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Mon manifeste d'amour au peuple 3/3


I-SLAM : ISLAM POSTMODERNE








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mercredi 13 mai 2020

Ramadan 2020

Ramadan au temps du
Covid 2019
Chroniques de la maladie d'islam
Seconde semaine

Jour 8
Vendredi 1er mai 2020

 

Par les exemples cités de dires problématiques, notre intention était,  au-delà de la répulsion instinctive que certains d'entre eux pouvaient susciter chez d'aucuns, comme le hadith de la mouche, de pointer la question que posent véritablement ces dires, et bien d'autres similaires, et qui n'est pas forcément le degré de leur authenticité ou de leur véracité. D'ailleurs, nous pensons que c'est l'esprit scientifique même qui commande de ne jamais se prononcer ni a priori ni définitivement sur n'importe quelle question étudiée ; la science n'est-elle pas ce qui est susceptible d'être contestable à l'advenue du fameux fait polémique dont parlait Bachelard ?

Au demeurant, au vu de ce qui est rapporté de nos jours sur les vertus de la consommation des insectes, le propos prophétique sur les ailes de la mouche pourrait ne pas paraître aussi opposé au bon sens que le veulent certains esprits épris de rationalité n'hésitant pas à le moquer et même à tourner en dérision ceux qui y croient, sans parler de qui est censé l'avoir tenu. Ce qui irait dans le sens de qui les défend.
Non, à la vérité, la vraie question pour nous et c'est ce qu'on a souhaité souligner, c'est cette attitude dogmatique chez les musulmans traditionalistes voulant considérer sacrés la parole et les faits et gestes du prophète et donc refuser la moindre discussion à leur propos. Le noeud du problème est bien cette tradition prophétique devenue supérieure au Coran puisqu'elle en commande l'application dans le concret depuis Chafaï selon l'expression de l'imam Al-Awzaï « la Sunna est juge du Livre et non le Livre juge de la Sunna » telle que rapportée par Soyouti dans son ouvrage « Sésame du paradis, bastion de la Sunna ».  
C'est uniquement ou essentiellement à cause d'une telle prétention de sunna sanctifiée, qui est loin d'avoir été le cas au début de l'islam ni chez les premiers musulmans, dont de grands Compagnons, que la majorité des jurisconsultes de l'islam malade refuse de s'arrêter sur le contenu des dires prophétiques et encore moins d'en oser une lecture critique.
Or, discuter — polémiquer même — est la seule méthode utile de nature à faire jaillir la lumière, et ce à partir du moment, bien évidemment, où l'on ne cède à nulle orientation dogmatique, qu'elle soit religieuse ou scientiste. C'est pourtant ce qu'ils savent pertinemment de leur foi avant qu'elle ne soit altérée. 


Jour 9
Samedi 2 mai 2020


La cause et le mobile de l'effort libre qu'est l'ijtihad en islam est, comme nous l'avons dit, la saine intention qui, outre d'être une éthique, est cet instrument et méthodologie avec lesquels cette religion se voulant être une science a préservé la porte largement ouverte à l'effort et le débat scientifique sans nul dogmatisme. Assurément, la majorité des adeptes de l'islam parmi les plus sincères, gens de bonne volonté et de saine intention, tiennent le même discours, y compris les intégristes dans la compréhension de ses préceptes puisqu'ils entendent défendre leur religion, ne cherchant même que cela ainsi que nous l'avons précisé. Or, il est évident que cette finalité est aussi la nôtre; toutefois, il n'est rien de commun entre ceux qui agissent pour le mal et nous qui voulons le bien; et en notre religion, la rétribution de tout acte est similaire à sa nature. Comment donc distinguer entre la volonté du mal et celle du bien sinon, en premier, avec la saine intention et ensuite selon le résultat des actes de chacun ? Est-il une quelconque équivalence entre l'entreprise intégriste aggravant la division entre les créatures de Dieu et notre action pour concilier entre les divers penchants, croyances et dogmes ? 
C'est que notre objectif, méthodologiquement et aussi pratiquement, est de favoriser des retrouvailles avec la sérénité de la foi qui n'est — ce qui n'est pas pour nous étonner — cette passion dont les soufis ont incarné l'épiphanie. Aussi, je les paraphrase en parlant des fondamentalistes dont j'évite de me limiter à dénoncer le rigorisme du fait que leurs excès sont parfois la résultante de ceux de leurs adversaires, ceux que je qualifie de salafisme profane; usant de termes soufis, j'affirme qu'ils sont en situation d'absence, ce qui est, en soufisme, un état consistant à négliger ses intérêts, ne point les chercher ou les voir, selon la définition de l'auteur de « Connaître la doctrine soufie ». Toutefois, l'absence des intégristes de l'islam concerne les intérêts de la foi authentique pour ses intérêts personnels au service d'une foi inauthentique.

La vérité que nulle bonne volonté et saine intention ne sauraient méconnaître, et qu'il faut reconnaître sans nulle absence d'elle ou en elle, est que l'état de l'islam laisse à désirer depuis la décadence de la civilisation arabe musulmane et sa soumission au colonisateur, particulièrement cet impérialisme mental sous lequel ploie l'intelligence de la religion. Et nul n'ignore que ce n'est pas seulement l'oeuvre exclusive de ses ennemis; car s'il est logique que l'on n'agisse que pour soi et pour son intérêt propre, que ferait-on avec son ennemi ou celui qu'on considère tel ? Pareil état est également — ou surtout — la suite de l'action des gens de cette foi, l'ennemi ne pouvant rien — ou pas durablement pour le moins — sans le concours de complicités internes assurant sa domination. C'est ce qui fonde aujourd'hui ce que je nomme impérialisme virtuel. 

Les musulmans sont dans une sorte d'absence renouvelée, à laquelle une portion restreinte parmi eux s'est habituée, et ce relativement leurs intérêts propres en choisissant délibérément de snober la vie, évitant ce quelle emporte de duplicité et d'hypocrisie, préférant se mettre à sa marge, à l'ombre des faussetés. Ce n'est cependant que le fait de qui a préservé l'entièreté et la santé de sa foi, car la situation de la majorité est une absence totale d'esprit sur ce qui se passe ou ne se passe pas dans le cours des choses de la vie et celui de la religion, occupée qu'elle est à quêter la moindre fausse lueur. Elle est aussi une absence continue contrairement à ce que l'on retrouve chez les soufis où l'absence est dans le même temps une présence, ce qu'ils dénomment état après état, c'est-à-dire l'état avec soi réduit à l'essence de l'être, non l'état avec toute autre chose des faussetés de la vie. 

L'absence de la majorité musulmane, notamment l'élite de la foi ou ce qui est considéré comme tel, ceux qui ont droit au chapitre, est une indifférence à ce qui a occupé et occupe d'islam de sujets sensibles qui se sont multipliés à l'infini imposant de s'en soucier. Il est donc impératif de sortir ces sujets de la sphère du méconnu et tu pour cause d'aggravation du péril imminent qui menace une religion désormais dans cet état d'étrangeté dont parlent certains dires du prophète comme emportant la disparition de l'islam, à Dieu ne plaise ! Cela s'impose particulièrement en ces temps postmodernes marqués par un retour aux sources de la foi originelle et originale, soit la spiritualité qui n'est rien d'autre que l'essence de l'islam, sa matrice même. 

L'autre vérité à ne pas négliger est que la situation déplorable des droits et des libertés en terre d'islam amènent parfois les élites éclairées à ne pas hésiter à ignorer ce que leur impose leur devoir de tenir la parole de vérité, et ce pour se protéger ou par souci d'éviter d'inutiles problèmes au vu de l'absence de sentiments et d'affects nobles ou purs et d'opinions lucides qui sont nécessaires pour entreprendre la mise à nu des vérités qu'impose la situation présente. Cependant, ce n'est pas l'état de qui a osé se mettre en pilotage providentiel selon l'esprit même de sa religion qui est de s'en remettre totalement à Dieu, lui confier et son âme et son devenir — ce qui s'élève chez les soufis au stade du pilotage spirituel. Celui-là ne manque pas de s'opposer à ce que fait son prochain de mal et de déviations dans sa foi, car il est plus que quiconque conscient et convaincu de l'impératif catégorique de la venue de qui a la responsabilité de sauver la foi d'islam de sa situation de totale étrangeté. En effet, avec sa conception des Abdal, le soufisme atteste la fatalité de l'advenue de l'espoir et du salut avec l'apparition de qui honore le devoir de les assurer au temps de l'absolu désespoir. 

Ainsi veille la providence au meilleur dans son oeuvre inlassable à l'éveil de la conscience assoupie en vue de préserver l'absence de l'être, non pas au sens de sa disparition ou l'effacement de la présence son prochain, mais en vue de la présence de ce dont l'existence s'impose, véritablement et avec certitude. Ce qui n'exclut pas parfois le maintien un certain temps de l'état d'étrangeté afin d'agir dans l'ombre (n'est-ce pas ce que Hegel appelle le travail du négatif?) pour protéger des fausses lueurs l'inéluctable jusqu'à l'occurrence de son temps, celui des retrouvailles avec la lumière en son pur éclat sans nulle altération.

Le sûr est que la providence veille aux retrouvailles de la foi d'islam avec son génie d'antan, son étrangeté actuelle n'étant qu'une sorte de dissolution en vue d'une parfaite transfiguration de l'être libéré des altérations de la foi d'islam. Ce qui exhorte fortement toute bonne volonté et de saine intention à l'action utile et, si possible, de s'y consacrer encore et encore en vue d'honorer le devoir du rappel de la juste parole qui est tout profit pour les fidèles. Comment donc ignorer que la voie royale de la civilisation d'islam a exigé des exposés, discussions et débats, soit tout ce qui manque cruellement à une religion dont les coeurs se sont durcis et les esprits pétrifiés avec la manie de ruminer le convenu et le connu dans l'ignorance de l'immoralité de ce qui est donné pour moral? Ce qui nécessite de la part de qui pratique la voie de la foi sincère, quêtant la sagesse divine inatteignable, de veiller particulièrement à la modestie afin de réussir à poursuivre sa quête du vrai sans accroc. Car le savant, y compris en religion, ne sait que tant qu'il cherche à apprendre, n'étant donc qu'ignorant; et s'il croit tout savoir, c'est qu'il est un parfait ignorant. Le seul savant étant Dieu, seul vrai savant, il n'est donné à personne de prétendre posséder son savoir et l'imposer à autrui faisant l'effort de son côté et avec saine intention afin d'accéder à la sagesse divine. En cela, ils sont tous égaux, bien pauvres en science divine, le savant parmi eux étant assurément celui qui ne nierait pas son ignorance avérée ! 

Si, de nos jours, le devoir de l'action et du rappel est avéré, les temps ne sont pas encore ceux de l'éveil, car il emporte un risque d'anéantissement; or, s'anéantir soi-même à l'ombre en cette kénose de dépouillement de soi-même au service de la vérité est préférable à l'anéantissement de la pensée en pleine lumière au service de la fausseté. C'est à quoi ont été attentifs les soufis, ces meilleurs fidèles de l'islam, assurant que la destinée du soufi, maître de soi et de sa temporalité, est d'être asservi dans les deux occurrences de son temps, aussi soumis à celui temps de la perte qu'à celui du transport passionnel. Ainsi est leur destinée et celle de quiconque espère les retrouvailles de l'islam avec l'état de pureté originelle en un temps qui dure, l'instant éternel d'une foi ayant réussi son épuration de tout ce qu'a sa maladie a pourri en elle. Certes, cette condition peut paraître injuste au rapport de ce qu'on espère d'une libération rapide de l'islam de son actuelle étrangeté, elle n'est pas moins une manière de délaissement de la partie congrue pour accéder à l'entièreté, puisque l'essence du savoir est le rappel de la parole de justesse et sa perpétuation sans cesse et sans nulle autre jusqu'au moment où doit s'épiphaniser la vérité quêtée. 

Et il est évident que la foi d'islam populaire est riche de valeurs, mais demeurée malgré cela sans grands moyens, tant matériels que moraux, de ceux qui permettent leur assomption ou vision, ou du moins de ne pas l'empêcher, à part la certitude de leur résilience dans l'âme malgré le rapetissement par les circonstances du réel vécu. Aussi est-il bénéfique de les rappeler de temps à autre; cela conforte l'entreprise erratique d'enrichissement de telles valeurs ou de leur revitalisation si le temps le permet, et surtout l'action inlassable jusqu'à finir par revivre au sein des multitudes, se retrouvant reliées les unes aux autres telle la subite inspiration venant illuminer l'esprit du soufi. Malgré la dureté du temps, de nature à mettre fin à une telle oeuvre ou la chahuter, ses retombées dans l'inconscient collectif et l'imaginaire populaire sont d'une importance incomparable. 

Assurément, la parole de justesse et de vérité islamique (ou i-slamique) dont nous oeuvrons au rappel dans ces chroniques et en d'autres de nos écrits n'est pas tout à fait pour un usage immédiat; sauf rares exceptions, elle est sans grand intérêt avant un temps, son temps que la providence déterminera. Ce que prépare un temps de la parole précédant le temps pour l'action, chacun venant en son temps, sinon il n'est que temps d'occultation selon l'expression soufie. 
La chronique de ce jour est d'ailleurs marquée par l'empreinte du soufisme qui l'a inspirée et nous l'avons voulue une introduction à notre prochain propos sur cette foi injustement traitée par les siens et par qui ne veut pas le bien pour l'islam alors qu'elle comporte la meilleure recette pour guérir de la maladie d'islam.

Jour 10
Dimanche 3 mai 2020



Le soufisme est pour nous le seul vaccin efficace contre la maladie actuelle de l'islam d'autant qu'il présente l'avantage d'être issu de l'islam des origines, l'islam sain avant que ne tombent malades les musulmans et qu'ils ne contaminent leur foi par une mentalité qui ne fut alors guère plus au diapason de l'esprit de leur religion. C'est pour cela qu'il a été combattu par l'islam officiel ou institué y voyant une hérésie alors qu'il n'est qu'un retour à l'islam authentique. Aussi soutenons-nous qu'il n'est d'islam que soufi. Seul le soufisme peut encore sauver l'islam. Je dirais même qu'appelé ou non appelé, le soufisme sera présent au chevet de l'islam malade. Car si la religion est incontournable en ce siècle 21, surtout en terre arabe où la culture de l'islam est forte, le soufisme s'impose pour guérir l'islam de sa religiosité en le ramenant à sa spiritualité d'origine, lui faire quitter l'habit étroit de culte dans lequel on veut l'enserrer pour lui faire retrouver sa vocation de culture universaliste.
Rappelons ici que nous ne parlons que du soufisme des origines, celui des maîtres et non la caricature dans laquelle il a dégénéré à force d'être attaqué et dénigré, ce folklore populaire qui ne fait que s'inspirer de l'esprit libertaire du soufisme des vérités tout en singeant les pratiques de l'islam officiel, tant le sunnisme majoritaire que le chiisme minoritaire. Ce soufisme réfère pour nous aux gens de la Soffa, les tout premiers musulmans ayant rejoint le prophète et vivant sous le préau de sa mosquée étant tous pauvres et démunis, ou ayant préféré l'austérité de la vie d'ermite se consacrant à son Dieu. Avec une telle philosophie de vie, on finira par arrêter de confondre en islam religiosité et spiritualité, culte et culture. De fait, actuellement, le soufisme est le seul rempart crédible et efficace au lavage de cerveau intégriste; il donne la plus juste lecture de l'islam dans son essence humaniste, spiritualiste et libertaire même.
Au pouvoir moral de la mosquée présente pratiquement dans chaque quartier de nos villes, et qui est de plus en plus essentialiste, sinon intégriste, il n'est qu'un seul pouvoir aussi légitime qui puisse lui être opposé : celui du marabout, partout présent aussi, puisqu'on en compte au moins un dans chaque village, soit dans le pays réel, le pays profond, opposé au pays légal des villes. Et qu'on ne s'y trompe pas ! Ce n'est pas le bras séculier de l'État qui saurait s'opposer aux dérives intégristes; c'est l’impérium que peut avoir sur les esprits une religion redécouvrant son essence de tolérance et d'amour incarnée par le soufisme des origines en totale conformité avec l'islam du tout début. Ce soufisme marque d'ailleurs fortement l'islam maghrébin encore plus que ses deux autres dimensions capitales que sont la tradition d'Al-Ashari et le malékisme. La figure de l'itinérant Junayd est ainsi éminente dans la tradition populaire de l'islam du Maghreb arabo-amazigh. C'est cet islam pur quant au dogme qui est appelé à revenir en force à la faveur de la postmodernité marquant des retrouvailles avec la spiritualité, le meilleur des traditions populaires. Il y a loin, en effet, du réel au légal, de l'islam officiel à l'islam populaire; seul ce dernier est conforme à l'esprit islamique, et c'est l'islam soufi !
Un effort sérieux et sincère reste à faire pour libérer la foi d'islam de la dictature du texte officiel au prétexte qu'il est sacré, car sa sacralité ne libère pas de l'obligation d'interprétation, laquelle ne peut se limiter au texte, mais doit tenir compte aussi et en premier de son esprit, ses visées. Si l'on s'y refuse encore, c'est souvent en se prévalant du fait que l'énoncé coranique ou prophétique est affirmatif; or, même l'affirmation peut être désavouée par un sens contraire en arabe où les mots polysémiques sont légion. De même, le désaveu peut venir d'un esprit contraire, selon que l'on tient ou non compte des contingences eu égard à ce qui marque l'islam de conformité à la réalité et à l'intérêt plus large et de tout temps des humains. L'esprit du texte, préféré à sa lettre, permet de garder ce caractère d'éternité qui le rend valable pour tout temps universellement à travers sa visée, qu'elle soit intrinsèque ou extrinsèque. Et c'est justement le propre de l'islam, sceau des Écritures saintes. Chatibi, au huitième siècle de l’hégire, n’a rien dit d’autre, donnant au fikh son second pied alors qu’il était unijambiste avant lui.
Remettre sur pieds cette jurisprudence musulmane réduite même à l'état de cul-de-jatte, c'est oser déclarer de nouveau ouvert l'effort d'interprétation du texte religieux qui a fait objet d'une fermeture dogmatique irresponsable précipitant le déclin de l'islam. Et pour commencer fort, faire subir au corps malade d'islam l'électrochoc salvateur qu'impose la situation, officialiser la clôture de l'effort mineur, le jihad armé, étant donné qu’il n'est qu'un seul effort licite en islam depuis la fin de l'Émigration, la hijra, à savoir l'effort maximal, le jihad akbar. Et il consiste, pour le fidèle, à s'attaquer à ses propres turpitudes pour le seul prêche qui s'impose impérativement au musulman, celui de donner en toute circonstance le bon exemple. En cela, il ne suivra que l’éminent exemple du prophète venu parfaire un tel comportement que les soufis ont toujours veillé à avoir.
Renouer avec la veine soufie de l’islam c'est retrouver sa vocation première qui était celle d'une foi monothéiste célébrant, la première, les droits humains, sinon leur totale soumission à Dieu est altérée, n'étant pas libre. En effet, le judaïsme et la christianisme ne se sont libérés de la tradition liberticide de la Bible qu'à la faveur de la démocratie alors qu'elle fut apportée aux pays d'islam par leur foi et niée par la suite, au lendemain de leur brillante civilisation, à la faveur de leur soumission à un impérialisme qui dure, interne comme externe. Car à la colonisation physique a succédé une colonisation mentale qui fait que nombre de musulmans n'envisagent l'islam qu'en tradition intégriste, soit une négation d'humanisme. Ce qui est le comble pour une religion profondément spirituelle, faisant sa maladie et faisant les siens complices objectifs de tous ceux qui nient ou renient son essence de foi de droits et de libertés. Pourtant, très tôt, c'est ainsi qu'elle a été honorée par les soufis. Aussi, en cet islam malade, se complaît-on dans une confusion des valeurs favorisées par la multiplicité des sources sacrées. On a vu déjà comment on ne se limite plus au Coran pour parler d'islam; le pis est qu'on fait du supposé premier texte sacré une interprétation fausse que vient conforter une Sunna inauthentique et que scelle dans l'erreur un consensus des anciens pourtant devenu obsolète à plus d'un titre.
Il n'est point contestable que la lecture actuelle de l’islam est périmée et doit être au plus tôt dénoncée, car il y va de la pérennité même de l'islam. Il ne s'agit bien évidemment pas de répudier la religion comme d'aucuns en terre d'islam le croient, alignant la foi musulmane sur ce qui n'est propre qu'au judaïsme et à la chrétienté. Il s'agit de revenir à la voie soufie, seule lecture valable et viable de cette religion, en tirant la quintessence, honorant son esprit et ses visées. C'est cette veine qui a irrigué notamment la tradition islamique au Maghreb dont la terre est ardente comme on dit, puisqu'elle est celle de tant de soufis, avant d'être altérée par un islam officiel plus attaché à la forme qu'au fond, à la lettre qu'à l'esprit, complice de l'intégrisme. Et c'est elle qu'il faut réhabiliter en ayant à l'esprit ce que disait Walter Benjamin dans ses Thèses sur la philosophie de l’histoire : « Il n’est aucun document de culture qui ne soit aussi document de barbarie. »
On l'a dit et on le redit encore et encore : la tradition musulmane actuelle — tout autant que la tendance intégriste dont elle n’est que la déclinaison soft — fait de l’islam un simple culte quand il est, tout d’abord, une religion culturelle. C’est en cela que réside sa différence avec le judaïsme et le christianisme qui ne cumulent pas cette unité duale d’être une foi et une politique pour la cité. Aussi, les musulmans sincères ne peuvent tolérer davantage l’abominable œuvre de sape se faisant, ouvertement, à Daech et dans des pays intégristes ou, hypocritement, ailleurs, consistant ni plus ni moins à transformer le sublime Coran en document de barbarie alors qu'il est fondamentalement un éminent document et message céleste d'humanité et de spiritualité. En cela, il n’y a que le soufisme pour y aider, cette lecture qui était dominante avant que le salafisme ne la détrône à la faveur de la nécessaire réaction à l'impérialisme dont a fait l'objet l'islam. Au vrai, contrairement aux apparences, le salafisme a fait son temps, ayant été un islam de détresse et de crise. Aujourd'hui, l'islam est appelé à renaître, guérir de son mal et renouer avec sa brillante civilisation, sa culture florissante. Pour cela, l'islam soufi est tout désigné, car il n’y a de place qu'à un islam, paisible, humaniste et oecuméniste, l'islam soufi.
Si nous affirmons que le soufisme est l'horizon sain de l'islam, c'est qu'il a donné de cette religion une vision policée et non policière, incarnant à partir de ses préceptes d'origine une foi de droits et de libertés. Surtout, dans sa déclinaison des tout premiers maîtres, le soufisme des vérités, une libre pensée, dénuée du moindre dogmatisme. Or, notre souci dans ces chroniques est de tenir une parole de vérité sans dogmatisme, mais avec un esprit scientifique, au diapason de celui de l'islam des origines. Nous nous élevons particulièrement contre les marques évidentes de la maladie d'islam faisant muer une foi culturelle, riche des potentialités d'une civilisation florissante, en un culte obscurantiste, au point que certains de ses adeptes versent dans un extrémisme qui n'en est que l'absolue négation. J'entends par là cette transformation de l'effort sur soi et pour mériter de Dieu, en être capable comme disent les soufis, qu'est le jihad en une guerre contre soi et surtout contre autrui qui n'est qu'un autre soi, par ce terrorisme se prétendant jihadiste. Et c'est bien un parfait exemple de l'état de totale déliquescence du fiqh d'antan toujours en vigueur, qui ne sanctifie pas seulement des dires contestables, mais aussi une guerre sous l'appellation tout aussi contestable de jihad. Or, la guerre sainte n'est pas un concept d'islam où il n'est de jihad au sens de guerre et de brigandage de grand chemin que dans une lecture malade et une compréhension satanique de cette foi qui se voulait celle de la sérénité, de la justice, de la fraternité et du respect absolu de l'altérité.
Au vrai, pour l'essentiel, l'attitude caricaturale des uns et des autres de cet islam malade dérive d'un sentiment convulsif de défiance à l'égard de ceux qu'on perçoit comme ennemis pour cette raison, réelle ou imaginaire, qu'ils attentent à l'essentiel qu'ils auraient ou qui leur reste : leur foi. Il s'agit d'une réaction à la base défensive pour se protéger quitte à recourir à la bonne vieille méthode de l'attaque comme meilleure défense. Ce qui constitue de toutes pièces le sentiment (un complexe à la vérité) de supériorité qui est à la base d'infériorité.
N'a-t-on pas vérifié une telle complexité dans l'attitude des premiers musulmans à l'égard des gens du Livre et particulièrement de la tradition judaïque fort répandue en Arabie, berceau de l'islam ? On avait le sentiment d'être moins bien loti pour différentes raisons, dont l'absence de livre sacré; puis on en a eu un de supériorité une fois ce livre manquant révélé au point qu'on n'a pas tardé à vouloir sinon l'imposer aux autres du moins l'ériger en canon unique de la révélation divine. Ce qui a favorisé, paradoxalement, l'islamisation de pas mal de traditions judéo-chrétiennes n'ayant aucun rapport avec la foi d'islam des origines, venant interdire ce qui y était licite, y rogner sa prime tendance d'être une foi de droits et de libertés.
Et n'est-ce pas ce qui continue de nos jours avec ceux qu'on qualifie de modernistes et qui ne font que coucher la foi d'islam dans le lit de Procuste de l'Occident, certes celui des Lumières, mais qui ne fut pas moins à la base d'essence judéo-chrétienne ? D'où la réactivation chez leurs opposants, les traditionalistes, des réflexes d'antan de protection d'une foi qu'ils jugent menacée, ce qui brouille les questions pourtant essentielles des droits et des libertés devenant une question de pure guerre de religion. D'autant plus que certains intérêts en usent au service de la perpétuation de la situation actuelle favorable au maintien de leurs privilèges.
C'est pourquoi je parle de la nécessité de nouvel esprit islamique, appelant à retrouver la foi d'origine d'un islam révolutionnaire qui fut celle des droits et des libertés. C'est un islam de son temps, postmoderne que j'orthographie i-slam afin de le distinguer de la tradition obsolète ayant constitué la maladie dont il est question dans ces chroniques. 

Jour 11
Lundi 4 mai 2020

Le soufisme a représenté la face éclairée des débuts de l'islam, préservant la veine révolutionnaire du message de son prophète, ouvrant ainsi la voie en islam à des courants de pensée et de doctrine qui se sont multipliés à l'infini. De fait, l'histoire de l'islam au plus fort de sa civilisation a enregistré un nombre incalculable de sectes et d'obédiences dogmatiques, bien au-delà du total indiqué par un hadith inauthentique du prophète supposé émanant d'Abou Horayra, source la plus prolixe en dires prophétiques.
Si l'on a trouvé et retrouve pas mal de l'esprit soufi dans l'obédience chiite, ainsi que le démontrent, par exemple, les écrits philosophiques d'Ibn Sina, il en a existé d'autres courants religieux dont la pensée était en harmonie avec le libertarisme soufi de total refus de la moindre gangue dogmatique, mais qui sont disparus, comme celui des Murji'â (Ajournement). En effet, ce courant a représenté un modèle des libertés et en est resté un symbole par la suite au temps du début du recul en ce domaine et en d'autres, annonçant le mal incurable dont souffre encore l'islam et ses adeptes.
Bien évidemment, contrairement à ce qui a été écrit et s'écrit à son sujet, parlant de secte et de la psychose obsessionnelle de la division et de la discorde, ce courant, comme d'autres, a été la preuve intangible que cela traduisait bel et bien la fortune de la religion et son enrichissement. C'était sans conteste une marque de civilisation, un des signes de ce qui atteste ce que je nomme «rétromodernité» de la culture d'islam, soit sa modernité anticipée par rapport à celle de l'Occident. Ce fut, en quelque sorte, une préfiguration des partis politiques de nos jours dans les démocraties avec la variété nécessaire des visions du monde. Ainsi, tout comme la démocratie est dans le pluralisme et la variété pacifiques, et non l'unicité imposée de force, l'islam de ce temps-là, bien avant son déclin, était conforme à cet esprit démocratique d'admission de l'avis et de son contraire.
Pour cela, il importe que nous disions un mot pour rappeler au souvenir la geste épique de ce courant qui fut le héraut des libertés élevées en symbolique impérative de la contestation qui n'est rien d'autre qu'une méthodique introduction à la nécessaire union autour de la vision la plus vraie des choses, non pas l'enclosure des droits et libertés, mais leur embrassement et la réunion pour les servir et les défendre. Car c'est ce qui est légitime pour le fidèle d'une foi honorant sa liberté; et c'est ce que résume au mieux l'islam sain et serein des origines, une sublime substance perdue.
Les Murji'â est un courant islamique majeur, affirmant que la valeur de l'oeuvre humaine est fondamentalement dans l'intention et la visée, croyant dans la remise et l'ajournement du jugement et de la rétribution des actes qui relèvent de la plus exclusive compétence divine, car nul autre que lui ne juge et sanctionne ou pardonne. Pour cela, les Murji'â soutiennent qu’« avec la foi nulle désobéissance ne nuit et avec l'infidélité nulle obéissance n'avantage » ! Aussi, ce courant humaniste et rationaliste a-t-il connu un grand retentissement, s'étant répandu chez les musulmans de diverses obédiences; l'auteur des « Dogmes et obédiences », Al-Chahristani, en a dénombré quatre types: « Les Murji'â des Kharijites, les Murji'â de la thèse du libre arbitre, les Murji'â de la thèse du prédéterminisme et les Murji'â purs... ainsi que les Ghaylanides, partisans de Ghaylan le Damscène qui fut le premier a parler du libre arbitre et de l'ajournement. » À noter que certains adeptes des Murji'â, tel Ghassan le Koufite, appartenant à la tendance Ghassanide, ont estimé être des leurs l'imam Abou Hanifa Annômane, le chef du rite de la libre pensée en religion, citant pour cela certaines affirmations du chef du rite hanifite en conformité avec les assertions des Murji'â. À ce propos, nous lisons chez Al-Chahristani : « On disait d'Abou Hanifa et des adeptes de son rite qu'ils étaient les Murji'â de la Sunna, et un certain nombre de commentateurs l'ont catalogué comme étant un des Murji'â, probablement du fait qu'ils ont pensé qu'il ajournait l'oeuvre humaine par rapport à la foi lorsqu'il affirmait que : la foi est l'assentiment du coeur, et il n'augmente ni ne diminue. »
À propos du sens des Murji'â, l'auteur des « Dogmes et obédiences » précise qu'il emporte deux significations : « l'ajournement, comme dans la parole de Dieu {Ils dirent : ajournez-le et son frère} (les Redans, 111, les Poètes, 36) soit : ُtraînez-le en longueur, faites-le attendre; et le second donner quelque espoir. » Le sens religieux est ce qu'il rajoute, à savoir : « l'ajournement et la remise du jugement de l'auteur du péché mortel au jour de la Résurrection, ne décidant de rien le concernant ici-bas : s'il mérite le paradis ou l'enfer. »
Avant leur disparition, les adeptes Murji'â, cette philosophie religieuse méritant d'être revitalisée, ont compté pas moins de douze obédiences selon le dénombrement qu'on doit à Al-Achaari dans son ouvrage « Propos des musulmans et dissensions des orants », subdivisées en tendances pour des conceptions différentes de la foi. D'aucuns prétendaient que « la foi en Dieu n'est que sa connaissance et ses messagers ainsi que tout ce qu'il a révélé; aussi, n'est pas de la foi ce qui ne relève pas de cette connaissance comme l'attestation verbale, la soumission de l'esprit, l'amour de Dieu et de son messager, leur glorification, leur crainte et l'oeuvre produite par les membres... Et la mécréance est l'ignorance de Dieu. » Et Al-Achaari d'ajouter qu'il en est qui ont prétendu « que la foi en Dieu est juste sa connaissance et la mécréance n'est que son ignorance; aussi, ne croit en Dieu que celui qui le connaît et ne le renie que celui qui l'ignore. » On trouve également une tendance ayant affirmé que « la foi est de connaître et de se soumettre à Dieu en délaissant l'arrogance et en pratiquant l'amour; par conséquent, quiconque réunit ces qualités a la foi. » De même, il en est qui ont défini la foi comme étant « la connaissance de Dieu, la soumission à lui et son total amour avec l'affirmation qu'il est unique sans nul pareil. » Une autre définition, assimilable aux précédentes, stipule que « la foi est de reconnaître Dieu et ses messagers alors que croire à ce que la raison permet ou ne permet pas ne fait partie de la foi. »
Ces dissensions, bien qu'elles aient participé à la disparition des Murji'â, n'ont porté que sur des détails et des ergoties quant à la notion de foi, non sur le sens et coeur de cible du mouvement qu'est l'ajournement, concept cardinal pour la compréhension de la religion. En effet, et cela est confirmé par Al-Chahristani, « la vie terrestre est aire de foi et tous les humains sont des fidèles à l'exception de qui démontre ne pas avoir la foi, les Murji'â se divisant sur la nature innée ou acquise du concept d'unicité divine : serait-ce une science et une foi ou non. » Ce qui importe ici est que les Murji'â, leurs plus nombreuses tendances pour le moins, ainsi que le confirme l'auteur de Propos des musulmans et dissensions des orants : « ne traitent personne de mécréant parmi ceux qui font oeuvre d'interprétation de la religion, à l'exception de qui est considéré comme tel par l'ensemble de la communauté. »
C'est ce qui est le plus important dans ce courant de pensée de l'islam que les musulmans vertueux devraient lui redonner vie, car il est impératif pour la communauté d'islam, au moment où elle broie du noir, végétant dans une confusion ignoble des valeurs et souffrant d'une maladie lui faisant risquer sa perte, de revenir à une lecture saine et sereine de se religion semblable à la lecture des Murji'â. Incontestablement, elle est une juste compréhension de la foi, confirmant sa valeur éminente son sein à l'exclusion de tout ce qui n'est qu'apparence liée aux pratiques cultuelles, l'islam étant juste foi et piété sincère avant d'être des gestes cultuels pouvant ne relever que de l'artefact. Effectivement, la bonne foi n'est pas nécessairement attestée par les gestes du croyant, ne résidant qu'au fond de son coeur et la pureté de son intention, ce qui n'apparaît que par l'acte et l'action. Un dire attesté par les deux recensions les plus authentiques de Boukhari et Mouslem ne précise-t-il pas que quiconque a la foi en Dieu et en son prophète s'assure le paradis même s'il vole ou s'il est adultère ?

Jour 12
Mardi 5 mai 2020



Après avoir parlé du soufisme et des adeptes de l'Ajournement, il importe d'évoquer les mutazilites que l'on considère comme les rationalistes de l'islam, meilleur étendard de l'islam des Lumières. Or, ce n'est pas totalement vrai. Il est nécessaire désormais de faire attention au fait que les mutazilites ont une part de responsabilité dans la maladie actuelle de l'islam, en ayant été tout aussi responsables. Ce qui est d'autant plus impératif que l'histoire recommence avec le propos des modernistes qui ne connaît pas ou méconnaît le fait que l'islam ne saurait être moderne puisqu'il a connu la modernité par anticipation et avant celle de l'Occident; c'est ce que nous avons déjà évoqué et qualifions de «rétromodernité». Aussi, l'islam des Lumières en ces temps postmodernes ne pourrait être qu'une religion de la postmodernité ou un islam postmoderne auquel j'ai consacré un ouvrage où je crois possible cette fois-ci de nouvelles Conquêtes (ou Jugements) tunisiennes. Nous reviendrons dans la chronique suivante à ces modernistes, mutazilites de nos jours, et qui oeuvrent - inconsciemment pour le moins - à la perpétuation en l'état de la situation de maladie d'islam pour cause de mauvaise stratégie employée faisant qu'en nombre de sujets ils s'avèrent être des complices objectifs des intégristes. Pour cela, j'ai dit que ces tenants de la laïcité relevaient d'un salafisme profane, allié objectif des intentions du salafisme religieux. Nous y revendrons.
S'agissant des mutazilites de l'âge d'or de l'islam, nous pensons que l'adage romain s'y applique : « La roche tarpéenne est proche du Capitole », ce qui rappelle le vers du poète andalou : « Tout plein est vide ». Comme leur souvenir s'est évanoui, commençons par rappeler leurs principaux chefs de file au troisième siècle de l'hégire en notant que l'on trouve pas mal de références à leur pensée, hélas perdue ! dans les écrits de Tawhidi. Précisons aussi que l'on compte comme mutazilite Hichem Ibn Al hakam qui était, à la vérité, le plus éminent des théoriciens chiites, mort en 199 de l'hégire; ce qui confirme que les débuts de la pensée chiite a été une pensée libre, ce dont on avait parlé avec son étroite relation avec le soufisme. Parmi les premiers maîtres mutazilites, nous trouvons Hachem ou Hanî Al-Awkas et Obeid-Allah Ibn Al-Hassan qui était en charge de la magistrature à Bassora au nom du calife Maamoun. Par la suite, les ténors furent : Abou Houdayl Al-Allâf, première tête pensante, mort en l'an 227 h.; Ibrahim Ibn Sayyar Nadhdhâm, seconde tête et grand théoricien, mort en l'an 231 h.; Thoumama Ibn Al-Achrass qui fut l'un des maîtres de l'esprit encyclopédique de l'époque, Al-Jâhidh; mort en 213 h., il est connu pour avoir été l'un des précurseurs de la thèse de création du Coran, tout comme Hafs Al-Fard bien connu chez les traditionalistes pour avoir débattu avec Chafaï qui le déclara apostat; Moïss Ibn Omrane, un autre des maîtres de l'auteur des Avares; Salah Kobba qui, avec al-Jahidh, est considéré comme appartenant à la septième lignée des mutazilites selon l'ordonnancement réalisé par le juge AbdelJabbar.
Connus pour être les tenants du rationalisme dans la civilisation d'islam, les mutazilites avaient, avant la lettre, une pensée cartésienne et des Lumières. Toutefois, s'ils ont excellé en termes de recherches, leur comportement en leur société ne s'est pas moins rabaissé jusqu'à la bêtise, ce qui a précipité la destruction de leur édifice, pénalisant du coup toute la pensée libre en islam, condamnant d'avance à l'échec le moindre rationalisme jugé à l'aune réductrice de leur propre échec, perpétuant donc la décadence de la pensée musulmane. En effet, les mutazilites ont cherché à imposer par la force publique leur pensée malgré son haut degré de pertinence et de valeur; aussi ont-ils mis à profit le crédit qu'ils avaient auprès des autorités politiques pour imposer, contre la pire sanction, d'adhérer à leur thèse sur la création du Coran. C'est ce qui a entraîné la fameuse épreuve du Coran créé ou incréé dont la pensée islamique se serait bien passée, car elle fut pour une catastrophe pour cette pensée tout autant qu'elle fut un martyre pour les opposants traditionalistes des mutazilites, débouchant au final sur l'interdiction du moindre effort de cogitation ou ijtihad. De fait, pareillement aux mutazilites recourant au bras séculier afn de faire triompher leur brillant savoir, leurs adversaires ayant réussi à triompher d'eux, ont agi de même, imposant leur pensée obscurantiste par la force; ce dont souffre l'islam à ce jour. Par conséquent, l'épreuve de la création du Coran a bien auguré de la décadence de l'islam, maladie semblable au coronavirus en ce sens qu'on peut en être porteur et en apparence sain alors que le mal continue à faire sans cesse dans l'organisme son oeuvre en douce jusqu'à l'issue fatale de la mort contre laquelle il n'y aurait plus rien de possible.
On se trompe donc en liant le déclin de la civilisation musulmane exclusivement à l'impérialisme et à un travail de sape extérieur à la communauté. Certes, ce qui est arrivé en islam, à commencer par l'invasion mongole jusqu'aux croisades, l'a réduit à un état de faiblesse et d'impuissance avérées, empêchant tout retour de santé. Néanmoins, les menées extérieures n'ont pu réussir sans un terreau propice préparé par l'islam lui-même en empêchant que sa pensée puisse garder ou retrouver la santé par la pratique de l'exercice de salubrité sanitaire que sont la pensée et la cogitation. Ainsi, avec la fermeture dogmatique de l'ijtihad, a-t-on condamné les esprits à se figer dans l'incapacité de contrer avec succès la moindre agression. Effectivement, depuis la volte-face du pouvoir contre les tenants de la pensée mutazilite, leur retirant les faveurs dont ils disposaient, l'islam intégriste ou salafi a tôt fait de s'imposer à toutes les manifestations de la pensée rationaliste, usant du même levier déjà utilisé par ses adversaires : la force publique. Il s'est même appliqué à le perfectionner, en faisant une arme redoutable entre les mains des gens du pouvoir, servant dans le même temps à consolider leurs abus en bannissant la moindre marge de liberté dans la compréhension de la religion et l'interprétation de ses sens éloquents. On s'est alors retrouvé bien loin de cette effervescence libertaire ayant précédé l'érection de l'État abbasside, marquant ses débuts avec le fameux temps des translations et donnant à l'islam le meilleur de ce que l'esprit humain pouvait inventer en pensée scientifique universelle, totalement libre, originale et géniale.
L'Arabe musulman a ainsi inventé les règles de sa langue et s'est ingénié à comprendre sa religion, interprétant librement le Coran avec ses termes étranges, ses métaphores et figures de rhétorique, ne s'embarrassant pas de le réciter selon des lectures diverses et même contradictoires, puisque le Coran a été révélé selon une variété d'idiomes et était en avance sur son temps. Car la raison coranique n'est pas ce qu'en ont compris les mutazilites et qui s'est imposé par la suite en Occident, soit cette raison froide, cartésienne, mais bel et bien une raison sensible, où il est moins de contradictions que de complémentarités, parfaitement comme la langue arabe tellement riche avec ses mots polysémiques aux sens contraires. Assurément, une telle science rhétorique a atteint un très haut niveau, d'où le miracle du Coran, selon l'expression de Chafaï; et ce n'est rien d'autre que ce qu'on nomme pensée complexe et pensée contradictorielle en sciences sociales contemporaines. Et c'est le meilleur de ces sciences d'aujourd'hui, la raison n'étant plus, en notre ère postmoderne, la pensée rationnelle connue avec la modernité d'Occident; par essence, elle est une pensée du tact et du discernement, cette pensée sensible découverte par Al-Ghazâli et théorisée dernièrement par le sociologie Michel Maffesoli. Aussi, il n'est plus possible de nos jours, après les acquis scientifiques divers, dont ceux de la physique quantique, de s'en tenir exclusivement à la logique scientifique discursive tout en rejetant la logique intuitive; car l'intuition est aussi à la base de la science ainsi que l'a démontré l'auteur du Nouvel esprit scientifique, Gaston Bachelard. C'est ce qui semble avoir échappé à notre penseur maghrébin Abed Al-Jabri lorsqu'il entreprit de faire sa «Critique de la raison arabe», se limitant à une vision rationaliste occidentaliste, pourtant devenue scientiste comme n'a pas manqué de le relever son critique Georges Tarabichi dans sa « Critique de la critique ».
Tout ce dont on souffre de maladie en islam n'aurait pas dû avoir lieu si le pensée salafiste n'a pas eu la mainmise des esprits à la faveur de l'affaire de la création du Coran, pratiquant la même méthode des rationalistes qui pensaient servir la cause de la raison alors qu'ils en détruisaient l'édifice. Le pis est que la situation est exactement la même en nos temps chez les salafistes — du moins chez les plus sincères parmi eux, ainsi que ce fut le cas chez leur chef de file l'imam Ibn Hanbal — qui croient fermement servir l'islam alors qu'ils ne font que le démolir à la base. Car la pierre angulaire de la foi d'islam est la liberté de l'intelligence de ses préceptes pour les gérer au mieux selon ses visées sans se limiter aux exigences d'un temps passé et d'une exégèse dépassée, la force de cette foi de justice et de justesse étant dans la constance de l'ijtihad. Or, le salafisme de nos jours ne défend qu'un pouvoir politique et une autorité morale s'ajoutant à une emprise matérielle ayant pour objectif de contrôler les esprits humains que Dieu a pourtant créés libres. Depuis quand la libre pensée est-elle serve en un islam qui est venu en une libre pensée de sa servitude libérée ?
Depuis que les rationalistes musulmans ont ouvert la porte au recours à la puissance publique pour imposer leur pensée par la force au commun des mortels, la libre pensée a été asservie en islam, ce qui l'a défigurée et dénaturée, ouvrant la voie à ses ennemis. En effet, il n'est rien pour protéger la libre pensée qu'une pensée aussi libre ! C'est ce que nous manque le plus actuellement : une pensée issue d'une raison sensible, sans nul tabou ni asservissement vertical et arrogant; et c'est ce qu'il nous faut retrouver, car nous l'avions comme un habitus depuis les débuts de l'islam jusqu'à l'apogée rationaliste avec l'époque du calife Maamoun, soit le début de la fin. Or, l'histoire n'étant qu'un éternel recommencement, tout s'y refaisant, le temps y étant spiralesque, on ne peut que revenir au moment où s'est arrêté le premier temps dans sa marche, comme de reparler correctement cette fois-ci de la question sensible de la création du Coran, sur une nouvelle base, celle de la totale liberté avec une raison n'étant plus cartésienne au point de muer en cartésisme, ou encore parler de la liberté de critiquer les hadiths problématiques ou de la fermeture de la porte au jihad mineur en le dénonçant comme n'étant que du brigandage de grand chemin sans nul rapport avec l'islam désormais bien répandu dans les coeurs, ce qui est bien mieux que sur les terres.
Le temps de la raison cartésiste et scientiste est bien passé dans la conception qu'on a connue du positivisme, elle-même ayant évolué de la négation de la spiritualité à celle qui fut honorée par son auteur Auguste Comte qui parlait, avant sa mort, du culte des morts vivants. Notre innovation pourra alors s'inspirer de la pensée caressante et de la sociologie de l'orgie, au sens étymologique du mot comme ambiance émotionnelle, et qui est la plus éminente caractéristique de la postmodernité. En effet, l'orgie comme émotion est la richesse garantie des inspirations, plus parfait signe d'autonomie et de libération du joug de tout lien dogmatique, particulièrement de la pensée salafiste, négation de l'esprit libertaire de l'islam. C'est ainsi qu'on réussira à faire de ce temps de maladie, où toute pensée est obscurcie, l'instant décisif rallumant les lumières éteintes de l'islam, ce que la sociologie qualifie d'instant éternel. Assurément, grâce ) notre pensée complexe, on réussira alors à inverser le vers de notre poète Abou Al-Bakaâ Al-Rundi, disant avec conviction, et le prouvant : « Tout vide est plein ! »

Jour 13
Mercredi 6 mai 2020

Nous avons évoqué la responsabilité des rationalistes de l'islam dans sa maladie du fait de leur affirmation que le Coran est créé, question capitale certes et qu'il importe de reposer, mais en la traitant autrement que ne le firent les mutazilites. Et nous avons dit que leur mauvaise stratégie est aujourd'hui reproduite par les intégristes quant au recours au bras séculier, mais aussi par les nouveaux rationalistes de l'islam que sont les modernistes, avec la question de la laïcité. Comme cette question est en quelque sorte le pendant de la polémique sur la création du Coran, illustrant la stratégie à ne pas utiliser, nous y reviendrons dans une chronique à part où nous montrerons que l'islam est déjà laïque au même sens dont parlent les modernistes, mais à partir de ses propres valeurs, sans nulle singerie de l'histoire et des traditions occidentales.
 
Aujourd'hui, on évoquera plutôt la vision de nos modernistes de la personnalité arabe musulmane eu égard à leur notion de l'individu et leur critique du déterminisme dont elle serait le produit. On verra comment leurs jugements en la matière sont loin d'être objectifs, qu'ils servent moins la cause des droits et des libertés qu'ils sont censés défendre que leur idéologie laïciste qui se double d'une critique à peine cachée de l'islam comme religion. Ce qui contribue à renforcer leurs adversaires et ennemis intégristes qui les font passer pour des élites déracinées, honteuses de leur culture et de leur religion, portant du coup le plus grave préjudice à leurs idées libérales et humanistes. Certes, au nom de la liberté, on peut penser ce qu’on veut d’une religion ou d’une culture. Il n'empêche que le message qu'on transmet ne saurait être dissocié de la qualité du locuteur et du moment où il est tenu. Or, nos modernistes se font trop souvent le porte-voix de l'Occident et de son modèle, pourtant essoufflé, en un moment critique où le monde, encore dominé par cet Occident, est en crise imposant, en notre postmodernité, de quitter le modèle modrniste dépassé. 

Il est vrai, le progiciel de l’islam est obsolète aujourd'hui; mais ce n'est pas tant du fait de son noyau, la foi de base, que de l’absence de mises à jour qui doivent être le fait de ses ingénieurs, ses intellectuels, dont notamment ceux épris des Lumières. Déjà, on a affaire à un logiciel qui tourne sur ses spécifications par défaut, avec nombre de cases non activées alors qu'elles sont de nature à le rendre encore plus performant si seulement elles étaient activées. Surtout, notre système d'exploitation nécessite une grosse mise à jour qui ne peut se faire que de l’intérieur, par ses propres penseurs, au lieu de les voir faire tout simplement de l'autocritique bien stérile et injuste aussi. Il se trouve aussi que l’Occident domine le monde, qu'il a perdu de son lustre depuis le déclin de son propre logiciel (Spengler l'avait diagnostiqué dès le début du siècle dernier); mais il se refuse à perdre de sa superbe et lâcher un désordre mondial qui le sert immensément. Aussi, réveillant ses démons judéo-chrétiens, il fait tout pour empêcher la sortie de l'islam de l’impasse où il a aidé à le mettre à la faveur de l'impérialisme auquel il a soumis les pays d'islam. Aujourd’hui, il compte sur la fausse conception des élites en terre d’islam de son modèle périmé pour continuer sa colonisation, devenue mentale. Ainsi assiste-t-on à des discours qui contribuent à maintenir l’état désolant actuel de l’islam au moment où tout peut basculer.
Parmi ce qui est obsolète de nos jours est le concept occidental de l’individu et, par ricochet, la vision de l'individu non occidental, particulièrement oriental, érigeant en prototype hasardeux l’être arabe musulman comme marqué par un déterminisme dont il serait le produit. Ce qui est, pour le moins, réducteur d'une personnalité autrement plus complexe. Si les modernistes parlent souvent de l’être humain dans son irréductible singularité en tant qu'individu, ils oublient qu'un tel être est une pure vue de l’esprit, car l’humain est un animal social; c’est ce qui fait sa définition. Et on a bien vu ce qu’est le sort de l’humain seul, élevé hors société, ne dépassant pas le stade sauvage. 

Certes l’Occident s’est distingué par cette théorie de l’individu maître de lui-même, dont il s’est servi pour imposer sa suprématie sur le reste de l’univers, le civiliser disait-il. On réalise aujourd'hui l'état dans lequel sont les individus citoyens en Occident, réduits au statut de simples moutons, justes bons pour la parodie électorale dans le cadre de ce que les politistes nomment démocratie d’élevage à laquelle il serait préférable d'adhérer à une démocratie sauvage, que serait en mesure de devenir l'aire d'islam, où l'on serait plus attentif au fond qu'à la forme, bien plus au devenir qu'à une essence de nature à évoluer. Car à trop se fixer sur l'individu et la théorie des droits individuels sans considération du cadre national ou international où se meut cet individu, on ne porte l'attention que sur son essence, l'humus qu'est l’humain à la base (ne serait-ce qu'étymologiquement), et non son devenir devant valoriser un tel état basique, guère noble au départ quoiqu'emportant la vie, afin d'élever cet humain de la simple bestialité à une animalité de raison.

Les modernistes occidentalocentristes disent que l’islam rabaisse l'individu, quasiment divinisé en Occident, en faisant de l’humain un sujet; mais ils omettent de dire qu'il ne l'est que de Dieu tout juste, n'étant soumis qu’à lui. De plus, ce Dieu n’est pas nécessairement la transcendance dont parlent les intégristes; il est toute transcendance, y compris en n'étant que cette nature à laquelle appartient humain. D'ailleurs, la pensée occidentale est revenue de ses errements quant à l’homme maître et souverain de l’univers, le remettant à sa place, un animal parmi d’autres, pouvant tomber encore plus bas que les bêtes s’il se laisse aller à la bestialité. Aussi, si le musulman est destinataire de normes et si ce n’est pas comme titulaire de droits dérivés de son irréductible singularité, ce n’est pas comme redevable d’obligations envers Dieu, contrairement à la vision caricaturale des modernistes, mais plutôt du fait de sa propre nature qui est d’être sociable, donc à l’égard de sa communauté. C’est cela le sens du devoir en islam; il est à finalité téléologique : le destinataire n’est pas Dieu au sens strict, mais l’humain lui-même, à travers sa propre image, car «Je» est toujours « un autre » ainsi que l’avait vu Rimbaud. Au final, comme le disent les spiritualistes musulmans que sont les soufis, c'est l'humain qui crée son Dieu comme il en est la créature, faite à son image. C’est en ce sens, au demeurant, que Durkheim parlait de société en divin social, une machine à fabriquer des dieux, des totems des primitifs au Dieu terrible du judaïsme ou Daech aujourd’hui. Par ailleurs, et je l'ai démontré, il est à rappeler que la communauté en islam est fondamentalement ouverte à l’altérité, elle est dans mon jargon une « communautarité ». En cela, l'islam a été la plus oecuménique des religions du Livre, prolongeant l'esprit du Paraclet Jésus. Ce que confirme la seule lecture vraie de l'islam, le soufisme.

On le voit, il est pas mal d'incorrections chez les élites entichées des Lumières d'un Occident qui sont désormais clignotantes, cédant devant le raz-de-marée mercantile au point d'oublier leurs valeurs spirituelles. Ce qu'ignorent peut-être nos modernistes, c'est que ce capitalisme n'a réussi à s'imposer en Occident qu'en s'alliant avec les plus puritains des chrétiens, les protestants; l'oeuvre magistrale de Max Weber sur ce que doit le capitalisme à l'esprit du protestantisme est, à ce titre, toujours d'actualité. D'ailleurs, comme on l'a vu en Tunisie, au Maghreb et ailleurs en Orient, l'Occident use de la même stratégie avec l'islam intégriste au service de ses propres visées. Ce qui dévalorise le message des libertés de nos modernistes aux yeux des masses, ne servant que les intérêts des intégristes liberticides. De la sorte, dans le meilleur des cas, les modernistes laïcistes ne font que tirer les marrons du feu pour les nouveaux impérialistes et leurs vrais alliés, les intégristes musulmans. Le drame est qu'ils ne s'en rendent pas compte, se révélant les dindons de la monumentale farce de cette alliance capitalislamiste sauvage dont la Tunisie depuis 2011 donne la plus belle illustration. 

Si la notion classique de l'individu, inspirant toujours nos modernistes antireligieux, ne passe plus aujourd'hui en sciences sociales, il en va de même de leur analyse linguistique du fait juridique, puisqu'ils croient trouver une différence entre les termes en français et en arabe du mot « droit » pour critiquer la religion et la culture arabes où « droit » aurait plutôt la sens de « vérité ». Dois-je m'étendre sur les subtilités de la langue arabe et ce que sa polysémie permet dans l’interprétation, notamment du vocable « droit » qui veut dire, à la base, entre autres : conformité, analogie et concordance ? Notons plutôt que nos modernistes soutiennent que le substitut « vérité » utilisé en arabe renvoie à la transcendance, expliquant que les références de cette vérité dépassent l’individu. Ayant précisé supra que c’était faux avec le sens rectifié de la transcendance, rajoutons ici que ce terme de transcendance dérive du latin médiéval transcendere signifiant « qui dépasse la nature de »; or, les droits individuels dépassent la nature de l’individu qui naît sans rien, acquérant ses droits en famille, en société. Et confirmons l'analyse avec le sens véritable du mot « droit » en Occident même. En effet, il est issu du fonds primitif latin tardif directum, voulant dire « ensemble de règles juridiques » ; le mot directus dérivant du droit classique, soit le droit, est bien un «ensemble des règles juridiques». À quoi servent donc les règles juridiques sinon à la justice qui vient du latin classique justitia, « justice » et justus, « juste ». Or, ce qui est juste est vrai, mot du latin populaire veracus, « vrai » ; du latin classique veracis, génitif de verax : « qui dit la vérité». La vérité, veritas, est bien ce qui est verus, « vrai ».

Au final, comme révélation, l’islam n’a rien à avoir avec les mauvaises conclusions de nos modernistes, même si elle est issue, au départ, d'un souci d'interprétation humaniste amenant plus à la critique. Or, tout en ayant parfaitement raison de le faire, on ne devrait pas s'y prendre comme ils le font; car on n’apporte alors pas de solution, se limitant à faire écho à une analyse orientaliste obsolète qui fait partie du problème, ne le résolvant en aucune façon. Et c'est bien le drame des musulmans aujourd’hui qui est d’appliquer une jurisprudence dépassée assimilée à la parole divine alors qu'elle n'est qu’un effort humain trépassé comme ses auteurs. Seule la parole de Dieu demeure et elle reste à interroger et à interpréter selon ses visées; c’est ce qui fait son caractère d’éternité. Ces visées autorisent tous les droits et toutes les libertés, bien au-delà même de ce qu’a été possible en Occident lors de son évolution vers la démocratie. Par exemple, on y a longtemps pénalisé la nudité et le sexe, notamment homosexuel, avant d'exporter en terre d'islam ces criminalisations qui n'y avaient pas cours et qui y seront importées avec la colonisation pour s'y maintenir en legs de l'impérialisme aux couleurs d'un faux islam intégriste, meilleur vrai allié de l'Occident. 

L’islam est mal pensé aujourd’hui et c’est à ses élites organiques de rectifier sa lecture ou d’y aider au lieu de nous tenir le propos occidentalocentriste qui n’a plus cours, devenant le véritable empêchement à ce que les choses changent vite, en Tunisie par exemple où tout s'y prête. C'est que nos militants modernistes continuent à développer un tel discours en rupture avec la réalité, y compris légale, encouragés en cela par l’Occident, sans qu'ils réalisent son jeu double, puisqu'il est le meilleur allié des religieux, les ayant aménés au pouvoir et tenant à les y aintenir. Ainsi agissent-ils pour que rien ne change dans le pays, surtout pas ses lois scélérates, usant pour cela de tous les moyens dont l'arme extrêmement efficace du capitalisme sauvage au service duquel ils se sont mis pour mériter d'accéder au pouvoir. Pourtant, transformer rapidement la situation actuelle est parfaitement possible, mais doit se faire au nom de l’islam, ne serait-ce que parce que la Constitution l’exige. C’est cela être légaliste ! Voilà le vrai drame de la Tunisie et ce n’est pas une tragédie qui fait bien partie de la vie, car c’est le tragique des choses qui nous fait avancer ; n'oublions donc pas que c'est du chaos que naît tout nouveau monde; faut-il s’atteler au changement bien outillé et non avec des armes enrayées, des concepts dépassés. Ce qui doit commencer au niveau de la pensée et du mental, se devant d’être positifs, libres du moindre conditionnement idéologique, non seulement par le milieu attaché au passé, qu'il soit religieux ou profane, mais aussi et surtout l’environnement occidental du pays, car il y trouve en sa présente situation son intérêt immédiat.

Finissons en précisant que c’est la pensée qui élève l’humain et qu'elle a été honorée en terre d’islam; ce qui a donné une culture de grand format et une civilisation universelle quand l’Occident, inspirant aujourd’hui nos modernistes, était aussi obscurantiste que les ignorants intégristes de l'islam. Bien mieux, l’être arabo-musulman que nos modernistes vilipendent a été capable d’une spiritualité haut de gamme, le soufisme, humaniste et universaliste, redonnant ses lettres de noblesse à la croyance, l’élevant en acte de foi pouvant se révéler scientifique, une science basée sur la raison sensible, non scientiste, cartéiste. Notons aussi que l’héritage grec a été rendu aux Occidentaux, non seulement intact, mais enrichi par les cogitations des philosophes musulmans ou de culture islamique venant de tous horizons et qui ont contribué aux Lumières de la Renaissance. 

Comment donc ne pas avoir à l'esprit ce passé, même s’il ne faut point s’y arrêter, pour jeter l’anathème sur l’être issu de cette culture du seul fait qu’il est tombé malade et que cela dure jusqu'à nos jours ? Un malade se soigne et ne se condamne pas, ainsi que le font les contempteurs de la religion. Or, ils le font du fait des turpitudes d'une minorité dogmatique en son sein trompant les masses grâce à la complicité objective de ses supposés propres contempteurs, nos modernistes occidentalisés. Ainsi crient-ils à une déchéance prétendument définitive de la civilisation de l'islam, qui lui a été fatale du fait des vicissitudes de l'histoire humaine, mais qu’il ne mérite point, ayant pas mal de réserves de santé qu’il suffit de mettre en oeuvre pour qu'il retrouve la splendeur d'antan. 

Jour 14
Jeudi 7 mai 2020

Nous avons déjà noté que la laïcité est devenue une oeuvre islamophobe de milieux laïcistes qui, au prétexte de militer pour les droits et les libertés, sont inféodés consciemment ou inconsciemment aux milieux d'occident agissant à maintenir l'islam malade. Ils n'ont donc pas véritablement en vue la cause des libertés individuelles, cette militance n'étant pas conditionnée par l'instauration obligée du concept occidental de la laïcité puisqu'il existe une laïcité islamique qui est bel et bien la séparation des sphères privée et publique. Aussi, nous y consacrons cette chronique pour démontrer qu'il suffit de se référer à cette conception de sécularité musulmane pour réussir à servir utilement la cause des droits et des libertés individuels dans des pays musulmans dont la légalité constitutionnelle même exige le respect des valeurs de l'islam. À la vérité, il ne s'agit que de ce fameux clou de Jha utilisé par les milieux agissant à entretenir la maladie d'islam et auquel on consacrera peut-être une chronique. 

Il n'échappe plus à personne qu'il est de l'intérêt de qui veut perpétuer sa maladie actuelle de prétendre qu'il y aurait, en Tunisie comme dans tout le monde arabe musulman, un antagonisme irrémédiable entre l'esprit séculier et l'esprit religieux puisant sa virulence, pour les uns, dans l'attachement à l'islam et, pour les autres, dans son rejet, ou encore pour dire les choses en termes moins radicaux dans la prégnance des valeurs islamiques, d'un côté et l'attachement à la tendance libertaire d'une démocratie, de l'autre. Quelle que soit l'attitude que l'on peut avoir face à ces positions contradictoires, l'objectivité commande de dire que les uns et les autres se trompent pour le moins sur la question essentielle qui les sépare au point de les faire s'entretuer ou s'allier objectivement, à savoir la signification réelle de cette laïcité célébrée et honnie dans le même temps. 

Tout d'abord, contrairement aux idées reçues, la laïcité n'est certainement pas une dépossession de l'État de sa tradition religieuse, du moins dans sa pratique telle qu'avérée à ce jour en France, par exemple, qui est une référence majeure en la matière. En effet, la laïcité y est même, comme le démontrent les recherches scientifiques les plus éminentes, un biais pour assurer la prédominance de certaines croyances sur d'autres, notamment la tradition chrétienne, en l'occurrence. Il faut préciser ensuite que la laïcité, au sens étymologique, est bien autre chose de ce que l'on a eu l'habitude de croire; c'est ce qui est commun, ce qui est du peuple. Or, en Tunisie, comme partout en terre arabo-musulmane, ce qui est commun au peuple dans sa majorité écrasante, ce sont ses valeurs islamiques. Aussi, être laïque, dans le sens vrai, étymologique du terme, c'est tenir compte de ces valeurs.

Toutefois, il importe de ne pas oublier que ce n'est pas parce que les plus larges couches de la population sont attachées plus ou moins consciemment à une certaine forme d'identité islamique — et ce, surtout, comme un trait d'authenticité identitaire — qu'elles adhèrent à une vision extrémiste et donc forcément caricaturale de l'islam. Même au plus fort de ses heures sombres succédant à ses riches moments de splendeur et de lumières, la culture de l'islam est restée pour l'essentiel, particulièrement en son versant maghrébin et en Andalousie, tolérante, respectant globalement, en contradiction avec l'esprit du temps d'alors, les manifestations hétérodoxes chez ses croyants; et ce ne fut pas nécessairement parce qu'elles ont su se faire sobres ou discrètes, mais plutôt guère provocatrices. Or, il est un dit avéré du prophète (consigné dans les deux Sahihs de référence) qui atteste cette tolérance fondamentale, où le prophète lui-même se satisfait de la profession de foi en matière d'unicité divine nonobstant le comportement du croyant dont les écarts, dépassant même le cadre de la pure vertu, sont remis à l'appréciation et au verdict souverains d'Allah exclusivement. On a déjà parlé, d'ailleurs, du courant des Murji'a qui a illustré aux heures de gloire de l'islam ses meilleures facettes. C'est cet islam qui est aujourd'hui malade, les pays qui le professent étant sous-développés faussement riches même étant dépendants de leurs maîtres, non à cause de cette religion, mais du fait d'un système de paupérisation général et mondial qui dépasse la simple raison religieuse, victime elle-même de cette pauvreté dont la minorité riche du monde et ses sbires, marchands de la religion comme d'un opium du peuple, profitent et agissent à la faire durer avec la maladie qui l'accompagne puisqu'elles font leurs richesses. Avec la signification véridique de la laïcité ainsi rectifiée, être pour la laïcité en islam est valable aussi bien pour ses fans que ses adversaires, car c'est forcément tenir compte de ce sentiment séculier et spiritualiste vérifié chez la majorité. Et ce d'autant plus que la Tunisie est constitutionnellement érigée en État civil, un atout dont on n'use pas à bon escient en agissant contre l'islam au lieu de mettre à son service sur cette question les valeurs de cette religion tels que nous les rappelons. Nous reviendrons au reste à cette notion d'État civil tunisien et à la manière d'en assurer l'avènement avec la parousie en Tunisie d'un islam des origines pour le sauver de sa maladie. 

Au final, le débat laïque tel qu'engagé actuellement en Tunisie et dans le monde arabe musulman est le prototype du faux débat; c'est une singerie d'une mentalité articulée sur une réalité étrangère venant de l'histoire propre à l'Occident, spécialement la France, l'ancien colonisateur du pays. Pour donner enfin sens à ce débat, il faut d'abord, y compris pour ceux militant pour une religion prégnante en société, convenir que la laïcité est un donné social incontournable aujourd'hui en Tunisie. On doit également arrêter de biaiser avec les réalités et les vérités, car il est erroné de demander, comme le font et le demandent les laïcistess, tenant de la traditionnelle conception, à savoir que l'islam soit cantonné dans la sphère religieuse. En effet, ce qui fait la spécificité de la religion islamique est justement sa dualité en tant que foi religieuse et engagement politique dans le sens de pratique de gouvernement et manière de gérer les affaires de la cité. De même, il est erroné de refuser la laïcité, comme le font les religieux, en se contentant de reprendre à leur compte la conception erronée qu'on en donne leurs adversaires, à savoir la séparation de l'église et de l'État ou du religieux et du politique, qui s'est imposée de par la pratique des pays occidentaux en totale opposition avec le sens vrai de ce terme. Et il est sans intérêt de vider la religion islamique de sa teneur politique; c'est un substrat essentiel, sinon quintessencié. 

Au lieu de disserter sur la fausse question de la séparation du religieux et du politique, il est plus judicieux d'agir à faire évoluer une conception apaisée, harmonieuse et rationnelle de ce rapport. L'islam étant une religion et une politique, il est possible de faitr progresser la conception religieuse du cultuel au culturel et la conception politique de la lutte pour le pouvoir à la sage gestion de la cité. Ainsi, la mosquée, devenue juste un lieu de culte, redeviendra-t-elle le centre de savoir qu'elle était, non pas seulement théologique, mais touchant à tous les aspects de la vie sociale. C'est en mosquée que se délibéraient tout ce qui touchait à la vie de la cité; quand un événement important advenait, on appelait à la prière, celle-ci n'étant pas ce qu'elle est devenue : un rite presque artificiel; elle était un grand et sérieux effort de concentration mentale sur les réalités du quotidien qu'on est appelé à gérer avec l'aide sollicitée de Dieu. La mosquée était aussi un haut lieu de culture ou les poètes déclamaient, où les savants professaient, sans se retenir parfois de propos grivois. Pour se rendre compte de pareil phénomène, il suffit de revenir à la riche littérature arabo-islamique pour mesurer à quel point et dans tous les domaines les penseurs et écrivains d'antan, un temps pourtant censé célébrer moins qu'aujourd'hui le principe de la libre pensée. Cela pouvait parfois, sinon souvent, prendre des libertés inouïes et de la hardiesse pour parler des choses de la religion, une audace qui serait considérée de nos jours libertaire sinon blasphématoire et pourrait faire risquer la prison quand ce n'est pas la mort. 

C'est quand la mosquée a été désertée par le savoir profane que l'intégrisme religieux y a progressé avec une conception fondamentaliste de l'islam en contradiction avec la lettre et l'esprit de cette religion de foi et politique, foi pour l'intimité et politique en gestion rationalisée de la cité. Au demeurant, une telle imbrication de l'islam dans la vie de tous les jours permettait une liberté de la parole dans le sens iconoclaste, comme elle fait, aujourd'hui, que le croyant dans le sens opposé, ne s'embarrasse pas, par exemple, de célébrer sa prière en pleine rue, en pleine saleté, comme si la rencontre de l'orant avec Dieu ne suppose point un minimum de dignité et de solennité. Au lieu de dénoncer pareil comportement comme incivique, car on parlerait alors dans le vide, il serait plus efficace de rappeler que la prière, en islam, ne se limite pas au rituel canonique, qu'elle implique aussi tous les actes de la vie en société faite de respect d'autrui et des règles de la convivialité sociale. On serait ainsi plus en harmonie avec la religion et mieux en mesure de se faire entendre, parlant autrement de l'islam. Non pour en dénigrer certains de ses aspects issus de la pratique caricaturale de ses fidèles ou de l'interprétation bornées de certains de ses interprètes, mais pour rappeler que le plus croyant y est le plus vertueux. Or, le plus vertueux est moins celui qui veille à s'acquitter de ses devoirs rituels que de ceux qu'il a envers ses semblables. Ainsi ferait-on bien plus facilement progresser le statut du citoyen dans nos pays où la force fait toujours droit qui, souvent, est loin d'être juste.