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dimanche 16 octobre 2022

Un ménologe tunisien 5

 De quelle évacuation parler ?

 

 

Lors de la célébration de la fête de l'évacuation, le président de la République n'a pas manqué, à sa manière, de faire une lecture originale de cet événement majeur de la vie politique du pays.

Toutefois, il s'est bien gardé d'oser évoquer les quelques zones d'ombre chahutant encore ce souvenir dans la mémoire collective. Relevant de cette culture du silence à laquelle on tient  veille que vaille, on continue ainsi à taire ce qui gêne de l'image type que l'on veut garder de certains faits et personnages officiels du pays.  

Pourtant, M. Saïed a osé relativiser l'événement, contestant même sa réalité, écornant la sacralité du thème même de l'évacuation dans les esprits, en affirmant que l'évacuation est encore à faire.

Comme à son habitude usant des slogans récurrents de la « Tunisie à jamais libre et indépendante et (de) son peuple... souverain", il assure cette fois-ci aspirer « à une nouvelle évacuation qui permettrait à la Tunisie de se débarrasser de tous ceux qui menacent son indépendance, des mercenaires et des traîtres ».

Ce faisant, le président ne fait que confirmer ce qu'il avait dit de lui-même, à savoir d'avoir le sentiment de vivre ailleurs, de venir d'une autre planète. En effet, il semble parfaitement déconnecté des tristes réalités de son pays et - bien pis - de ce peuple qu'il dit ne vouloir que servir.

Car Kaïs SaÏed a bien raison de contester la conception officielle de l'évacuation, les historiens ayant bien relevé déjà l'instrumentalisation politicienne faite de cet événement en son temps et regretté que l'on n'en parle pas ou pas assez. Que n'en a-t-il parlé, alors, notamment du choix de Bourguiba de la confrontation à Bizerte aux fins de sa propre gloriole et au prix de nombreuses innocentes victimes trompées sur le sens de leur sacrifice !

S'il a raison de contester la réalité de l'indépendance et/ou de l'évacuation, n'est-il pas malvenu de sa part d'en faire un motif politicien pour attaquer des ennemis politiques, qu'il ne nomme même pas au demeurant ? Ce qui atténue le poids, sinon la véracité, de ce trait vénéneux décoché, qui plus est, lors d'un événement supposé réunir les différents enfants d'une même patrie et non de les diviser encore plus, sa situation étant déjà dramatique.

D'autant plus que le président peut se sentir obligé, de par ses fonctions, d'en appeler à une nouvelle et parfaite évacuation ; mais alors, il se trompe sur sa nature ! Ce n'est pas celle d'en faire évacuer une partie de ses nationaux, même soupçonnés de traîtrise, puisqu'ils sont chez eux et devant, le cas échéant, répondre de leurs actes devant une justice indépendante et sur preuves tangibles, non de simples accusations, voire de purs slogans.

C'est bel et bien des lois scélérates restées en vigueur dans le pays que la Tunisie et son peuple ont besoin d'être débarrassés en premier, car ces lois coloniales continuent à le brimer. Et comme elles n'ont pas manqué d'être viciées encore plus par la dictature, notre peuple se retrouve aujourd'hui en bien plus mauvaise posture en termes de droits basiques et libertés individuelles qu'il ne l'était sous le protectorat. Quelle honte pour un président n'arrêtant de célébrer la souveraineté de ce peuple aspirant à sa dignité au prix même de sa vie !

Voilà bien une évacuation dont il ne suffit pas que de parler en termes de slogans sans consistance, comme celui du peuple souverain, Monsieur le Président, et qu'il vous est parfaitement possible de réaliser incontinent, les pleins pouvoirs que vous vous êtes octroyés vous le permettant amplement.

Prenez donc, sans plus tarder, un décret-loi suspendant tous les textes scélérats empoisonnant la vie de nos concitoyens hérités de la colonisation ! Ignorez-vous donc que le Code pénal, par exemple, date du protectorat et qu'il vicie le comportement des sécuritaires en conditionnant leurs réflexes, taillés sur mesure sur de telles lois n'ayant pour but que d'asservir le peuple, ses jeunes, surtout ?

C'est ce qui multiplie les bavures et les drames allant crescendo dans les rapports plus qu'explosifs entre la police et les jeunes. C'est bien la cause essentielle qui les fait préférer mourir en mer. La voilà la raison de leur désespérance, que vous ne pouviez ignorer en appelant, récemment à propos du drame de Zarzis, d'en chercher la motivation !

Si donc la Tunisie a besoin d'une nouvelle évacuation, c'est bien celle en mesure de permettre à son peuple de se débarrasser de tous les textes scélérats qui nient sa dignité et le brime. C'est à de tels mercenaires légaux : lois traîtresses de l'indépendance du pays et de la souveraineté de son peuple, qu'il vous faut vous attaquer bille en tête. D'autant que vous en avez largement le moyen, non celui de la simple parole, mais aussi et surtout du décret-loi.    

Tribune publiée sur Réalités et Réalités magazine 

n° 1919 du 21 au 27 octobre 2022, p. 24