitres n’avaient agi que selon leurs caprices et, du coup, ont failli à leurs obligations, rendant caduc leur jugement vicié, au demeurant, par la félonie de l’un d’eux. »

Cet échec enhardissait ceux des encapuchonnés qui n’avaient pas encore rejoint leurs camarades les plus contestataires ; plus que jamais, ils tenaient au slogan né lors de la bataille de Siffine : « Point de jugement s’il n’est de Dieu !»

Ali eut beau leur répéter encore qu’il n’avait pas voulu d’une négociation imposée par eux ; s’ils rétorquaient toujours qu’en acceptant l’arbitrage, ils demandaient en fait le règlement de Dieu et non celui des hommes, ils lui reprochaient désormais de ne pas les avoir écoutés pour se rétracter après la signature de l’accord d’arbitrage et reprendre le combat bien avant le rendu du jugement. Désabusé, Ali dut leur faire ses excuses pour les calmer ; et il le fit en vers :

 

                        J’ai commis une faute et amende honorable je fais ;

                        Plus réfléchi, je serai désormais et je me surpasserai

                        À réunir ce qui s’était éparpillé et dispersé.

 

Mais les rangs des Sortants ne grossissaient pas moins chaque jour davantage ; venant de différentes villes irakiennes, un grand nombre d’entre eux alla camper sur un fleuve, à Nahrawane, village situé près de Baghdad, entre celle-ci et la future Wassit. Contre eux, le recours aux armes allait devenir inéluctable en vue de rétablir l’ordre public qu’ils ne se retiendraient pas de perturber.

L’arbitrage ayant échoué, Ali se préparait de nouveau à revenir en Syrie combattre celui qui a osé le défier et se proclamer calife en Syrie et en Égypte. Il tenta une dernière fois de réunifier ses troupes en ramenant au bercail les Sortants, il leur écrivit :

— Ces deux hommes dont nous avions accepté le jugement ont contrevenu au livre de Dieu et ont suivi leurs caprices sans chercher à se faire guider par Dieu ni recourir à la tradition du prophète. N’ayant pas exécuté un jugement du Coran, leurs actes n’engagent ni Dieu ni son prophète ni les croyants. Aussi, à la réception de la présente, venez ! Nous marchons sur notre ennemi et le vôtre, car nous demeurons sur la position qui était la nôtre.

Ils eurent l’insolence de lui répondre :

— Tu ne t’es pas enflammé pour ton Dieu, mais pour toi-même. Si tu reconnais ton apostasie et acceptes de te repentir, alors nous examinerons nos rapports ; sinon, nous rejetons tout pacte avec vous : «Dieu n’aime pas les félons » !

Désespérant d’eux, Ali se retourna vers ses autres partisans ; mais, à l’exception de ses plus fidèles supporters, les Chiites, il n’arriva pas à mobiliser suffisamment d’hommes. Battant le rappel à travers les provinces pour aller s’attaquer à ses ennemis en Syrie et en Égypte, on lui demanda d’en finir d’abord avec les Kharijites.

Des nouvelles de la plus grande gravité commençaient, en effet, à lui parvenir ; les Sortants s’adonnaient aux pires exactions en s’en prenant à de pauvres gens dont le seul tort était leur allégeance à Ali. Et des informations aussi graves tombèrent en cascade. La haine était poussée à l’extrême ; ils tuaient les musulmans et épargnaient les gens du Livre ; ils trempaient dans la plus sauvage cruauté s’autorisant à supplicier les femmes enceintes et les enfants en bas âge.

En ralliant Nahrawane, arrivant de Basra, un groupe de Sortants avisa un pauvre homme entre deux âges traînant péniblement derrière lui un âne transportant une femme voilée. Ils le hélèrent et, lui barrant la voie, le rassurèrent tout en lui demandant qui il était. Ils l’avaient pourtant reconnu ; c’était le fils de l’un des Compagnons du prophète qui a rapporté certains de ses dires de nature à conforter leur position et ils voulaient les réécouter de lui. Il se plia à leur demande tremblant de tout son frêle corps :

— Mon père m’a dit que, selon le prophète, « Il y aura une insurrection durant laquelle l’essence de l’homme périra comme périt son corps. En y étant le soir croyant, il se retrouve le lendemain mécréant et se trouvant, le matin, mécréant, il est croyant en fin de journée ».

C’était ce qu’ils avaient souhaité entendre. Mais ils voulaient encore plus de témoignages de la justesse de leurs vues, comme pour ne laisser de place au moindre soupçon de doute, et ils l’interrogèrent sur Abou Bakr et Omar ; il loua leur califat. Ils lui demandèrent alors ce qu’il pensait personnellement d’Othmane au début et à la fin de son califat ; il osa leur dire que le troisième calife était légitime en son début et jusqu’à sa fin. Cela n’était pas pour leur convenir, mais ils vérifièrent ce que pensait l’homme d’Ali avant et après l’épisode du jugement. Honnête et sincère malgré sa peur, le pauvre hère n’hésita pas à les défier :

— Il est bien mieux placé que vous et encore plus clairvoyant pour connaître les prescriptions de Dieu et pour protéger sa religion.

Cela les mit dans tous leurs états ; ils le taxèrent de se laisser aller à son inclination pour Ali, de ne pas juger les hommes sur leurs actes, mais sur leurs noms et ils jurèrent de le mettre à mort de la pire façon qui se fut. Attaché, le pauvre homme fut amené sous des palmiers avec sa femme dont le gros ventre indiquait un accouchement tout proche. Et alors que certains restèrent à les surveiller, d’autres partirent inspecter les lieux.

À l’ombre des palmiers chargés de fruits, près d’un filet d’eau, l’homme et sa femme attendirent anxieusement leur sort. Ils ne savaient trop que penser de ces gens-là. À un moment, ils virent l’un d’eux se pencher pour ramasser une datte qui venait de tomber, la glisser dans sa bouche et se faire aussitôt réprimander par un compagnon lui remarquant :

— Tu l’as prise sans titre et sans en payer le prix.

Voyant l’homme à la datte jeter le fruit, les deux prisonniers commencèrent à se rassurer. Des hommes pareils n’allaient pas leur faire du mal ! Et leurs appréhensions se calmèrent lorsqu’ils virent certains autres de leurs agresseurs se faire rabrouer par leurs amis aussitôt après avoir abattu un sanglier qui venait de passer dans les parages ; reprenant les termes du Livre sacré, ceux-ci qualifiaient l’acte gratuit de corruption sur terre. Ces personnes étaient même allées à la rencontre du propriétaire de l’animal, un ressortissant des Gens du Livre, pour s’excuser de leur acte et lui rembourser son animal.

Malgré les liens qui, le serrant, lui faisant très mal, le fils du Compagnon du prophète n’avait plus peur ; il s’adressa à ses ravisseurs, voulant sympathiser :

— Si vous êtes sincères dans vos actes tels que je viens de les voir, je crois que je n’ai rien à craindre de vous autres. Je suis musulman, en effet, et je n’ai rien fait de mal. De plus, en venant à moi, vous m’avez rassuré sur ma vie puisque vous m’avez dit de ne pas avoir peur de vous.

Au même moment, le reste des hommes revint au galop et certains, brandissant leur butin, criaient qu’ils venaient de tuer trois femmes. Aussitôt, pour ne pas être en reste, leurs compagnons se jetèrent sur leur prisonnier, le couchèrent sur le côté et l’égorgèrent. Le sang de son mari coulant abondamment vers l’eau toute proche, devenant toute bleue, la femme cria à tue-tête à l’approche des lames d’elle :

— Je suis une femme ! Ne craignez-vous pas Dieu !

Pour toute réponse, elle eut exactement le même sort que son époux. On poussa même la cruauté jusqu’à l’éventrer.

Se pliant aux événements contraires, Ali eut encore à changer de priorités et se dirigea vers les cruels du fleuve. Ils continuaient à terroriser les gens, pillant et tuant. Ils osèrent même mettre à mort le messager qu’il dépêcha auprès d’eux s’enquérir sur la véracité de ce qui lui parvenait de si horrible sur leur compte.

Ali venait de passer un pont avec ses troupes, approchant du marais de Nahrawane, quand un vieillard, se présentant comme devin, vint au-devant de sa monture. Il lui dit être de tout cœur avec lui et souhaiter sa victoire sur ses ennemis ; mais se fondant sur les aspects planétaires, il lui conseilla de ne faire avancer ses troupes qu’à un moment précis de la journée au risque d’aller avec ses alliés vers les plus graves désillusions.

Ali n’ignorait pas l’importance des augures, mais ne pouvait suivre le conseil du voyant. Il était sûr de venir à bout de la poignée de rebelles par la persuasion ou par la force et ne voulait pas, en suivant la prophétie, que les ignorants aient pu dire qu’il avait eu gain de cause grâce à elle. Déterminé à arrêter leurs sinistres frasques, il était prêt à affronter ses anciens hommes.

Il les haranguerait malgré tout même s’il ne s’attendait à rien de bon ; ils étaient prêts à tout pour avoir la mort et, devenus un véritable danger public, ils ne lui laissaient pas le choix de les épargner. Aussi, arrivant à Nahrawane à la tête de son armée, se faisant violence, il se contenta de n’exiger que la remise des responsables des crimes perpétrés. Il voulait surtout rendre justice et aller ensuite en découdre avec les Syriens, laissant le temps aux hommes du fleuve pour faire éventuellement amende honorable. Cinglante fut leur réponse :

— Tous ensemble nous avons tué et tous ensemble nous trouvons licite de vous mettre à mort.

Aux hommes d’Ali venus parlementer, ils dirent :

— La vérité nous est apparue. Nous ne vous suivrons pas à moins que vous ne nous ameniez l’équivalent d’un Omar. Nous avons opté pour le jugement et avons péché. Ainsi, nous étions devenus des mécréants, mais nous nous sommes repentis. Si Ali se repent, nous serons avec lui sinon nous le rejetons.

De rares personnes parmi celles qui eurent le courage d’admettre ne jamais avoir su le pourquoi de leur combat quittèrent les lieux et se retirèrent dans quelques provinces éloignées ; mais un nombre conséquent resta, refusant les offres d’amen, attaquant les premiers leur ancien chef au cri : « Allons, allons au paradis ! ». Et ils se ruèrent comme un seul homme sur l’armée d’Ali où, bien en évidence, trônait une bannière blanche sous laquelle étaient appelés en vain les repentants.

Les cavaliers se divisèrent en deux groupes, l’un attaquant l’aile droite, l’autre l’aile de gauche. Ils furent accueillis avec un jet nourri de flèches avant que les cavaliers ne surgissent des deux ailes de l’armée d’Ali, suivis par l’infanterie bardée de lances et de sabres massacrant jusqu’au dernier ces hommes ayant choisi la mort. En un clin d’œil ou presque, comme si un ordre divin de mourir était tombé, les suicidaires du fleuve jonchèrent de leurs corps le sol non loin d’un pont sous lequel coulait une eau désormais devenue écarlate.

Afin de s’assurer le paradis, les Sortants accomplissaient ainsi leur plus cher vœu de mourir pour leurs convictions en conformité avec la parole de Dieu, en l’occurrence l’extrait du verset 100 de la sourate « Les Femmes » d’où certains tiraient la vraie source de leur dénomination : « Et quiconque sort de sa maison émigrant vers Dieu et son envoyé, puis est rattrapé par la mort, alors sa gratification incombe à Dieu ».

Du camp de Haroura, il ne restait plus que du bétail, des armes et des esclaves femmes et enfants. Les vainqueurs se partagèrent les premiers, mais retinrent prisonnier le butin humain qu’ils gardèrent à la disposition de ses propriétaires ou de leurs ayants droit. Sur le champ de bataille, certains se mirent à chercher parmi les morts des parents, un fils ou un frère, afin de les enterrer. En l’apprenant, allant à l’encontre de ses valeurs, Ali interdit la poursuite de tout enterrement, tellement était grande sa répulsion pour ces gens, surtout le sale combat qu’ils lui imposèrent, même s’il ne coûta à son armée que sept hommes. Finissant de les mettre, eux seuls, sous la terre, il s’écria, parlant des autres morts :

— Vous les tuez puis vous les enterrez ? Partez ! ils ne méritent pas de sépulture.

On était en l’an 38 hégirien ; il voulut continuer son chemin pour le grand combat qui l’attendait toujours en terre de Syrie. Mais ses hommes ne le suivaient plus ; la guerre avait par trop duré et un grand nombre d’entre eux quittèrent discrètement le campement, le laissant avec les seuls fidèles. La mort dans l’âme, il préféra alors regagner AlKoufa.

Intenable était la position d’Ali. Volontiers, il parlait en termes moraux, affichait la plus grande intransigeance dans les principes, refusant les artifices de la politique et la ruse admise en guerre. Paradoxalement, il fermait les yeux sur une sorte de péché originel qui était pourtant à la source du pouvoir qu’il incarnait et posait les pires cas de conscience à la majorité des personnes neutres. Cela ouvrait la brèche béante dans l’édifice de l’unité nationale qu’il cherchait à reconstruire et dans laquelle ses ennemis ne manquèrent pas de s’engouffrer.

L’essentiel de ses troupes était composé de ces insurgés qui s’étaient levés contre le calife légitime, assassins et complices compris. Et l’on pouvait légitimement penser que ceux-ci ne luttaient pour le triomphe de la cause d’Ali que par souci de leur propre salut.

Le principe de la justice à rendre au calife assassiné n’était pas absolu non plus dans le camp qui en avait fait son étendard ; il devait y plier, aussi, aux principes supérieurs de la sauvegarde de l’unité et de la paix. C’était l’argumentation d’Ali ; elle venait trop tôt et était développée dans des conditions très peu propices ; elle sera reprise avec succès par Mouawiya quand les conditions auront changé.

 

À suivre...


Publication sur ma page Facebook et désormais ici, sur ce blog, après la renonciation de Kapitalis à publier la fin du roman. Cf. à ce sujet, ici sur ce blog: Mythe d’indépendance et crédibilité perdue de Kapitais.

 

COPYRIGHT :

 

Aux origines de lislam

Succession du prophète,

Ombres et lumières

 

 © Afrique Orient  2015

Auteur : Farhat OTHMAN

Titre du Livre : Aux origines de l’islam

Succession du prophète, Ombres et lumières

Dépôt Légal : 2014 MO 2542

ISBN : 978 - 9954 - 630 - 32 - 7

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