Ramadan au temps du
Covid 2019
Jour 1
Vendredi 24 avril 2020
Covid 2019
Chroniques de la maladie d'islam
Première semaineJour 1
Vendredi 24 avril 2020
Pour la chronique inaugurale de ce journal du ramadan au temps du Covid 2019, je reproduis, synthétisée, la plus récente de mes tribunes publiée sur le dernier numéro du magazine Réalités.
Exceptionnellement, cette chronique du jour sera donc longue, car le style par la suite sera plus concis, bien plus proche de l'aphorisme que de l'analyse de fond.
Soigner la maladie d'un islam réduit au culte :
Le mois du jeûne cette année est bien singulier. Il est propice à agir utilement pour renouer avec l'essence de l'islam essentiellement spiritualiste et culturelle. Comme on soigne la maladie du nouveau virus Corona, il doit en aller de même de la maladie dont souffre l'islam, nous attelant à réformer sa vision obsolète tant chez les intégristes que leurs contradicteurs laïcistes. En effet, une lecture faussée — qu'on a le tort de tolérer, sinon d'encourager — en a fait un simple culte, y reproduisant le schéma théologique judéo-chrétien. Pourtant, en cette foi où n'existe ni église ni synagogue, le rapport avec Dieu est direct, sans nul intermédiaire, surtout pas cette cléricature autoproclamée s'y arrogeant le droit d'être porte-parole divin, commandant licite et illicite. Aussi, concomitamment avec la lutte contre la maladie menaçant notre intégrité physique, il serait salutaire que les autorités soignent enfin la maladie morale gangrénant le mental en caricaturant une religion, qui fut une modernité avant la modernité occidentale, la rendant rétrograde.
1. Il s'agira d'une révolution soit un retour au fondamental en islam, ces retrouvailles avec sa matrice qui, en terre arabe musulmane, est le coran correctement interprété, bien plus qu'en simple culte, en tant que culture. Or, le propre d'une culture est d'être vivante, d'évoluer sans cesse en revenant à ses sources les revitaliser. Ce que l'islam, philosophie de vie, est apte à faire.
C'est bien d'une révolution mentale qu'il s'agira, devenue impérative et urgentissime au vu de l'état miséreux de l'acte de croire en un islam réduit à un folklore de religiosité plus soucieux du paraître que de l'être. Pour réussir, une telle réforme, il importe de la mener selon les outils propres de la religion. Et ce sera sa révolution qui, étymologiquement, est le retour à l'essence, au fondamental, ce qui est premier, qui fut à l'origine.
À la faveur des conditions sanitaires actuelles, il est aisé de rappeler la vérité sur l'essence fondamentale de notre foi, ce qui fait sa spécificité : qu'elle commande le rejet de la moindre ostentation dans la piété, l'acte pieux s'y distinguant par sa modestie et même la propension à se cacher des yeux, seul le regard de Dieu important. Ce fut cela le ramadan des premiers musulmans, un jeûne discret, sans excès ni surtout affectation et hypocrisie, ne se souciant pas de son prochain ni ne se montrant. Jeûner en vrai islam redeviendra alors l'effort sincère de mériter sa foi, cette bataille incessante contre soi et ses pulsions pour donner le parfait exemple de la piété.
2. Comme l'islam est un tout, l'humain se doit d'y être divin par l'excellence de son comportement ; ce qui a bien été perçu par les soufis avec la notion de l'homme parfait (ou plus correctement uni) traduisant le mariage harmonieux du spirituel et du matériel, réservant la foi à la sérénité de l'intimité soustraite à la vie dans la cité faite d'agitation, de trouble. Ce qui balise une voie à la foi originale et originelle : philosophie intégrale de la vie faite de droits et de libertés en humanisme intégral.
Car n'étant pas une simple foi, l'islam est une politique. Aussi, la séparation du religieux et du profane n'y a pas cours, l'imbrication du spirituel et du temporel étant totale. Toutefois, cela ne veut pas dire confusion, s'agissant d'une unité multiple, l'Unitas multiplex des anciens. Pour cela, en terre d'islam, la conception occidentale de la laïcité ne peut servir d'outil à la nécessaire réforme, sauf si on la prend en son sens étymologique de « laicus » qui signifie « du peuple ». En effet, ce qui est du peuple dans nos pays c'est la forte imprégnation spirituelle.
Par ailleurs, le changement de paradigme en cours est fermeture de l'époque (étymologiquement parenthèse) de la modernité ouverte avec les Lumières, désormais stérile et se refermant dans les obscurités des excès d'inhumanité de son matérialisme. Le paradigme de la postmodernité en gestation est un âge des foules marqué par une soif de spiritualité et d'une rationalité autre, ne dédaignant plus ce qui relève de l'imaginaire qui, avec l'inconscient, structure l'humain. Ce dernier, après l'échec de l'illusion prométhéenne, redécouvre sa condition animale et sa nature à base de cet humus formant son étymologie. En cette nouvelle époque de communions émotionnelles, il est une place de choix à l'altérité et à une faim de spiritualité, à tout ce qui semblait insignifiant, ce que Debray nommait « sacral », et Duvignaud « prix des choses sans prix ».
En notre islam malade, avec l'accélération de l'histoire et la nostalgie du sacré qu'elle augure, on a le choix entre la religiosité et le spirituel ; la première nous a donné la décadence et Daech, la seconde l'âge d'or de l'islam, incitant donc au retour à l'islam des origines, celui des maîtres soufis. Et ce sera l'islam postmoderne, de son époque, oecuménique et pluraliste. Un tel islam (que j'orthographie i-slam) est une rénovation de ses préceptes au nom de sa philosophie propre, mise au point par ses savants les plus visionnaires qui, indiquant la nécessité continue de l'interprétation, la basent non sur le texte du Coran seul ou en premier, mais sur ses visées et son esprit. Cette réforme est impérative à chaque début de siècle selon une tradition établie.
3. Radicale, la réforme de l'islam doit relever d'un humanisme intégral, menée au nom d'une foi respectueuse de sa prétention d'être universelle et rationnelle en tant que sceau de la révélation, et aussi en tant que parole de sagesse et de justesse, parole de vérité, donc de droits et de libertés. Ainsi, le protocole de soins ne sera pas inapproprié, n'étant pas comme une reprise de ce qui a permis la rénovation des deux autres religions monothéistes, comme chez les laïcistes ayant le tort de croire que la citoyenneté, l’égalité, la liberté de conscience, l’État de droit et les droits humains, antidotes indispensables à la religiosité et à l'intégrisme, sont le produit magique de la laïcité. Certes, leur absence manifeste la crise de l'islam ; mais elle renvoie dans le même temps à l'obsolescence des arsenaux juridiques auxquels ne veulent même pas toucher les gouvernants supposés laïques qui ont alors beau jeu de situer la question au niveau de religion qu'ils s'interdisent de toucher en mettant l'index sur sa lecture erronée et dépassée. Et c'est non par respect de la foi, mais par souci politicien.
C'est à une mise à niveau des législations qu'il faut s'attaquer au plus vite ; ce qui est de la responsabilité du législateur. Ainsi réussira-t-on une réforme religieuse qui est plus simple qu'on ne le croit pour peu que l'on cesse d'aligner l'islam des Lumières sur une histoire anticléricale qui n'est pas la sienne, ne s'y étant imposée qu'en ses temps obscurs une fois ses lumières éteintes. L'attitude judicative actuelle, quasiment moralisatrice, doit cesser; elle est le fait aussi bien des traditionalistes que des modernistes et ne sert qu'à maintenir les lois mauvaises, illégales qui plus est. Une situation de blocage ne servant que l'intégrisme, religieux et profane, ces deux facettes d'un dogmatisme néfaste.
Jour 2
Samedi 25 avril 2020
Il aura fallu des raisons de santé impérieuses pour qu'on renonce enfin cette année au rituel purement folklorique de la vision oculaire qui n'est en rien une obligation religieuse. Ce n'est juste qu'une façon pour un clergé illégitime de se donner quelque légitimité.
Dans une religion rationaliste comme l'islam se voulant scientifique et qui s'adresse à la raison et appelle à en user, la détection de la conjonction de la lune avec le soleil, ce qu'on appelle croissant du ramadan ou nouvelle lune, se fait forcément à l'oeil, qu'il soit nu ou usant des instruments scientifiques disponibles que l'humain se fabrique grâce à l'intelligence que Dieu lui a octoyée et qu'il exhorte d'utiliser.
Si l'on veut se soucier aussi de la santé de l'islam gravement malade, il importe donc de perpétuer la pratique de cette année où le mufti s'est contenté de se référer aux observations scientifiques de l'Institut National de la Météorologie sans l'habituelle ridicule procession défiant l'esprit du temps et réduisant une religion scientifique à un culte enfantin, sinon obscurantiste.
Il en irait de même avec la la sacrosainte tradition de la prière nocturne imposée par l'habitude durant ramadan, particulièrement dans les mosquées, et qui n'a rien d'essentiel ni surtout d'obligatoire dans le dogme de l'islam. Au delà d'entretenir la ferveur religieuse, elle ne serait véritablement de la piété que si elle ne s'accompagne pas forcément de l'affichage en public, le degré supérieur de la prière étant la communion avec Dieu dans une méditation la plus solitaire possible, propice ainsi à une parfaite sérénité.
Ce à quoi s'adonnait plutôt le prophète lui-même, comme n'a pas manqué d'ailleurs de le rappeler le mufti, précisant qu'il ne pratiquait pas les Tarawih de manière régulière ni assidue et de la manière qu'on prétend imposer d'une pratique voulue par certains intégristes impérative, et ce en violation même de dogmes islamiques bien plus importants.
Par exemple, que le prophète de l'islam est un messager humain qui, en dehors de sa qualité éminente de transmetteur de la parole divine, n'échappe pas à la condition imparfaite des humains.
Or, on a singé le christianisme en divinisant pratiquement ce messager au point de faire de ses dires et de sa tradition des lois ayant un degré de sacralité que le Coran, lui étant même parfois supérieures, ainsi qu'on le détaillera dans les chroniques à venir.
Jour 3
Dimanche 26 avril 2020
On n'applique pas aujourd'hui le Coran qui reste le fondement de l'islam, mais son interprétation par les jurisconsultes selon l'esprit de leur époque dont les valeurs et traditions de leur temps. Pour accéder à la sagesse divine, ils se référent aux dires attribués au prophète et à ses gestes et comportement, sa sunna érigée en impératif catégorique islamique. Or, l'exégèse du Coran, quel que soit son degré de perfection, ne saurait échapper à l'usage de la raison humaine qui n'est, de plus, que réduite déjà à juste approcher le sens du verbe divin, grâce à ses visées, afin de se rapprocher au plus près de sa signification sans trop se tromper. Ce qu'on oublie ou qu'on méconnaît, c'est que les visées des lois d'islam, comme de toute religion au reste, ne varient pas et sont les mêmes, ne différant pas puisqu'elles émanent d'un seul Dieu et fondent ses messages, comme la justice, l'équité, l'amour et surtout l'unicité divine. Aussi, si elles ne varient pas avec le temps dans l'essence, leur compréhension n'est pas moins fonction de l'évolution de l'esprit humain ne cessant de progresser. Un enfant peut-il saisir ce qui s'impose à la raison adulte ? Et le raisonnement de ce dernier, sa validité surtout, équivalent-ils le degré de lucidité et de sagesse atteint par un vieillard instruit par la vie et ses expériences ? Encore mieux, cette sagesse ne varie-elle pas quand les ravages de l'âge attentent à la lucidité didit sage vieux ? À une telle évidence les adeptes de l'intégrisme dans l'exégèse religieuse ne sont pas en mesure de se rendre; on l'a vérifié avec l'imam Ibn Hazm et son rite dhahirite, s'en tenant à une herméneutiuqe scripturaire du texte religieux et de ses complément prophétique. En effet, même s'il a admis la valeur de la raison dans la compréhension des choses humaines, il en a décrété l'exclusion totale de la sphère de la parole divine ayant la suprématie absolue en matière religieuse. Ce qui l'a amené, ainsi que les adeptes du rite de Daoud ld'Ispahan le Dhahirite, à figer la lettre du Coran par celle des hadiths, en en faisant une nouvelle idolâtrie en islam. C'est qu'avec le déclin de la culture de cette religion, les tenants de l'exégèse fondamentaliste — privilégiant la lettre des textes religieux à leur esprit — ont tôt fait d'imposer leur pouvoir, limitant tout effort d'interprétation faisant montre du moindre recours à la raison. Les dires du prophète et sa geste (sunna) sont ainsi devenus l'outil obligé — un sésame même comme pour les voleurs du conte — en vue d'entreprendre la moindre exégèse, ce qui a eu pour conséquence la naissance d'une véritable industrie du hadith et de la sunna. Cela est allé loin dans l'excès jusqu'à traiter d'apostat ceux qui osaient s'opposer à eux en minimisant l'importance de la sunna. Une telle violence morale a même amené les tenants de l'école orthodoxe rationaliste, celle de Abou Hanifa, à relativiser leur usage de la raison, payant tribu à la primauté des hadiths. Ainsi, s'ils jugeaient nécessaire et fatal le recours à l'opinion raisonnée , ils ne tenaient pas moins à préciser à leurs détracteurs que cela ne l'était pas sans un recours obligé à la sunna et aux dits du prophète, présentant leur chef de file comme en étant déjà un parfait connaisseur. Et c'est devenu une obligation pour eux depuis la disgrâce politique des rationaliste moatazilite à la suite du revirement théologique opéré par la calife abbasside Moutawakkal, et particulièrement avec l'oeuvre majeure entreprise par le chef de file du rite chafaïte qu'on évoquera ultérieurement. Ce qui a fait qu'une telle industrie se soit vite transformée en un commerce juteux pour certains faussaires qui n'hésitaient pas parfois, sinon souvent, à produire des dires aberrants et contradictoires aggravant la maladie d'islam du fait de la sacralité octroyée à la sunna et au hadith comme étant de source divine, tout comme le Coran lui-même. Outre l'invention de paroles mensongères attribuées au prophète, cela a permis d'en arriver à cette pire manifestation du mal d'islam qu'est l'abrogation de l'une de ses avancées majeure en termes de valeurs — ici le pardon et la mansuétude — par la survivance d'une cruauté des révélations antérieures : la lapidation. Comme il n'est nulle place à la lapidation dans le Coran, les jurisconsultes, désormais institués savants incontournables des dires prophétiques, vite transformés en de vrais industriels du fiqh, commerçants de la geste prophétique, se sont évertués à inventer une nouvelle technique appropriée afin d'abroger des prescriptions coraniques par d'autres prescriptions fondées sur les dires attribués au prophète ou à sa geste. C'est ainsi qu'ils ont pu affirmer que le verset de la lapidation a bel et bien été révélé et que si le texte de cette sanction a été abrogé par la suite, cela ne l'a été qu'au niveau de la récitation (ce qui explique son abesnce de la recension du texte officiel du Coran) mais nullement de la validité et de la pérennité de la sanction confirmée par la sunna.
Jour 4
Lundi 27 avril 2020
Il n'est point de lapidation en islam, car il n'est nulle prescription en la matière dans le Coran!
Voilà la vérité à laquelle il importe de revenir après que la maladie d'islam l'ait effacée de la mentalité des musulmans et de leur foi d'origine.
Cela advint dès que les jurisconsultes ont affublé de sacarlité divine les dires prophétiques, et aussi toute la sunna, une sacralité équivalente à celle du Coran. D'où l'autorité acquise avec le temps par de tels dits et faits amenant à rejeter l'effort libre d'interprétation, et même à accuser d'apostasie ses tenants.
Cela leur donna d'ailleurs aux jurisconsultes du souci pour harmoniser des dits qui en arrivaient parfois à se contredire; et ils s'y appliquèrent sans trop se soucier de leur contenu ou de leur conformité avec ce qui serait censé, portant leur attention exclusivement à la chaîne de transmission et au degré d'honorabilité des transmetteurs.
En effet, cette technique d'isnad, particulièrement ce qu'elle impliquait comme vérification de l'honorabilité du transmetteur, partait du principe que le dit rapporté, étant sacré, transmis par Dieu à son prophète, ne pouvait supporter de discussion tout comme le Coran, puisqu'il est aussi une sorte de révélation verbale octroyée au prophète qui ne pouvait parler ou agir que sous le regard et l'orientation de Dieu. Même la nature humaine du prophète que personne ne conteste en islam ne pouvait relativiser une telle sacralité depuis Chafaïi notamment, comme il sera précisé.
Et comme on l'a déjà dit, l'exemple ultime en la matière reste l'introduction en islam de la lapidation grâce à un dire prophétique venant déroger à ce que prévoyait le Coran. Aussi précisons-nous brièvement comment a été mis en place ce mensonge en islam puisqu'il n'y avait nulle lapidation dans le Coran avant que ne vienne l'instaurer un dire attribué au prophète loin d'être parfaitement authentique, sinon apocryphe.
Car il n'est pas excessif de dire que cette affaire de la lapidation est l'offense majeure faite à l'islam en tant que foi venue rectifier ce qui est devenu obsolète dans les révélations l'ayant précédé, abrogeant en l'occurrence une de ses prescriptions pour des temps reculés, cette lapidation qui relève d'une culture de mort, telle que celle qui dominait nombre de passages de l'Ancien Testament judaïque déjà et disparus du Nouveau Testament chrétien.
Or, l'islam en tant qu'ultime Testament a bien précisé qu'il était une culture de vie et une philosophie de la vie; ainsi même dans l'exercice de la loi du talion célébrant aussi la vie, non la mort tel que le précise expressément le verset 179 de la sourate La Vache. Il est vrai, cette vérité ne saurait ne pas échapper qu'aux fidèles doués de raison parmi qui ne rejette pas cette caractéristique distinctive de l'humain par rapport à l'animal, en usant pour rendre vie à ce qui est mort en lui et autour de lui.
D'ailleurs, certains exégètes, comme Souyouti, ont reconnu que, nonobstant le fait de s'y adonner, le vocable même de lapidation était horrible au point que Dieu a abrogé sa récitation du Coran sans en abolir la sanction pour le crime. Et c'est l'opinion qui a prévalu pour tous ceux qui ont tenu à introduire cette sanction hébraïque de l'adultère en islam malgré son absence du Coran.
En effet, le texte coranique y relatif maintient la porte ouverte au pardon et à la rémission avec la précision par Dieu qu'il laissait bien une issue (Les Femmes, 16). Or, au lieu de s'en tenir à la visée évidente de tolérance avec le terme "issue" utilisé, les tenants de la primauté des hadiths ont compris tout le contraire et pris le mot dans un sens linguistiquement opposé, faisant de l'issue une sanction bien plus sévère, passant d'une peine de cent coups de fouet à la mise à mort sous jet de pierres.
Une telle substitution de peine effroyablement plus sévère et abrogeant le Coran a été permise selon un dire dont ont n'aurait pas dû faire usage selon la technique même de référencement ou isnad chère aux traditionalistes sunnites, car il s'agissait d'un dire tout juste rapporté par une personne. D'ailleurs, il n'a pas été retenu par Boukhari dans son Sahih. Bien mieux, il a été jugé de faible authenticité par certains jurisconsultes, comme Tabari, non seulement pour cause d'imperfection de la chaîne de transmission ou de référencement, mais aussi du fait de son contenu même contredisantt d'autres dis rapportés également du prophète.
Ce qui éclaire à quel point ladite époque a été agitée par les soubresauts de l'opposition farouche entre les tenants de la référence en premier au seul Coran, ce qu'on appela les coranistes, et ceux des sunnites qui ont fait coran de ce qui a été rapporté du prophète comme dires. Or, cela ne devint possible qu'après la révolution ou coup d'État épistémologique réalisé par l'imam Chafaï qui a considéré le hadith sur la lapidation comme ayant le même statut révélé que le Coran.
Jour 5
Mardi 28 avril 2020
Aux débuts de l'islam, le hadith ou dire prophétique n'avait pas, par rapport à la révélation coranique, le statut qui allait être le sien par la suite et qui s'est maintenu à ce jour. En effet, seul le Coran était considéré révélé par Dieu à son prophète; cela dura jusqu'au temps où le hadith a gagné le caractère sacré propre au Coran, allant même être considéré révélé aussi tout comme la sainte Écriture. Si cela a commencé avec le saint dire (hadith quodsi), il n'a pas manqué par la suite de s'élargir à tous les dires ou hadiths, même aux faits et gestes du prophète, la sunna.
Une telle révolution épistémologique a réussi à avoir lieu au niveau des rites avec l'oeuvre de l'imam Chafaï qui consacra l'autorité de la sunna, hadith et geste prophétique compris, rejetant la moindre velléité de recours à la raison ou à l'opinion personnelle pour l'exégèse du Coran. En cela, il a non seulement combattu le rite opposé de l'imam d'Irak, Abou Hanifa, maître de l'interprétation libre du Coran selon l'opinion se fondant sur la raison, mais aussi le rite de Médine. En effet, son chef de file, l'imam Malek, avait gardé la porte ouverte à la liberté du recours à l'avis personnel, ne le dédaignant pas totalement, et ce par les techniques malékites bien connues que sont, outre le raisonnement par analogie et le consensus des Compagnons du prophète, la pratique comparable à la préférence qui existe dans le rite hanafite qu'est l'intérêt général ou métonymique et surtout la spécificité du malékisme, à savoir la coutume des gens de Médine.
C'est avec Chafaï que la porte de l'interprétation libre ou libérée en islam a été définitivement close pour les jurisconsultes. Et la sunna est devenue une autorité autonome, en mesure de commander à la révélation coranique, ce qui fut une novation ou innovation, et même une hétérodoxie ou hérésie pour employer la logique consacrée dans le fiqh sous le qualificatif de Bidaa. Elle stipule l'interdiction de parler religion en l'absence de texte dans l'Écriture sainte, le silence étant alors une obligation absolue. Or, l'histoire de l'islam nous avait appris, avec les événements dont le gendre du prophète Ali Ibn Abi Taleb fut la victime, que le texte coranique est silencieux; aussi fallait-il sortir de l'impasse en étendant la qualité d'Écriture au dire prophétique. Peu à peu, il sera par conséquent assimilé au Coran en étant déclaré, lui aussi, d'origine divine, également révélé. Ayant commençé déjà avec le Saint dire, une telle sacralité se vit alors étendue aux faits et gestes prophétiques.
Avec la fameuse Épître de Chafaï et son livre La Matrice, la Sunna est ainsi érigée une source originelle des Écritures d'islam, ayant acquis la même qualité d'écriture que le Coran nonobstant le sens linguistique d'écriture (ou kitab), la langue arabe étant chez lui le crible de la science religieuse. En effet, Chafaï eut recours au subterfuge d'interpréter le sens de l'Écriture sainte comme étant une sagesse divine, ce qui lui permit d'affirmer sa similitude avec la sagesse prophétique.
On a pu dire d'ailleurs que l'Épître de Chafaï était pour les canons de la jurisprudence musulmane ce que fut la logique d'Aristote en philosophie (une expression de Fakhr Razi). Depuis, on a considéré que tout autant que le Coran, la sagesse du prophète, en dires et en actes, est révélée par Dieu à son messager qui est protégé par cette élection et est conséquemment insoumis à la nature imparfaite des humains qu'il ne garde pas moins, mais tout juste hors de sa mission d'envoyé divin, limitée donc aux choses de la vie terrestre.
La parfaite équivalence qu'on doit à Chafaï du Coran et de la Sunna en référentiel de la sagesse des Écritures eut pour conséquence la naissance d'une pléthore de dires attribués directement ou indirectement au prophète. Partant, des relations mensongères ou apocryphes, parfois même aberrantes, heurtant non seulement la raison mais même le bon sens n'ont pas manqué de voir le jour. En effet, la sunna allait être une arme redoutable aux mains des rivalités idéologiques toutes tendances confondues, tant religieuses que politiques.
On en est arrivé alors à la situation saugrenue que le simple fait de croire en islam est affaire d'apparence, de pure hypocrisie même, étant donné qu'il suffit de la sorte de se dire musulman y compris si cela est une implication d'actes impies ou de comportements immoraux heurtant la conscience universelle. C'est qu'une tendance cynique et d'effronterie a gagné la foi d'origine d'islam, la rendant malade, en totale rupture avec l'éthique originelle, acceptant le mensonge quand il est supposé au service d'une fin amorale ou guère morale, justifiant des moyens immoraux sans conteste. Nous citerons, en l'objet, des exemples éloquents tels ces hadiths relatifs à la mouche tombée dans un verre contenant un liquide, l'eau altérée par une impureté ou ce célèbre dire du puits de Bothaâ.
En nous refaisons ici notre appel à moraliser l'éthique en notre islam malade, revenant à la foi des origines, celle de la révélation première, le Coran mecquois. De nos jours, cela concerne spécialement l'islam politique appelé à devenir éthique (poléthique selon mon néologisme). Car le Coran, et partant la foi d'islam est à la fois religion et politique, une métaphysique mais aussi physique terrestre. Puissions-nous revenir aux sublimes valeurs éthiques de l'islam en politique et de la politique d'islam, celles de la poléthique i-slamique ! Nous y reviendrons.
Jour 6
Mercredi 29 avril 2020
Les exemples de hadiths surprenants que nous évoquons succinctement ici ont constitué un fonds bien riche chez les jurisconsultes de ce qu'on a qualifié de dires inhomogènes et problématiques. Ces hadiths disparates et contradictoires ont imposé la question de savoir si ces dires ne s'abrogeaient pas mutuellement puisqu'ils ne contredisaient pas seulement, mais heurtaient ce qui, en islam, ne fait nul doute comme valeurs.
Au demeurant, ils seront — ainsi que bien d'autres encore plus surprenants — à l'origine de nombreux ouvrages chez les sunnites venant les interpréter et en expliciter l'apparent illogisme afin de le réfuter en réalisant la nécessaire harmonie qui sied à des dits ayant désormais une valeur sacrée valant Coran.
Au vrai, il y avait bien une technique pour vérifier l'authenticité des dires prophétiques et qui a même été érigée en science. Cependant, son souci premier et majeur était de contrôler davantage l'honorabilité du transmetteur et la traçabilité du témoignage que le contenu même du récit ou dire rapporté. Celui-ci, protégé par sa sanctification obtenue depuis Chafaï, n'est pas supposé faire l'objet d'examen et de conformité avec le bon sens à défaut de la raison. Aussi ni les jurisconsultes ni le commun des musulmans n'osaient plus se poser de questions autour de ces hadiths synonymes de paroles divines en dehors des conditions de leur transmission conditionnant s'ils sont d'une absolue authenticité ou s'ils se situent dans diverses catégories inférieures.
S'agissant du hadith de la mouche tombant dans un récipient contenant du liquide, on a rapporté que prophète a dit : «Si une mouche tombe dans votre verre, ne l'en retirez pas, mais trempez-le, car si l'une de ses ailes est poison, l'autre est guérison; or, elle avance en premier le poison avant la guérison.»
Parmi les défenseurs de l'authenticité de ce hadith, on compte Ibn Qutayba al-Dinuri qui, contemporain des Mu'tazilites au troisième siècle de l'hégire, s'est opposé à leurs critiques apportées à nombre de dires prophétiques dans son livre «Interprétation des hadiths inhomogènes" considéré à juste titre comme une mine d'informations sur la pensée de ces rationalistes de l'islam dont l'oeuvre est estimée perdue pour l'essentiel, ne nous étant pas parvenue. Tout en ajoutant d'autres versions au dire allant toujours dans le même sens, à savoir la dualité maléfique et bénéfique des ailes de la mouche, il assure, que quiconque ne prête pas foi à ce hadith, comme à d'autres similaires, « est en rupture avec l'islam » parce que «démentir une part de ce qu'affirme le Messager de Dieu (saws) revient à démentir tout son message.»
Quant au hadith de l'eau altérée par une impureté, et particulièrement ce qui a été rapporté concernant le puits de Bouthaâ dont l'eau était utilisée par le messager de Dieu pour ses ablutions, il a été rapporté qu'on lui avait rapporté que les gens jetaient dans ce puits des impuretés diverses, et que sa réponse fut : « L'eau est pureté, rien ne l'altère. »
Ibn Salama Al-Tahawi est parmi ceux qui croient à l'authenticité de ce dire dont il rapporte d'ailleurs diverses versions, certaines affirmant que le messager de Dieu en buvait aussi. Il les confirme tous, les jugeant crédibles les uns les autres et nullement contradictoires, y compris avec ceux emportant l'interdiction formellement répétée de se laver ou de boire de l'eau stagnante lorsque, par exempe, l'urine la rend impure.
Toutefois, Al-Tahawi se distingue, pour le dire du puits Bouthaâ, en ne justifiant pas son authenticité comme l'ont fait d'aucuns prétendant que le puits, contrairement à la vérité, était un cours d'eau en vue de lui appliquer ce qui se rapportait à l'eau courante jamais impure. En effet, il justifie l'authenticité du hadith par une curieuse interprétation censée le sortir du dilemme, arguant que la question posée par le dire ne portait pas sur l'impureté qui serait encore dans le puits, mais qui en aurait été retirée, n'y ayant été que par le passé. Spéculant que le hadith porte sur une impureté qui n'était plus dans le puits, l'auteur d'«Explicitation des hadiths problématiques» affirme donc que le hadith du puits Bothaâ sur l'eau jamais impure ne porte que sur son eau après retrait de l'impureté du puits.
Un tel raisonnement original n'était pas étranger en une époque où ce genre de gymnastique intellectuelle était courants; les justifications fantaisistes n'y manquaient pas, allant jusqu'à l'affirmation qu'un mot aurait manqué à un dire et en aurait modifié le sens. Ce qui n'est pour pour nous étonner quand on se souvient que notre auteur a connu le premier tiers du 4e siècle de l'hégire, un temps de multiplication de tels étranges hadiths ayant éntraîné des interprétations aussi étranges sinon bien davantage.
Au lieu de rejeter de tels hadiths manifestement des faux attribués au prophète, les jurisconsultes ont ainsi refusé d'en douter, attentant sans s'en rendre compte à la crédibilité du messager de l'islam tout en pensant lui rendre hommage en sanctifiant ces dires censés avoir bien été sa parole inspirée par Dieu.
Dans la chronique suivante, nous traiterons d'un autre dire similaire à ceux évoquées ici et qui, de plus, s'impose particulièrement en ces temps de pandémie : le hadith sur la contagion.
Jour 7
Jeudi 30 avril 2020
Le dire sur la contagion a fait l'objet de plusieurs récits contradictoires, dont les plus connus, d'une part, est l'affirmation de l'envoyé de Dieu qu'« il n'est point de contagion ni de mauvais augure » et, de l'autre, son exhortation de « fuir le lépreux comme on fuit un lion ».
Pour nier la contradiction, on a prétendu que la contagion a aussi le sens de l'odeur qui empeste comme celle de la lèpre qui ne voudrait donc signifier que la mauvaise odeur. Ainsi a-t-on cru résoudre l'antinomie entre les deux hadiths, la fuite concernant l'odeur et non la contagion.
Il est évident qu'une aussi originale acrobatie de raisonnement de la part de certains imams ne répond pas totalement à l'évidente existence de la contagion qu'évoquent, au demeurant, d'autres dires du prophète dont notamment ceux appelant à fuir la peste dont on ne nie point la contagion. Au reste, celle-ci était bien connue des gens d'islam, évoquée en plus par nombre de célèbres médecins, y compris au 3e siècle qui a représenté l'apogée de la bataille des dires contradictoires, tels Ibn Massawayh et Ibn Al-Majoussi, sans parler du grand savant du siècle suivant que fut Ibn Sina (Avicenne).
La problématique de la contagion, ainsi que la tentation de la nier, dans l'effort d'éviter d'avoir à reconnaître la contradiction des hadiths, a été bien résumée par un ponte du savoir du siècle 9 de l'hégire, Ibn Hajar Al-Askalani, dans son ouvrage «Contemplation explicite en tradition terminologique de la pensée d'élite ». Comme de tels hadiths figurent dans les recensions authentiques, il est impératif de supposer leur validité malgré la contradiction apparente; et même si elle est avérée, on ne peut en principe l'accepter. Voici ses termes : «Ces maladies ne sont pas contagieuses par nature; toutefois, Dieu a fait en sorte que la fréquentation du malade par le sain soit cause de contagion. Aussi est-il préférable d'accepter les deux dires en disant que la négation de la contagion reste valide de façon générale — la parole prophétique étant avérée —, à savoir que : rien ne contamine rien. Quant à l'ordre de fuir le lépreux, il s'agit d'une applicaton de la règle du bannissement des prétextes afin que la personne qui le fréquente n'attrape pas ce qu'il a, et ce initialement par la volonté divine, non point la contagion niée, allant donc jusqu'à le mettre dans l'embarras d'en arriver à croire en la véracité de la contagion. Aussi lui a-t-il ordonné de l'éviter afin de ne pas se retrouver dans une telle situation. »
Bien évidemment, il est permis de dire que ce raisonnement date un peu, nous étant antérieur de plusieurs siècles, et qu'il est le propre de la mentalité de ce temps révolu; ce serait alors se tromper. À la vérité, il n'est pas bien différent de ce que tiennent comme discours, jusqu'à nos jours, certains parmi ceux qui nient la contagion en se basant sur le dire prophétique. Il en est même des sommités du savoir sanctifiant les hadiths ce qui a été rapporté de l'envoyé de Dieu nonobstant son contenu au point de mettre en doute les thèses scientifiques si elles viennent contredire.
À titre d'exemple, l'ancien membre d'une instance normative comme la Commission permanente des Études scientifiques et des Avis religieux (Iftaa) d'Égypte, Abderrazak Afifi qui en fut jusqu'à sa mort vice-président, n'hésite pas dans son livre «Soupçons autour de la Sunna » à affirmer que ceux qui refusent le hadith de la mouche au prétexte de non-sens ou pour un soupçon de contradiction avec d'autres dires ne sont que « cette opinion convaincue par la médecine et ses théories ainsi que de l'infaillibilité des médecins et ce d'une manière bien supérieure à leur foi en la législation divine et dans ce qui est rapporté d'avéré du prophète ». Or, ce dernier, s'il a évoqué l'aptitude à la guérison propre à la mouche ou l'inexistence de la contagion, ne l'a pas fait « en conjecture personnelle » mais «parlant sous l'autorité de Dieu qui le lui a révélé. Et il est du devoir de l'humain de prêter foi à la révélation divine bien plus qu'il ne le fait pour les théories scientifiques. »
Après cela, il est inutile de citer d'autres exemples de cette attitude allant encore bien plus loin dans le déni; or, ils sont nombreux hélas ! ceux qui sont aveuglés par la maladie d'islam, incapables de se rendre à l'évidence qu'ils portent un grave préjudice à ce qu'ils croient défendre.
De fait, les exemples que nous avons cités démontrent à quel point a périclité le système de la jurisprudence musulmane au point d'agir à instituer une religion désormais virtuelle dans l'esprit des gens n'y voyant que ce dont ils ont reçus héréditairement comme opinion, une vision fantasmagorique marquée de pas mal d'indifférence à cette jurisprudence ou fiqh qu'ils appliquent ou acceptent malgré ses contradictions portant un sérieux préjudice à la religion et à leur foi.
C'est, au vrai, un fiqh en perdition de nos jours bien qu'il fut le meilleur produit du cerveau de ses auteurs en leur temps . Désormais, et pour le moins, il fonde une phobie de la contradiction et de la différence en plus dune véritable schizophrénie de l'acte de croire, si ce n'est pas un terrorisme moral et physique.
C'est une maladie meurtrière dont il est fatal de sauver notre religion; et cela impose de retravailler à comprendre les sens et significations, concepts et idées de cette belle foi moyennant un nouvel effort d'interprétation, l'ijtihad pour une jurisprudence de notre temps qui soit le résultat de la cogitation de ses enfants retrouvant ce qu'il y a de plus authentique de leur foi, n'acceptant plus de se limiter à singer ou ruminer ce legs des anciens en état de décomposition avancée. Y a-t-il donc de durée sinon pour Dieu ?