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I-SLAM : ISLAM POSTMODERNE








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lundi 3 juillet 2023

Libre penser, essence du libéralisme 5

 Le mal-être français et le nôtre


Paraphrasant Rimbaud, plus célèbre chez les jeunes en France des six poètes maudits (1), il est possible de dire que l'autre c'est nous. Aussi, ce qui se passe ces jours en France, manifestation récurrente d'un mal-être résilient, ne serait que le reflet de ce que la Tunisie, ancien protectorat français, endure aussi, inconsciemment ou même consciemment du fait de mimétisme pyschologique chez certains francophiles. Il en sera question infra après avoir évoqué le dernier soubresaut français d'une jeunesse maudite qui, tel le poète blasphémateur, féru d'étrangetés, d'excentricités et de mystification aussi, marquera nolens volens son temps finissant par bouleverser le mode de pensée, l'âme même des générations à venir et ce des deux côtés des rives de la Méditerranée.     


Racines du mal français 

Après le très tendu épisode des retraites, les autorités en France font face à un nouvel épisode de tension vive qui ne fait que ramener à l'actualité une spécificité hexagonale : un mal-être allant grandissant chez sa jeunesse. Marianne est depuis un temps mal dans sa peau. Je puis en témoigner ayant accompagné un temps des jeunes de banlieues de diverses nationalités, notamment maghrébines, faisant contribuer certains à mon projet de fresque historique sur l'islam (2) et consacrant à d'autres une série jeunesse dont le tome 5 évoque justement le ravage actuel du prosélytisme religieux extrémiste (3).

Au lendemain de la bavure policière de Nanterre ayant entraîné la mort d'un jeune lors d'un supposé contrôle routier, il appartient bien évidemment aux spécialistes d'expliciter les tenants et aboutissants de ce qui dégénère par trop souvent en drames en France depuis peu. Je ne manquerai pas, pour ma part, d'en avancer une, la seule cause me paraissant incontournable en termds symboliques. Dérivant de la spécificité jacobine de l'État, elle réside dans la nature et la fonction de l'autorité du maintien de l'ordre en France. 

Contrairement à la justification logique et première de cette notion qu'est la protection de la majorité populaire, cette autorité a eu tendance en France à voir muer sa fonction en protection de la minorité au pouvoir, même contre le peuple, étant supposé majoritaire du seul fait de son élection au suffrage démocratique. 

Certes, ne sont point à ignorer en un État démocratique, se voulant libéral, ni l'impératif du maintien de l'ordre ni les risques de plus en plus grands entourant son administration et qui en est même une condition substantielle. Toutefois, le maintien de l'ordre n'est impératif que s'il ne dévie pas de sa raison première d'être en permanence au service des citoyens, non de leurs serviteurs élus au prétexte qu'une fois élus ils incarnent la majorité, y compris contre celle les ayant placé au pouvoir. 

La seule majorité à servir par le maintien de l'ordre est cette dernière, l'autre n'étant qu'un artifice, un subterfuge politique qui ne saurait se substituer à sa nature intrinsèque de minorité ne devant s'imposer à sa majorité, même dotée de sa confiance en obtenant ses suffrages. Car cela fut justement à interpréter en termes sécuritaires, être au service de l'unique majorité qui compte, non s'y substituant en détournant la protection du maintien de l'ordre en sa seule faveur et celle de ses membres, forces de l'ordre comprises, en leur accordant une protection absolue nonobstant d'éventuelles bavures.

Il est vrai, la police en France est confrontée à une agressivité sans cesse croissante ; mais il ne s'agit que de l'effet d'un état sociologique qui en est la vraie cause. C'est bien évidemment la misère croissante de toute sorte qui en est le terreau, étant à l'origine des scènes du plus grand nombre des bavures ayant lieu dans les banlieues des grandes villes paupérisées. 

Pour autant, cela ne justifie pas que les réactions des agents de l'ordre ne soient pas strictement proportionnelles aux risques encourus ni que l'on traite indifféremment délinquants et non-délinquants au prétexte d'agir indistinctement à l'application d'une loi aveugle aux différences. D'autant plus que la législation française est aujourd'hui davantage plus répressive, ayant même fait disparaître ce qui pouvait constituer de précieux gardes-fous pour prévenir d'inutiles drames, tel la consécration sans restriction du droit de filmer l'action policière désormais susceptible de se transformer en délit.  

Un tel état préoccupant des choses n'a d'ailleurs pas manqué de faire l'objet de remarques acerbes de la part du Conseil de l'Europe, certains pays européens l'ayant même vilipendé,  dénonçant la perpétuation en France d'une tradition de police protégeant moins les citoyens que l'État contre ses propres citoyens.

C'est particulièrement vérifiable auprès des forces spécialisées dans l'intervention lors de manifestations et de contrôle sur la voie publique. On a souvent l'impression, en zones à forte densité immigrée, du fait d'un comportement policier défiant et volontiers provocateur d'avoir moins affaire à des unités de sécurité dont le but principal est d'éviter la rupture du calme ou chercher une désescalade que le contraire. Autant dire donc que le terreau des incidents est ainsi être entretenu sans nulle raison valable. 

Aussi ne saurait-on échapper à l'aggravation de la méfiance populaire à l'égard de la police. Ce qui impose de revoir non seulement les conditions d'usage des armes à feu par les forces de l'ordre comme certains leaders d'opinion n'ont cessé de le demander, mais aussi les pratiques courantes des sécuritaires dont personne ne nie qu'elles sont le plus souvent basées généralement sur les attitudes d'intimidation alors qu'elles ne devraient être qu'exceptionnelles en privilégiant toute sorte de comportement de sécurisation. C'est ainsi et ainsi  seulement qu'on pourrait espérer ranimer la confiance manquante aujourd'hui.     

Or, la tendance est à la dérive vers une surenchère sécuritaire d'autant plus pernicieuse qu'elle recèle quelques relents xénophobes. C'est le cas, par exemple, de la récente loi dite de sécurité publique de février  2017 relative particulièrement à l'usage des armes à feu par les forces de l'ordre, ou encore le texte à venir sur l'immigration.     


Du mal-être tunisien

C'est cela qui nous amène à parler de la Tunisie, justifiant notre propos sur la malaise de notre pays, et ce tant au vue de la condition de notre communauté expatriée qu'en termes de retombées nationales des événements de ce pays proche historiquement, géographiquement et même psychosociologiquement. Est-il nécessaire de revenir sur ce passé encore indélébile dans les consciences et les réflexes conditionnés de certains, et surtout dans les lois coloniales qui continuent à peser de tout leur poids sur la vie et les mœurs du peuple de Tunisie ? Citons-en juste le fameux article 230 du Code pénal, liberticide et même scélérat, contrariant la marche inéluctable vers le progrès humaniste du pays sans nulle justification, sinon coloniale. Doit-on, de même, évoquer l'importance dans le réel et l'imaginaire tunisien de tout ce qui touche à la communauté tunisienne installée en France, au mode de vie et de pensée à la française pris par d'aucun tant en modèle à suivre qu'en contre-modèle honni ? 

Pour nous, ce qu'il importe à relever ici est le reliquat encore en vigueur dans le pays des travers du colonisateur, sa pesanteur administrative, la lenteur héritée de son centralisme excessif faisant banqueroute à la moindre tentative de réformer la société, aggravant celle intrinsèque à sa culture fait d'une fausse pratique de ses traditions, une lecture obsolète de sa religion.

Le plus grave, assurément, n'est pas seulement ce qui est demeuré tapi dans l'inconscient : ce complexe, tant d'infériorité que de supériorité en réaction, généré par la condition de colonisé, dont l'un des enfants du pays a bien dressé le portrait. De nos jours, du fait de l'impact imparable sur les élans vers l'émancipation et la jouissance de ses droits et libertés par un peuple bien las d'être encore asservi, c'est la pratique du maintien de l'ordre chez nous, restée par trop marquée par la culture d'autoritarisme excessif de l'État colonial, ayant renforcé la tradition déjà forte d'État centralisé. Ce qui se reproduit inévitablement par un comportement hautain, sinon méprisant, de la plupart de ses serviteurs à l'égard des gens du peuple. 

C'est ce qui fait qu'en Tunisie la situation, au strict plan sécuritaire, apparaît quasiment identique à celle prévalant en France, avec toutefois moins de chances que vérité et justice se fassent plus librement. Cela est dû à la survivance, en Tunisie, des lois honnies de l'ancien régime qui garantissent l'impunité aux bavures commises par certains membres des corps sécuritaires ayant fait du tort à leur prestige et leur vocation à incarner une police et une gendarmerie  républicaines, en phase avec les attentes populaires à la liberté et à la dignité. Ce qui était le cas pourtant au sortir de l'indépendance, tout comme ce le fut pour l'armée nationale.     

Un tel mal-être tunisien n'est pourtant ni fatal ni ne relève d'une maladie incurable, son diagnostic ayant été maintes fois fait et refait (4), esquissant la recette infaillible permettant d'aboutir à ce qu'attend un peuple digne, méritant amplement le meilleur, étant en soi une exception (5). En effet, il est en lui, ontologiquement, tant d'atouts qu'on dilapide présentement par divers subterfuges trompeurs, oiseux même, autorisant d'émasculer ses potentialités à innover, comme ces raisons supposées morales ou religieuses empêchant de mettre enfin un terme à la survivance d'un passé honteux, celui de la dictature notamment, qui survit intacte avec ses lois scélérates, donnant libre cours aux abus, aux bavures impunies. 

Pourtant, l'on n'arrête d'assurer vouloir en finir, ne manquant d'entonner l'hymne vertueux de la souveraineté du peuple, sans oublier dans le même temps d'assurer s'en tenir aussi à la primauté de la loi, à son application à tous sans nulle distinction. Or, qu'est-ce à dire sinon qu'on accepte la condition servile du peuple qu'on continue à brimer avec les textes juridiques d'une dictature niant ses droits et libertés les plus basiques ?          

Et cela se confirme par la rengaine assez courante des responsables du nécessaire respect du  prestige de l'État, oubliant ou faisant mine d'oublier qu'il est loin de n'être que dans le respect à ses symboles, étant en premier et en dernier fonction du respect du peuple souverain ; ce qui ne se manifeste que par des droits concrets et des libertés effectives. Quitte à tolérer de la part des jeunes de ce peuple d'être turbulents, manifestant leur mal-être par une saine réaction à l'injustice que demeure l'impertinence.

À chaque époque versant dans la fausseté et la confusion des valeurs, comme la nôtre, il est ses maudits, poètes et autres activistes, assumant le rôle du rappel de la parole de justesse, agissant comme y exhorte, au reste, l'islam faisant relever de la piété le rappel des valeurs humanistes et à elles sans restriction. 

C'est qu'être juste de voix et de voie a un prix, le moindre étant d'être taxé de maudit, de se sentir incompris, mis au banc de sa propre société, se laissant même aller si nécessaire au blasphème s'il est le dernier recours salutaire quand la fausseté se pare des atours de la vérité.


Notes 

(1) On s'accorde à dire que les poètes maudits sont, outre Arthur RimbaudTristan Corbière, Stéphane Mallarmé, Marceline Desbordes-Valmore, Villiers de l'Isle-Adam et Paul Verlaine. Ce dernier est d'ailleurs considéré être l'inventeur du terme « poète maudit », en 1884, dans son anthologie « Les Poètes maudits », se désignant sous l'anagramme « Pauvre Lélian », en artiste incompris, car rejetant les valeurs de sa société avec sa conduite provocante, autodestructrice même.

(2) Le premier opus d'une série devant compter cinq titres est paru au Maroc en 2015 sous le titre : Aux origines de l'islam. Succession du prophète, ombres et lumières, Afrique Orient, Casablanca, 272 p., 32,000 DT. Lien sur internet : https://deenshop.be/boutique/livres/litterature/recits/aux-origines-de-lislam-succession-du-prophete-farhat-othman/

(3) Danger céleste imminent, 5e tome paru de la série bilingue Club des amis, comptant actuellement quatre titres en arabe et quatre en français, le cinquième (tome 4) devant paraître prochainement. Présentation sur internet : https://www.webmanagercenter.com/2020/11/01/458237/danger-celeste-imminent-de-farhat-othman-un-plaidoyer-pour-lamitie-humaine-et-contre-le-terrorisme-qui-tombe-a-pic/#:~:text=%E2%80%9CDanger%20c%C3%A9leste%20imminent%E2%80%9D%20est%20un,un%20faux%20amour%20bien%20criminel.

(4) Cf., par exemple, ma tribune sur Contrepoints, journal libéral français en ligne : Démocratie : que se passe-t-il en Tunisie ?

https://www.contrepoints.org/2023/03/08/451933-democratie-que-se-passe-t-il-en-tunisie

(5) Cf. ma trilogie parue à Tunis chez Arabesques : L'Exception Tunisie, Tome 1, Jeu du je : imaginaire en jeu, méditerranéen enjeu, 2017 -  Tome 2, I-slam : islam postmoderne vs tradition judéo-chrétienne, 2018 - Tome 3, Postdémocratie : de la daimoncratie à la démoarchie, 2018. Lien sur internet : https://www.alkitab.tn/livre/9789938071955-l-exception-tunisie-t01-jeu-du-je-imaginaire-en-jeu-mediterraneen-enjeu-othman-farhat/   

Tribune publiée sur le magazine Réalités

n° 1954 du 7 au 13 juillet 2023 pp. 22-24