Respecter la constitution, c’est ne pas en violer l’esprit !
Certains politiciens, notamment parmi les grands partis et ceux de
la troïka, sont pressés d’organiser des élections nationales avant la fin de
l’année pour revenir au pouvoir avec une légitimité renouvelée ou, pour ceux
qui n’y sont pas, y accéder au plus vite. Les uns et les autres ont beau jeu de
prétendre que ce serait une violation de la constitution que de ne pas
organiser ces élections, comme elle le prévoit, avant la fin de 2014.
Un juridisme illégitime
C’est ainsi que cheikh Ghannouchi vient de déclarer sur les ondes nationales
que la constitution a été ratifiée pour être appliquée; aussi, reporter le
scrutin au-delà de l'année en cours serait la violer.
On comprend bien la hâte de M. Ghanouchi de profiter de la
situation de politisation à l’extrême de l’administration réalisée par son
parti pour se présenter dans les meilleures conditions à des élections selon un
scrutin taillé sur mesure en vue de servir ses ambitions.
Toutefois, l’argumentation juridique qu’il développe n'est
légitime qu'en apparence; elle ne relève que du juridisme illégitime au vu des
attentes du peuple. En effet, si la constitution est faite pour être appliquée,
elle l'est d’abord pour servir la souveraineté populaire. Or, aujourd'hui, celle-ci
n’est pas dans la tenue d’élections nationales, mais d’élections locales, au
plus près des préoccupations du peuple.
De plus, l’intérêt du peuple commande que le système électoral en
Tunisie soit celui du rapport personnalisé entre l'électeur et l'élu, soit le
scrutin uninominal permettant au Tunisien de choisir un élu qu’il connaît et
auquel il peut demander nominativement des comptes. Par conséquent, violer la
souveraineté populaire, et donc la constitution, c'est organiser les élections
selon le mode de liste qui a déjà démontré ses immenses imperfections.
Par ailleurs, si une constitution est bien faite pour être
appliquée, comme sait bien le dire M. Ghannouchi, que n'appelle-t-il pas à
appliquer d’abord et avant tout les droits et libertés nouvellement consacrés
et encore lettre morte ? Si on se soucie du droit du peuple à choisir ses
gouvernants, qu'on lui permette d'abord de ne plus relever de l’ordre juridique
de la dictature et de son arsenal de lois répressives, lui faisant bénéficier
des acquis arrachés de haute lutte par sa société civile !
Voilà une urgence bien plus grande que des élections législatives
et présidentielles, si on veut être honnête en parlant de légalité et de
respect de la constitution. Il nous faut savoir, en effet, qu'en parlant droit,
on ne peut plus faire comme avant, nous laisser aller à la facilité d’être
formaliste, nous limiter sans honte à la pure apparence; c’est ce que faisait
la dictature qui usait de la forme, un cadre vide, pour tromper, simulant
l’apparence de l’État de droit.
La violation vraie de la constitution
Aujourd'hui, violer la constitution, c'est ne pas permettre au
peuple de se gouverner dans les localités et les régions et d'être gouverné par
de nouvelles lois en conformité avec les acquis de la constitution. Violer la
constitution, c'est omettre son essence, les vraies obligations qu'elle
contient en termes de libertés et de droits, à appliquer incontinent, pour ne
tenir que d'une fausse obligation de date butoir d'élections nationales,
inutiles pour le bien du pays.
Pourtant, c'est ce que continuent d'exiger nos élites avec leur
formalisme anachronique exigeant le respect d'une date inscrite dans la
constitution sous la pression des intérêts partisans. Or, tout comme les autres
dispositions encore plus importantes et toujours en souffrance, elle pourrait fort
bien ne pas être mise en application.
Les temps ont changé et on ne peut plus se suffire de juridisme
stérile; le formalisme pur est même à proscrire, le peuple n’en voulant plus.
Il exige des actes utiles et leur conformité avec des paroles de vérité.
Qu’est-ce un acte utile, aujourd’hui en Tunisie, sinon de laisser
le gouvernement de compétences gouverner en le confortant avec d’autres
compétences au niveau des autres têtes de l’État pour le meilleur du pays ?
Qu’est-ce une parole de vérité, aujourd'hui dans notre pays, que
de substituer des élections municipales et régionales à des élections
nationales qui n’intéressent personne, sinon les partis devenus autant de
sectes ne servant que leurs gourous et adeptes ?
On le voit bien tous les jours, pourtant ! Le peuple s’agite de
plus belle dans les régions; il exige que le gouvernement aille sur place,
décide au vu des situations locales. Ce qu’il veut, c’est que le pouvoir soit
dans les localités et les régions. Et il a raison; la révolution est venue pour une telle
réalisation.
La meilleure façon de réconcilier le peuple avec la politique est de
tenir des élections lui permettent d’élire ses conseillers municipaux et
régionaux, y compris ses gouverneurs.
Ainsi et ainsi seulement on respectera la constitution dans son
esprit, au-delà d’une lettre façonnée à la mesure des ambitions politiques des
partis. À quand donc, chez nous, des politiques qui cesseront d’être
irresponsables pour agir en responsabilité, selon l’intérêt du peuple et non en
fonction de leurs ambitions politiciennes ?
Publié sur Leaders