Contrer le terrorisme en libérant l'imaginaire de ses fers
On a vu nombre de nos jeunes, qui avaient en apparence une vie rangée, basculer dans le terrorisme. Qu'est-ce qui les fait donc glisser d'une vie supposée normale à l'anomalie du terrorisme ? Selon les enseignements de l'école de l’imaginaire, structure anthropologique éminente, si la bascule se fait vers une anomalie, c'est qu'elle est justement le prolongement logique d'une anomalie occulte ou occultée qu'on officialise ainsi en la revendiquant.
Du caché au voilé puis affiché
La situation d'extrême désespérance de nos jeunes, à l'exclusion de la jeunesse dorée, n'échappe à personne, avec sa misère sociale, politique et psychologique. Aucun jeune ne mène chez nous une vie normale lui permettant de s'épanouir, vivre sa vie. Outre ses droits politiques et sociaux spoliés, il manque même du droit au rêve, étant empêché de circuler librement, en plus de cette nécessité refusée d'assumer son être en vivant spontanément ses émotions, aimant, s'adonnant librement au sexe son âge venu. Le milieu de contraintes légales avec sa batterie de lois illégitimes, car liberticides, fait que notre peuple, sa jeunesse en premier, vit moins qu'il ne survit ; et on le fait en s'adonnant à ce que je nomme « jeu du je » : on joue à être autre chose que l'on est publiquement pour pouvoir l'être clandestinement en toute liberté, mais en sûreté.
Un tel état reste un temps caché, mais ne peut l’être à demeure, car vient forcément le moment où l'on commence à ne plus le supporter et agir pour le contester. C'est un phénomène sociologique bien connu qui veut que toute réalité soit ternaire, se déclinant en trois dimensions, caché puis voilé, ensuite dévoilé et affiché. Quand vient le temps du dévoilement, les actions spontanées, romantiques le plus souvent, n'expriment pas moins une détermination à assouvir une faim irrépressible de ce que l'on est vraiment, ce qu’on veut être et non plus ce que l'on doit être aux canons truqués de la société, imposés par ses lois liberticides.
Un tel passage du « devoir-être » — aussi bien politique qu'économique et moral — au « vouloir-être » ontologique finit par déboucher sur une période où la contestation est affichée et revendiquée. Ce qui crée une euphorie qui fait basculer allègrement dans les extrêmes puisqu'on n'a plus rien à perdre et que le refoulé, quand il effectue son fatal retour, est terrible. D'où le rigorisme, les excès et le terrorisme, de Daech par exemple, puisque l'être déséquilibré psychologiquement le devient volontiers mentalement dans sa quête de sens qu'il ne voit plus que dans le non-sens.
Le milieu des contraintes
Aussi étonnant que cela peut le paraître, le terroriste n'est pas forcément un nihiliste, il le devient ; au départ, il n'est pas adepte du rigorisme, il s'y applique à force de n'avoir pu assouvir librement ses pulsions à vivre selon sa nature, ses passions. Combien de nous jeunes n'ont-ils pas abandonné le rap, le foot ou même l'université pour rallier Deach ? Peut-on croire un seul instant que s'ils avaient pu vivre normalement leur vie, aimer librement, voyager sans entraves pour voir du pays et exprimer spontanément leurs rêves et leurs envies, ils auraient cédé aux sirènes intégristes ?
Les appels à la guerre et à la haine n'ont de chance d’avoir écho que lorsque le terrain est propice, préparé par une guerre larvée, une haine diffuse et un environnement de contraintes avec des lois qui briment le moindre élan de liberté, le plus légitime soit-il. Alors, la loi de l’imitation, paroxystique en milieu de contraintes, joue à plein. Et notre arsenal juridique ne manque pas de lois scélérates, celles qui servaient la dictature pour bien contrôler la société, émasculer sa jeunesse. Elles sont encore en vigueur, aucun gouvernement depuis 2011 n’ayant osé les abolir malgré les appels réitérés en ce sens.
Or, lutter contre le terrorisme commence par l'abolition de telles lois. Il ne suffit plus de réformer a minima la loi 52 sur le cannabis, par exemple, il faut carrément dépénaliser la consommation, toute consommation. Il ne suffit plus de parler de protection de la vie privée, il faut abolir les lois maffieuses qui espionnent les gens dans leurs libertés personnelles intimes en abolissant tous les textes illégitimes contraires aux libertés privées consacrées par la constitution.
De plus, il ne suffit pas de se réclamer du libéralisme en en faisant une lecture sauvage tout en étant restrictive pour de supposées raisons morales qui ne sont qu’immorales, car contraires à l’esprit d’une telle éthique affichée avec ostentation. Ainsi, au nom du droit au libre commerce garanti par notre religion, il nous faut être réellement éthiques en abrogeant toutes les restrictions au libre commerce et à la consommation des boissons alcoolisées, y compris le vendredi et durant le mois de ramadan.
L’islam et la loi de l'altérité
Les mesures précitées ne sont qu’une palette minimale de ce qui doit être fait incontinent pour agir positivement sur l’imaginaire de nos jeunes, y faire repousser l’espoir qui a déserté leurs têtes. C’est non seulement un devoir politique, c’est aussi une exigence morale et éthique. Et qu'on ne vienne surtout pas nous dire que cela ne serait pas possible du fait que la société tunisienne est islamique, puisque c'est justement au nom d'une lecture correcte et authentique de l'islam que l’appel est lancé ici, l'islam étant une foi de tolérance et de liberté, respectant la loi de l'altérité, et non une ostentation hypocrite.
Ainsi, il est un principe imparable du droit musulman qui s'impose à tous, à savoir que l'on n'interdit que lorsque tout autre moyen fait défaut pour éviter le mal. Doit-on rappeler encore que les lois actuelles prétendument islamiques ne reproduisent qu'une lecture judéo-chrétienne de l'islam, aussi bien celle des jurisconsultes musulmans qui l'intériorisaient que celle découlant de la morale du colonisateur ? Elles datent toutes du temps du protectorat ; par conséquent, les abolir, c'est affirmer l'indépendance de notre Tunisie et relever enfin de l'islam authentique, non judéo-chrétien !
Par exemple, on palabre sur le voile intégral, cette figure de carnaval que d'aucuns rattachent aux droits et libertés ; ce qui ne serait vrai qu'en acceptant son pendant qui est la nudité, y compris intégrale. Car la nudité n'a rien de pornographique ; elle serait même une excellente arme contre le terrorisme intégriste. Surtout que l'islam vrai n'en fait nullement un péché. Rappelons juste que le premier pèlerinage de l'islam a eu lieu avec des pèlerins, femmes et hommes, nus, la nudité n’étant devenue un péché que par une exégèse judéo-chrétienne de notre foi libertaire.
Notre lecture de l'islam doit se défaire de nos réflexes conditionnés qui ignorent la prise en compte des visées de la Loi religieuse ; c'est devenu encore plus périlleux qu'avant avec les turpitudes que Daech nous donne à voir. Or, si l'on ne commence pas par l'abolition de telles lois qui facilitent le rejet de l'autre, redonnant ainsi à notre jeunesse l'espoir perdu de vivre normalement, on ne fera que préparer le terrain à la colonisation des mentalités de nos compatriotes par le cancer terroriste, la loi sociologique de l'imitation jouant alors à plein.
Aujourd’hui, la bataille est bien plus contre le terrorisme mental que matériel ; et la conviction à ressasser, au lieu de son interprétation obsolète, est que l'islam respecte la loi de l'altérité ; cela aidera à le contrer. Outre d'être véridique dans la lecture de notre foi humaniste, agissant sur l'inconscient, elle contribuera au renforcement des droits et des libertés dans notre pays et à la consolidation de l'acceptation de l'autre pour un vivre-ensemble qui doit être serein et paisible, condition sine qua non pour de la démocratie.
On ne peut plus sommer notre prochain d'être à notre image, conforme à notre idéologie, notre foi ; il est impératif de le reconnaître et le respecter tel qu'il est, car il pourrait bien se révéler encore plus pieux et digne que nous. Un tel relativisme salutaire impose à nos politiciens d’arrêter d'user de mensonges et de jonglerie politique. Servir la cause de la démocratie pourrait se manifester par un acte solennel d'abolition des lois les plus scélérates. Ce sont nos délires actuels et nos erreurs, en tolérant une législation tyrannicide, qui conditionnent les turpitudes dont souffre le pays et qui y font le lit à d'autres malheurs. Y a-t-il des justes sur notre scène politique pour mettre fin à pareil aveuglement suicidaire?