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I-SLAM : ISLAM POSTMODERNE








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mercredi 27 avril 2022

Roman-feuilleton du Ramadan :
PARTIE IV et dernière

PARTIE IV - Chapitre 3/1
Du lion et du renard

Roman-feuilleton du Ramadan 

 

Aux origines de l'islam

Succession du prophète, ombres et lumières

 

Ma fresque historique en texte intégral

 

Partie IV

 

Les vices et les vertus

ou

Les infortunes du pouvoir

 

Chapitre 3

 

Du lion et du renard

1/2

 

Mouawiya était à la veille de son heure de vérité ; pensif, il songeait à Othmane et à la sienne ratée. Lui ne ratera pour rien au monde ce moment tellement attendu !

À peine avait-il des remords ; sa dévorante ambition ne les laissait guère affleurer à la conscience. Certes, il avait pris tout son temps pour envoyer les renforts demandés par le calife ; mais il avait agi en qualité d’homme politique avisé cherchant à ménager les adversaires unis contre Othmane dans le but de se réserver une issue de sortie s’il en était besoin. De ses devoirs envers les liens du sang ainsi que de la loyauté du subordonné, il ne démérita pas, cependant. Il fit tout pour sauver le calife tant qu’il était encore temps. Lors de leur dernière entrevue, à un moment où tout indiquait que la situation devenait désespérée, il lui fit la suggestion de la dernière chance :

— Prince des croyants, viens avec moi en Syrie ! Ici, tu seras submergé par la canaille, alors que les Syriens te seront toujours fidèles.

Mouawiya était sur le départ et tentait une dernière fois de convaincre le vieil homme. Mais celui-ci était têtu. Autant en matière politique il était flexible, même mou, autant il avait les idées fixes en matière religieuse.

— Je ne remplacerai pour rien la proximité du prophète – que Dieu le bénisse et le salue – même si c’est pour perdre la vie.

— Alors accepte que je t’envoie une armée de Syrie, tenta le gouverneur sans trop de conviction ; elle stationnera à Médine et préviendra toute éventualité néfaste touchant la ville ou ta personne.

— Non, fit Othmane sans hésitation. Je ne diminuerai pas les rentrées d’argent des voisins du prophète pour nourrir une armée dont la présence, en plus, les gênera dans leur propre ville.

— Par Dieu, prince des croyants, tu seras alors assassiné ! fit Mouawiya quelque peu excédé.

— Je me suffis de Dieu, le Garant par excellence ! fit pieusement le calife.

Ce jour-là, le gouverneur partit en s’écriant, désabusé :

— Docile est le bétail à égorger !

Lors d’un précédent passage à Médine à l’occasion d’une réunion du calife avec ses gouverneurs, Mouawiya demanda à rester avec lui après le départ de tous ses collègues, le priant d’inviter les principaux notables de la ville à venir le voir et de l’autoriser à leur parler. Il usait à bon escient de l’ascendant qu’il avait sur lui ; il savait avoir la cote auprès de lui. Othmane le trouvait, en effet, le plus brillant de ses parents, lui rappelant, par son intelligence et son habileté, son défunt père Abou Soufiane, chef de Qoraïch. Quand Ali, Saad, Azzoubeyr et Talha furent présents, Mouawiya leur dit, après avoir payé le tribut habituel de louanges à Dieu :

— Vous êtes les Compagnons du prophète, que Dieu le bénisse et le salue. Vous êtes les meilleurs de ses hommes sur terre et les futurs responsables de cette nation ; personne ne vous le conteste. Librement, vous avez choisi votre homme sans suprématie ou convoitise ; or, il est bien avancé dans l’âge et sa vie est derrière lui, désormais. Si vous le laissez à sa vieillesse, il ne saurait tarder à nous quitter, même si je ne le lui souhaite que le plus tard possible. Je vous tiens ce propos, car une rumeur court qui me fait peur. Je vous le confie et je vous conjure de ne pas laisser les gens avides vous dicter leurs caprices ; sinon, ils vous feront tout perdre.

On l’écouta en silence ; à l’exception d’Othmane, admiratif, tous les présents taisaient mal leur irritation. Aussitôt qu’il eut fini, Ali, qui ne savait plus se retenir, laissa éclater sa colère :

— De quoi tu te mêles, toi ? Et qu’en sais-tu, que ta mère te perdît ?

— Laisse ma mère, fit Mouawiya, calmement mais fermement ; elle n’est pas pire que les vôtres ; elle a embrassé l’islam et reconnu le prophète, que Dieu le bénisse et le salue. Réponds-moi plutôt sur ce dont je te parle !

Dédaigneusement, Ali tourna la tête et garda le silence ; Othmane le meubla à sa place :

— Mon neveu a raison. Et je tiens à ajouter quelque chose me concernant moi et ma mission. Nos amis, à qui j’ai succédé, se sont fait du mal en se privant de tout ; or, même le prophète se permit de donner à sa parentèle. Ayant une large famille qui avait besoin de moi, je lui ai tendu la main, lui donnant une part de ce que j’avais en propre et ce que je pensais me revenir de droit du fait de mes fonctions. Si vous estimez toutefois que je m’étais trompé en agissant de la sorte, je reprendrai ce que j’avais donné ; car je m’alignerai volontiers sur votre opinion.

À cette entrevue, Othmane obtint l’adhésion des présents en se soumettant à leur volonté de remettre au Trésor ce qu’il avait fait comme largesses.

Lors de cette même rencontre, Mouawiya sentit l’âme du chef qu’il savait avoir et qu’il limitait encore aux contours de sa province s’hypertrophier et se développer pour épouser les dimensions plus larges de tout le territoire de l’islam. Le vicariat du prophète était à sa taille ; il se vit en mesure de l’incarner, de mieux le défendre que ce parent vieillissant. Il pensait aussi en être plus digne encore de par son expérience et son habileté que ces hommes qui y prétendaient au nom de la grâce divine. En animal politique, il savait aussi que le vrai pouvoir se prenait bien plus qu’il ne s’héritait.

À l’esprit, il eut des prédications faites à ses parents lors de sa naissance. Et il se souvint aussi des propos de l’homme qui avait annoncé son assassinat à Omar.

L’aggravation continue de la situation amenait Othmane à multiplier, à Médine, la consultation de ses gouverneurs. Ce fut lors de l’une de ces réunions, peu avant la journée du logis. D’un pas lent appesanti par les années et les soucis, Othmane marchait, précédé de certains de ses agents ; d’autres suivaient à quelques pas de lui, parmi lesquels il y avait le savant et devin à ses heures, Kaab AlAhbar.

Dans la foule massée aux abords du cortège, on entendit se lever une voix ; avec ses vers composés dans le plus populaire des mètres prosodiques, le poète anonyme bravait le défilé des personnalités, traduisant l’opinion médinoise du moment :

 

                        Elles le savent les montures de chameaux efflanquées

                        Et les arcs minces courbés

                        Que le prince après lui, c’est bien Ali ;

                        Que bon dauphin, Azzoubeyr l’est ;

                        Et, en protecteur, Talha est l’ami.

 

La manie du persiflage, surtout rimé, était courante ces jours-là ; Othmane et tous ses compagnons ne dirent mot, continuant à dédaigner les badauds ; ses gouverneurs suivirent son exemple et ignorèrent l’anonyme importun. Nullement tenu par une quelconque réserve, Kaab AlAhbar, par contre, ne garda pas pour lui ce qui, sur le coup, lui sembla être une évidence bien plus qu’une illumination. De l’index de la main droite désignant le gouverneur de Syrie qui tenait en laisse une belle mule au pelage noir luisant de taches blanches et grises moucheté, il laissa échapper, le verbe haut :

— Par Dieu ! après lui, ce sera bien l’homme à la mule !

On tenta de le réconcilier avec Ali, nouvellement intronisé à Médine, et il faillit accepter. Il devait reconnaître le cousin du prophète contre son maintien à la tête de la province de Syrie ; mais Ali fut intransigeant, refusant de l’avoir comme gouverneur. Cela ne l’attrista point ; c’était du reste ce qu’avait pronostiqué sa mère qui connaissait mieux que lui ce cousin capable de méconnaître ses intérêts pour une question de principe. Et elle savait son fils apte à aller bien au-dessus de la charge de gouverneur.

Il la revoyait, sa mère Hind, à la tête des païennes de Qoraïch, lors de la défaite des musulmans à Ouhod. En femme de parole, comme elle s’y était engagée à le faire, elle mutilait les musulmans tombés sur le champ de bataille, dont l’un des oncles du prophète, Hamza, leur coupant les oreilles et le nez pour en faire des colliers et des bracelets de chevilles.

Arrachant le foie d’Hamza, le croquant à belles dents, le mâchant avec gourmandise, elle scandait, de sa voix rauque, saoule de vengeance repue :

 

                        Nous sommes les filles de l’étoile,

                        Foulant les petits coussins des pieds,

                        Avec, autour du cou, des perles

                        Et du musc plein la tête, au toupet.

                        Si, à nous, vous venez, nous vous étreignons,

                        Mais si le dos vous nous tournez, nous vous délaissons,

                        Pour une séparation d’amour réciproque dénuée.

 

Pour ce traitement cruel, à la prise de La Mecque, le prophète autorisa qu’on versât impunément son sang et ce même si on la trouva accrochée aux rideaux de la sainte Kaaba. Mais, après avoir pardonné à son époux Abou Soufiane, le chef de Qoraïch, faisant même de sa demeure un sanctuaire, il sut faire acte de pardon. Depuis, elle fit honneur à sa nouvelle religion, accompagnant même son mari à la bataille de Yarmouk où il perdit un œil.

Certes, étant commerçante, elle eut parfois maille à partir avec Omar à cause de sa conception tatillonne de la gestion des deniers publics, mais elle ne commit pas, à sa connaissance, de péchés qui fussent indignes d’un prétendant à la fonction suprême dans la communauté musulmane.

Il trouvait qu’il lui ressemblait pas mal. Il avait son grand caractère, son éloquence, son intelligence et sa passion pour la belle poésie ; et il voulait être à la hauteur de ce qu’elle a toujours pensé de lui dès sa tendre enfance depuis qu’un devin lui prédit qu’il était programmé pour une destinée illustre.

De sa première mission à La Mecque où Omar le nomma gouverneur, il se souvenait aussi et surtout des recommandations de ses parents. Prodiguant ses conseils de femme avisée sur la meilleure attitude à avoir avec l’ancien berger devenu calife qu’était Omar, sa mère lui dit :

— Mon fils, il est rare qu’une femme libre ait enfanté quelqu’un comme toi. Cet homme t’a nommé ; bien volontiers ou à contrecœur, fais selon ce qui lui convient.

L’ancien chef de la principale tribu du village, son père Abou Soufiane, lui tint presque le même propos :

— Mon garçon, ce groupe d’Émigrants nous a précédés et nous, nous avons pris du retard ; leur avance les a élevés et notre retard nous a laissés en arrière. Ainsi nous sommes devenus les subordonnés et eux, les chefs. Or, ils t’ont chargé d’une importante part de leur pouvoir. Aussi, ne les contrarie pas, car tu te hâtes vers un terme à atteindre. Ce n’est qu’une fois que tu l’as atteint que tu pourras y souffler.

Il se remémorait aussi cette autre mission pour Omar, à Damas. Il allait à la rencontre du calife en route vers Jérusalem pour la conclusion du traité de reddition de la ville. Omar montait un âne – ou était-ce une chamelle ? – et était accompagné de son fidèle compagnon Abd ArRahmane Ibn Aouf sur un âne également.

Le fringant cortège du gouverneur ne reconnut pas le modeste convoi califal qui le croisait et le dépassa. Quand il se rendit compte de la fâcheuse bévue, Mouawiya, revint précipitamment mettre pied à terre à la hauteur d’un Omar faisant mine de ne pas le voir, l’évitant même et, à dessein, le laissant marcher à ses côtés jusqu’à ce qu’Ibn Aouf finit par lui dire :

— Tu l’as fatigué !

Lui a-t-il jeté à la face de la terre et des cailloux comme se délecta à le raconter la populace ? Il ne se souvenait que d’Omar qui, se tournant enfin vers lui, dit d’un ton sévère :

— Mouawiya, c’était bien toi en ce convoi pompeux que je viens de croiser alors que les nécessiteux sont légion à tes portes ?

— Oui, prince des croyants, fit-il humblement.

— Et pourquoi cela ?

— Parce que nous sommes dans un pays où les espions ennemis ne manquent pas ; aussi ils doivent être impressionnés par l’air imposant et le prestige de l’autorité, répondit-il, sans hésitation, débitant ce qu’il avait déjà préparé comme réponse à une critique attendue. Si tu m’ordonnais de continuer ainsi, je le ferais et si tu me le défendais, je m’en abstiendrais, ajouta-t-il, obséquieusement.

— Si ce que tu dis est vrai, c’est bien de l’habile sagesse ; mais, si c’est un mensonge, alors c’est une courtoise tromperie, fit Omar, un tantinet perplexe. Il ne le laissa pas apparaître, mais il appréciait le brio avec lequel son gouverneur réussit à transformer une faute manifeste en une conduite irréprochable.

— … Aussi, je ne l’ordonne pas et je ne l’interdis pas, finit Omar par laisser tomber, presque à contrecœur.

Amusé, Ibn Aouf se pencha alors sur lui et commenta, en chuchotant :

— Il s’en est brillamment sorti, ce petit, hein !

— C’est bien pour cela que nous lui accordons notre confiance, fit simplement Omar, pressé d’oublier l’incident dont la tournure ne lui avait pas trop plu.

Mouawiya avait conscience que le monde changeait autour d’eux et voulait suivre le mouvement général contrairement à Omar qui le refusait. Irrité de son impuissance à n’en rien pouvoir changer, ce dernier savait aussi que d’aucuns nourrissaient l’espoir de voir son règne ne point trop durer. Une fois disparu, il ne serait pas regretté par les notables de Qoraïch, dont Mouawiya mais aussi tous ceux qui n’ont pas eu la chance d’avoir une responsabilité ou une mission.

Il leur avait interdit de quitter Médine pour aller s’enrichir et mener la belle vie dans les nouvelles provinces, leur refusant même l’autorisation de sortir guerroyer l’infidèle, prétexte excipé par certains pour prétendre au gouvernement des provinces à conquérir. Invariablement, il leur répondait :

— Votre combat avec le prophète suffit amplement. Aujourd’hui, votre meilleure bataille est le refus de la vie et son luxe.

À l’image de ses mœurs frugales, le deuxième calife de l’islam avait instauré un ordre moral strict que ses méthodes énergiques et sévères lui permettaient d’imposer à tous. Du simple chanteur sur le passage du pèlerin à La Mecque au plus puissant gouverneur en passant par les poètes et la notabilité, tout le monde avait peur de lui.

Mouawiya supportait mal sa situation d’infériorité, mais ses rêves de gloire la relativisaient. Au pouvoir suprême, il n’arrêta pas de songer depuis qu’un jour le prophète lui dit :

— Si tu règnes, agis bien.

Se projetant déjà dans l’avenir souhaité comme le décidera peut-être le destin, le voilà avec son acolyte Amr Ibn Al’Ass. Savourant d’avance une victoire inespérée, il se voyait demander à cette âme damnée qui complétait à merveille sa diabolique dextérité à manier les hommes et son habilité à exploiter au mieux leurs faiblesses :

— Qu’est-ce qui est le plus étonnant à ton avis ?

— Le droit arraché à son titulaire par qui n’y a aucun accès, essayera Amr, clignant de l’œil en rappel à des moments mémorables.

— Bien plus étonnant encore, dira fièrement Mouawiya, c’est l’obtention sans coup férir par celui qui n’a droit à rien de tout ce à quoi il n’avait pas droit.

Analysant son parcours vers cette victoire rêvée à l’avance, il se voyait identifier, rétrospectivement, les quatre clefs imparables pour battre Ali :

— Je taisais mes secrets, mais lui les faisait connaître. J’avais une meilleure armée qui était disciplinée alors que la sienne était perfide et indisciplinée. Je l’ai laissé avec les gens du dromadaire en me disant : si ce sont eux qui gagnent, ils seront plus faciles à battre que lui, et si la victoire lui revient, elle sera bonne à le berner dans sa religion. Enfin, j’étais plus aimé que lui par Qoraïch. Que d’atouts pour moi et de handicaps pour lui !

Il ne pensait pas tirer des plans sur la comète. Dans sa tête, l’histoire politique du nouvel État musulman prenait des couleurs dynastiques. Il se voyait fondateur d’une lignée appelée à demeurer au pouvoir par la force du glaive, à dominer sa région et à marquer le monde pour un temps. C’est ce que lui assurait aussi Amr Ibn Al’Ass, le tenant d’un devin consulté à Oman du temps où il était gouverneur pour le compte du prophète. Afin de se préparer pour s’assurer la place que son talent et son ingéniosité méritaient, Ibn Al’Ass voulait savoir de quoi serait fait l’avenir après le prophète.

— Le chemin de la victoire ? suivre la trace du petit chien (signification arabe du prénom Mouawiya) ! lui apprit l’augure.

Néanmoins, long était encore le chemin vers la gloire. Mouawiya n’était que le simple gouverneur rebelle, campant à Siffine, une oasis près d’Al’Anbar, vers la frontière de sa province sur l’Euphrate au nord-ouest de l’Irak.

Avec des troupes qui présentaient une fière allure sous leur étendard rouge sang, il s’apprêtait à combattre le calife contesté. En face, les Irakiens composaient des lignes bigarrées et agitées. S’il hésita avant d’engager le fer contre le cousin du prophète, ce fut cet atout dont il disposait avec une armée aguerrie et disciplinée qui le décida. Cet argument majeur s’appelait la Brunette à cause du nombre important d’armes et de cottes de mailles s’ordonnant par rangées sous la bannière rouge du gouverneur.

Sous les yeux de Mouawiya s’étalait l’armée ennemie ; c’était un ramassis de tribus réunies sous leurs propres bannières, rassemblées sous l’étendard noir d’Ali. Malgré sa triste apparence, elle ne manquait pas de panache ; les poésies de fierté et les chansons de vaillance y rythmaient les mouvements des hommes et le cliquetis des armes. Surnommée la Branlette, elle était en perpétuel mouvement ; la bannière y était entre les mains d’un Compagnon borgne connu pour sa bravoure. Pour encourager les troupes, il scandait, infatigablement :

 

                        C’est un borgne qui, une vie meilleure, se cherchait,

                        Ayant pratiqué la vie jusqu’à se lasser ;

                        Il devait ébrécher ou se faire ébrécher.

 

Un jour, un jeune sortit des troupes syriennes comme une furie, bataillant et braillant en chantant :

 

                        Des seigneurs des rois, je suis fils de Ghassane

                        Et aujourd’hui l’adepte de la religion d’Othmane.

                        Nos lecteurs nous informèrent de ce qui s’était passé

                        Que, par Ali, Ibn Affane avait été tué.

 

Et le borgne ne manqua pas de l’interpeller, de le sermonner et de lui demander la raison pour laquelle il les bataillait et les insultait.

— Je vous combats parce que votre chef et vous-mêmes ne faites pas la prière et parce qu’il a tué notre calife et que vous l’y avez aidés, répondit le jeune guerrier.

— Mais de quoi tu te mêles ! Ne sois pas trompé par ces égarés. Othmane a été tué par les Compagnons du prophète et leurs enfants ainsi que par les lecteurs et ils sont tous des gens de religion et de savoir et n’ont jamais négligé en quoi que ce soit cette religion. Quant à notre chef, il est le premier à avoir prié et est celui qui connaît le mieux la religion de Dieu. Et tous ceux qui m’entourent sont des lecteurs du livre de Dieu qui ne dorment pas la nuit, la passant à prier.

Ce jour-là, il réussit à convaincre le jeune homme d’abandonner ses amis et de quitter le champ de bataille. Un pareil meneur d’homme, éloquent et persuasif, aurait été le bienvenu dans les troupes du gouverneur de Syrie qui, en vain, tenta de l’attirer à ses côtés. Il n’hésita pas, en effet, d’écrire à nombre de supporters d’Ali pour les amener à rejoindre son camp ou, pour le moins, à leur faire déserter le sien.

Pratiquant la politique de la carotte et du bâton, il leur faisait miroiter tous les avantages qu’ils auraient à le rejoindre, n’hésitant pas, en cas de refus, à pratiquer la menace agrémentée d’insulte. Au fils du chef des Ansars qui avait contesté à Abou Bakr le pouvoir et qui refusait son invite, il écrivit :

— Tu es un juif, fils de juif. Si ton camp préféré gagne, il te fera destituer et remplacer par quelqu’un d’autre ; et si le camp que tu refuses gagne, il te tuera après t’avoir supplicié. Et ce n’est pas étonnant de quelqu’un dont le père avait bandé son arc et visé son objectif sans faire mouche se faisant lâcher par les siens et trouvant la mort en fugitif à Hourane.

Du fils de Saad, il eut une réponse d’une teneur similaire :

— Tu es païen, fils de païen. Tu es entré dans l’islam à contrecœur et tu viens de le quitter sciemment. Ta foi n’a pas été sincère et l’on ne saurait prendre garde à ton hypocrisie. Nous sommes les partisans de la religion que tu as répudiée et les ennemis de la religion que tu as embrassée.

Jouant au défenseur des grands principes, Mouawiya écrivit aussi à Saad Ibn Abi Wakkas l’appelant à le rejoindre pour la cause d’Othmane :

— Salut à toi. Les gens de la consultation de Qoraïch ont bien, plus que toute autre personne, la prétention à aider au triomphe de la cause d’Othmane dont ils avaient reconnu le droit et qu’ils avaient préféré à un autre.

D’ailleurs, Talha et Azzoubeyr y ont bien appelé et ils étaient tes associés dans son choix, tes partenaires dans la consultation et tes équivalents dans l’islam. La Mère des croyants s’y est aussi pressée. Ne déteste donc pas ce qu’ils ont admis et ne repousse pas ce qu’ils ont accepté. Nous voulons tout juste refaire du pouvoir une consultation entre les musulmans. Paix sur toi.

De son attitude de neutralité, Ibn Wakkas ne se laissa point détourner ; mesurée fut sa réponse :

— Omar (que Dieu soit de lui satisfait) ne fit entrer dans le collège de la consultation que ceux auxquels le vicariat était licite. Personne n’était plus digne qu’un autre sans notre réunion sur son nom. Pour ce qui est d’Ali, il avait en lui ce que nous avions en nous, mais nous n’avions pas en nous ce qu’il avait en lui. Si seulement il n’avait pas sollicité le pouvoir, gardant son logis, il aurait été réclamé par les Arabes et ce même des confins du Yémen. Quant à ce qui se passe, nous en avons abhorré le début et la fin. Concernant Talha et Azzoubeyr, ils auraient mieux fait de garder leurs demeures. Et Dieu pardonne à la Mère des croyants ce qui advint d’elle.

Avant que la hache de guerre ne fût officiellement déterrée, il eut aussi une correspondance avec Ali. L’échange de missives se fit après la bataille d’Al jamal. À la manière traditionnelle arabe, magnifiant le don de la parole, l’éloquence, vantant les mérites de la loquacité, on employa force arguments, comme si le sort de la bataille dépendait de l’issue de cette joute oratoire.

— Salut à toi, lui écrivit Ali. Ma désignation à Médine t’engage en Syrie, car j’ai été choisi par les gens qui avaient déjà agréé Abou Bakr, Omar et Othmane. Lors de pareille désignation, le témoin n’a pas à choisir et l’absent n’a pas à refuser. Aux Émigrants et Renforts seuls revient la consultation ; quand ils s’entendent sur un homme et le désignent pour les diriger, leur choix est celui de Dieu. S’il advient que quelqu’un conteste leur choix, ils l’y ramènent et s’il refuse, ils le tuent pour avoir suivi une autre voie que celle des croyants. C’est le jugement de Dieu, son châtiment, pour une inconduite qui mène à l’enfer.

« Concernant Talha et Azzoubeyr, ils m’avaient bien choisi avant de se rétracter. Cette violation de leur parole était comme une apostasie ; aussi, je les ai combattus non sans les avoir assurés du pardon s’ils revenaient sur leur faute. Et Dieu fit éclater la vérité et sa volonté se fit à leur détriment. Je te demande donc de te joindre aux musulmans espérant pour toi le choix de la raison et de la sécurité. Pour ce qui est des assassins d’Othmane, tu as bien exagéré. Si tu changes d’avis et reviens sur ton opposition en rentrant dans ce qui réunit les musulmans, et puis tu me demandes le jugement de ces coupables, j’appliquerai le livre de Dieu entre toi et eux. Mais ce que tu veux réellement, c’est bien autre chose, agissant comme on ferait avec l’enfant pour le détourner du lait.

« Par ma vie, si seulement tu utilisais ta raison et non pas ta passion, tu m’aurais trouvé le plus innocent de Qoraïch du sang d’Othmane !

« Enfin, n’oublie pas que tu es de ceux à qui l’on fit la faveur de la liberté alors qu’ils pouvaient être asservis légalement et pour lesquels le vicariat du prophète n’est point permis tout comme il ne leur est pas permis d’être membre d’un comité de consultation.

« Je t’envoie avec la présente mon nouveau gouverneur, un homme croyant de grande conviction parmi les Émigrants, et je te demande de le reconnaître. La seule force qui compte est celle que donne Dieu ! »

La réponse du gouverneur de Syrie se voulut cinglante :

— Par ma vie, si ceux que tu as cités t’avaient choisi alors que tu étais innocent du sang d’Othmane, tu aurais gouverné comme Abou Bakr, Omar et Othmane ; mais tu as incité les Émigrants à faire couler le sang d’Othmane causant la défection des Renforts ; ainsi, l’ignorant t’a obéi et le faible s’est cru fort avec toi.

« Or, les Syriens insistent pour te combattre jusqu’à ce que tu leur livres les assassins d’Othmane. Si tu le fais, il sera alors décidé du sort du califat par la voie de la consultation entre les musulmans.

« Certes, les gens du Hijaz étaient les guides et le droit leur revenait ; mais comme ils ne l’avaient plus suivi, les guides sont désormais les gens de Syrie. Et, par ma vie, ton raisonnement concernant les gens de Syrie ne saurait s’appliquer aux gens de Basra, car ceux-ci t’avaient obéi alors que les Syriens ne l’avaient pas fait. Le raisonnement concernant Talha et Azzoubeyr, qui t’avaient accepté contrairement à moi, ne s’applique pas à moi non plus. Quant à ton mérite dans l’islam et ta parenté avec le prophète de Dieu – que Dieu le bénisse et le salue – je ne les nie pas ».

Peu révérencieuse, cette réponse irrita Ali qui y répondit malgré tout, tenant même à réfuter point par point l’argumentation de son contradicteur dans cette manie qui le caractérisait d’être didactique et précis en toute chose essentielle de la vie :

— Nous avons bien reçu ta lettre, celle d’un homme qui n’a pas de discernement pour le guider ni de chef pour le diriger. Appelé par sa passion, il a obtempéré et s’est laissé entraîner par elle.

« Tu as prétendu ne pas accepter mon pouvoir à cause de ma trahison pour Othmane. Or, par ma vie, je n’étais qu’un homme partageant leur condition aux Émigrants, que Dieu prémunit de l’égarement et de l’aveuglement. Par ailleurs, je n’ai ni ordonné, pour que m’incombe le péché de l’ordre, ni tué pour avoir peur du châtiment du meurtrier.

« Quant à ta prétention faisant des Syriens les guides pour les gens du Hijaz, je te mets au défi de présenter un seul homme de Syrie qui soit éligible à un conseil de consultation, pour lequel le vicariat serait licite. Et si d’aventure tu en nommais un, Émigrants et Renforts te désavoueraient ; par contre, de Qoraïch, qui est bien du Hijaz, nous t’en amènerons l’homme adéquat.

« Pour ce qui est de ta demande de te faire livrer les meurtriers d’Othmane, de quel droit t’immisces-tu dans cette affaire ? La famille d’Othmane est près de moi et elle a plus que toi le droit de réclamer cela. Si tu prétends être plus apte à le faire, accepte d’abord mon pouvoir qui s’impose à toi et, après, cite les intéressés devant moi pour que je les juge.

« Concernant la différenciation que tu fais entre les gens de Syrie et de Basra, entre Talha et Azzoubeyr d’un côté et toi de l’autre, elle ne saurait tenir car il s’agit de la même chose, concernant un choix général et public qui ne supportait ni d’être différé ni d’être repris.

« Enfin, s’agissant de ma parenté avec le prophète et mon antériorité dans l’islam, si tu admets ne pas les nier, c’est bien parce que tu n’en pouvais mais. »

À cette missive, Mouawiya ne manqua pas de répondre ; mais c’était afin d’abandonner le terrain de l’argumentation pour déclarer ouvertement la guerre au calife contesté :

— Tu as tué ton appui et invoqué le secours de celui qui te voulait du mal. Je le jure par Dieu, je te prépare une flamme que le vent attise, que l’eau n’éteint point et qui réduit en cendres tout ce qu’elle touche ».

Malgré le caractère injurieux de la lettre, Ali ne résista pas à la tentation de la réponse quitte à perdre tout sang-froid :

— Par Dieu, tu es bien le seul à avoir tué ton cousin et j’espère te le faire rejoindre pour les mêmes fautes, mais pour un péché encore plus grave que le sien. L’épée avec laquelle j’ai frappé ta famille est toujours avec moi. Par Dieu, je n’ai ni innové dans la religion ni renié mon prophète pour un autre ; je suis sur la ligne de conduite que vous avez choisi de délaisser et sur laquelle on vous a mis contre votre gré.

À la veille de son déplacement pour Siffine, Mouawiya écrivit à son adversaire son message ultime, comme pour planter en parole le décor de la scène avant de la jouer en armes, cherchant à forcer le destin en gagnant à l’avance la bataille des mots :

— « Dieu a choisi Mohamed et en a fait le dépositaire de sa Révélation et son envoyé à ses créatures. Il lui a choisi parmi les musulmans des agents avec lesquels il l’a soutenu et dont le rang auprès de lui était à la mesure de leur mérite dans l’islam. Ainsi, le plus distingué en islam et le plus dévoué à Dieu et à son prophète fut le calife, puis le calife du calife et le troisième calife. Or, tu les as tous jalousés et persécutés ; c’était évident dans tes regards de travers, tes profonds soupirs et ton retard à confirmer le choix des califes auquel tu as toujours été amené comme on amène un chameau avec l’anneau au nez afin que tu le fasses contre ton gré. Et parmi ces trois-là, c’est de ton cousin que tu as été le plus envieux alors qu’il ne le méritait pas de toi au nom de votre parenté et votre alliance par les femmes. Méconnaissant tout cela, enlaidissant ses qualités, tu as excité contre lui les gens jusqu’à ce qu’on l’ait humilié et menacé par les armes au sein même du sanctuaire du prophète. Il fut tué dans ton quartier sans que tu fasses une parole ou un acte de charité alors que tu entendais bien en son logis le fracas et les hurlements effrayants.

« Je le jure par Dieu, si tu avais juste écarté de lui les gens, n’adoptant aucune autre attitude, j’aurais dit que personne n’était ton égal et cela aurait éliminé ce que les gens savaient de toi en matière d’évitement d’Othmane et d’iniquité à son égard ».

« Aux défenseurs d’Othmane, tu es suspect aussi du recel de ses assassins qui forment ton entourage étant tes appuis et tes séides. Il m’a été rapporté que tu te laves les mains du sang d’Othmane ; or, si tu es vraiment sincère, livre-nous les meurtriers que nous tuerons pour le venger ; nous serons alors les plus rapides à venir à toi. Sinon, à toi et à tes compagnons, nous réservons le sabre. Et par celui qui, en sa main, a l’âme de Mouawiya, je jure que je ne cesserai de réclamer par monts et par vaux, sur terre et en mer, les meurtriers d’Othmane jusqu’à ce que je les tue ou, pour cela, mon âme rejoigne Dieu ! »

Cette déclaration de guerre réitérée ne dispensait pas Ali de répondre ; il se sentait le devoir de le faire ; sa réponse était destinée aussi à ses propres hommes dont l’esprit de contradiction était déjà très vif, notamment chez les turbulents lecteurs et les plus zélés des religieux, nombreux parmi eux, prenant même d’inquiétantes proportions avec la montée incessante des tensions :

— Le frère messager m’a apporté ta lettre où tu évoques Mohamed (que Dieu le bénisse et le salue) et ce dont le gratifia Dieu en matière de droit chemin et de révélation. Que grâce soit rendue à Dieu ! Il a réalisé sa parole, parachevé sa victoire et raffermi son pouvoir sur les plus larges terres. Il a aidé à vaincre les ennemis du prophète parmi les siens qui l’avaient démenti, lui ayant manifesté de l’adversité, aidant à le faire sortir ainsi que ses compagnons de chez lui, excitant contre lui les Arabes et formant les factions pour le combattre jusqu’au triomphe de la vérité et la réalisation de la volonté divine contre leur gré.

« Tu as rappelé que Dieu avait choisi des agents pour soutenir le prophète parmi les musulmans ; auprès de Lui, leur rang était à la mesure de leur mérite dans l’islam, le plus distingué en islam et le plus dévoué à Dieu et à son prophète étant le calife, puis le calife du calife après lui. Par ma vie, la place en islam de ces derniers était importante et leur perte fut une dure plaie pour l’islam. Que Dieu leur soit miséricordieux et les absolve.

« Tu as rappelé qu’Othmane était le suivant dans le mérite ; or, s’il a été vertueux, il retrouvera un Dieu reconnaissant qui lui multiplierait les bienfaits et le comblera de la plus grande récompense ; s’il a été malfaisant, il retrouvera quand même un Dieu qui pardonne toujours, dont la miséricorde englobe tout péché n’ayant pas d’égal en gravité. Et par ma vie, si Dieu donne à chacun à la mesure de son mérite dans l’islam, à son dévouement à Dieu, au prophète, j’espère que notre part sera la plus pourvue, à nous, la famille du prophète…

« Tu as parlé de mon retard à la confirmation du choix des califes et l’envie et l’injustice que j’aurais manifestées pour eux. Quant à l’injustice, à Dieu ne plaise qu’il en fut ! Pour ce qui est de la rancune à leur égard, par Dieu ! je ne demanderai point d’excuse pour cela aux gens. Et tu as parlé de mon injustice à l’égard d’Othmane dont je n’aurais pas honoré la parenté. Or, Othmane a fait ce que tu as su et les gens lui ont fait ce qu’on t’a rapporté, et tu savais bien que j’étais à l’écart de ce qui lui arrivait, sauf à vouloir coûte que coûte m’incriminer ; dans ce cas, accuse faussement autant que tu voudras.

« Quant à ton évocation des meurtriers d’Othmane et ta demande de te les livrer, j’ai bien examiné la question considérant ses divers aspects et je ne peux les remettre ni à toi ni à quelqu’un d’autre. Et si tu ne t’abstiens pas de persévérer dans ton égarement, tu les verras venir te chercher, t’évitant ainsi d’avoir à les réclamer par monts et par vaux, sur terre et en mer. Je te rappelle qu’à la mort du prophète de Dieu (que Dieu le bénisse et le salue) ton père Abou Soufiane était venu me voir pour me dire : «Tends la main ; je te choisis, car tu es le plus digne du pouvoir». Et c’était bien moi qui ai refusé de peur de la division des musulmans, les gens venant tout juste de sortir de l’incroyance. Ainsi, ton père connaissait mieux que toi mon droit. Aussi, si tu connaissais ce droit que ton père n’ignorait pas, tu serais dans la raison ; sinon, on aura recours à Dieu contre toi. »

 

À suivre...

 

Publication sur ma page Facebook et désormais ici, sur ce blog, 

après la renonciation de Kapitalis à publier la fin du roman. Cf. à ce 

sujet : Kapitalis, crédibilité perdue.

 

 

COPYRIGHT :

 

Aux origines de lislam

Succession du prophète,

Ombres et lumières

 

 © Afrique Orient  2015

Auteur : Farhat OTHMAN

Titre du Livre : Aux origines de l’islam

Succession du prophète, Ombres et lumières

Dépôt Légal : 2014 MO 2542

ISBN : 978 - 9954 - 630 - 32 - 7

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