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vendredi 29 avril 2022

Roman-feuilleton du Ramadan :
PARTIE IV et dernière

PARTIE IV - Chapitre 4
L’arbitrage de tous les dangers 1/2

Roman-feuilleton du Ramadan

Aux origines de l'islam

Succession du prophète, 

ombres et lumières

 

Fresque historique de Farhat OTHMAN

(Texte intégral)

 

Partie IV

 

Les vices et les vertus

ou

Les infortunes du pouvoir

 

Chapitre 4

 

L’arbitrage de tous les dangers

1/2

 

Ali essaya de raisonner ses hommes, les lecteurs et les encapuchonnés parmi eux spécialement, précisant qu’il connaissait bien Mouawiya, Amr et leur entourage. Il leur répétait que, les ayant fréquentés comme enfants et comme adultes, il savait qu’ils étaient les pires enfants et les pires adultes, n’ayant aucune morale, ne connaissant même pas le contenu du Livre qu’ils ne brandissaient que par pure ruse. Il les trouvait butés, comme à leur habitude, ne voulant rien écouter, répétant :

— On ne saurait refuser une invitation au livre de Dieu !

Il insistait, pourtant :

— Si je les ai combattus, c’était bien pour leur faire accepter le jugement de ce Livre, car ils avaient désobéi à Dieu – Puissant et Grand – en ce qu’il leur avait ordonné, oubliant ses prescriptions, reniant son enseignement.

Mais, c’était en vain. On l’entourait de tous les côtés, le bousculant presque, et l’on devenait agressif, le ton péremptoire, les gestes directifs.

— Ali, dirent les plus véhéments des risque-tout, réponds au livre de Dieu quand on t’y appelle ; sinon on te livrera à ces gens ou on te fera subir ce qu’on a fait à Ibn Affane. Nous devons agir avec les prescriptions du Coran et nous y sommes prêts. Par Dieu, nous répondrons à l’appel au jugement de Dieu ou nous nous en prendrons à toi.

Ali n’avait point le choix ; il était bel et bien l’otage de fanatiques. Mais ne voulant pas céder sans prendre date, il tint à leur dire :

— Retenez que je vous ai interdit de leur répondre, car pour moi, si vous vouliez bien m’obéir, il faut les combattre. Si vous persistez à me désobéir, alors faites ce que vous voulez !

On lui commanda de faire revenir AlAchtar, le chef de ses armées qui, plus loin, continuait à combattre. Informé du souhait d’Ali, celui-ci fit dire que ce n’était pas le moment, qu’il était sur le point de remporter la victoire. Sa réponse déplut aux partisans de l’arbitrage qui devinrent encore plus menaçants ; Ali se fit alors insistant, criant qu’il y avait menace d’émeute au sein des troupes. Et, dans la colère la plus noire, AlAchtar cessa le combat, craignant pour la vie même de son chef, tempêtant :

— Ô gens d’Irak, avilis et débiles ! Ô vous aux fronts noirci ! On pensait vos prières de la piété, de la dévotion, un renoncement au monde et un désir de retour à Dieu, mais voilà que votre but n’est finalement que ce bas monde !

Ali pouvait-il s’opposer au gros de ses troupes, cette masse de trompe-la-mort, autant hommes de guerre que de religion, aussi vaillants aux armes qu’intraitables dans leur conception bornée de la religion ? Puisant dans la sagesse populaire, fleurissant son éloquence avec de la meilleure rime, il admettait n’être que l’élément du tout, et combien même il serait le plus avisé ou le plus clairvoyant de cet ensemble, il ne saurait échapper à son aveuglement. Il avoua aussi avoir envisagé de contrarier ses hommes et de continuer le combat et ce ne fut pas la peur d’échouer ou d’être battu qui retint un vaillant combattant comme lui, mais bien plutôt la peur de voir la lignée du prophète prendre fin avec la mort de ses enfants qui l’entouraient au champ de bataille.

Il fallait désigner un arbitre. Ali songea à Abou Al Aswad AdDou’ali, l’un de ses proches, homme d’armes, poète et fin connaisseur de la langue arabe dont il fut le premier à imaginer globalement la grammaire à la demande de son chef. Il voulait un guerrier apte à plaider sa cause dans la droiture. Pour cela, il récusa son cousin Ibn AlAbbas qui était venu lui dire :

— Désigne-moi pour être l’un des deux arbitres. Par Dieu, je te tresserai, dans le succès, une corde qui ne casse ni ne se dénoue.

Le sachant retors, Ali n’en voulait pas ; il lui répondit :

— Laisse-moi en dehors de tes maléfices ; je n’en veux pas autant que je rejette ceux de Mouawiya. Je ne traite avec lui que par l’épée jusqu’à l’amener à la raison.

— Lui, je le jure, ne traitera avec l’épée que jusqu’au moment où il te battra avec le mensonge, fit Ibn AlAbbas.

— Et comment cela ?

— Si aujourd’hui les gens t’obéissent, ils te désobéiront demain ; lui continuera à se faire obéir sans risquer la moindre désobéissance.

Les lecteurs encapuchonnés voulaient un homme parmi eux, à capuchon comme eux, et ils récusèrent le choix d’Abou Al Aswad AdDou’ali. Ils dictèrent le nom de leur homme à Ali :

— Nous n’accepterons qu’Abou Moussa AlAch’ari !

Ils optaient pour un homme qui ne fut pas aligné d’office sur Ali et ses intérêts propres, exigeant ce gouverneur imposé à Othmane, un homme connu pour être pieux, dévot même. Ali n’avait pas confiance en lui ; il avait refusé, en effet, de le secourir ou d’appuyer sa cause, préférant garder une neutralité toute de défiance. C’était un homme perclus de scrupules religieux, sans trop de malice ni trop d’intelligence. Ainsi le jugeait Mouawiya à qui son acceptation par Ali contraint et forcé fit énormément plaisir. À Amr Ibn Al’Ass, son arbitre à lui, il dit, tout sourire :

— On t’oppose un homme à la langue pendue, mais qui est borné ; ne l’écrase pas trop par ton intelligence !

Pour la rédaction du texte de l’accord, une délégation vint dans le camp d’Ali, présidée par Ibn Al’Ass. Ali commençait à dicter, le scribe notait :

« Au nom de Dieu clément et miséricordieux. Voici ce qui a été convenu entre Ali, prince des croyants... »

Amr l’interrompit, lui demandant d’écrire les prénoms d’Ali et de son père en lieu et place de sa qualité, précisant :

— C’est votre prince, ce n’est pas le nôtre !

Sous le regard pétillant de malice d’Amr et son sourire goguenard, on palabra du côté d’Ali ; quelqu’un lui dit :

— N’efface pas ta qualité de Prince des croyants ; si tu le fais, j’ai bien peur que tu ne l’aies plus.

À ce problème inattendu, Ali prit le temps de la réflexion. Puis, il finit par accepter l’exigence d’Ibn Al’Ass en rappelant que le prophète, lors de la conclusion d’un traité de paix avec les païens, fut confronté à un problème similaire quand, pareillement, ses adversaires refusèrent sa qualité de prophète. Or, il le résolut en demandant à Ali d’effacer sa qualité et de mettre son identité, allant même jusqu’à l’écrire de sa propre main devant l’incapacité de son cousin à s’exécuter.

Bien que satisfait d’avoir obtenu gain de cause, Amr feignit la colère, refusant que l’on comparât les musulmans à des païens. Un échange d’injures s’ensuivit, qui le conduisit à quitter la tente. Ses compagnons ne le suivirent pas et finirent de dresser l’acte d’arbitrage. Il y fut consigné, notamment :

« Voici ce qui a été convenu entre Ali Ibn Abi Taleb et Mouawiya Ibn Abi Soufiane, Ali représentant les gens d’AlKoufa et leurs alliés parmi les musulmans et les croyants et Mouawiya, les Syriens et leurs alliés parmi les musulmans et les croyants.

Nous acceptons de nous soumettre au jugement de Dieu – Puissant et Grand – et de son livre. Rien d’autre ne nous réunira. Le Livre de Dieu – Puissant et Grand – nous départagera avec ses sourates, de son Ouverture à sa fin, et nous honorerons ce qu’il prescrit et nous nous garderons de ce qu’il interdit.

Les deux arbitres sont Abou Moussa AlAch’ari AbdAllah Ibn Kaïs et Amr Ibn Al’Ass le Qoraïchite ; ils mettront en application ce qu’ils trouveront dans le livre de Dieu, Puissant et Grand. S’ils ne trouvent pas la réponse dans le livre de Dieu – Puissant et Grand – ils recourront à la juste et unanime tradition du prophète... »

On était mercredi 13 du mois de safar an 37 de l’hégire. On convint qu’Ali et Mouawiya, accompagnés de quatre cents de leurs hommes, se rendraient au mois de ramadhane à Daoumat AlJandal, une oasis sur l’oued AsSirhane coulant entre la Jordanie et le Nejd au nord de l’Arabie où le jugement devait être rendu par les deux arbitres.

À la lecture du document aux gens, il s’en trouva parmi les encapuchonnés d’Ali, venant notamment de la puissante tribu des Tamime, qui crièrent au blasphème et refusèrent la teneur de l’accord. L’un d’eux expliqua cette opposition :

— Vous faites les hommes des juges de Dieu, Puissant et Grand. Il n’est de jugement que de Dieu !

Ils n’étaient pas encore nombreux et l’on réussit à en raisonner certains. Mais la graine du refus venait d’éclore ; dans les têtes, elle n’allait plus s’arrêter de pousser, surtout parmi celles des plus abrutis par une dévotion aveugle et leur ferveur bornée.

Ainsi les trouvait Ali. Pour lui, le retour de Siffine fut un calvaire ; ses troupes étaient cruellement divisées. On s’insultait et on se fouettait. Les uns traitaient leurs frères d’armes de la veille d’ennemis de Dieu, usant de tromperie en matière divine en recourant à l’arbitrage humain. Les autres accusaient les premiers d’être des couards doublés de rebelles coupables de délaisser leur chef et diviser l’unité de ses troupes. Sur le chemin d’AlKoufa, les maisons étaient en deuil et les pleurs redoublaient sur le passage des troupes. Les pertes étaient énormes dans certains clans. Très attentif à prendre le pouls de la population, Ali s’arrêta souvent pour interroger certaines gens, cherchant même dans leur prénom, leur nom, sa signification ou sa résonance, un signe de bon augure de la providence à la manière de la tradition communautaire. Il voulait aussi sonder les gens avisés sur ce qui venait de se passer. Ils regrettaient son escapade syrienne et, concernant la bataille, soutenaient qu’il avait une grande armée qu’il divisa et une citadelle imprenable qu’il détruisit ; et ils se demandaient quand il pourrait réédifier ce qu’il détruisit et rassembler ce qu’il divisa.

Arrivées à Alkoufa, ses troupes n’étaient plus au complet ; les hommes qui avaient commencé à contester l’arbitrage, dont le nombre n’avait cessé d’augmenter chemin faisant, campèrent en dehors de la ville en un petit village appelé Haroura. Ils étaient environ douze mille guerriers ; ils furent désignés du nom de ce patelin avant que celui de Sortants ou Dissidents (khawarij) ne vînt s’y ajouter puis le supplanter. Il ne s’agissait pas d’une simple opposition, ils entraient en dissidence ; c’était une révolte ouverte. Ils se désignèrent un chef et un guide pour la prière et décrétèrent que l’attribution du pouvoir en terre d’islam ne pouvait se faire que par la consultation.

Leur allégeance était pour Dieu ; ordonner le bien et interdire l’illicite était leur credo. Tout en affaiblissant militairement Ali, cette dissidence interne à son camp renforçait, paradoxalement, son emprise morale sur ceux de ses hommes qui lui étaient restés fidèles. Comme pour contrecarrer ou exorciser la division, ses disciples lui firent acte d’allégeance absolue, presque mystique, en lui disant, unanimes :

— Nous nous allions à tes alliés et sommes les adversaires de tes ennemis.

Face aux Sortants, se levaient ainsi les fidèles d’Ali, appelés Sectateurs ou Chiites. Ali fit son enquête ; il apprit l’identité des meneurs des encapuchonnés de Haroura et alla rendre visite au chef militaire sous sa tente dans son camp pour finir par lui proposer d’être son gouverneur à Ispahan et au Reyy. Puis, il alla s’entretenir avec le théoricien du groupe qu’il trouva déjà en palabres avec Ibn AlAbbas. Il lui disait notamment :

— Vous trouvez juste Amr Ibn AlAss qui, hier, nous combattait ? S’il l’était, nous ne le serions point. Vous avez chargé les hommes du jugement de Dieu alors qu’Il avait déjà rendu sa sentence de tuer ou amener à résipiscence Mouawiya et ses hommes. Vous avez rédigé entre vous un document alors que Dieu, depuis la révélation de «Dénonciation d’immunité», a interdit toute trêve entre les musulmans et leurs ennemis à l’exception de ceux qui se soumettent à la capitation.

Ali rejoignit le groupe à ce moment de la référence à l’autre nom de la sourate «La Résipiscence», la seule de tout le Coran à ne pas commencer par la traditionnelle invocation de Dieu. Il n’était pas content qu’Ibn AlAbbas ait contrevenu à ses instructions et entamé la discussion avec ces gens-là. Il les pressentait de mauvaise foi et cherchait à éviter de leur laisser la moindre opportunité à exploiter contre lui. Il s’adressa au chef du groupe :

— Qu’est-ce qui vous a fait sortir de nos rangs ? questionna Ali.

— Votre arbitrage à Siffine, répondit l’encapuchonné.

Tout en étant attachés au principe du jugement divin, les hommes à capuchon contestaient le choix d’hommes pour le rendre. Ali rappela son opposition ce jour-là et ce qu’il leur avait dit en vain. Le Sortant en vint alors à la raison fondamentale du mouvement de ses amis :

— Tu nous as utilisés pour combattre un ennemi dont on ne doutait pas de la nécessité de le combattre et tu as prétendu que nos morts allaient au paradis et les leurs en enfer. Or, tu as ensuite envoyé un hypocrite à l’arbitrage et accepté un impie. Et tu as douté de Dieu en disant aux arbitres : «Le livre de Dieu est entre moi et vous ; si son jugement m’est défavorable, j’accepte votre décision ; s’il vous est défavorable, vous me choisissez». Si tu n’avais pas douté, tu n’aurais point dit cela puisque le droit était pour toi. Et puis, trouves-tu juste de nommer des hommes pour juger à la place de Dieu ?

— Nous n’avons pas fait juger les hommes, mais le Coran. Le livre de Dieu, ce sont des lignes écrites qui ne parlent pas et ce sont les hommes qui le récitent, expliqua Ali patiemment avant de répondre point par point aux critiques de son interlocuteur : Concernant le combat en ma compagnie d’un ennemi dont on ne doutait pas de la nécessité de le combattre, tu as bien raison ; car, si j’en avais douté, je ne l’aurais pas combattu. Pour ce qui est de nos morts et des leurs, Dieu a assez dit à ce sujet pour que tout propos supplémentaire soit superflu.

On lui demanda du temps pour se concerter. Il le leur accorda et partit laissant l’un de ses fidèles accompagnateurs s’adresser encore à eux, juste essayer de faire jouer une corde sensible :

— Ô vous qui sortez de nos rangs et les quittez, je vous adjure par Dieu d’éviter la honte de celui qui combat pour son ennemi, de ne pas demeurer sur une terre dont le nom vous restera accolé à jamais et de ne pas vous précipiter dans l’erreur de peur d’une plus grande erreur.

Mais un bruit de réprobation le fit taire et le chef de ceux que l’on commençait déjà à appeler les Sortants contre Ali rétorqua sèchement :

— Ton compagnon nous avait tenu des propos auprès desquels les tiens sont bien mesquins.

Le temps de la concertation fut long ; aussi Ali revint-il les voir et s’adressa au chef :

— Celui qui pèche contre cette religion, se rendant coupable d’un précédent dans l’islam, nous l’engageons à revenir à Dieu. Ton repentir est de reconnaître la bonne voie dont tu es sorti et l’erreur où tu t’engages.

— Nous ne nions pas avoir été mis à l’épreuve, fit celui qui venait d’être nommé nouveau gouverneur d’Ali, apparemment convaincu.

Tout semblait enfin rentrer dans l’ordre. Il était midi, les Sortants s’alignèrent derrière Ali qui présida la prière, puis le suivirent à AlKoufa. Ils ne continuèrent pas moins à flirter avec le démon de la contestation. Bien avant le rendu du jugement, aussitôt après la désignation des juges, ils revinrent voir Ali et lui dire de renier l’engagement pris avec Mouawiya. Ils admirent s’être trompés en acceptant la proposition de ce dernier, commettant du coup un péché et assurèrent s’en être repentis et voulaient qu’Ali en fit de même faute de quoi ils le combattraient. Ils assimilaient le recours aux juges à de l’impiété et, se targuant de leur repentance, voulait la même chose de lui pour lui pardonner et rester à ses côtés.

Pour Ali, c’était le comble ! Demander pareille chose à lui, le premier à avoir embrassé l’Islam, cousin du prophète et plus vaillant combattant des mécréants, relevait de la totale folie ! Leur étroitesse d’esprit n’avait d’égale que l’étendue de leur arrogance et la véhémence avec laquelle ils voulaient faire prévaloir leurs vues. Du coup, chaque matin, Ali en arrivait dans ses prières à maudire les responsables de cet état, Mouawiya, Amr et leurs acolytes. Le chef des Syriens ne tarda pas à lui emboîter le pas et à vouer aux gémonies Ali, ses deux fils et ses deux principaux lieutenants Ibn AlAbbas et Al Achtar.

Dans la ville, capitale d’un État déjà divisé, le slogan d’opposition à l’arbitrage fit rapidement florès, élargissant encore plus les déchirures. De temps en temps, désormais, même durant le prône du vendredi, Ali ne manquait pas d’entendre répéter cet appel à la dissidence :

— Il n’est de jugement que de Dieu.

Ce jour-là, se faisant une fois de plus interrompre en plein prêche, cherchant à garder son calme, il répondit simplement :

— C’est une assertion vraie instrumentée pour une contre-vérité. Puis, fixant la poignée de perturbateurs véhéments qu’on essayait vainement de calmer, il ajouta : Tant que vous êtes en notre compagnie, vous avez droit à trois choses de ma part. Ne pas vous empêcher de prier Dieu dans ses mosquées est la première ; ne pas vous priver de votre part du butin autant que vous nous êtes fidèles et ne pas vous combattre tant que vous ne nous attaquerez pas sont les deux autres.

Les Sortants ou kharijites n’étaient même pas d’accord entre eux ; dans leurs rangs, la discussion n’arrêtait pas ; elle était rude et véhémente, émaillée d’insultes et de bagarres. Mais ils finirent par se mettre d’accord pour répondre à l’appel irrésistible de l’anarchie, décidant de quitter en douce la ville en direction de Nahrawane, près de Baghdad. C’était le crépuscule de la journée du samedi. Après avoir passé la nuit du jeudi à vendredi et toute cette dernière journée à prier, ils sortirent par petits groupes récitant des versets du Coran pour fortifier leurs résolutions. On entendait, entre autres, les versets 21 et 22 de la sourate « Le Récit » racontant l’histoire de Moïse :

 

«Il en sortit tout tremblant et sur le qui-vive. Seigneur, implora-t-il, délivre-moi de ce peuple injuste. Et se dirigeant vers Madian, peut-être, se dit-il, Dieu me dirigera dans la droite voie».

 

Dans une escorte de complices, l’un d’eux eut un regard d’adieu pour sa ville. Vers la capitale de ce califat d’Irak et du Hijaz qu’il allait combattre tout autant que l’autre califat basé en Syrie et s’étendant à l’Égypte, il se retournait peut-être pour la dernière fois. Dans sa bouche à lui, il avait des vers qui résumaient les scrupules le tenaillant ainsi qu’un certain nombre de ses compagnons aussi dévots :

 

                        Et si ce que nous avons critiqué était une honte, on se suffit

                        De la faute d’avoir les gens de mauvais conseil écouté ;

                        Et si c’était une honte, elle serait plus terrible d’avoir laissé

                        Ali et sa position bien évidente de vérité.

                        Nous sommes des gens du juste milieu, peut-être qui,

                        De ce que la suite de leurs actes ne soit bonne, se sont réjouis.

 

Dans la tête de nombre d’entre eux, pourtant, raisonnaient encore les répliques bien pesées d’Ali à leurs critiques et récriminations lors de leur rencontre à Haroura.

— Quant à l’envoi d’un hypocrite et la désignation d’un impie, disait Ali à leur idéologue, c’est bien toi qui as envoyé l’encapuchonné Abou Moussa et c’est Mouawiya qui a désigné Amr pour le représenter. Pour ce qui est d’Abou Moussa, je te rappelle que tu l’as amené en disant : « Nous n’acceptons que lui ». Quant à mon attitude à l’égard de Mouawiya, l’acceptation du verdict du livre de Dieu et ce que cela emporterait comme doute relativement à mon bon droit, réponds-moi, malheur à toi ! le juif, le chrétien et les païens arabes sont-ils plus proches du livre de Dieu que Mouawiya et les Syriens ?

— Mouawiya et les Syriens en sont les plus proches.

— Est-ce que le prophète de Dieu – que Dieu le bénisse et le salue – était plus sûr de son bon droit ou était-ce moi du mien ?

— Le prophète de Dieu, certainement.

— Or, voyez Dieu – béni et exalté, soit-il – quand il dit : «Dis: Que l’on apporte donc d’auprès de Dieu un livre qui soit meilleur guide que ces deux-là, et je le suivrai, si vous êtes loyaux», ne pensez-vous pas que le prophète de Dieu savait qu’on ne saurait lui apporter un livre qui soit meilleur guide que ce qu’il avait entre les mains ?

— Si.

— Alors, pourquoi le prophète de Dieu accorda-t-il à ces gens ce qu’il leur accorda ?

— Par droiture et pour la preuve.

— Pour ma part, j’ai accordé aux gens ce que leur accorda le prophète de Dieu.

— Je me suis trompé, dit l’homme, convaincu par l’argument tiré du verset 49 de la sourate mecquoise n° 28 « Le Récit ».

Ils étaient tous réunis en cercle au milieu du village ; au centre se tenaient Ali et son interlocuteur qui en redemandait.

— Que me reprochez-vous de plus grave ? demanda Ali.

— La désignation des deux arbitres pour le jugement. Nous avons estimé que leur arbitrage relevait du doute et de la dissipation.

— Quand Abou Moussa a-t-il été nommé arbitre : à son envoi ou au moment du jugement ?

— À son envoi.

— N’est-il pas parti en musulman et n’espérait-on pas de sa part un jugement conforme aux préceptes divins ?

— Oui.

— Je ne vois donc pas d’erreur à l’avoir envoyé.

Imparable était la réponse ! la mauvaise foi fit cependant dire au Sortant :

— Disons plutôt qu’il fût qualifié d’arbitre au moment du jugement.

— Soit, fit Ali sans se démonter, continuant sa démonstration avec sang-froid. Donc, vous admettez que son envoi était juste. Maintenant, imaginons que le prophète de Dieu a envoyé un croyant à des païens pour les appeler au livre de Dieu et, une fois auprès d’eux, il apostasia. Son acte, à quelque titre que ce soit, fait-il du tort au prophète de Dieu ?

— Non.

— Alors, où est ma faute si Abou Moussa est dans l’erreur ? Ai-je accepté son arbitrage quand il a rendu son jugement et ai-je entendu son propos quand il a parlé ?

— Non, mais tu as autorisé un musulman et un mécréant à juger avec le livre de Dieu.

— Malheur à toi ! Qui envoya Amr si ce n’était Mouawiya ? Et comment l’aurais-je choisi alors que son jugement était d’avoir ma peau ? Simplement, il se trouve que son acolyte l’a choisi comme tu as choisi ton homme. Il arrive que le croyant et le mécréant se réunissent pour juger selon la volonté divine. Vois-tu, si un croyant épouse une juive ou une chrétienne et, pour prévenir tout désaccord dans son foyer, a recours au livre de Dieu où il est dit : «Vous dépêcherez auprès du couple un arbitre de la famille de l’homme et un autre choisi dans celle de la femme». Il fait donc venir un juif ou un chrétien et un musulman habilités à juger selon la loi de Dieu et ils le font.

— Et de deux ! Là aussi, tu nous as convaincus.

Le contradicteur d’Ali, un lecteur assidu du Coran, ne trouvait rien à lui rétorquer ; l’extrait du verset 35 de la sourate médinoise « Les Femmes », quatrième du Coran, était utilisé à bon escient par le cousin du prophète. Mais, il ne pouvait encore admettre avoir eu tort de contester sa légitimité ; il savait aussi que ses compagnons demeuraient réticents à revenir dans le giron du cousin du prophète.

Ils voyaient autour d’eux la lutte pour le pouvoir et pensaient avoir autant de droit, et surtout la qualité, pour l’exercer selon leur propre loi. En eux, une envie de se libérer de toute autorité rejoignait une tradition d’anarchie remontant à un temps pas si lointain, même si la Révélation avait eu la prétention d’en faire la nuit des temps. Et le Kharijite trouva une dernière difficulté à soulever :

— Et pourquoi ce délai entre toi et eux ?

— Pour que l’ignorant sache et le savant vérifie ; pour que la trêve permette peut-être, grâce à Dieu (Puissant et Grand), la réunification de cette nation !

Les deux arbitres devaient se réunir dans un lieu isolé en tête à tête. Amr Ibn AlAss s’abstint de rencontrer son vis-à-vis, préparant minutieusement l’entrevue, cherchant à combler ses éventuelles lacunes en théologie face à quelqu’un d’aussi savant qu’Abou Moussa Al Ach’ari. Il consulta assidûment le Coran, retenant certains versets précis pour en user comme arguments afin d’appuyer ses propres assertions et réfuter les plus prévisibles de son adversaire.

Son génie de la manœuvre était en ébullition depuis bien longtemps en prévision d’une pareille issue ; aussi, trois jours plus tard, il se sentit d’attaque et prit l’initiative d’inviter son contradicteur à un banquet en son honneur. Imbu de sa personne et de sa science, Abou Moussa ne vit dans l’invitation qu’une politesse due à sa stature et le respect d’une tradition ; il ne la déclina pas. Réunis en tête-à-tête, Amr n’hésita pas à aller de front au vif du sujet :

— Abou Moussa, l’interpella-t-il, ne sais-tu pas qu’Othmane a été tué injustement ?

— J’en conviens, répondit Abou Moussa.

— Ne conviens-tu pas aussi que Mouawiya et sa famille sont ses défenseurs ?

— Si, parfaitement.

— Alors, qu’est-ce qui te retiens de le soutenir alors que tu connais sa place dans Qoraïch ? Si tu as peur qu’on dise qu’il est dépourvu d’antécédent en islam, tu pourrais répondre que tu as trouvé en lui le soutien du calife assassiné Othmane et son vengeur, un homme de pouvoir bien sous tous les points qui est, de plus, le frère d’Oum Habiba, la femme du prophète dont il fut le secrétaire et le compagnon.

Malgré le ton patelin et des allusions à peine discrètes à de hautes responsabilités et du pouvoir à assumer, la manœuvre était par trop grossière pour qu’Abou Moussa s’y laissât prendre. Fermement, il la rejeta sans se départir de cet air de cordialité affectée par les gens imbus de leur personne :

— Crains Dieu, Amr ! Certes, sans contester la dignité de Mouawiya, la question n’est pas liée à l’honneur, mais elle est une affaire de religion et de vertu. Au demeurant, si je devais accorder le pouvoir au meilleur de Qoraïch en mérite, ce serait à Ali que je le ferais. Quant à ce que tu as dit relativement au sang d’Othmane, je n’en chargerai pas Mouawiya en délaissant les premiers Émigrants. Enfin, pour tes allusions à peine déguisées, sache que même si Mouawiya se désistait en ma faveur de son pouvoir tout entier, je ne l’accepterai point car je ne saurais jamais être vénal dans les affaires divines.

À suivre...

 

Publication sur ma page Facebook et désormais ici, sur ce blog, après la renonciation de Kapitalis à publier la fin du roman. Cf. à ce sujet, ici sur ce blog: Mythe d’indépendance et crédibilité perdue de Kapitais.

 

COPYRIGHT :

Aux origines de lislam

Succession du prophète,

Ombres et lumières

 

 © Afrique Orient  2015

Auteur : Farhat OTHMAN

Titre du Livre : Aux origines de l’islam

Succession du prophète, Ombres et lumières

Dépôt Légal : 2014 MO 2542

ISBN : 978 - 9954 - 630 - 32 - 7

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